mardi 22 décembre 2015

Comment devenir Faiseurs de Pluie ?


Paradoxe de la verticalité : il nous faut prendre de la hauteur pour comprendre en profondeur. 


Attentats terroristes, état d’urgence, COP 21 sur le réchauffement climatique, succès électoral de l’extrême droite : en un mois - du 13 Novembre au 13 Décembre - nous avons été acteurs et témoins parfois sidérés de plusieurs évènements qui, au-delà de leur singularité, apparaissent comme autant de symptômes d’un même déséquilibre global. Dans la perspective intégrale qui est la nôtre, ces diverses crises sont effectivement l'expression diversifiée d’une même crise systémique impossible à résoudre avec le mode de pensée l’ayant générée. Par là même, elles incitent à un saut évolutif vers un nouveau stade de conscience et de développement.

Ce nouveau stade évolutif correspondant aux sociétés de l’information régies par un principe de complexité selon lequel « tout est lié ». Pour accompagner cette complexité, nous devons dépasser la logique dominante - technocratique et sectorielle - en développant une intelligence sensible et intuitive capable de participer, de l’intérieur, à la dynamique évolutive de la vie/esprit qui régit la nature en général et la nature humaine en particulier. C'est seulement ainsi que peut émerger une vision globale et synthétique qui, dans la profusion des informations à notre disposition, perçoit l’architecture profonde qui les hiérarchise et les organise. 

La tradition chinoise voyait dans la participation intuitive à cette harmonie dynamique - le Tao - le chemin même d’une sagesse intérieure capable d’influencer le monde phénoménal. Selon les approches énergétiques traditionnelles, une telle influence s’effectue à partir du continuum existant entre la vie/esprit et le monde formel/matériel à travers lequel elle se manifeste. Le saut évolutif à réaliser aujourd’hui nécessite de dépasser un mental abstrait, devenu hégémonique depuis la modernité inaugurée par Descartes, pour retrouver cette continuité intuitive et énergétique, synchronique et organique - au cœur des sagesses traditionnelles - entre le monde intérieur de la conscience et celui - extérieur - de la manifestation physique.

Le passage d'une abstraction rationnelle à une continuité opérationnelle permet l'émergence d'un nouvel esprit du temps que nous illustrerons, après une réflexion qui le contextualise, par le récit du sinologue Richard Wilhelm évoquant l’activité d’un faiseur de pluie chinois. Un récit par lequel Jung conseillait à ses élèves de commencer toutes leurs conférences sur la voie des profondeurs. Ce qui nous permettra ensuite de nous poser la question suivante : comment, dans le désert spirituel du monde contemporain, devenir nous-même aujourd’hui "Faiseurs de pluie" c’est-à-dire les promoteurs de cette continuité opérationnelle à travers une Vision dans laquelle peut se reconnaître la conscience collective en évolution ? 

Une Guerre du Sens


Il est des périodes de crise, comme celle que nous venons de vivre, où toutes sortes de symptômes manifestent, à un moment donné, un même déséquilibre global : symptôme géopolitique des attentats terroristes du 13 Novembre ; symptôme juridique de l’état d’urgence et son corollaire, la transgression de l’état de droit ; symptôme écologique de la COP 21 marquée par le refus des états d'enclencher une véritable révolution climatique (1) ; symptôme social enfin avec l’expression électorale d’une immense colère populaire contre la sécession des élites. Dans un article paru dans Libération et intitulé Partout des solutions existent, Cyril Dion, co-réalisateur du film Demain, pose bien le problème : "En l'espace d'un mois, nous avons vécu un petit concentré de que pourrait nous préserver l'avenir. Mais est-ce une fatalité ? Face au terrorisme, à l'extrémisme et au péril écologique, n'avons nous pas une réponse globale à apporter ?... Tout est lié comme dans un écosystème et il est désormais nécessaire d'envisager la transformation de nos sociétés de façon holistique, comme un tout ".

Malheureusement, si nous sommes loin d'une telle vision globale c'est, selon Edgar Morin, "parce qu'elle contredit des principes enracinés en nous dès l'école élémentaire où nous apprenons à faire des coupures et des disjonctions dans le tissus complexe du réel, à isoler des domaines du savoir sans pouvoir désormais les associer". Dans une perspective technocratique propre au paradigme dominant, les évènements que nous venons de vivre renvoient à une série de crises - écologique, économique, sociale et géopolitique - dûment répertoriées et analysées séparément. C'est à partir de ce paradigme dépassé qu'une armée d’experts s’est mobilisée spontanément dans une véritable "guerre du sens" pour donner des clés d'interprétation permettant de mieux comprendre chaque problème de manière séparé.  Dans les médias comme sur les réseaux sociaux, chacun de ces évènements a donné lieu à une pléthore d’analyses et de commentaires, parfois passionnants, souvent éclairants dans leurs champs spécifiques, pourvu que l’on sache sélectionner ses sources d’informations en écartant aussi bien les conformismes idéologiques et la communication officielle que les niaiseries abêtissantes et les délires complotistes.  

Sur le front d’une intelligence collective en mouvement, tous les champs du savoir ont donc été convoqués et mobilisés pour proposer leur interprétation et leurs divers points de vue : religieux, politique, géopolitique, culturel, historique, philosophique, anthropologique, économique, psychologique, psychiatrique, ethnologique spirituel, sociologique, etc… Hélas, trop d’intelligences tuent l’intelligibilité. Plus la réflexion s’engage et s’enferme dans une multiplicité de champs spécifiques et plus elle tend à s’éloigner d’une vision globale et synthétique susceptible de nous éclairer en profondeur sur la marche du temps. Faute de cette vision organique et organisatrice, la multiplication des informations et la diversification des perspectives tend à créer plus de confusion que de précision, plus de contradictions que de compréhension. 

Fondée sur une approche disciplinaire et symptomatique, la logique dominante ne fait que traiter les problèmes de manière superficielle et sectorielle sans cette vision d’ensemble qui permet une réelle intelligibilité. En suivant le mouvement dissolvant d'une pensée en miettes, le corps social se désintègre s'il n'est pas capable d'un sursaut évolutif. Comme l'écrit Edgar Morin : "Quand un système n'est pas capable de traiter ses problèmes vitaux, soit il se désintègre, soit il produit un métasystème plus riche, capable de les traiter : il se métamorphose... A une pensée qui isole et sépare, il faut substituer une pensée qui distingue et relie. A une pensée disjonctive et réductrice, il faut substituer une pensée du complexe, au sens originaire du terme complexus : ce qui est tissé ensemble. "

Infobésité 


Trop d’informations, souvent contradictoires, saturent nos facultés d’intégration et de synthèse en neutralisant ainsi nos capacités d’action. Arrivés à ce seuil de saturation cognitive, nous devenons les victimes souvent inconscientes de ce que l’on nomme l’infobésité, cette surcharge informationnelle qui est à la conscience ce que la surcharge pondérale est au corps. Comme une épidémie d’obésité menace effectivement le corps social des pays dits développés, l’infobésité est un phénomène qui atteint la conscience de nombreux contemporains, à la fois surinformés et incapables de digérer ces informations en les intégrant dans une vision cohérente et synthétique donnant à leur expérience un sens qui soit à la fois une orientation et une signification. 

L’infobésité conduit à la confusion, la confusion à l’impuissance, l’impuissance à l’inaction et l’inaction à un nihilisme qui fragmente le corps social faute d’une vision commune à laquelle s’identifier. 

Selon notre niveau de conscience et de maîtrise, les technologies de l’information et de la communication peuvent être les meilleurs des outils ou devenir les vecteurs de la pire aliénation. Internet n’échappe pas à l’injonction du Toujours Plus, ce principe fondateur de nos sociétés contemporaines qui n’est autre qu’un toujours moins de qualité, de profondeur et d’esprit. Animée par une forme de mimétisme grégaire et de réactivité immédiate, la Toile génère un courant centripète qui conduit bien souvent à la dispersion, l’addiction et à une perte de substance si on n'est pas structuré intellectuellement et équilibré psychiquement pour lui résister en conscience. 

Si on refuse de se perdre dans les voies de la facilité qui sont celle du grégarisme et du stéréotype, il faut donc aller à contre-courant de ce flux centripète pour retourner régulièrement aux sources d’un courant centrifuge - celui de l'intériorité - en se reconnectant à l’axe interne d’une verticalité où l’inspiration coule de source. A l’infobésité, il faut donc opposer une diététique informationnelle capable de sélectionner nos nourritures intellectuelles et psychiques en respectant les rythmes organiques nécessaires à leur intégration. 

