La poésie peut encore sauver le monde en transformant la conscience. Lawrence Ferlinghetti
La Beat Generation |
Dans un précédent billet nous évoquions la puissance d'une Insurrection Spirituelle qui refuse de se soumettre à l'emprise totale et conjointe de l'intérêt et de l'identité conduisant à la double impasse des fondamentalismes marchands et religieux. Il y a insurrection spirituelle dès lors que l'ouverture aux profondeurs de l'esprit permet le jaillissement, la canalisation et la transmutation des forces de la vie et de la psyché jusque-là verrouillées par l'abstraction du mental au service de la toute puissance de l'ego. Parce qu'elle relève d'une inspiration créatrice, la poésie participe de ce mouvement insurrectionnel qui ouvre au chant mystérieux de l'être une voix créatrice dans un monde totalement désenchanté.
Pour Jean-Pierre Siméon, animateur du Printemps des Poètes, la poésie « manifeste dans la cité une objection radicale et obstinée à tout ce qui diminue l'homme, elle oppose aux vains prestiges du paraître, de l'avoir et du pouvoir, le vœu d'une vie intense et insoumise. Elle est insurrection de la conscience contre tout ce qui enjoint, simplifie, limite et décourage. Même rebelle, son principe, disait Julien Gracq, est "le sentiment du oui". Elle invite à prendre feu ». C’est à partir de cette vision que le Printemps des Poètes s'est déroulé cette année du 7 au 22 Mars avec pour thème L’insurrection Poétique.
Âgé de 95 ans, poète et éditeur, grande figure de la contre-culture américaine et de la beat-generation, Lawrence Ferlinghetthi est un de ceux qui incarne le mieux aujourd'hui cette insurrection poétique. Depuis soixante ans, sa célèbre librairie et maison d’édition City Ligtht Bookstore à San Francisco sert de lieux de rencontres à des écrivains, artistes et intellectuels comme Bob Dylan, Jack Kerouak, Alan Ginsberg, William Burrough, plus tard Charles Bukowsky ou Paul Bowles.
Dans ce petit livre rouge de la poésie intitulé Poésie, art de l'insurrection, paru en France il y a trois ans, Lawrence Ferlinghetti lance un appel aux jeunes poètes dans un monde à l’aube d’un grand renouveau. C’est ainsi qu’il insuffle joie et esprit de combat avec un maître-mot : Insurrection comme synonyme d’art poétique et d’art de vivre ! Cette insurrection est surgissement intérieur d’une énergie vitale et créatrice qui développe cet état de conscience particulier nommé "l'état lyrique" par Roger-Gilbert Lecomte.
Parce qu'il saisit, au-delà des apparences, l'unité organique qui lie la subjectivité à son milieu, cet état lyrique provoque l'inspiration visionnaire qui fonde toute poésie. En transformant notre conscience, ce souffle de vie peut changer le monde... en le libérant de l'emprise technocratique de l'abstraction. Issus de ce recueil, nous vous proposons ci-dessous quelques-uns des aphorismes de Ferlinghetti sur la poésie ainsi que deux poèmes traduits de l’anglais (USA) par Marianne Costa.
Parce qu'il saisit, au-delà des apparences, l'unité organique qui lie la subjectivité à son milieu, cet état lyrique provoque l'inspiration visionnaire qui fonde toute poésie. En transformant notre conscience, ce souffle de vie peut changer le monde... en le libérant de l'emprise technocratique de l'abstraction. Issus de ce recueil, nous vous proposons ci-dessous quelques-uns des aphorismes de Ferlinghetti sur la poésie ainsi que deux poèmes traduits de l’anglais (USA) par Marianne Costa.
La Poésie, Art de l’Insurrection. Lawrence Ferlinghetti
Lawrence Ferlinghetti devant la célèbre City Lights Bookstore |
Le poète est un barbare subversif aux portes de la ville,
qui lance un défi non violent au statu quo toxique.
La voix du poète est l’autre voix endormie dans chaque être humain.
La poésie est une plante qui pousse la nuit pour donner un nom au désir.
La poésie comme l’amour a la vie dure parmi les ruines.
