jeudi 27 juin 2013

Les Trois Yeux de la Connaissance


La connaissance comporte trois degrés : l'opinion, la science, l'illumination. Le véhicule ou l'instrument du premier, c'est la sensation; du deuxième, la dialectique; du troisième, l'intuition. Au dernier je subordonne la raison. C'est la connaissance absolue qui repose sur l'identification de l'esprit connaissant à l'objet connu. PLOTIN


Dans notre dernier billet, nous évoquions une série d’évènements qui sont autant d’indices d’une profonde évolution de la conscience collective. Pour Carine Dartiguepeyrou dans La nouvelle Avant-garde, ce changement culturel est sous-tendu par « l’envie de réinterroger les bases épistémologiques de nos schémas traditionnels, modernes et post-modernes, en vue de construire de nouveaux modèles de développement économiques et sociétaux. » 

Michel Saloff-Coste, un autre contributeur de cet ouvrage collectif pose les bases de cette mutation : « Comme dans les grandes évolutions et transformations humaines du passé, la transition que nous vivons s’élabore d’abord à travers la critique épistémologique des cadres de référence du passé. Face à des équations apparemment impossibles à résoudre et à des catastrophes apparemment irrémédiables, les solutions ne peuvent être trouvées qu’en changeant d’échiquier et en questionnant nos a priori.» 

Au cœur de toute mutation culturelle se trouve une révolution épistémologique qui décadre les habitudes de percevoir et de penser tout en permettant l’émergence d’un modèle novateur - plus complexe et plus global - intégré et adapté à l’évolution du milieu. Dans le contexte religieux de l’Ancien Régime, Descartes a initié, à travers sa méthode analytique et réductionniste, une révolution épistémologique qui ouvra les portes de la modernité culturelle et du progrès technique. 

Aujourd’hui, dans le contexte hégémonique de la techno-science, alors que le modèle abstrait de la modernité s'effondre sous le fracas d'une crise systémique, une autre révolution épistémologique ouvre un nouveau cycle de civilisation. Contre le réductionnisme dominant, elle affirme une diversité cognitive fondée sur une pluralité de connaissances et de méthodologies. C’est à cette révolution épistémologique dont il est un des pionniers que nous convie Ken Wilber dans Les Trois Yeux de la Connaissance, un ouvrage publié en 87 en France par les éditions du Rocher, depuis longtemps épuisé, et que viennent de rééditer les éditions Almora.

Un pluralisme épistémologique

Publié en anglais dans sa version originale en 1983 sous le titre Eye to Eye The quest for the new paradigm - cet ouvrage doit être lu par tous ceux qui s’intéressent au développement de la conscience et de l’être-humain, à l’émergence d’un nouveau paradigme ainsi qu’à une réflexion épistémologique sur le statut des divers modes de connaissance. 

Wilber cherche à répondre à un certain nombre de questions : Quelle est la valeur et la nature des différents savoirs humains ? Quel est précisément le domaine de la science ? La science est-elle qualifiée pour dire quoi que ce soit sur les différents domaines de la conscience ? Quelles sont les différences et les similarités entre sciences exactes, sciences humaines et spiritualité ? Quelle est la valeur de la connaissance obtenue à travers le yoga ou la méditation par exemple ? Ces activités peuvent-elles être considérées comme une forme valide d’étude scientifique ou doivent-elles être rejetées parce que subjectives et non scientifique ? 

Pour ce faire, il reprend la métaphore utilisée par Saint Bonaventure, un auteur mystique chrétien du treizième siècle qui affirmait que l’être humain dispose de trois yeux - l’œil de chair, l’œil de raison et l’œil de contemplation -  donnant chacun accès à un domaine particulier de la réalité et au champ de connaissance qui lui correspond. Cette métaphore permet à Wilber d'introduire la notion de pluralisme épistémologique et méthodologique qui consiste à distinguer les divers domaines de la connaissance, à respecter leurs spécificités et à ne pas les confondre les uns les autres à travers ce qu’il nomme des erreurs catégorielles.

Dans cette perspective pluraliste, la spiritualité apparaît comme un champ de connaissance singulier avec son domaine distinct d’expériences et sa méthodologie spécifique fondée sur ses propres formes de recherches et de validation. En donnant à la spiritualité un statut de "science des états supérieurs de conscience", Wilber nous libère du réductionnisme dominant et propose une vision du monde globale qui intègre la diversité des points de vue et des connaissances qui en découlent. 

Le « nouveau paradigme » 

La réédition de l’ouvrage de Wilber qui nous parut fondateur il y a 25 ans est l’occasion de revisiter le contexte dans lequel s'est déroulée cette révolution épistémologique dont il est un des pionniers. Car ce mouvement de régénération culturelle auquel nous assistons aujourd’hui ne date pas d’hier et naît pas du néant. Il s’inscrit dans une longue histoire des mentalités animée par la créativité des avant-gardes culturelles dont nous avons esquissé la généalogie dans plusieurs billets. Nous n’y reviendrons donc pas ici. 

Restons-en aux années soixante qui virent le mouvement de la contre-culture s’ériger contre une pensée abstraite et une idéologie utilitariste incapables de répondre aux besoins de sens et de valeurs chez les nouvelles générations nées dans une nouvelle forme de société fondée sur la consommation. Ce que l’on nomma « la parenthèse enchantée » se referma sous le poids d’un premier choc pétrolier mais aussi sous celui des responsabilités professionnelles, familiales et sociales d’une jeunesse parvenue à l’âge adulte. Cependant, l’avant-garde culturelle transforma progressivement ce courant de protestation spontanée et de contestation protéiforme en recherche collective d’un autre modèle. 

Face à l’hégémonie d’une rationalité occidentale qui aboutit à une mentalité fragmentée et aliénée, cette quête d’un nouveau paradigme visait à réenchanter le monde en dépassant les contradictions entre science et conscience, raison et intuition, technique et éthique, matière et esprit. C’est dans ce contexte que naquit le mouvement de la psychologie transpersonnelle dont le but était d'étudier les états de conscience qui excédaient les états de vigilance ordinaire et qui avaient fait l'objet de descriptions détaillées dans de nombreuses traditions spirituelles. C'est ainsi que Ken Wilber élabora une cartographie des divers états de conscience à partir de modèles issus aussi bien des sagesses traditionnelles et des spiritualités contemplatives que des théories du développement psychologique et cognitif élaborées par les savants occidentaux. 

Un spectre de la conscience 


Pour des raisons méthodologiques (et idéologiques), la science occidentale s’est focalisée sur les premiers stades évolutifs, ceux qui vont des niveaux pré-conscients et infantiles jusqu’à la rationalité consciente. Pour des raisons culturelles (et méthodologique), les approches traditionnelles, notamment orientales, ont dressé des cartes détaillées des stades évolutifs les plus élevés qui vont de la conscience rationnelle aux états transcendants qualifiés de transpersonnels. 