Diététique informationnelle


Par sa méthodologie, l’approche intégrale nous aide dans cette diététique informationnelle. Elle permet notamment de hiérarchiser l’information selon différentes visions du monde et stades de développement à l’œuvre dans les interprétations proposées. C’est ainsi que, par exemple, nous avons interprétés les évènements de Janvier dernier à partir du modèle développemental de la Spirale Dynamique dans deux billets intitulés Charlie et la Spirale. L’approche intégrale permet aussi de comprendre l’information de manière systémique à partir des quatre quadrants fondamentaux qui sont ceux modèle AQAL de Ken Wilber. Ce modèle propose une nouvelle intelligibilité en mettant en rapport les mondes intérieurs de la conscience (subjectivité) et de la culture (intersubjectivité) avec leurs corrélats objectifs que sont les comportements personnels d'une part et de l'autre l'organisation socio-politique sous-tendue par le système technologique. C’est ainsi, par exemple, que nous avons proposé Une vision intégrale de la monnaie en utilisant ces quatre quadrants. 

Par-delà la diversité des perspectives, leur hétérogénéité et leurs contradictions, une vision intégrale met en perspective la cohérence d’une multiplicité de points de vue au sein d’une totalité à la fois complexe et évolutive. Une cohérence globale dont nous éloigne la déconstruction analytique, chaque élément considéré isolément perdant une signification profonde qu’elle ne trouve que dans sa relation aux autres éléments. Si une cartographie de ce type permet une conscience plus globale, c'est parce qu'elle est le support d'une intuition visionnaire directement connectée à la dynamique de la vie/esprit qui unit la conscience individuelle à la totalité vivante et multidimensionnelle à laquelle elle participe intimement, au-delà de l'égo.

Participer à cette dynamique c'est retrouver cet esprit de vacance qui est celui du « Wu Wei » chinois traduit en français par "non agir". Un non agir qui n’est pas passivité, inertie ou paresse mais participation vécue et intuitive à l’harmonie dynamique du Kosmos en évolution. Cette connexion de l’individu au milieu multidimensionnel où il évolue permet de dépasser la dualité du mental pour retrouver la profondeur organique d’un continuum entre esprit et matière, intérieur et extérieur. Accéder à cette profondeur c'est passer d'un champ rationnel fondé sur la dualité à un champ opérationnel fondé sur l’unité harmonique et holistique qui lie l’être humain à son milieu (humain, naturel et symbolique). Comme le dit le philosophe Abdenour Bidar : " Vivre spirituellement c'est vivre relié : à soi, aux autres, à la nature et à l'univers ".

Grâce à cette connexion, la conscience perçoit le monde phénoménal comme manifestation de la dynamique globale de la vie/esprit. Participer intuitivement à cette dynamique c’est influencer et transformer, de l’intérieur, son milieu comme ce milieu vous influence par rétroaction. Pour comprendre cette boucle systémique d'interaction entre l’intérieur et l’extérieur, je vous propose ci-dessous un extrait de l’article passionnant de Pierre Trigano - Le réel est synchronicité – où l’auteur évoque le récit fait par le sinologue Richard Wilhelm relatant l'activité un faiseur de pluie rencontré en Chine. 

Le réel est synchronicité. Pierre Trigano 


Dans son introduction au Yi King (traduction française d’Etienne Perrot), Jung rapporte un témoignage de son ami sinologue Richard Wilhelm : la région de Chine où il séjournait fut frappée d’une sécheresse catastrophique. Au comble du désespoir, les chinois firent appel aux services «paranormaux» d’un faiseur de pluie, un vieil homme émacié qui ne souhaita qu’une chose pour accomplir son office : qu’on mette à sa disposition une maison isolée et tranquille. Il s’y enferma trois jours, et le quatrième, les nuages se firent denses, et il y eut une forte chute de neige, en grande quantité, à une saison qui n’était pas pourtant celle de la neige. 

Émerveillé et fortement impressionné, Richard Wilhelm demanda au vieil homme comment il avait ‘‘fait’’ la neige. Celui-ci lui répondit contre toute attente qu’il n’en était pas responsable. Il avait simplement constaté que le pays tout entier était en désordre intérieur et qu’il se retrouvait dès lors lui-même affecté par ce désordre. ‘‘Aussi la seule chose que j’avais à faire était d’attendre trois jours jusqu’à ce que je me retrouve en Tao, et alors, naturellement, le Tao fit la neige’’. C-G Jung 

Comprenez que, pour Jung, cette histoire qu’il nous raconte n’est pas une jolie fable, mais un fait réel dont son ami sinologue, Richard Wilhelm a été le témoin objectif, dans la Chine encore traditionnelle du début du XX ème siècle, bien que notre science rationnelle occidentale n’y puisse rien comprendre. Et c’est la réalité, pour Jung, de cette histoire qui fait précisément à ses yeux, toute son importance, au point qu’il conseillait toujours à ses élèves de commencer par son récit lorsqu’ils devaient faire des conférences pour présenter la voie des profondeurs. Jung découvre en effet dans cette histoire un témoignage saisissant de la synchronicité qu’il définit comme une relation a-causale entre des phénomènes qui n’appartiennent pas au même registre du réel. 

Le faiseur de pluie – figure haute en couleur de la Chine taoïste traditionnelle que la chape de plomb rationaliste du maoïsme a fait totalement disparaître – vit manifestement l’univers (y compris dans sa réalité physique) comme un ‘‘unus mundus’’, comme disent les alchimistes, c’est-à-dire comme un monde UN. Il y a un seul monde : tous les registres du réel sont en synchronicité, c’est à dire les uns AVEC les autres, la sécheresse qui est un état physique de la matière, AVEC le désordre du pays qui ici est manifestement pour le faiseur de pluie un état psychique.

Mais qu’est-ce que l’ordre ? C’est précisément la situation dans laquelle le monde et les êtres sont dans l’AVEC. 

Le Tao est en effet fondamentalement le principe de l’Avec selon la pensée chinoise : il est le Yin, le féminin, avec le Yang, masculin, le Yang avec le Yin. Toutes les relations sont harmonieuses lorsque les deux énergies féminine et masculine sont dans l’Avec, en communion. Le Tao est analogue à la notion jungienne du Soi, conjonction du féminin et du masculin, centre de l’être à partir duquel tout se réunit et s’harmonise. Notre civilisation moderniste occidentale qui sépare radicalement les registres extérieur et intérieur, la matière et la psyché, ne peut tout simplement pas penser ce principe. Et dès lors celui-ci ne peut lui apparaître dans son opérationnalité. 


Lorsque le terrible tsunami est venu frapper l’Asie en décembre 2004, le moins que l’on puisse dire est que les discours occidentaux n’ont pu spontanément l’associer à un désordre dans le psychisme de nos contemporains. Certes, on a pu très vite comprendre qu’il existait un rapport physique de cause à effet entre ce phénomène naturel et le réchauffement climatique de la planète, et reconnaître que celui-ci est lui-même l’effet écologique désastreux du développement économique exponentiel du capitalisme mondialisé. 

Mais la science occidentale répugnerait à lier cet événement avec le désordre psychique qui affecterait l’humanité, car la psyché et les problèmes psychologiques des individus relève d’un autre registre du réel que celui de l’écologie. Le logos scientifique occidental ne peut en effet approcher le réel que sur le mode d’un principe de causalité linéaire selon lequel un phénomène serait toujours mécaniquement produit par un enchaînement d’autres qui sont tous sur le même registre que lui : dans l’exemple que j’ai choisi le registre est écologique, concerne la façon dont la «matière» en quelque sorte écologique de la Terre est affectée. 

‘‘Comment avez-vous produit la neige ?’’, demande ainsi Richard Wilhelm en bon européen causaliste ! Le Chinois répond qu’il ne peut pas être responsable de la neige, mais seulement de l’ordre qui existe à l’intérieur de lui-même : si, dans un univers en désordre, je me mets en ordre à l’intérieur de moi (en me centrant sur le Tao, le Soi), synchronistiquement, c’est à dire sans lien causal, cela peut favoriser l’émergence d’un ordre harmonieux dans ma réalité extérieure

Entendons bien ce que signifie «sans lien causal» : quoique je fasse, je ne suis pas maître de cette évolution ; ce n’est pas moi qui la produit, qui la contrôle ou qui peut la programmer. Elle est le fait du Tout Autre, du Tao qui lui seul, pour ainsi dire, sait le chemin que je dois suivre pour approcher de l’harmonisation de toute chose. (Fin de l’extrait de l’article de Pierre Trigano

Une Continuité Organique

Que peut signifier aujourd’hui ce récit du faiseur de pluie dans le contexte de la crise systémique que nous traversons ? Une des principales leçon à en tirer est cette continuité organique entre l'intérieur et l'extérieur, bien loin de la dualité cartésienne fondatrice de l'objectivisme moderne. De la même manière que le monde extérieur reflète nos états intérieurs, la transformation de notre conscience influence notre milieu d'évolution. En évoquant ce récit sur son blog – Fabulo - La Licorne écrit ceci : « Ne serait-il pas temps de se demander si les désordres climatiques extérieurs ne sont pas le parfait reflet de nos désordres "intérieurs" ? Ne serait-il pas temps de se pencher sur notre "pollution psychique"...? Cette pollution "intérieure" fruit de nos peurs, de nos haines et de nos pensées négatives, n'est-elle pas celle qui, réellement, fait grimper la "température mondiale", au sens propre comme au sens figuré, et n'est-elle pas aussi en rapport direct avec toutes sortes de "catastrophes" humaines et écologiques ? »  (Histoire de changement climatique : le Faiseur de pluie)