Un poème est toujours un coup frappé à la porte de l’inconnu.
Comme un champ de tournesols, un poème n’a pas à s’expliquer.
Si un poème doit être expliqué, c’est que la communication est coupée.
La poésie ne vaut rien et par conséquent elle n’a pas de prix.
La poésie détruit la mauvaise haleine des machines.
La poésie est l’hôte inconnu dans la maison.
Une vie vécue avec la poésie à l’esprit est un art en soi.
La poésie est un bateau en papier sur le déluge de la désolation spirituelle
Plus le temps pour l’artiste de se cacher au-dessus, au-delà ou derrière le décor, indifférent, à se ronger les ongles à se raffiner jusqu’à ne plus exister. Plus le temps pour nos petits jeux littéraires, plus le temps pour nos paranoïas et nos hypocondries, plus le temps pour la peur et la haine, juste le temps pour la lumière et l’amour. Nous avons vu les meilleurs esprits de notre génération détruits par l’ennui lors des lectures poétiques. La poésie n’est pas une société secrète, ce n’est pas non plus un temple. Les mots de passe et les psalmodies ne marchent plus. L’époque du Om est révolue, c’est l’heure des lamentations funèbres c’est l’heure de se lamenter et de se réjouir sur la fin proche de la civilisation industrielle
mauvaise pour la terre et l’Homme. C’est l’heure de se tourner vers l’extérieur Assis en lotus
les yeux grands ouverts, C’est l’heure d’ouvrir la bouche
avec un discours ouvert et neuf, c’est l’heure de communiquer avec tous les êtres sentants Vous tous, poètes des villes
pendus dans les musées, y compris moi-même, Vous tous, poètes qui écrivez de la poésie sur la poésie, Poètes de la langue morte et déconstructionnistes, Vous tous, poètes pour ateliers de poésie dans le cœur broussailleux de l’Amérique Vous tous les Ezra Pound de salon Vous les poètes déjantés, défoncés, déchiquetés, recollés. Vous les poètes concrets en béton précontraint Vous les poètes cunilinguistes Vous les poètes des latrines publiques qui grognent des graffitis, Vous tous les maîtres du haïku de scierie dans les Sibéries d’Amérique, Vous les irréalistes sans yeux, Vous les supersurréalistes autooccultes, Vous tous, visionnaires de chambre à coucher et agit-propagandistes de placard, Vous les poètes Groucho Marxistes (..) Vous les cheftaines de la poésie, Vous les moines zen de la poésie, Vous tous les amants suicidaires de la poésie, vous les professeurs hirsutes de poésie, Vous tous les critiques littéraires qui boivent le sang des poètes, Vous la Police Poétique…
Où sont les sauvages enfants de Whitman, où, les grandes voix qui s’élèvent avec douceur et sublimité,
où sont les grandes visions neuves, les vastes regards sur le monde,
les hauts chants prophétiques de la terre immense et tout ce qu’elle chante en elle…
Poètes, descendez dans les rues du monde une fois de plus
Ouvrez votre esprit et vos yeux à l’ancien délice visuel, Raclez-vous la gorge et parlez,
La poésie est morte, vive la poésie, avec ses yeux terribles et sa force de bison.
Où sont les sauvages enfants de Whitman, où, les grandes voix qui s’élèvent avec douceur et sublimité,
où sont les grandes visions neuves, les vastes regards sur le monde,
les hauts chants prophétiques de la terre immense et tout ce qu’elle chante en elle…
Poètes, descendez dans les rues du monde une fois de plus
Ouvrez votre esprit et vos yeux à l’ancien délice visuel, Raclez-vous la gorge et parlez,
La poésie est morte, vive la poésie, avec ses yeux terribles et sa force de bison.
Je te fais signe à travers les flammes
Je te fais signe à travers les flammes.
Le Pôle Nord a changé de place.
La Destinée manifeste n’est plus manifeste.
La civilisation s’auto-détruit.
Némésis frappe à la porte.
À quoi bon des poètes dans une pareille époque ?
À quoi sert la poésie ?