Le talent de Wilber est d’avoir su opérer la synthèse entre les connaissances traditionnelles et intuitives de l’orient et celles, modernes et scientifiques, de l’occident pour proposer une cartographie qui dessine un "spectre de la conscience" - comme il existe un spectre des couleurs - composé des divers stades, des plus archaïques aux plus transcendants, à travers lesquels la conscience évolue. 

Les travaux de Wilber montre que la conscience se développe selon un axe évolutif et hiérarchisé qui va du subconscient à la conscience individuelle jusqu’aux états supérieurs qualifiés de transpersonnels parce qu'ils dépassent les limites de l'individualité. Tous ces stades correspondent à des niveaux hiérarchiques d’organisation, de complexité et d’intégration croissants. C’est parce qu’il est consubstantiel à la dynamique du développement humain que ce processus d’intégration a donné son nom à la théorie intégrale. 

Dans la quête d’un nouveau paradigme propre aux années 80, on vit émerger beaucoup de recherches fondées sur la corrélation entre mysticisme oriental et physique quantique. Ces deux approches proposaient suffisamment de similarités pour que certains  auteurs élaborent des modèles fondés sur leur convergence. Mais la plupart du temps, il s’agissait de poser une équivalence entre l’idée de non-séparation au cœur des traditions spirituelles et celle d’interdépendance mise en avant par la physique quantique à partir de l'observation des particules sub-atomiques.  

Ce faisant, on rabattait le plus souvent le domaine transcendant de l’esprit sur le domaine immanent de la matière physique. Une telle approche réductionniste tend à nier la hiérarchie évolutive qui résulte d'une montée en complexité entre les états de la matière, de la vie et de la conscience. Le domaine de l'esprit perçu par l’œil de contemplation n'est pas réductible au domaine de la matière perçue par l’œil de chair. La spiritualité ne saurait en aucun cas devenir un appendice de la physique quantique.

Œil de chair, de raison et de contemplation


Wilber a critiqué cette forme perverse du réductionnisme New Age à travers une série d’essais publiés à la fin des années 70 et au début des années 80 dans plusieurs revues. Les Trois Yeux de la Connaissance est un recueil de ces essais écrits séparément mais liés par une inspiration commune. Il s’agit pour Wilber d’apporter sa contribution à l’émergence du nouveau paradigme en dégageant les implications philosophiques et épistémologiques d’une vision évolutionnaire qui découle de sa découverte du "spectre de conscience". Wilber propose un pluralisme épistémologique et méthodologique sous la forme d’une métaphore utilisée par Saint-Bonaventure qui est celle des trois yeux de la connaissance :

« Saint Bonaventure, le grand Docteur séraphique de l'Église, philosophe apprécié des mystiques occidentaux, enseignait que les hommes et les femmes possèdent au moins trois moyens d'accéder à la connaissance — « trois yeux », comme il disait (selon Hugh de Saint Victor, un autre mystique célèbre) : l'œil de chair, par lequel nous percevons le monde extérieur de l'espace, du temps et des objets; l'œil de raison, par lequel nous acquérons une connaissance de la philosophie, de la logique et du mental lui-même; et l'œil de contemplation, par lequel nous nous élevons jusqu'à une connaissance des réalités transcendantes. 

Saint Bonaventure ajoute que toute connaissance est une sorte d'illumination. Il y a l'illumination extérieure et inférieure (lumen exterius et lumen inferius), qui éclaire l'œil de chair et nous donne accès à la connaissance des objets tangibles. Il y a la lumen interius, qui éclaire l'œil de raison et nous donne accès aux vérités philosophiques. Et il y a la lumen superius, la lumière de l'Etre transcendant qui éclaire l'œil de contemplation et révèle une vérité salutaire, « une vérité qui mène à la libération ». 

Selon Saint Bonaventure, nous trouvons dans le monde extérieur un vestigium ou « vestige de Dieu » — l'œil de chair perçoit ce vestige (qui apparaît sous forme d'objets séparés dans l'espace et le temps). En nous-mêmes, dans notre psyché — en particulier dans la « triple activité de l'âme » (mémoire, raison et volonté) — nous trouvons une imago de Dieu, laquelle nous est révélée par l'œil mental. Enfin, grâce à l'œil de contemplation, éclairé par la lumen superius, nous accédons à l'ensemble du domaine transcendant, au-delà du sens et de la raison — à l'Ultime Divin, lui-même. 

Tout ceci s'accorde parfaitement à la vision de Hugh de Saint Victor (le premier des grands mystiques victoriens), qui distinguait entre cogitatio, meditatio et contemplatio. La cogitatio, ou simple connaissance empirique, est une recherche des faits relatifs au monde matériel au moyen du seul œil de chair. La meditatio est une recherche des vérités au sein de la psyché elle-même (l'imago de Dieu) à l'aide de l'œil du mental. La contemplatio est la connaissance par laquelle la psyché ou âme est unie de façon instantanée à la Divinité en une intuition transcendante (révélée par l'œil de contemplation). 

Cette terminologie particulière — œil de chair, de raison et de contemplation — est d'origine chrétienne, mais on trouvera des idées similaires dans les principales écoles de psychologie, de philosophie et de religion traditionnelles. Les « trois yeux » d'un être humain correspondent, en réalité, aux trois domaines majeurs de l'être décrits par la philosophie éternelle, qui sont le grossier (charnel et matériel), le subtil (mental et animique), et le causal (transcendant et contemplatif). Ces domaines ont fait l'objet de multiples études détaillées, aussi me contenterai-je de signaler qu'il y a unanimité sur ce point parmi les psychologues et les philosophes traditionnels. » (Les Trois Yeux de la Connaissance) 

Procédure, perception et comparaison

Ken Wilber

Wilber décrit "l’erreur catégorielle" comme l’usurpation par un œil du rôle des deux autres ou la confusion entre les divers domaines de connaissance. Dans la mesure où trop de chercheurs réduisent l’œil de contemplation à l’œil du mental et celui-ci à l’œil de chair, Ken Wilber cherche à définir l’épistémologie, la méthodologie et les critères de validation propres à ces trois grands domaines de la connaissance. La science empirico-analytique appartient à l'œil de chair, la psychologie phénoménologique et la philosophie à l'œil de raison, la spiritualité et la méditation à l'œil de contemplation. En comparant ces trois types de connaissances, Wilber distingue un certain nombre de traits communs.

Selon lui toute forme de connaissance comprend les trois éléments suivants : elle suit une procédure spécifique (1) qui donne lieu à une certaine perception (2) qui peut ensuite être comparée (3) à la perception reçue par d’autres chercheurs qualifiés qui sont passés par les deux premières étapes de ce processus. Procédure, perception et comparaison sont les trois grandes étapes de toute connaissance que l’on retrouve sous des formes différentes selon le domaine auquel elle s’applique. C’est ainsi que la connaissance contemplative au cœur des grandes traditions spirituelles peut accéder au statut de science au même titre que les autres formes de connaissance qui rendent compte du domaine physique ou mental.