Les propos de Pacôme Thiellement sur le réchauffement climatique de l’âme lui font écho : « C’est en nous-mêmes que nous devons observer la présence de l’effet de serre, l’accumulation du gaz dans l’atmosphère, l’augmentation de la température terrestre, l’élévation du niveau de la mer, l’acidification des océans et la fonte des glaciers. Comment ? En comprenant que le phénomène du réchauffement climatique est absolument connexe de celui de l’inflation de l’ego de l’individu contemporain jusqu’à la démence. » (Le réchauffement climatique de l'âme)

Une telle inflation de l’égo ne doit pas nous faire interpréter le récit du faiseur de pluie comme l'apologie d'une régression vers une pensée magique qui donne à l'individu, inspiré par une toute puissance infantile, l’illusion d’un pouvoir total sur son environnement. Dans ce récit ce n'est pas l'individu qui agit : il est suffisamment transparent pour être animé par une dynamique interne dont il devient l'agent opérationnel. Cette histoire évoque un saut évolutif au-delà de l’ego qui permet de synchroniser la conscience avec le rythme interne de cette totalité harmonique qui nous transcende et nous constitue. Il s'agit de dépasser une pensée causale et explicative qui peut avoir son sens dans un champ spécifique, pour accéder à une vision globale et organique qui transforme notre milieu en remettant tous les éléments du puzzle informationnel à leur place. 

Devenir des "Faiseurs de pluie"


Comme l’écrit Pierre Trigano : « La prise de conscience des synchronicités nous permet de comprendre que ce n’est pas la cause formelle d’un évènement qui fonde son sens profond, mais bien l’unité invisible qui le traverse et l’associe à d’autres évènements et tout en même temps au monde intérieur de notre psyché. Notre conception du réel s’en trouve considérablement amplifiée. L’expérience de la synchronicité le révèle à nous comme une ‘‘association’’ multidimensionnelle et universelle. » (Le Réel est synchronicité) 

Pour comprendre en profondeur, il nous faut donc, plus que jamais, prendre de la hauteur en refusant de s’enferrer et de s’enfermer dans les labyrinthes abstraits d'un mental disjonctif. Le principe de complexité qui régit nos sociétés de l'information est ce principe relationnel de l’Avec que l'on retrouve dans le préfixe Syn (avec en grec) à travers les approches synthétique et synchronique, systémique et synergique, symbolique et symbiotique, liées à l'émergence du nouveau paradigme. Cette intelligence relationnelle, au cœur de toutes les grandes traditions, est une pensée organique qui complète et dépasse le mécanisme abstrait de la causalité pour faire émerger une vision globale et opérationnelle. 

La crise évolutive qui s’est exprimée ces derniers temps à travers la conjonction de divers évènements nous met en face de nos errements et de nos erreurs, de notre démesure comme de nos limitations, pour nous apprendre à les dépasser à travers un saut qualitatif.  C'est ainsi que nous pouvons nous libérer de l'hégémonie du mental par un saut évolutif qui permet d'associer raisonnement intellectuel et résonance intuitive, abstraction rationnelle et sensibilité relationnelle, causalité mécanique et vision organique, pensée analytique et inspiration créatrice. 

Comme le dit Serge Durand, co-auteur du Guide Almora de la Spiritualité, dans son commentaire à notre billet récent sur Le Syndrome de Copenhague : « Une évolution authentique ne peut être qu'une évolution de la conscience au-delà de la conscience ordinaire réduite à un moi mental, émotionnel, logeant dans un corps et étendu matériellement avec des artefacts pensés mentalement. » Devenir aujourd’hui un faiseur de pluie dans le désert spirituel du monde contemporain, c’est retrouver le rôle fondamental de l'être humain, celui de lien vivant et vibrant entre terre et ciel, matière et esprit, en passant d'une conscience rationnelle à une conscience opérationnelle qui agit de l'intérieur sur son milieu par la puissance créatrice de son intention et de sa vision. Retrouver ce rôle passe par le chemin d'une Écologie intérieure évoquée notamment dans notre dernier billet.


Ressources 

Le Réel est synchronicité  Pierre Trigano 


Le Sel des Rêves, une lecture nouvelle de CG Jung de Pierre Trigano et Agnès Vincent


Le réchauffement climatique de l’âme  Pacôme Thiellement. Site Vents Contraires

Partout des solutions existent  Cyril Dion. Libération

Pensée écologisée  Edgar Morin in blog Fabulo de La Licorne

Dans Le Journal Intégral : Charlie et la Spirale (1) et (2L'Approche Intégrale de Ken Wilber

Une vision intégrale de la monnaie     Intuition et Complexité

Devoir de Vacance : présentation des sept billets sur l'Esprit de Vacance

vendredi 4 décembre 2015

L'Ecologie Intérieure ou la Fin du Combat contre Soi


Celui qui regarde à l'extérieur rêve, celui qui regarde à l'intérieur est éveillé. C.G Jung


Dans les précédents billets - Le Syndrome de Copenhague, Décroissance ou BarbarieL’Écologie Intérieure - nous avons analysé l'indigence et l'hypocrisie du grand cirque de la COP 21 qui se déroule actuellement à Paris. D'ailleurs les français ne sont pas dupes de l'écolo-show qui leur est offert par les autorités: dans un sondage paru dimanche dernier, 72% d'entre eux pensent que la COP21 ne débouchera que sur "un accord de façade". Face à un défi vital comme celui-ci, soyons vraiment sérieux et cohérents. S'il s'agit de se mobiliser contre les symptômes désastreux de la crise écologique, encore faut-il remonter à la source - intérieure - de celle-ci : " La crise écologique est la manifestation extérieure de la crise éthique, spirituelle, culturelle de la modernité" écrit le pape François dans son encyclique Laudato Si' ou pour le dire dans les mots de Deny Rimpoche : "L'écologie extérieure est un leurre sans écologie intérieure".

Dans un  texte intitulé L'écologie intérieure ou la fin du combat contre soi, Yann Thibaud écrit ceci : « De la même manière que le principal danger dans le domaine de l'écologie est l'invasion et la domination d'une espèce prédatrice, en particulier la guerre contre la nature perpétrée par l'être humain, le principal écueil contre l'écologie intérieure se nomme guerre contre soi. Et si l'on remonte le fil de l'histoire, l'on se rendra vite compte que la liste est bien longue des multiples attaques, atteintes et agressions menées par l'être humain contre ses propres facultés, et ce hélas dans toute les sociétés ». 

En dressant la liste de ces errements et de ces erreurs, Yann Thibaud définit ainsi l'écologie intérieure comme " l'art d'être soi, l'exploration, la découverte et la connaissance de sa propre nature ou de son monde intérieur, conduisant à accueillir, honorer, respecter et développer tous les aspects de soi (corps, énergie, émotion, intellect, intuition, spiritualité) et à retrouver et manifester son être profond et véritable, sa sagesse oubliée, sa mission sur terre, son pouvoir et son savoir cachés". L'écologie intérieure participe de l'émergence d'une "nouvelle forme de spiritualité adaptée à l'être humain d'aujourd'hui,  libérée de l'obscurantisme religieux comme des errements du matérialisme moderne". Le contexte dramatique de ces derniers jours révèle la profondeur d'une réflexion dont nous pouvons nous inspirer pour retrouver une perspective d'avenir et une cohérence interne mises à mal l'une et l'autre par les derniers évènements.

Yann Thibaud est écrivain, peintre et formateur. Ayant pratiqué de nombreuses méthodes de psychothérapie, de développement personnel, de sophrologie et de méditation, il a peu à peu mis au point différentes techniques de transformation et d’Éveil qu'il propose à travers ses livres, vidéos et formations. Il est l'auteur des trois volumes de la série Écologie Intérieure : " La voie du désir" "L'Alchimie émotionnelle" et " Le bonheur de l’Éveil".  Lorsqu'en Juillet, un ami m'a envoyé le texte ci-dessous, j'ai demandé à son auteur, rencontré il y a un an, si je pouvais faire profiter les lecteurs du Journal Intégral de ce point de vue à la fois original et synthétique. Cet article de Yann Thibaud fait partie de ceux proposés par la revue 3ème Millénaire dans son très beau numéro d'automne et présenté dans notre avant-dernier billet : L’Écologie Intérieure. Dans un premier temps nous resituerons ce texte dans le contexte actuel d'une violence terroriste qui lui donne une actualité brûlante.