L’imprimerie a rendu la poésie silencieuse, elle y a perdu son chant. Fais-la chanter de nouveau !
Si tu te veux poète, crée des œuvres capables de relever les défis d’une apocalypse,
et s’il le faut, prends des accents apocalyptiques.
Tu es Whitman, tu es Poe, tu es Mark Twain, tu es Emily Dickinson et Edna St Vincent Millais,
tu es Neruda et Maïakovski et Pasolini, Américain(e) ou non,
tu peux conquérir les conquérants avec des mots.
Si tu veux être poète, écris des journaux vivants.
Sois reporter dans l’espace, envoie tes dépêches au suprême rédacteur en chef qui veut la vérité, rien que la vérité, et pas de blabla.
Sois reporter dans l’espace, envoie tes dépêches au suprême rédacteur en chef qui veut la vérité, rien que la vérité, et pas de blabla.
Si tu veux être un grand poète, expérimente toutes sortes de poétiques, grammaires érotiques barbares, religions extatiques, épanchements païens glossolaliques, et l’emphase des discours publics, les gribouillis automatiques, les perceptions surréalistes, les flots de conscience, sons trouvés, cris et récriminations — et crée ta voix limbique, ta voix sous-jacente, ta voix, la tienne.
Si tu te dis poète, ne reste pas bêtement sur ta chaise. La poésie n’est ni une activité sédentaire, ni un fauteuil à prendre.
Lève-toi et montre-leur ce que tu sais faire.
Lève-toi et montre-leur ce que tu sais faire.
Cultive une vision ample, que chacun de tes regards embrasse le monde.
Exprime la vaste clarté du monde extérieur, le soleil qui nous voit tous, la lune qui nous jonche de ses ombres, les étangs calmes dans les jardins, les saules où chantent des grives cachées, le crépuscule tombant au fil de l’eau et les grands espaces qui s’ouvrent sur la mer…
marée haute et le cri du héron…
Et les gens, les gens, oui, tout autour du monde, qui parlent les langues de Babel.
Donne-leur une voix à tous.
Tu devras décider si les cris des oiseaux sont d’extase ou de désespoir.
Alors tu sauras si tu es poète tragique ou poète lyrique.
Si tu te veux poète, découvre une nouvelle manière pour les mortels d’habiter sur Terre.
Si tu te veux poète, invente un nouveau langage que chacun puisse comprendre.
Si tu te veux poète, prononce des vérités nouvelles que le monde ne pourra pas nier.
Si tu veux être un grand poète, efforce-toi de transcrire la conscience de la race.
Par l’art, crée l’ordre à partir du chaos vital.
Rends les nouvelles neuves.
Écris au-delà du temps.
Réinvente l’idée de la vérité.
Réinvente l’idée de la beauté.
Aux premières lueurs, ose l’emphase poétique. La nuit, l’emphase tragique.
Écoute le chuintement des feuilles et le clapotis de la pluie.
Pose l’oreille sur le sol et entends la Terre tourner, la mer déferler, les animaux mourants se lamenter.
Conçois l’amour par-delà le sexe.
Mets tout et tout le monde en question, même Socrate, qui questionnait tout.
Questionne « Dieu » et ses acolytes sur Terre.
Sois subversif, remets sans cesse en cause réalité et statu quo.
Efforce-toi de changer de monde, et qu’il n’y ait plus besoin d’être un dissident.
Ressources
Lawrence Ferlinghetti, Poésie, Art de l’Insurrection, maelstrÖm reEvolution, Bruxelles, 2012
Le Printemps des Poètes L’Insurrection Poétique
Poésie, Art de l’Insurrection. Billet d'Alain Gourhant. Blog Intégratif
Je te fais signe à travers les flammes Revue Terre de femmes
Poésie, Art de l’Insurrection. Note de lecture de Jean-Pascal Dubost. Poézibao
Deux billets sur Poésie, Art de l'Insurrection. Le Tréponème Bleu Pâle
Les écrivains de la Beat Generation. Clara Gordon. Editions d'écarts
"L'état lyrique" vu par Roger-Gilbert Lecomte dans Le Journal Intégral