« Si par « science » on veut dire les trois phases d’accumulation du savoir dans n’importe quel domaine, alors en effet les écoles les plus pures du Zen et du Yoga peuvent être dites scientifiques. Elles sont injonctives, instrumentale, expérimentales, fondées sur l’expérience et le consensus. Ceci étant posé, nous pourrions alors légitimement parler de « sciences spirituelles », de la même manière que nous parlons de sciences sociales, de sciences herméneutiques, de sciences psychologiques et de sciences physiques (les dernières étant empiriques, les autres phénoménologiques ou transcendantales). Nombre de maîtres de méditation eux-mêmes se réfèrent à la science du Yoga, à la science de l’Etre où à la science de la méditation. »

L’idée d’une "science spirituelle" peut apparaître comme un oxymore à un « esprit cartésien » formaté par le rationalisme à la française. Et pourtant, en suivant pas à pas la démonstration implacable de Ken Wilber, on ne peut que constater la vérité d’une telle affirmation : l’œil de contemplation révèle effectivement un domaine distinct de la réalité multidimensionnelle et les critères de validation propre à ce champ de connaissance sont aussi différents de ceux qui sont utilisés par l’œil de raison que ces derniers le sont des critères de validation propre à l’œil de chair. 

Reconnaître le statut de science des états supérieurs de conscience à la spiritualité, c’est se libérer du réductionnisme dominant et de l’idéologie matérialiste qui le sous-tend tout en avançant sur le chemin d’une diversité cognitive, essentielle à l’émergence d’un nouveau paradigme. Affirmer la nécessaire pluralité des points de vue sur le monde, leur complémentarité et leur dimension irréductible, c’est ouvrir la voie à une véritable écologie de l’esprit que nous évoquerons dans notre prochain billet. 

Ressource

Ken Wilber, Philosophe du Tout  (1, 2 et 3)

Le Sage et l'Erudit (1à 5) Dialogues entre Ken Wilber et Andrew cohen

Quelques textes du Journal Intégral concernant une réflexion épistémologique :

Le Chaman et le Savant (1 et 2) L'évolution épistémologique

Le Cœur et la Raison   Raison et Intuition 

La Voie de l'Intuition  (1, 2 et 3)

Intégrer la complexité      "La Poésie sera la science du Futur"

Sur le site Entre Terre et Ciel   : Les Trois yeux de la Connaissance 

Article très complet sur Les Trois Yeux de la Connaissance sur le site Philosophie et Spiritualité 

mercredi 19 juin 2013

Vers un Changement de Culture


Le nouveau commence toujours à l'intérieur, pas à l'extérieur. Du mouvement intérieur émerge le mouvement extérieur. Gitta Mallasz (Dialogues avec l'Ange) 


Le 28 Juin aura lieu à Paris un « Atelier évolutionnaire » qui s’inscrit dans la dynamique d’intelligence collective animant le Forum International de l’Evolution de la Conscience dont la seconde édition se tiendra le 12 octobre 2013 à Paris autour du thème : Croire au Futur. Les organisateurs ont souhaité donner à ce forum un format original et participatif, non seulement le jour du Forum par la tenue d’ateliers collectifs, mais aussi dans les mois qui précèdent afin de découvrir, en intelligence collective, ce que cela signifie d’être un(e) évolutionnaire et de créer consciemment le futur. 

Ce Forum s’inscrit dans une série d’évènements qui prouve que quelque chose est en train de se passer sur une scène culturelle française longtemps figée dans les glaces d’un formalisme aussi abstrait que désespérant. Parmi ces évènements, la parution chez l’Harmattan de La nouvelle Avant-garde – Vers un changement de culture, un ouvrage collectif passionnant, coordonné par la présidente du Club de Budapest Carine Dartiguepeyrou et dans lequel plusieurs chercheurs de haut niveau analysent l’évolution culturelle actuelle dans la perspective d’un profond changement de paradigme. 

On sait depuis Nietzsche que "Les pensées qui mènent le monde arrivent sur des pattes de colombes". Indétectable par les radars de la pensée dominante qui restent fixés sur les références abstraites du passé, ce changement de culture fait émerger la figure de l’évolutionnaire qui incarne et cristallise une nouvelle vision du monde à la fois dynamique et systémique. Agent conscient de l’évolution, il est animé par une dynamique intérieure qui le rend acteur du développement humain au-delà des limites de l’égo. 

Une série d’évènements

Pour l’observateur impliqué qui s’intéresse à l’évolution culturelle, chaque évènement peut représenter un indice et une illustration d’une transformation des sensibilités et mentalités. Et ce d’autant plus quand une série d’évènements, issus de sources diverses, participe d’une même inspiration. 

Le 11 Avril nous évoquions la parution du dernier ouvrage d’Andrew Cohen : L’éveil évolutionnaire dont Ken Wilber assurait qu’il est « l'un des livres sur la spiritualité les plus importants du monde postmoderne ». Le 22 Mai nous présentions la session exceptionnelle de l’Université Intégrale intitulé Le nouveau paradigme de la co-évolution et organisé à l’occasion des vingt ans du Club de Budapest. 

Né de la convergence entre spiritualité non-duelle, pensée évolutionniste, philosophie de l'histoire, étude du développement humain en sciences sociales et découvertes en sciences exactes (dans le domaine de la physique quantique et des sciences intégratives notamment), un modèle dynamique fondé sur la co-évolution de l’être humain et de son milieu - social, culturel et naturel - remplace progressivement le paradigme abstrait de la modernité et son avatar, Homo Œconomicus. 

Dans notre précédent billet nous présentions la rencontre avec Alain Gauthier qui aura lieu Lundi prochain à l'occasion de la parution de son dernier livre : Le Co-leadership évolutionnaire, pour une société co-créatrice en émergence. Selon Alain Gauthier, faire preuve de leadership aujourd’hui, c’est participer à la profonde mutation vécue par l’humanité en étant capable de franchir un seuil ouvrant sur l’inconnu et en donnant l’exemple à travers la découverte et l’invention de nouvelles possibilités à explorer et réaliser. 

La nouvelle Avant-garde 

Alain Gauthier est justement l’un des contributeurs de La nouvelle Avant-garde – Vers un changement de culture, l’ouvrage collectif coordonné par Carine Dartiguepeyrou, présidente du Club de Budapest, avec des contributions de Steeve Mac Intosh, Riane Eisler, Jennifer Gidley, Gyorgi Szabo, Ervin Laszlo et Michel Saloff-Coste. 

Dans un texte inspiré, ce dernier évoque la synchronisation entre la profondeur de la crise systémique que nous vivons et l’émergence de nouvelles perspectives : « A mesure que la crise s’amplifie, on voit apparaître aussi des réflexions de plus en plus hétérodoxes, ambitieuses et créatives. Comme dans les grandes évolutions et transformations humaines du passé, la transition que nous vivons s’élabore d’abord à travers la critique épistémologique des cadres de référence du passé. Face à des équations apparemment impossibles à résoudre et à des catastrophes apparemment irrémédiables, les solutions ne peuvent être trouvées qu’en changeant d’échiquier et en questionnant nos a priori. De nouvelles approches philosophique, artistiques et scientifiques sont en train d’émerger et de se préciser.» 