Violence et Conscience

" La véritable puissance destructrice du terrorisme réside, en fin de compte, dans le fait qu'il confronte l'être humain au mal qui se tapit en lui-même, à ce qu'il a de plus bas, de bestial et de chaotique en soi. Cela vaut autant pour l'individu que pour la société." Ainsi parlait l'écrivain israélien David Grossman à l'occasion des attentats du mois de Janvier. La nouvelle vague d'attentats du 13 Novembre à Paris et St Denis nous plonge à nouveau dans cette expérience du mal au cours de laquelle notre élan vital, affectif et spirituel est tétanisé, pris au piège d'une toile obscure tissée par des sentiments de peur, de haine et de désespoir. Cette identification paralysante à notre inhumanité produit en nous le chaos, la confusion et l'enténèbrement de la conscience.

Le but du terrorisme est de générer cet état de tension extrême entre une inhumanité qui nous hante et l'humanité acquise et héritée au cours d'un long processus de civilisation. Dans la plupart des cas, la force de cette tension est telle qu'incapables de la contenir, de la maîtriser et de la transmuer de manière créative dans un niveau supérieur, la plupart des individus comme des groupes humains vont projeter cette contradiction interne sur l'extérieur, de manière violente, sous la forme de vengeance aveugle contre l'ennemi désigné. C'est ainsi qu'ils vont tomber à pieds joints dans le piège tendu par les terroristes qui pourront alimenter en énergie de haine leur machine de destruction, de guerre et de division entre les communautés.

D'une manière plus générale, la violence d'un individu ou d'un groupe humain - envers l'autre comme envers la nature - correspond à une projection de ses propres conflits intérieurs. Diaboliser l'autre, c'est projeter sur lui les contradictions qui nous habitent et voir en lui, de manière hallucinée, la dualité qui nous crucifie. C'est donc à la fois une profonde erreur et une solution de facilité de croire et de faire croire que l'on peut mettre fin à la violence par la violence. Comme le disait Gandhi : " En opposant la haine à la haine, on ne fait que la répandre en surface comme en profondeur". 


Il existe une autre manière de réagir : il s'agit de comprendre les conflits internes à l'origine de la violence et de chercher à les résoudre en émergeant sur un niveau supérieur de conscience. Pour mettre fin à ce combat contre soi, il faut être capable d'analyser, comme le fait Yann Thibaud dans ce texte sur l'écologie intérieure, les différentes atteintes à notre intégrité qui ont lieu sur le plan du corps physique, de la sexualité, de la vie psychique et émotionnelle, de l'intellect ou de la spiritualité. 

Dans un article intitulé L'absence de spirituel est un problème, pas l'Islam paru dans Le Monde quinze jours avant les attentats du 13 Novembre, le philosophe Abdennour Bidar, auteur de la fameuse Lettre ouverte au monde musulman écrivait : " Les barbares djihadistes eux-mêmes, en ce qu'ils remettent au centre du débat planétaire la question du nœud gordien entre la violence et le sacré, nous convoquent à un sursaut d'ordre spirituel". L'écologie intérieure telle que la définit Yann Thibaud participe de ce sursaut évolutif qui vise à sortir par le haut du combat contre soi. Un tel sursaut correspond à l'émergence d'une spiritualité associant le meilleur de la tradition et de la modernité dans une nouvelle vision du monde fondée sur la co-évolution de l'être humain et de son milieu (social et naturel, culturel et spirituel).

L’écologie intérieure ou la fin du combat contre soi. Yann Thibaud 

Qu'est - ce que l' "écologie intérieure" ? Quel peut être le sens de cette expression ? Chacun connaît aujourd'hui la signification du mot écologie. Ce terme qui désignait à l'origine la discipline scientifique qui a pour objet d'étudier les écosystèmes, décrit aujourd'hui davantage une attitude consistant à respecter et protéger la nature et l'environnement.

L'écologie intérieure est donc tout simplement le savoir et un ensemble de pratiques, permettant de connaître, respecter et explorer sa nature intérieure ou son monde intérieur. En d'autres termes, il s'agit de découvrir et approfondir le lien ou la connexion avec soi-même, de devenir un explorateur, un aventurier et au final un spécialiste de la vie psychique, affective, émotionnelle et spirituelle. 

Or, ce savoir est précisément ce qui fait le plus défaut à l'homme ou la femme contemporain(e), ce qui lui manque cruellement et ce qu'il ou elle recherche à travers quantité de stages, lectures, expériences et traditions diverses. L'écologie intérieure a donc vocation à devenir la grande affaire des temps futurs, la préoccupation fondamentale et essentielle de chacun, la nouvelle culture, le nouveau comportement humain permettant d'édifier une société harmonieuse et heureuse, un monde authentiquement souhaitable et désirable. 

Une Nouvelle Culture

En quoi pourrait donc consister cette écologie intérieure, que l'on pourrait aussi appeler permaculture psychique, culture de l'être ou encore spiritualité naturelle ? Si l'on revient à la logique de l'écologie, on observera qu'un écosystème harmonieux et équilibré avec une importante biodiversité implique qu'aucune espèce invasive prédatrice ne supplante toutes les autres (comme le fait aujourd'hui l'être humain sur terre, avec tous les déséquilibres que l'on connaît), empêchant par-là les autres formes biologiques de se développer et limitant la richesse du biotope. 

De la même manière, une terre ou un sol riche et en bonne santé, permettant une production saine et abondante, suppose une activité biologique intense et diversifiée, tant minérale (sels minéraux variés) que végétale (couverture du sol, engrais verts, matières en décomposition...) et animale (déjections, vers de terre et nombreux insectes œuvrant à la décomposition de ces apports). 


Si l'on considère l'être humain lui-même comme un écosystème, et si on lui applique la logique de l'écologie, cela signifie que toutes les fonctions qui le composent doivent être respectées, honorées et préservées, afin qu'elles puissent jouer leur rôle, construisant ainsi un être équilibré à même de manifester son potentiel optimal, qu'il s'agisse des aptitudes physiques, énergétiques, sexuelles, émotionnelles, artistiques, intellectuelles et spirituelles. 

Ainsi, historiquement, on peut observer que c'est le même mouvement culturel d'émancipation et de respect de la vie apparu dans les années soixante et soixante-dix du siècle dernier, qui a donné naissance tant à la dynamique écologique qu'aux recherches dans les domaines de la vie saine, des médecines dites douces, des psychothérapies et de la spiritualité. Il est donc parfaitement logique et légitime d'établir un parallèle entre respect de la nature et respect de soi, entre richesse biologique et vie intérieure riche, entre préservation des différentes espèces et essences naturelles et préservation de tous les aspects de soi. 

L'objet et l'objectif de cette nouvelle culture que constitue l'écologie intérieure est alors de permettre à l'être humain de développer et manifester la diversité de ses multiples talents, en autorisant et explorant la richesse souvent méconnue de ses inclinations, impulsions, intuitions, inspirations, idéaux et désirs. Quels sont les principaux problèmes, écueils, obstacles, pièges sur la voie de l'écologie intérieure, les différents facteurs susceptibles d'entraver ou empêcher le libre déploiement des facultés humaines, l'épanouissement ou l'accomplissement de soi ? 

La Guerre contre Soi 

De la même manière que le principal danger dans le domaine de l'écologie est, on l'a vu, l'invasion et la domination d'une espèce prédatrice, en particulier la guerre contre la nature perpétrée par l'être humain, le principal écueil contre l'écologie intérieure se nomme guerre contre soi. Et si l'on remonte le fil de l'histoire, l'on se rendra vite compte que la liste est bien longue des multiples attaques, atteintes et agressions menées par l'être humain contre ses propres facultés, et ce hélas dans toute les sociétés. Il n'est pas inutile de dresser cette liste, de répertorier ces différentes erreurs et errements afin, dans le futur, d'éviter de les réitérer : 

Atteintes envers le corps physique

Excision, circoncision, mutilations variées, tortures initiatiques, déformations de différentes parties du corps (pieds, cou, tête, oreilles, nez, dents...), scarifications, tatouages etc. Le corps s'est vu aussi dans les sociétés traditionnelles imposé toute sortes de postures et positions rigides, inconfortables et anti-naturelles (contraires à ses besoins), qu'il s'agissait de tenir pendant de longs moments, répondant à des injonctions arbitraires et inappropriées. Cependant le corps n'est pas forcément mieux traité dans notre société moderne, lorsqu'on lui fait ingérer toutes sortes de substances toxiques et une alimentation dénaturée, ou lorsqu'il fait l'objet des expérimentations hasardeuses et dangereuses des "transhumanistes" qui rêvent d'un corps artificialisé empli d'implants et de divers dispositifs technologiques censés remplacer ou améliorer les organes et les fonctions naturels. 

Atteintes envers la sexualité 

Les religions patriarcales ont, comme chacun sait, diabolisé et culpabilisé tout à la fois le désir et la sexualité considérés comme impurs et sources de péché, et la femme présentée comme diabolique, séductrice et tentatrice. Si des millions d'êtres ont longtemps souffert des interdits, tabous et restrictions qui en ont résulté, la société matérialiste moderne tombe dans un autre travers, faisant du corps un objet de performance et de la sexualité une recherche effrénée et avide du plaisir, obéissant à des codes et modèles restrictifs (souvent issus de la pornographie) et parfois oublieuse du cœur et du sentiment. 