Portée par la dynamique de l’évolution culturelle, une avant-garde intellectuelle et artistique, scientifique et spirituelle, est précisément le vecteur de ces nouvelles approches en inventant dès aujourd’hui et simultanément dans de nombreux pays, les formes de pensée, de sensibilité et d’organisation de demain : 

« La vision du monde postmoderne a beaucoup apporté en déconstruisant la modernité et en proposant d’autres valeurs notamment post-matérialistes et l’émergence d’une « société plurielle ». De nos jours, d’autres approches telles que la philosophie intégrale, l’approche post-postmoderne ou le mouvement évolutionnaire mettent l’emphase sur la nécessité d’intégrer les différentes strates de la complexité pour aller plus loin que la seule déconstruction de la postmodernité en reliant les différentes visions du monde. 

L’idée n’est plus seulement de déconstruire une réalité dominante voire asphyxiante mais d’offrir une philosophie constructive au tournant paradigmatique. Nous l’avons appelé la « nouvelle Avant-garde ». La nouvelle Avant-garde n'est pas seulement une pensée : c'est une culture, une communauté de valeurs et de quête, le fruit d'une intuition collective qui rassemble des personnes de tous horizons autour d'un respect profond pour le vivant, de la conscience que nous ne connaissons qu'une part infime de l'univers. C’est avant tout une vision poétique du monde et un espoir en la capacité humaine à évoluer. » (Quatrième de couverture) 

Croire au Futur

E. Morin, P. Van Eersel, A. Cohen au Premier Forum International de l'évolution de la Conscience

C’est une même inspiration qui anime les créateurs du Forum international de l’évolution de la conscience dont nous avons évoqué ici et la première édition. La vocation de ce forum est de réunir des visionnaires du monde entier pour partager avec eux des découvertes inspirantes, des paradigmes émergents ou de nouvelles perspectives susceptibles de catalyser l’évolution de la Conscience et la transformation de la Culture. Le 12 Octobre 2013 aura lieu la deuxième de ce Forum autour du thème : Croire au Futur. Une occasion de rencontrer nombre d’intervenants dont J.L Servan-Shreiber, Pierre Rabhi, Andrew Cohen, Barbara Marx Hubbard, Cyril Dion etc… La forme participative du Forum impliquera les 500 participants au travers de 6 ateliers évolutionnaires simultanés. 

« Etre un(e) évolutionnaire c’est réaliser que le futur n’est pas écrit, que nous sommes libres du passé, et que nous pouvons forger notre destin et influencer le cours de l’histoire par nos choix individuels et collectifs. Mais quelle est véritablement notre relation à l’évolution, au futur et à la vie ? Sommes-nous fondamentalement persuadés que la vie est positive et que le futur peut-être bon malgré notre lot quotidien de défis et de mauvaises nouvelles ? S’il est exact que nous créons le monde à notre image, alors il est primordial d’être clair avec de telles questions. 

Le Forum 2013 apportera des réponses et nous offrira l’opportunité d’étudier le lien entre l’évolution de la Conscience, le cynisme qui caractérise souvent notre culture française et le potentiel qui réside en nous. Grâce à un format original et participatif, et avec l’aide de personnalités évolutionnaires qui déploient leurs visions dans les domaines écologiques, sociétaux ou spirituels, nous découvrirons comment évoluer en conscience pour développer de nouvelles perspectives et une confiance capables de répondre aux grands enjeux de notre temps. » A la rentrée, nous aurons l’occasion de présenter plus précisément le programme du Forum dont les inscriptions sont d’ores et déjà ouvertes. 

La figure de l’évolutionnaire

L’évolutionnaire est la figure qui incarne la nouvelle avant-garde au cœur du changement culturel. Alain Gauthier en dresse ainsi le portrait : « La quête du bonheur ou de l’accomplissement individuel devient insuffisante ou trop étroite aujourd’hui pour un nombre croissant de personnes qui veulent donner un sens à leur vie. Il leur faut pour cela reconnaître et transcender les limites de leur ego et choisir de donner toute sa place à l’impulsion évolutionnaire qu’ils sentent au fond d’eux-mêmes. En se reconnectant à leur Humanité profonde et en manifestant une conscience planétaire, ils deviennent alors des agents conscients de l’évolution… 

Les « évolutionnistes » sont fortement influencés par la théorie scientifique de l’évolution qui, à la suite de Darwin, se limite à ses aspects observables et extérieurs. Les « évolutionnaires » apprécient eux aussi tout ce que les sciences de l’évolution nous apportent, mais ils ne sont pas les simples témoins du processus évolutionnaire. Ce sont des acteurs engagés – et souvent passionnés – qui sont convaincus que l’évolution implique l’individu, sa capacité de choix et sa responsabilité. Ils ont intériorisé l’évolution et en font l’expérience viscérale et émotionnelle autant qu’intellectuelle. Ils éprouvent un sentiment d’urgence que notre culture évolue au-delà de son stade actuel et que chacun d’entre nous joue un rôle positif dans la co-création du futur. »  (La Nouvelle Avant-Garde)

L’homme moderne ne pourra se libérer de l’impasse narcissique dans lequel l’a plongé l’individualisme qu’en retrouvant la dynamique d’une individuation au cœur du développement humain. Ce faisant il découvre que ce développement humain est la manifestation la plus récente d’une évolution dont l’origine remonte à quatorze milliards d’années. Prenant conscience du processus évolutif dans lequel il s’inscrit, l’être humain peut se projeter dans le futur, au-delà des limites de l’ego et du mental, afin de réaliser ses potentialités créatrices et transcendantes. 

 Un Atelier évolutionnaire 


Les personnes désirant mieux comprendre ce que ce que signifie être un(e) évolutionnaire et créer consciemment le futur pourront donc participer le 28 Juin à l’ « Atelier évolutionnaire » qui aura lieu de 18h30 à 22h au Forum 104 à Paris. L’atelier évolutionnaire est une méthode d’intelligence collective inspirée du concept de World Café, un concept facile à utiliser et pratique pour créer un réseau vivant de dialogues collaboratifs autour d’un thème important pour un collectif.

L’atelier est construit sur l’hypothèse que les personnes possèdent, individuellement et surtout collectivement, la sagesse et la créativité nécessaires pour faire face à des situations complexes… à condition d’interagir au-delà de l’ego. En combinant une atmosphère informelle avec une étiquette formelle, on peut créer un focus d’attention qui donne accès à une connaissance partagée plus profonde qu’il est possible d’utiliser pour répondre à des questions importantes. 

Les participants sont répartis en groupes de 3-4 personnes qui se réunissent autour de tables type « table de bar » dans une atmosphère conviviale et décontractée. Chaque groupe discute du thème pendant 10 à 15 minutes puis les membres des groupes vont rejoindre des tables différentes pour les « polyniser ». Un membre du groupe restera à chaque table et servira d’hôte pour accueillir les nouveaux membres et leur résumer les idées majeures des conversations précédentes. Cette « polynisation » se répète quelques tours pendant lesquels les membres peuvent noter ou dessiner leurs idées sur une nappe ou un post-it, avant que tous les participants ne se retrouvent en session plénière pour partager leurs découvertes. 