Atteintes envers la vie psychique et émotionnelle

Beaucoup parmi nous, et en particulier les hommes, ont reçu une éducation rigide et autoritaire, interdisant totalement l'expression des émotions, considérées comme une faiblesse, indigne des individus de sexe masculin. Il en résulte une foule d'« handicapés du sentiment », pour qui le retour à une vie affective et émotionnelle satisfaisante impliquera un long travail d'apprentissage du lâcher-prise, de redécouverte de la spontanéité et d'abandon de la dictature du contrôle et de la volonté. 

Paradoxalement, l'injonction si courante aujourd'hui dans les milieux spirituels d'être constamment " dans l'amour " ou " dans le cœur " conduit également au refoulement émotionnel. Car en voulant à tout prix être positif, en se forçant à adopter en toutes circonstances un masque et un sourire forcés et artificiels, on ne fera que nier et refouler ses émotions douloureuses et perturbatrices, ne les rendant par-là que plus agissantes. La sagesse populaire ne dit-elle pas: "Qui veut faire l'ange fait la bête"? 

Beaucoup de chercheurs spirituels s'enferment ainsi, avec les meilleures intentions du monde, dans une prison ou une dictature de tous les instants, se contrôlant sans relâche afin d'être conformes à des images ou modèles de pureté et de perfection, sans réaliser qu'ils se coupent par-là de leurs véritables émotions et sentiments comme de leur être profond et essentiel. L'autre écueil à l'égard des émotions consiste à en être le jouet et l'esclave, en s'y livrant sans conscience ni discernement et en accomplissant sous leur emprise toutes sortes d'actes destructeurs et anti-sociaux, faisant de celle-ci la source méconnue des principaux problèmes humains (conflits, guerres, délinquance, exploitation, domination...). 

La solution consiste en une troisième voie ou attitude à l'égard des émotions que l'on pourrait qualifier d'« alchimie émotionnelle », consistant à accueillir, accepter et laisser être consciemment ses émotions douloureuses qui se « transmutent » alors en leur opposé positif (sagesse, joie, force et sérénité), cette connaissance constituant un pilier essentiel et déterminant de l'écologie intérieure. 

Atteintes envers l’intellect 

Jusqu'à l'irruption de la « philosophie des Lumières », dans l'Europe du XVIII ème siècle, qui a diffusé les idées d'autonomie de pensée et de liberté de conscience, on ne peut pas dire que les sociétés anciennes aient été propices et favorables à l'épanouissement d'une pensée libre et originale. « Hors l’Église, point de salut ! », autrement-dit en-dehors des dogmes et des canons du culte dominant, il n'y avait nulle part place pour un esprit professant des idées nouvelles, taxé inexorablement d'hérésie et s'exposant aux pires châtiments. L'esprit moderne, épris de liberté, a favorisé le développement de l'esprit et de la créativité ; mais il s'est bien souvent agi d'un intellect froid, technocratique, uniquement rationnel et coupé de l'affectivité, du cœur, de l'intuition comme du sentiment, donnant finalement lieu au monde technologique aliénant et mortifère que nous connaissons aujourd'hui. 

D'où un besoin intense et insatiable de spiritualité et de transcendance chez l'être humain contemporain, qui s'est traduit par la vogue considérable du " retour du religieux ". Par réaction envers l’intellect raisonneur et desséché, seulement capable de calculs et de déductions logiques, il s'en est suivi dans la plupart des milieux dits spirituels depuis une ou deux décennies, une véritable « chasse au mental », considéré comme la cause de tous nos maux. On n'imagine pas le mal que s'infligent ainsi des foules entières de chercheurs spirituels adeptes de la « religion du non-mental », qui ont intégré la croyance étrange qu'il faudrait s'abstenir de penser, s'interdisant dès lors non seulement de penser librement, mais également d'écouter les messages de leur intuition, parce-que toute pensée qualifiée par eux de « mentale » se trouve systématiquement rejetée et écartée. 


Cette doctrine et posture anti-intellectuelle, absurde et dangereuse (car spécifique des régimes totalitaires) que l’on pourrait qualifier d'auto-sabotage, trouve son origine dans une confusion entre mental et esprit et dans une ignorance du sens véritable des enseignements orientaux de méditation, dont est issue la diabolisation du mental. Car il existe traditionnellement deux formes de mental : le "mental inférieur", conditionné par les réflexes émotionnels et les conformismes idéologiques, et le "mental supérieur", de nature intuitive et spirituelle, source de génie et d'inspiration, qu'il convient d'honorer, exercer et développer. 

Autrement dit, le problème posé par le supposé mental est en réalité de nature émotionnelle, et doit donc être solutionné par la transmutation de ces émotions. Libéré de l'emprise des émotions, l'esprit peut alors fonctionner avec clarté, lucidité et efficacité. Tandis que si l'on veut à tout prix "se couper du mental", l'on ne fera que refouler ses émotions, donc les renforcer et aggraver le problème du prétendu mental. De la même manière que nous avons besoin de nos deux jambes pour marcher, de la même manière qu'il est nécessaire d'équilibrer nos deux pôles, féminin et masculin pour fonctionner harmonieusement, il nous faut développer concurremment notre intellect et notre intuition, la fonction pensée et la fonction sentiment, pour devenir un être humain accompli et évolué. Et ce rééquilibrage ou cette réharmonisation constitue évidemment un axe essentiel de l'écologie intérieure. 

Atteintes envers l'être essentiel, profond ou spirituel 

Elena Ray
Les sociétés religieuses traditionnelles valorisaient et favorisaient la vie spirituelle ou mystique, mais à condition qu'elle s'exprime exclusivement dans les cadres, dogmes et rituels déterminés par l'idéologie religieuse dominante et qu'elle ne les remette aucunement en cause. Le mystique soufi ou chrétien déclarant il y a cinq ou six siècles « Je suis Dieu » (affirmation typique des expériences d'expansion de conscience) finissait inexorablement exécuté ou sur le bûcher. C'est pourquoi les sociétés religieuses ne sont qu'en apparence favorables à la vie spirituelle, car elles empêchent ou interdisent toute expérience d'éveil authentique, qui a justement pour caractéristique de faire voler en éclats les autorités, repères et systèmes fallacieux et aliénants, comme l'ont clairement illustré les remarquables éveillés que furent le Bouddha, le Christ, Socrate ou Krishnamurti. 

Quant à l'idéologie matérialiste moderne, elle porte une lourde responsabilité dans le désastre notamment écologique et la crise généralisée qui affecte notre monde. Alors que les penseurs originels des Lumières n'était nullement hostiles à l'idée de spiritualité (Voltaire était déiste et Rousseau panthéiste), leurs continuateurs, à partir notamment du positivisme d'Auguste Comte, ont, sous couvert de rationalité, enfermé l'humanité occidentale dans une vie purement matérielle, sans but, sens ou transcendance, sinistre et désespérante, où la seule valeur reconnue est l'argent et les moyens de l'acquérir et l’accumuler. L'être humain a ainsi appris progressivement à faire taire et oublier ses perceptions subtiles et sa vie intérieure, pour devenir une machine à produire et à consommer au service de la science suprême (l'économie) et de ses grands prêtres (les financiers). 

Il y a donc urgence à inventer et élaborer une nouvelle spiritualité adaptée à l'être humain d'aujourd'hui, libéré de l’obscurantisme religieux comme des errements du matérialisme moderne, et qui prenne acte des aspects positifs de la culture occidentale (autonomie de pensée, créativité et ingéniosité techniques par exemple dans le domaine de la psychologie, aspiration à l'universalisme et à l'émancipation culturelle et sociale...) comme de l'héritage des traditions initiatiques et ésotériques des cinq continents. Tel est précisément l'objet de l'écologie intérieure. 

Cette nouvelle culture mettra définitivement fin à la guerre contre soi, cette attitude masochiste issue des religions patriarcales désormais obsolètes, consistant à torturer son corps, à nier ses désirs et sa sexualité, à faire taire ses émotions, à s'interdire de penser librement et à singer niaisement des modèles stéréotypés de piété et de vertu. 

Honorer la Vie


La racine de l'idéologie de la guerre contre soi tient en effet dans l'idée que l'on ne peut pas faire confiance en sa propre nature, et qu'il faut donc la combattre, la contrôler, la maîtriser et la discipliner selon des normes et des schémas préétablis. Tout à l'inverse, il s'agit d'honorer son corps, ce magnifique réceptacle et prodigieux véhicule de l'esprit, de découvrir et expérimenter les merveilles de la sexualité sacrée, de vivre l'art sublime de l'alchimie intérieure, métamorphosant les blessures affectives en conscience, puissance, jouissance et bonté, de tutoyer les cimes du génie par l'exercice d'un intellect précis et acéré, d'incarner enfin le mystère et de manifester notre statut divin d'êtres humains éclairés. 