Ce type de rencontre est l’illustration d’un phénomène culturel en train d’émerger. Si les pattes des colombes chères à Nietzsche ne font pas de bruit, elles laissent dans l’invisible une empreinte qui permet de suivre l’Esprit aux traces qu’il laisse dans la conscience collective sous forme de visions partagées. Se reconnaissant dans ces visions et inspirée par elles, une intelligence connective est aujourd’hui en train d'imaginer et de créer les formes novatrices correspondant au stade évolutif abordé aujourd'hui par l'humanité. 

Ressources 



Dans Integral Leadeship Review, les anglophones pourront lire le compte rendu du premier Forum International de la conscience par Brian van der Horst. Dans un article intitulé France - The Integral Year in Review, l’auteur recense les principales manifestations organisées en 2012 par le mouvement intégral en France

mercredi 12 juin 2013

Le Leadership Evolutionnaire


Vous ne pourrez évoluer à moins d’essayer d’accomplir quelque chose au-delà de ce que vous avez déjà réalisé. Ralph Waldo Emerson 


Lundi 24 juin de 18h30 à 21h30 au Forum 104 aura lieu une rencontre avec Alain Gauthier à l'occasion de la parution de son dernier livre : Le Co-leadership évolutionnaire, pour une société co-créatrice en émergence. Chercheur, auteur et coach international, Alain Gauthier nous ouvre des voies nouvelles qu'il a déjà parcourues en éclaireur, fort de sa longue expérience de praticien et de pionnier de l'intelligence collective, sur plusieurs continents, au plus près de l'évolution des organisations et des entreprises. 

Son parcours international l’a mené d’HEC, Stanford et McKinsey à la co-fondation avec Peter Senge de la Society for Organizational Learning (SoL) aux Etats-Unis et en France. Auteur de plusieurs livres sur le leadership et enseignant à l’Université Paris II, Alain Gauthier partage son temps entre les Etats-Unis, l'Europe et des missions en Afrique. Il centre actuellement son activité sur le développement d’un co-leadership évolutionnaire capable, par l’exemple, de créer les conditions d’une transformation des mentalités, des comportements, de la culture et des structures dans les organisations et la société.

Selon lui le leadership doit être repensé dans le contexte d’une profonde mutation vécue actuellement par l’humanité. Faire preuve de leadership aujourd’hui, c’est participer à cette mutation en étant capable de franchir un seuil ouvrant sur l’inconnu et de donner l’exemple en découvrant ou inventant de nouvelles possibilités à explorer et réaliser. Son nouvel ouvrage est un livre-ressource pour tous celles et ceux, éducateurs, entrepreneurs et autres acteurs engagés qui s’emploient à co-créer au quotidien une société ouverte et apprenante, riche et durable. 

Homo Conexus

Dimanche dernier a eu lieu une session exceptionnelle de l’Université Intégrale dont le thème était Le nouveau paradigme de la co-évolution. La convergence entre spiritualité non-duelle, philosophie évolutionniste, étude du développement humain en sciences sociales et découvertes en sciences exactes (dans le domaine de la physique quantique comme dans celui des sciences intégratives) fait advenir un nouveau modèle fondé sur la co-évolution entre l’homme et son milieu. 

Dans nos sociétés de l’information en mutation constante et en complexité croissante, le modèle abstrait et objectif de la rationalité instrumentale qui fut au cœur de la modernité technocratique apparaît totalement dépassé. A sa place émerge un autre paradigme fondé sur une vision à la fois dynamique et systémique, de la conscience, de l’être humain et de son milieu à la fois social et naturel. 

A travers une multiplicité de crises, nous assistons à l’agonie de l’Homo Oeconomicus, individu abstrait et désaffilié, calculateur et dominateur, qui se veut « maître et possesseur de la nature ». Voici venu le temps de l’Homo Conexus, intégré à son milieu d’évolution et se développant en synergie avec les différentes sphères – intersubjective et sociale, écologique et cosmologique – qui constituent ce milieu. 

Un Nouveau cycle


Comme toute métamorphose, celle de l’Homo Oeconomicus en Homo Conexus s’effectue chez d’abord chez certains « mutants » qui explorent des formes de pensée et de sensibilité novatrices en expérimentant des nouveaux mode de vie et d’organisation. Dans un article intitulé Un appel au leadership évolutionnaire pour incarner un nouveau paradigme de développement, Alain Gauthier analyse cette mutation dans toute sa profondeur : « Nous sommes témoins « d’une fin de monde » correspondant à la conclusion simultanée de trois grands cycles : 

1) Un cycle de 30 ans d’ultra-capitalisme et d’hyperconsommation qui a été caractérisé par des excès économiques au détriment du social et de l’environnement, des conséquences en termes de mal-être pour d’innombrables personnes, et le pillage des ressources de la planète. 

2) Un cycle d’environ 300 ans de modernité qui a apporté de multiples libertés et des droits humains et sociaux pour beaucoup, mais aussi une objectification de la nature et des humains, y compris de nouvelles formes d’inhumanité. 

3) Une « ère mentale » de 3000 ans qui a pour conséquence un déséquilibre entre intellect et intelligence du cœur et du corps. La conjonction de ces trois cycles a conduit à des formes de leadership qui ont limité le développement des individus, de leurs communautés, et dégradé leur rapport à la nature et la signification de la vie. 

Cependant, de nombreux signes de l’amorce d’un nouveau cycle sont déjà visibles – même s’ils ne sont pas encore mis en valeur par les médias dominants. Et de nouvelles formes de leadership émergent qui créent les conditions permettant aux individus de « croître en humanité (Patrick Viveret) ». Cette évolution combine le meilleur de la modernité et des sociétés indigènes pour manifester une nouvelle sagesse, en relation équilibrée avec la nature, la communauté humaine et le sens. 

Dans ce nouveau cycle, le leadership pourra partout donner l’exemple de l’interdépendance entre transformation personnelle et sociétale par l’adoption de pratiques individuelles et collectives qui deviendront une composante essentielle d’une éducation transformée. Un tel leadership créera les conditions d’un développement qualitatif de tous les êtres qui le souhaitent, participant ainsi au saut quantique de l’évolution qui s’ébauche actuellement. » (Presidency Key Brief. 2012) 

Transcender les limites de l’ego 


Participer à ce nouveau cycle, c’est donc, selon Alain Gauthier, donner au leadership une nouvelle dimension en l’inscrivant dans une perspective dynamique qui est celle de l’évolution : « Le troisième Big Bang de l’évolution, celui de la conscience humaine, nous a permis d’avoir une influence décisive sur l’avenir collectif de l’humanité et des autres habitants de la planète. En sortant de la quête pour la seule survie physique, un nombre croissant de personnes ont acquis la liberté de contribuer à l’évolution de l’humanité dans son ensemble, tout en créant de nouvelles menaces pour sa survie par leur comportement de consommateurs de ressources limitées. 

De fait, la quête du bonheur ou de l’accomplissement individuel devient insuffisante ou trop étroite aujourd’hui pour un nombre croissant de personnes qui veulent donner un sens à leur vie. Il leur faut pour cela reconnaître et transcender les limites de leur ego et choisir de donner toute sa place à l’impulsion évolutionnaire qu’ils sentent au fond d’eux-mêmes. En se reconnectant à leur Humanité profonde et en manifestant une conscience planétaire, ils deviennent alors des agents conscients de l’évolution. 

Le véritable leadership consiste à franchir un seuil ouvrant sur l’inconnu et à donner l’exemple en découvrant ou inventant de nouvelles possibilités à explorer et réaliser. Le co-leadership ouvre d’emblée un espace où un ensemble de personnes peuvent conjointement faire acte de leadership. Entrer dans la danse du partenariat avec les autres et avec la vie suppose d’adopter une perspective évolutionnaire qui invite à développer à la fois sa singularité et sa connexion profonde au tout, son innocence (au sens de ne pas savoir), son humilité, sa présence à ce qui est, son empathie et son courage. 

La pratique du co-leadership requiert et développe ces qualités ; elle suppose une danse intérieure avec les différentes dimensions de son identité pour que la danse extérieure soit possible dans la recherche du bien commun. Mieux que le leadership individuel, le co-leadership permet la multiplication d’actes créatifs au service du tout, qui sont essentiels pour accélérer le passage à une nouvelle ère de l’humanité consciente de sa responsabilité dans l’évolution. C’est ce que révèle un examen des émergences en cours dans plusieurs secteurs de la société ». 

Le Co-leadership évolutionnaire 

Directeur de Core Leadership Development à Oakland (Californie), Alain Gauthier est le co-auteur de six ouvrages collectifs en français et en anglais sur le leadership. Le but de ce nouvel ouvrage est d'examiner pourquoi et comment un co-leadership évolutionnaire - incarné à la fois individuellement et collectivement - peut catalyser l'émergence d'une société co-créatrice dont chaque membre se sent à la fois créateur et responsable. 

Après une exploration de la perspective évolutionnaire et de la coresponsabilité humaine dans l'évolution, l'auteur invite le lecteur à approfondir les différentes dimensions de son identité et leur dynamique comme condition préalable à l'entrée dans une danse co-créatrice avec d'autres, au service du bien commun. Il offre ensuite un large éventail de pratiques éprouvées qui permettent de développer le co-leadership évolutionnaire et de transformer l'éducation des futurs leaders. Il examine enfin les émergences déjà visibles de différentes formes de partenariat en esquissant quelques initiatives pour les approfondir et les amplifier localement et mondialement. 

Le co-leadership évolutionnaire est la forme de « dirigeance » la mieux à même de catalyser l'émergence d'une société nouvelle. Une société co-créatrice et solidaire, dans laquelle chacun est invité à développer et utiliser ses dons singuliers tout en contribuant à l'évolution de l'humanité. Dans une période où la complexité et l'incertitude croissantes peuvent engendrer le pessimisme, le co-leadership évolutionnaire ouvre un espace créateur où un ensemble de personnes peuvent conjointement faire acte de leadership - en remettant en cause une longue tradition patriarcale et individualiste, à la fois en eux-mêmes et dans la société. 

Alain Gauthier nous invite à découvrir et construire ce "partenariat" - le co-leadership évolutionnaire - au travers d'un double voyage, dans le champ des idées et de l'action : convoquant sans préjugés toutes les cultures et traditions, il relie ainsi avec bonheur les idées de Platon ou Teilhard de Chardin à la pratique du Tai Chi et du Qi Gong taoïste. 

Alain Gauthier a participé à la journée Design Me A Planet du 7 Février 2013 à Paris. A cette occasion, dans une courte introduction à un atelier, il présente dans  la vidéo ci-dessous les principes du Co-leadership Evolutionnaire. 


 

La rencontre du 24 juin 

Organisée par l’association SoL France (Society for Organizational Learning), la rencontre avec Alain Gauthier aura lieu Lundi 24 juin de 18h30 à 21h30 au Forum 104 à Paris. Après une introduction par Jacques Chaize, préfacier de l'ouvrage et auteur du livre La porte du changement s'ouvre de l'intérieur, Alain Gauthier nous invitera tout d’abord à réfléchir à nos propres représentations du leadership dans la période de mutation que nous traversons.

Il évoquera ensuite les pratiques – personnelles, interpersonnelles et systémiques – qui peuvent nous permettre de développer des capacités de co-leadership en nous et autour de nous, pour mieux faire face aux défis sociétaux qui sont les nôtres. Le dialogue avec et entre les participants pourra conduire à partager des signes annonciateurs de cette évolution et repérer des manières de surmonter les obstacles particuliers au contexte français. 

Les détails concernant l’organisation de la soirée sont disponibles ici sur le site de SOL France. Crée en Janvier 1999, SoL France est membre du réseau SoL International issu du MIT à Boston. Apprendre ensemble, learning ou apprenance est une philosophie de l'organisation alliant humanisme et pragmatisme, et une démarche, voire un espace d'échanges, focalisés sur les cinq disciplines de Peter Senge. 

Ressources 

Core Leadership Development Site bilingue d’Alain Gauthier où l’on peut avoir accès à de nombreuses informations sur ses recherches et ses activités. On peut y lire une série d’articles passionnants sur le leadership et notamment sur le leadership évolutionnaire. 

Le Leadership est-il un art ? Pour un leadership créatif au service d’une nouvelle civilisation. (Publié dans La Revue de l’Art-Thérapie – Décembre 2012) 


SoL France Une association qui réunit des entreprises, des consultants et des chercheurs, travaillant pour le développement d’organisations capables d’atteindre des buts élevés à la fois humanistes, pragmatiques et durables.

mercredi 5 juin 2013

La Déclaration d'Unité


Le monde dans lequel chacun vit dépend de la façon de le concevoir. Arthur Schopenhauer 


Il y a quinze jours, nous présentions la prochaine session de l’Université Intégrale qui aura lieu Dimanche 9 Juin à Paris avec pour thème Le nouveau paradigme de la co-évolution . Cette journée sera l’occasion de rendre hommage à Ervin Laszlo, un des pionniers de ce nouveau paradigme et le fondateur du Club de Budapest qui vient de fêter ses vingt ans. 

A partir des découvertes en physique quantique en théorie des systèmes et en sciences de la complexité, Ervin Laszlo a élaboré une vision du monde fondée sur une connexion universelle qui rejoint l’inspiration des traditions millénaires. Alors que les mystiques parlent depuis toujours d’un champ cosmique qui conserve et transmet l'information en reliant tout à tout au plus profond de la réalité, des physiciens contemporains évoquent quant à eux un vide quantique qui serait le logiciel de l’univers contenant toute l’in-formation.

Dans cette perspective, les consciences comme les objets seraient en rapport direct et instantané avec toutes les autres; liés entre eux à un niveau profond, ils participeraient d’une totalité à la fois organique et dynamique. La séparation serait une illusion et l’identité une convention à dépasser pour participer à la dynamique évolutive qui anime ce Kosmos multidimensionnel.