C'est pourquoi la méditation véritable ne consiste pas à s'imposer une posture rigide et figée, ni à chasser ses pensées et émotions pour " faire le vide " de manière artificielle et autoritaire, mais à s'installer dans la position que le corps désire et qui lui permette de se détendre (par exemple dans son fauteuil préféré, allongé dans son lit douillet, dans l'herbe ou dans son bain, ou encore en se promenant dans un site que l'on affectionne) et à accueillir, honorer et laisser être tout ce qui survient en soi, sans rien rejeter ni interdire. La méditation n'est donc rien d'autre que la vie-même, consciemment vécue ; et c'est cette qualité d'attention envers soi et le monde, qui rendra possible la venue spontanée d'épisodes d'expansion de conscience, qui constituent l'objet et la raison d'être de toute spiritualité authentique. 

Un autre exemple de cette mentalité guerrière est la lutte contre l’ego, que l'on veut (tout comme le mental) tuer, dominer ou anéantir. Or, qui combat l’ego sinon l’ego lui-même ? C'est pourquoi cette guerre intérieure ne peut être que sans fin, inutile, destructrice et désespérante, de surcroît contre productrice, puisqu'elle renforcera au final l'ego combattant. Si en revanche l'on suit et applique la logique de l'écologie intérieure, l'on fera confiance en sa propre nature et l'on accueillera, acceptera, honorera et aimera son propre ego, qui pourra alors (tel un enfant intérieur blessé) guérir, mûrir, grandir et finalement se fondre dans le grand Soi, comme une fleur qui s'offre, s'ouvre et s'abandonne pour donner naissance au fruit, ou la chenille qui se transformera naturellement en libre et somptueux papillon. 

C'est donc un changement complet de paradigme qui se présente ainsi à nous, un changement d'attitude révolutionnaire, consistant à abandonner le combat, la violence et la brutalité tant envers soi qu'envers autrui et la nature, et à découvrir et employer les joyaux insoupçonnés que celle-ci recèle et que nous ignorions. Le grand intérêt du concept d'écologie intérieure est qu'il s'agit d'une expression nouvelle et que, donc, nous ne savons pas ce que c'est. Il nous est donc loisible d'inventer par-là une discipline nouvelle, sans être dépendant d'un courant de pensée déjà existant, ni retomber dans les pièges des idéologies religieuses. 

Osons donc faire montre de courage, d'audace, de talent, de créativité et d'inventivité, pour dessiner les contours d'une nouvelle culture, glorieuse et gratifiante et d'un nouveau monde, qui en sera le résultat et le champ d'application, répondant aux attentes de nos rêves et désirs profonds et authentiques, somptueux, paradisiaque, grandiose et ...réalisable !

Ressources 

Écologie Intérieure Sur le site de Yann Thibaud, on trouvera le programme des stages qu'il anime, des vidéos où il évoque sa démarche dans divers domaines, la présentation des trois ouvrages de la série Écologie Intérieure : La voie du désir, l’Alchimie émotionnelle et Le bonheur de l’Éveil, ainsi que des extraits de ceux-ci.

3ème Millénaire N°117. Automne 2015 : L’Écologie Intérieure 

L'absence de spirituel est un problème, pas l'Islam  Abdennour Bidar. Le Monde

Lettre ouverte au monde musulman. Abdennour Bidar

Dans Le Journal Intégral. Série « Cop21 » : Le Syndrome de Copenhague, Décroissance ou barbarie, L’Écologie Intérieure. 

mardi 24 novembre 2015

Minutes de Silence


Le Mal est ce qui reste, quand on a tout oublié, pour faire l'expérience de l'Irréductible.


Le courage consiste parfois à se taire...

A ne se laisser aller ni à la tentation des mots qui cherchent désespérément à contenir l’émotion, ni à celle des idées qui voudraient rendre intelligible une violence proprement inimaginable.

A ne pas mettre entre soi et l’expérience du gouffre, le voile d’une explication qui - jamais - n’arrivera à saisir la spécificité du Mal : son caractère irréductible.

A ne pas mêler sa voix au chœur de l'impatient et de l'impulsif, afin de faire face à l'incompréhensible c'est à dire ce que l'intellect ne peut appréhender.

A se taire enfin pour écouter en nous le chant de l'indicible, seul à même de ressourcer notre regard en l'approfondissant.

Parce qu'en se heurtant à ses limites, la pensée ne peut saisir l'impensable, elle doit être transcendée dans le lâcher prise. Le courage se transmue alors en acceptation de ce qui est : rester là, vivant, alerte, conscient, unifié et faire tout simplement l’expérience de l’immonde. 

Présence nue partageant la nudité de la perte et de la peur, de l’absence et de l’horreur. 

Témoigner par cette présence du souffle premier de la vie. 

Se contenter d’être là comme le rocher sculpté par le vent du doute et la vague de l'effroi.

Prendre refuge dans l’ineffable avec gratitude. 

Pactiser avec le silence qui en sait plus que nous. 

Considérer notre finitude comme la clé qui ouvre en soi les portes de l’infini. 

Développer ce septième sens qu’est le sens de la limite. 

Congédier les évidences et s’abandonner à chaque souffle pour devenir plus vivant.

S’abstraire du langage pour retourner à la source du verbe. Plonger dans la fragilité à la source de la vie. Conjuguer en soi la présence de l'Un et la puissance de l'Autre.

Faire l'expérience de l'abandon pour être en mesure d'accueillir l’abondance. 

Sentir l’haleine de la mort s’approcher de vous et ne pas la désirer comme on cherche l'oubli.

Ne pas faire aux barbares l'honneur de les haïr : ils n'attendent que cela pour nous enfermer dans leur piège régressif. Ascèse de la non-violence qui mobilise toute notre humanité pour ne pas donner une réponse inhumaine à des actes inhumains. 

"En opposant la haine à la haine, on ne fait que la répandre en surface comme en profondeur." Ainsi parlait Gandhi


Ne pas attendre de résultats. 

Ne rien attendre. Être seulement attentif.

Chercher l’inefficacité maximum pour se libérer de l'emprise technique comme du dogme de la Très Sainte Utilité. 

Ne rien faire du Tout pour que Tout conspire à réaliser votre Intention créatrice.

Ne pas se divertir pour oublier mais se convertir au chant stellaire qui enracine le terrien au Kosmos. 

Il ne s'agit pas de faire son deuil - quelle bêtise !... - mais que le deuil fasse advenir en nous plus que nous-même. 

Prendre la mesure de ce qui est et vivre à son rythme, celui d'une évolution qui transfigure l'origine en mémoire et la mémoire en vision.

Ne rien dire qui puisse attenter à la grâce de l’instant présent. 

Redonner au mystère toute sa place, celle du souverain : miroir infini de notre finitude. Remettre à la sienne l’égo usurpateur qui - au lieu de prendre conscience - se prend pour lui-même : miroir fini de notre infinitude. 

S’impliquer dans ce mystère et attirer à soi, comme un aimant, toutes les explications du monde qui chercheront à nous séduire par leur vérité illusoire avant de nous réduire à un savoir qui finit par déshonorer et profaner tout ce qu’il approche. 

N'être plus rien pour renaître au Tout : telle est l'expérience radicale.

Habiter la présence pour rendre grâce à la simplicité.

S'aimer tel que l'on est et récolter ce que l'on sème.

Ne pas croire tout ce que l’on pense ni penser tout ce que l'on croit. 

Retirer patiemment l’écorce acide de la douleur jusqu’à goûter cette douceur de l'absence qui est celle d'une présence intemporelle.

Cette transcendance inversée qu'est le Mal nous invite à une intensité qui doit être vécue pleinement pour révéler le secret vertical du lâcher prise. 

Dans la souffrance des larmes et le fracas des armes, être à l’écoute et accompagner les formes novatrices que la destruction permet de faire émerger.

Une matrice douloureuse est en train d'accoucher d'un souffle nouveau...


Il ne sera ni entendu ni compris celui qui refuse de parler le langage abstrait du désert, le seul qui soit écouté en ce bas monde où sévissent les savants, les puissants et les fous.

jeudi 12 novembre 2015

L'Ecologie Intérieure


L'écologie extérieure sans écologie intérieure n'est qu'illusion. Denys Rinpoche 

Elena Ray

A l’occasion de la COP 21 qui aura lieu à Paris début décembre, nous proposons une série de billets sur la crise écologique et le moyen d’y faire face à travers une "écologie intégrale" conjuguant sobriété conviviale, mutation culturelle et développement psycho-spirituel. Dans notre dernier billet - Décroissance ou Barbarie - nous évoquions le "contre-sommet" qui aura lieu samedi pour remettre en questions ces grandes messes environnementales où le capitalisme revêt un masque pseudo-écologique pour faire perdurer une dynamique mortifère d'accumulation illimitée, fondée sur la destruction des ressources naturelles comme des liens sociaux et culturels. Il s'agit dès lors de déconstruire le paradigme dominant pour "sortir de l'économie" et "décoloniser les imaginaires" en se libérant de l'emprise du fondamentalisme marchand fondé sur le fétichisme de la marchandise. 