Alors même que l'évolution de la pensée scientifique remet en question nos perceptions habituelles et nos habitudes de pensée, le temps est venu de développer une conscience planétaire fondée sur cette connexion universelle pour faire face aux défis du futur. 

Dans le texte ci-dessous intitulé La Déclaration d’Unité, Ervin Laszlo propose avec Gyorgyi Szabo les « seize piliers de la nouvelle conscience » qui s’inspirent de ce nouveau modèle pour faire évoluer aussi bien nos conceptions éthiques et philosophiques que notre organisation sociale, politique et économique.

Un autre type de monde

Né en 1932 à Budapest en Hongrie, Ervin Laszlo est un philosophe des sciences et un théoricien des systèmes qui a publié plus de soixante dix ouvrages dont le dernier est Science et champ akashique. Une théorie intégrale du tout. En 1993, il fonde le Club de Budapest, une association internationale dédiée au développement d’une pensée et d’une éthique novatrices afin de résoudre les multiples défis du vingt et unième siècle à travers une conscience globale et planétaire.

Le Club de Budapest se donne pour mission de travailler à l’émergence de cette conscience planétaire fondée notamment sur l’intégration de la spiritualité, des sciences et des arts. Une telle démarche systémique et intégrative envisage simultanément l'évolution de la conscience et de la culture, des modèles d'interprétation et d'organisation sociale afin de mettre en œuvre des stratégies créatrices pour le vingt et unième siècle.

Cette conscience planétaire est inspirée par l’émergence d’un nouveau paradigme. Selon Ervin Laszlo : «  Le paradigme est la totalité des présupposés d’une théorie. C’est une image, une idée du monde. Nous en avons tous une dans la tête – même si nous n’en sommes pas conscients – que nous avons construit à partir de ces présupposés. Quand il y a trop d’anomalies, trop de choses incompréhensibles sur la base de cet ensemble de présupposés, alors on cesse d’ajouter explication sur explication, et on propose un autre système.

C’est ce qu’a fait Copernic en disant que le soleil était au centre du système, et non la Terre. Le nouveau paradigme consiste à re-simplifier en se basant sur une conception nouvelle, plus profonde, plus capable de répondre à nos interrogations. C’est un autre type de monde »  (Inrees. Entretien avec Ervin Laszlo.)

Aux frontières des nouvelles sciences

Inspiré par ce nouveau paradigme, l’individu développe les qualités dont nous avons besoin pour survivre sur cette planète : «  savoir que la solidarité a vraiment une base physique, que ce que l’on fait aux autres, on le fait aussi à soi-même. Les interactions existent partout, c’est une évidence. Si on met des déchets dans une rivière, ils ne disparaissent pas dans l’océan.

Tout est lié de façon permanente. Nous faisons partie d’un monde organique, à la manière d’une cellule. Si une cellule n’est pas cohérente avec le reste de l’organisme, alors tôt ou tard, elle devient un cancer et le tue. L’organisme peut survivre quand tous les éléments qui le composent sont cohérents. L’humanité a perdu la cohérence avec la nature

Nous avons créé un monde stérilisé, réduit, pauvre, où il n’y a que quelques interactions. Tout est très limité. C’est comme vivre dans un mécanisme, c’est inhumain. Les cultures traditionnelles vivent dans un monde beaucoup plus vaste, plus intuitif. Aux frontières des nouvelles sciences, nous sommes en train de recouvrer certains éléments de cette richesse, à travers justement les phénomènes quantiques ». (Inrees)


                                                                 La Déclaration d’Unité        


1. Je fais partie du monde. Le monde n’est pas en dehors de moi, et je ne suis pas en dehors du monde. Le monde est en moi et je suis en lui.

2. Je fais partie de la nature et la nature fait partie de moi. Je suis ce que je suis dans ma communication et communion avec l’ensemble du vivant. Je suis un tout irréductible et cohérent avec le réseau de la vie sur la planète.

3. Je fais partie de la société, et la société fait partie de moi. Je suis ce que je suis dans ma communication et communion avec mes pairs humains. Je suis un tout irréductible et cohérent avec la communauté des humains sur la planète.

Gyorgyi : Avec la conscience qui grandit en moi, ma vie prend un nouveau sens. Je ne serai plus jamais seule, ne me sentirai plus seule. Car je ne suis pas seule et déconnectée, je suis une part essentielle de tout le monde et de tout ce qui existe autour de moi. Je suis une avec le monde, et l’ai toujours été, même si ma conscience, était alors duelle et que je ne le savais pas.

4. Je suis plus qu’un organisme fait de peau et d’os ; mon corps, mes cellules et organes sont la manifestation de ce qui est réellement moi : un système dynamique auto-suffisant, auto-évoluant, émergeant, se maintenant et évoluant en interaction avec tout ce qui existe autour de moi.

5. Je suis une des manifestations parmi les plus hautes, les plus évoluées de la cohérence et du Tout au sein de l’univers. Tous les systèmes conduisent à une cohérence et à une globalité en interaction avec les autres systèmes, et mon essence vient de cette expression cosmique. C’est cette même essence, ce même esprit qui est inhérent à toutes les choses qui émergent et évoluent dans la nature, qu’elles soient sur Terre ou ailleurs dans l’infini de l’espace et du temps.

Gyorgyi: J’évolue et je suis maître de mon évolution. Mais moi et mon évolution ne sommes pas séparés : c’est une co-évolution avec les êtres et les choses autour de moi. Le comment j’évolue fait aussi partie du comment ils évoluent, et le comment ils évoluent fait également partie de ma propre évolution. Je co-évolue avec les personnes et avec la vie sur la planète. Je co-évolue avec l’univers, et l’univers co-évolue avec moi. Dans cette unité, je constitue une petite part mais non insignifiante du Tout, je suis responsable de la co-évolution de toute la planète.

6. Il n’y a pas de frontières absolues ni de divisions dans ce monde, mais uniquement des points de transition où un type de relations prédomine sur l’autre. Les connections entre mes cellules et les organes de mon corps constituent un système cohérent, autonome, évoluant et participant d’un tout. Au-delà de mon corps, d’autres relations dominent : celles qui tendent vers plus de cohérence et de globalité dans la société et dans la nature.


7. L’identité séparée que j’attribue aux autres êtres humains ou choses, n’est qu’une convention qui facilite mes interactions avec eux. Ma famille et ma communauté sont tout autant « moi » que les organes de mon corps. Mon corps et mon esprit, ma famille et ma communauté sont en interaction et en interpénétration ; ce sont des éléments prédominants variés dans le réseau des relations qui englobe toutes les choses de la nature et le monde des hommes.

8. L’éventail des concepts et des idées qui sépare mon identité ou l’identité de chaque personne ou communauté, de l’identité d’autres personnes ou d’autres communautés, est la manifestation de cette convention pratique bien qu’arbitraire. Ce sont seulement des gradients qui permettent de distinguer les individus les uns des autres et de leur environnement mais elles ne constituent pas en fait de réelles divisions et frontières. Elles ne sont pas « les autres » dans le monde : nous sommes tous des systèmes vivants et nous faisons partie intégrante de chacun d’entre nous.