Dans l'avant-dernier billet -  Le Syndrome de Cophenhague - nous analysions le profond déni qui fonde ces rencontres internationales où l’on cherche à résoudre la crise écologique avec le type de pensée technocratique qui l’a générée sans remettre en question ni les modèles dominants, ni les modes de vie et d’organisation socio-économique à l'origine du saccage de la planète au profit des plus riches. A cette occasion nous citions les propos de Denys Rinpoche : " L'écologie extérieure sans écologie intérieure n'est qu'illusion... Intérieur et extérieur sont interdépendants. Sans un changement intérieur de mentalité et de relation, vouloir un changement à l'extérieur est illusoire." 

C'est dans cet esprit que se sont tenus Dimanche 1er Novembre à Paris les "24 heures de méditation pour la Terre" où les représentants de nombreux courants spirituels et religieux, comme des artistes inspirés, ont célébré ensemble la profondeur spirituelle et le caractère sacré de notre relation à la Terre. Plus de 2.000 manifestations sur les cinq continents ont permis à toutes les traditions comme aux inspirations contemporaines de s'associer pour penser et célébrer avec gratitude notre maison commune. Ce grand moment de recueillement et de communion fut l'occasion  d'assister à l'émergence d'une conscience collective animée par l'exigence d'une écologie intérieure. 

Ce n'est pas un hasard si, dans ce même esprit d'intégration, l'’excellente revue "3ème millénaire" consacre son numéro d’automne à cette écologie intérieure sans laquelle toute démarche écologique est condamnée à la bonne conscience et à la mauvaise foi, à l’impuissance comme à l’hypocrisie. Dans ce numéro, Marc Halévy définit ainsi l’écologie intérieure : « En grec, l’Oïkos, c’est ce que l’on habite : sa maison, son milieu, son monde. L’écologie est donc l’étude de ce que l’on habite et des relations que l’on entretient avec lui… On peut parler d’écologie intérieure lorsque la réflexion porte sur ce « dedans » qu’habite, tant bien que mal, la conscience de chacun. ». 

La lecture de ce numéro de "3ème Millénaire" est un contrepoison absolument indispensable à l’anesthésie des consciences obtenue sous hypnose médiatique à la veille de la COP21. Les auteurs proposent des contributions de très grande qualité qui permettent de saisir les nœuds internes – psychologiques, culturels, spirituels – qui sont au cœur de la crise écologique en envisageant les moyens de s'en libérer. Après avoir évoqué la dialectique entre effondrement et refondation, nous proposerons l’éditorial de ce numéro de 3ème Millénaire, intitulé Découvrir nos climats intérieurs, où la présentation des différents articles est l'occasion de mieux percevoir et comprendre ce qu'est l'écologie intérieure dans ses multiples dimensions.

Un spectacle surréaliste 

« C’est un peu surréaliste d’observer ce qui se passe dans les réunions internationales sur le changement climatique. Y a –t-il une seule personne dans ces réunions qui ait vraiment et sincèrement envie de changer quoi que ce soit au système, ou de changer tout court ? S’il y avait une compréhension réelle de la situation, si ces gens étaient normaux, cela ne prendrait pas des années pour des accords de façade, repoussant les objectifs de décennie en décennie pour ne pas avoir à les tenir ! Nos dirigeants ne sont pas intéressés à faire quoi que ce soit, car ils font l’affaire de ceux qui profitent du système, à savoir les prédateurs économiques qui contrôlent vraiment ce qui se passe sur cette terre. Il ne faut donc rien attendre de nos dirigeants. Ni d’ailleurs de personne tant l’état de sommeil dans lequel vit l’humanité est profond. Son réveil est au prix d’un choc de souffrance. Et encore !...

... Qu’est-ce qui manque pour se réveiller ? Apparemment il manque ce qui s’en vient, c’est-à-dire des catastrophes planétaires sur le plan de la santé, financier, économique, social, militaire, etc. On dirait que c’est la seule chose qui manque. Je ne dis pas que c’est nécessaire d’en arriver là mais tant de problèmes se sont accumulés, avec un tel manque de volonté pour les résoudre avec intelligence… Nous élisons des personnes qui ne veulent pas voir qu’il existe un problème fondamental dans notre manière de vivre. Le problème est que les plus grands dormeurs sont nos chefs, aussi le réveil ne peut-il venir du haut de la pyramide. » 

C’est en ces termes d’une glaçante lucidité que Jean Bouchart d’Orval décrit dans ce numéro de "3ème  Millénaire" la situation actuelle de l’humanité face à une crise écologique menaçant notre civilisation d’effondrement et notre espèce de dégénérescence. Dans leur livre intitulé "Comment tout peut d'effondrer ?" Pablo Servigne et Raphaël Stevens arrivent aux mêmes conclusions en synthétisant l’ensemble des données et des alertes scientifiques toujours plus alarmantes : « Être catastrophiste ce n’est ni être pessimiste, ni optimiste, c’est être lucide ».

Le travail très bien documenté de ces deux auteurs s'inscrit dans la continuité de celui de Dennis Meadows (auteur du fameux rapport du Club de Rome en 1960 sur les limites de la croissance)) qui déclairait en 2012 : " Il est trop tard pour le développement durable, il faut se préparer aux chocs et construire dans l'urgence de petits systèmes résilients". Dans un récent billet de blog du journal Le Monde et intitulé Faut-il prendre l'effondrement au sérieux ? Hubert Guillaud répond par la positive en faisant notamment référence à ces deux auteurs qui considèrent l'effondrement comme "une situation inextricable, irréversible et complexe pour laquelle il n'y a pas de solutions, mais juste des mesures à prendre pour s'y adapter." Face à cet effondrement, une stratégie de résilience consisterait notamment à reconstruire des pratiques collectives "que notre société matérialiste et individualiste a méthodiquement et consciencieusement détricotées". Reconstruire du commun c'est exprimer un imaginaire collectif et décolonisé dans lequel se reconnaissent des individus - jusque là dissociés par l'abstraction capitaliste - qui peuvent à nouveau faire société autour d'une nouvelle vision du monde.

L'Art d'habiter ce "dedans" qui est en moi


Face à cette perspective d’effondrement comme au déni des gouvernements, on peut se lamenter en se noyant dans la désespérance, on peut s’entraîner à la survie en milieu hostile ou en abri anti-atomique – pourquoi pas ! – mais on peut aussi réagir de manière active et créative en utilisant ce chaos pour poser les bases d’une refondation à la fois culturelle, spirituelle et sociale où l'écologie intérieure trouve tout naturellement sa place dans le cadre d'une "écologie intégrale". Il existe un lien organique entre le processus de destruction qui se manifeste à travers l’effondrement d’une civilisation et, d'autre part, le processus de création à travers lequel l'émergence de formes novatrices initie une refondation.

En son sens étymologique de révélation, l’Apocalypse n’est rien d’autre que ce processus de destruction créatrice qui articule la révélation du nouveau et la désintégration de l’ancien. Selon Satprem : « Nous avons parfois l’impression, dans l’histoire, que les périodes d’épreuve et de destruction précèdent la naissance d’un monde nouveau, mais c’est peut-être une erreur, peut-être est-ce parce que la semence nouvelle est déjà née que les forces de subversion (ou de déblayage) vont s’acharner. » 

Dans une série de sept billets intitulée Effondrement et Refondation, nous analysions cette dialectique entre l’effondrement d’un modèle technocratique obsolète et l’émergence d’une "écologie intégrale" dans laquelle s'inscrit l'écologie intérieure évoquée par Marc Halévy dans ce numéro de 3ème Millénaire : « Ce vivant relié, connecté et interdépendant que j’appelle « moi » - provisoirement en attendant mieux - est une unité organique complexe, où tout est dans tout, où tout interagit avec tout, où tout est cause et effet de tout, où tout dépend de tout le reste. On appelle cela une unité holistique c’est-à-dire une unité compacte et autonome qui constitue un tout indissociable, réfractaire par essence à toute approche analytique. Pour le dire autrement, ce « moi » est un processus cohésif et cohérent qui évolue dans son monde, en interaction permanente avec lui, porté par une intention de vie et une logique poïétique qui lui sont propres…