Gyorgyi: Avec la conscience du Tout, je réalise que non seulement je ne suis pas séparée du reste du monde du monde qui m’entoure, mais aussi que personne ne l’est. Le concept de séparation est faux, c’est une illusion. Lorsque nous agissons avec ce concept en tête, nous contribuons à diviser l’unité du monde, à segmenter son entièreté. Notre égo nous sépare, nous divise, mais notre corps ne le suit pas – il agit en cohérence avec la Terre entière. Je fais partie de la Terre, partie du tout plus grand qui est le monde dans sa totalité – une partie presqu’invisible mais réelle et inséparable.

9. Chercher à maintenir le système que je connais comme « moi » en étant en compétition avec le système de l’autre est une grave erreur : cela pourrait remettre en cause l’intégrité de la globalité à la fois de ma vie et celle de l’autre. Je ne peux préserver ma propre vie et mon appartenance au Tout en dégradant le Tout, même si j’ai l’impression que le fait d’en dégrader une partie peut à court terme m’apporter un avantage. Lorsque je vous fais mal, lorsque je fais mal à quelqu'un, je me fais mal.

10. La collaboration, et non la compétition, constitue la voie royale vers la globalité qui caractérise les systèmes en bonne santé dans le monde. La collaboration appelle l’empathie et la solidarité, et ultimement l’amour. Je ne peux m’aimer si je ne vous aime pas et si je n’aime pas les autres autour de moi : nous faisons partie du même Tout et nous faisons partie de chacun d’entre nous.

11. L’idée de « l’auto-défense » ou même de la « défense nationale » a besoin d’être repensée. Le patriotisme qui cherche à éliminer les adversaires par la force, et même son caractère héroïque dans l’accomplissement de ce but, est une erreur. Un patriote ou un héros qui brandit l’épée ou un fusil est l’ennemi de lui-même. Chaque arme qui est brandie pour faire du mal ou tuer, est un danger pour tous. La compréhension, la conciliation et le pardon ne sont pas des signes de faiblesse ; ils sont les signes du courage.

Gyorgyi: Je fais partie de la communauté que l’on appelle humanité et mon pays est la Terre. Ma famille réelle et immédiate est constituée de chacun des membres de ma communauté et de mon pays. Tout ce que je fais se reflète non seulement sur moi mais sur l’ensemble des membres de la communauté, qu’ils vivent loin ou proche de moi. Je réfléchis consciemment à ce que je vis et ce que je fais, parce que tout ce à quoi je pense et que je fais, affecte aussi les autres. Faire du mal à un autre, quelle qu’en soit la raison, me fais du mal ; guérir et aider un autre à guérir me rend plus entier.

12.  Ni la possession ni l’accumulation de richesses personnelles ne sont « le bon » pour moi et pour les autres dans le monde. La richesse, en termes d’argent ou de ressource matérielle, n’est qu’un moyen de vivre dans mon environnement. Si cette richesse n’est que mienne, elle prend à d’autres ce qui nécessite d’être partagé. La richesse exclusive constitue une menace pour tous les membres de la communauté humaine. Et parce que j’appartiens à cette communauté, c’est au final également une menace pour moi comme pour ceux qui la détienne.


13. Au-delà du Tout sacré, nous reconnaissons que seule la vie et son développement ont, comme l’expriment les philosophes, une valeur intrinsèque ; toutes les autres choses n’ont qu’une valeur instrumentale : une valeur qui s’ajoute à ou améliore la valeur intrinsèque. Les choses matérielles du monde, et les énergies et substances qu’elles contiennent ou génèrent, ont une valeur uniquement si elles contribuent à la vie et au bien-être de la vie sur Terre.

Gyorgyi: Ma vie, et la vie de chacun dans ma communauté et de mon pays, constituent une valeur des plus hautes, bien plus importante que toutes les richesses comptées en argent ou en possessions matérielles. Mes possessions ne m’apportent pas de plaisir ou de bénéfice si elles font du tort à l’autre, les rendent malheureux, ou réduisent leurs chances de se sentir entiers et réalisés. La valeur de toute chose dépend de l’effet qu’elle a sur ma vie et puisque ma vie fait partie de la vie de tous les autres, de l’effet qu’elle a sur leur vie.

14.  Chaque personne saine a du plaisir à donner ; donner procure plus de plaisir qu’avoir. Je suis sain et comblé lorsque je donne plutôt que lorsque je possède. La mesure la plus juste de mon accomplissement et de mon excellence est celle de ma capacité à donner. Ce n’est pas le montant de ce que je donne qui me satisfait mais la relation que j’entretiens entre ce que je donne, et ce dont ma famille et moi-même avons besoin pour vivre et prospérer.

15. Une communauté qui donne de la valeur au don plutôt qu’à l’avoir est une communauté de personnes saines, orientée vers la prospérité, l’empathie, la solidarité et l’amour. Le partage fait grandir la communauté de la vie, alors que la possession et l’accumulation créent de la démarcation, invitent à la compétition et génèrent de l’envie. Une société de partage est la norme pour toutes les communautés de vie sur la planète : la société de possession n’est qu’une humanité des temps modernes et de ses aberrations.

Gyorgyi : Une vie consacrée à collecter et amasser ce que les autres ou la nature peuvent me donner n’est pas une vie qui vaut la peine d’être vécue. Le plaisir que cela donne est passager et dérisoire, comparé à la satisfaction que je ressens lorsque je donne aux autres quelque chose qui vient authentiquement de moi. Ce n’est que lorsque je donne que je me sens heureux et comblé, faisant partie de cette globalité que je forme avec ma communauté et mon pays.

16. Je reconnais mon rôle et ma responsabilité de faire évoluer la conscience planétaire en moi et chez les autres en donnant l’exemple. J’ai contribué à l’aberration de la conscience humaine de l’âge moderne et je souhaite à présent faire partie de l’évolution qui dépasse ces aberrations et contribuer à guérir les blessures qui ont été provoqués par elles. C’est mon droit comme mon devoir, en tant que membre conscient d’une espèce consciente que la planète est précieuse et terriblement en danger.

Gyorgyi: Je réalise à présent que je fais partie intégrante du monde, que je suis un membre de la communauté humaine et de la Terre. La vie que je vis n’est pas uniquement ma vie : c’est la vie de la communauté des hommes et de la Terre toute entière. Je la vis aussi bien que je peux. Ce n’est pas un choix pour moi ; c’est un devoir. C’est plus qu’un devoir, c’est simplement ce que je suis, un être humain doué d’une conscience d’unité et d’appartenance.

Ressources

Traduit par Carine Dartiguepeyrou et Alain Gauthier, le texte original en anglais est à lire ici sur le site du Club de Budapest sur lequel on trouve de nombreuses informations permettent de mieux comprendre et de suivre la démarche d’Ervin Laszlo et des chercheurs qui participent à l’émergence du nouveau paradigme.


Deux penseurs évolutionnaires Ervin Laszlo et Andrew Cohen