L’écologie intérieure est l’art d’habiter ce « dedans » global qui est en moi. Elle commence par la reconstitution de l’unité foncière de ce « moi » que l’on a voulu par obsession analytique cartésienne, saucissonner… C’est vers cela que mène l’écologie intérieure : vers la clarification des structures du monde du « dedans » et leur mise en harmonie avec celles du monde du « dehors ». Pour le dire autrement : chacun porte en lui une vocation et des potentialités intérieures face à une situation et des opportunités extérieures. Mener une « bonne » vie consiste à activer les potentialités intérieures les plus adéquates en vue de réaliser au mieux sa vocation en fonction des opportunités extérieures qu’offre la situation vécue du moment. Se réaliser soi-même en vivant intensément le moment présent : voilà une autre manière de l’exprimer… 


Toute la discipline de l’écologie intérieure vise à réduire cet égo dont la première caractéristique est de vouloir, avec force ruses et turpitudes, prendre toute la place, tant dans le monde extérieur et assujettir tout ce qu’il peut, que dans le monde intérieur où il s’affirme comme meneur de jeu et commandant en chef. Une saine discipline de vie consiste à remettre cet égo vaniteux et arrogant à sa juste place, celle d’un lieu de conscience où se rencontrent le monde extérieur et le monde intérieur. Il n’est qu’un lieu. Rien qu’un lieu. Une place pour la rencontre existentielle du « dedans » et du « dehors ». Une agora en somme. Et on le sait bien, plus ce forum est désencombré, plus les rencontres qui s’y promettent sont simples et fructueuses. Et l’ascèse dont on parle ici, consiste à faire taire l’égo et à l’astreindre à écouter plutôt qu’à pérorer. » 

Preuve d'une convergence de vue qui unit les consciences inspirées, cette analyse de Marc Halévy rejoint celle que Denys Rinpoche, énoncée dans un autre contexte : « Nous projetons nos comportements dans le monde et aussi longtemps que notre fonctionnement interne est fondé sur l'égoïsme, l'avidité et ses passions, nous ne ferons que reproduire, dans notre environnement externe, les mêmes schémas vampiriques, captatifs et destructeurs, les mêmes schémas de violence, et d'agression. L'action sur le monde, sur l'environnement, et l'action sur soi, en son for intérieur sont inséparables. Développer l'harmonie intérieure, ce que l'on nomme quelquefois le chemin spirituel ou mieux, l'approche de la vie sacrée. » 

Découvrir nos climats intérieurs. 3ème Millénaire 

En décembre se tiendra à Paris une importante Conférence de l'ONU où la communauté internationale devrait adopter un nouveau traité pour la protection du climat... Il est incontestable que certains sont et seront convaincus qu'un changement de comportement collectif, national et international doit être apporté à nos vies intimement liées aux climats et aux sursauts planétaires. Les intérêts économiques et l'inertie générale aura cependant raison des apparentes bonnes volontés qui auront cossigné de nouveaux engagements. Car ces derniers, « très en dessous des nécessités écologiques », souligne Jean-Pierre Le Danff, demeurent « l'expression d'une bonne conscience environnementale ... bien plus qu'une réelle volonté d'agir à la hauteur des enjeux ». 

Cette constatation s'appuie sur la connaissance de l'humain que les écopsychologues ont maintenant largement mis en évidence : le déni de réalité que Michel-Maxime Egger évoque ici en termes de « syndrome de Cassandre », ou encore la relation pathogène que Bernard Boisson expose en termes de « coupure homme/nature »... Pour Jean Bouchart d'Orval, le drame, c'est que « nous élisons des personnes qui ne veulent ou ne peuvent pas voir qu'il existe un problème fondamental dans notre manière de vivre », et parmi les individus d'une population « très peu ont la lucidité de se réveiller, c'est-à-dire de voir qu'ils dorment ». 

La difficulté de s'éveiller tient aux « différents obstacles intérieurs » qui « rendent d'autant plus difficile une transformation de nos comportements qu'il existe en chacun de nous une résistance au changement » ajoute Michel-Maxime Egger. Car, constate aussi David Sire, « des mécanismes pervers se mettent en place dans notre vie sans que l'on n'y prenne garde ». C'est cette connaissance des climats intérieurs et des empêchements à les voir dans la tourmente qu'il nous faut mettre en œuvre pour accomplir l'évolution divine entrevue par Teilhard de Chardin

La nécessaire et indispensable approche intérieure de l'écologie est alors évidente ; voie que chacun d'entre nous peut apprendre à découvrir ! Car « c'est surtout en fonction des dangers qui menacent de nous accabler, nous dit Joanna Macy, pionnière de l'écopsychologie, que nous débouchons sur une conscience de soi plus vaste, écologique ». « Puissions-nous rentrer en nous-mêmes, indique-t-elle, afin de dé-couvrir nos véritables racines, dans l'entrelacement biologique de cette exquise planète ». 

Un changement de conscience 

L'écologie nouvelle – l'écosophie – qui émerge, à travers les mouvements présents dans ce numéro, ne repose pas sur la recherche des coupables car, comme le rappelle Bernard Boisson « tout bon psychologue ajoutera que nous ne nous libérerons pas de nos problèmes collectifs en culpabilisant, mais en responsabilisant. Ce pourrait être là d'ailleurs, ajoute-t-il, que nous pourrions voir le rôle des écothérapies ...». L'écosophie ou l'écologie de l'être repose sur une observation méditative de nous-même, sans jugement, sans distinction, sans séparation... 

Par cette approche, Jeff Foster nous fait remarquer que « la souffrance commence là quand on oublie notre véritable nature qui est la présence elle-même, cet espace ouvert et aimant que nous sommes, au sein duquel la respiration est permise, dans lequel toutes les pensées, les émotions et les ressentis ont le droit d'aller et venir ». C'est aussi, nous dit David Sire : « Accepter même la peur qui surgit et plonger en elle. Finalement, c'est l'aimer ! Avoir de la tendresse pour tout ce qui se passe. La tendresse a quelque chose de l'ordre de la maturité, de la quiétude, de la douceur avec soi-même ». 


Pour Armelle Six, « l'écologie commence par cette profonde reconnexion à soi. C'est d'abord et avant tout, être en relation avec soi dans une profonde harmonie ». L'écologie spirituelle, l'écologie intérieure, est, nous dit Yann Thibaud, « cette nouvelle culture » qui « mettra définitivement fin à la guerre contre soi, cette attitude masochiste issue des religions patriarcales désormais obsolètes, consistant à torturer son corps, à nier ses désirs et sa sexualité, à faire taire ses émotions, à s'interdire de penser librement et à singer niaisement des modèles stéréotypés de piété et de vertu ». Cette nouvelle culture naîtra avec « la méditation », ajoute-t-il, qui « n'est donc rien d'autre que la vie même, consciemment vécue ; et c'est cette qualité d'attention envers soi et le monde, qui rendra possible la venue spontanée d'épisodes d'expansion de conscience, qui constituent l'objet et la raison d'être de toute spiritualité authentique ».

Marc Halévy préconise ici la discipline de l'humilité qui consiste à « juste reconnaître que l'homme doit diminuer pour que la Nature et le Réel puissent augmenter. Juste savoir que l'ego doit se vider de ses leurres et de ses mensonges afin de laisser la place nette pour la rencontre du “dedans” et du “dehors” ». Car dans l'esprit des traditions mystiques et spirituelles, que la nouvelle culture ressuscite de l'oubli, « la “bonne” vie, précise Marc Halévy, consiste à harmoniser, en permanence, l'évolution du monde du “dedans” – son intériorité – et celle du monde du “dehors” – son extériorité ». 

Vers une impersonnelle globalité

Qu'est-ce que la globalité dont nous sommes partie prenante ?... Dominique Casterman nous fait remarquer que « sans la Conscience vécue de l'unité humaine, planétaire et cosmique, le moi personnel occupe psychologiquement toute la place. Dès lors, rien de surprenant que l'action humaine, isolée du contexte global, devient rapidement conflictuelle et souvent foncièrement égoïste quand ce n'est pas, pire encore, le fanatisme qui l'emporte ». 

Bernard Boisson aborde la possibilité d'une « écopsychologie non-anthropocentrique » ouvrant « nos consciences à des sentiments de nature hors cadre de la psychologie courante », tel le « sentiment océanique qui a fait l'objet d'une vive correspondance entre Romain Rolland et Sigmund Freud ». C'est paradoxalement en tant qu'individu (indivisible) que nous pouvons découvrir la dimension impersonnelle de la conscience : le Soi. Pour le moine Gojo, cela « implique que nous partageons tous la même Conscience, qu'en essence, nous sommes tous un ». 

Évidemment, aucun discours, aucune moralisation des faits, ne peut nous conduire à l'unité, au Soi ; ce que relève Joanna Macy, inspirée par l'écologie profonde (Deep Ecology) du philosophe Arne Naess : « Une chose que j'aime dans le Soi du monde est qu'il rend non pertinente l'exhortation morale. Le sermon est à la fois ennuyeux et inefficace ». Le problème est très ancré dans la nature humaine, l'ego. La personne que nous croyons et affirmons être, socialement, politiquement, économiquement,... aussi vulnérable et mortelle soit-elle, maintient et entretient le cauchemar collectif... 

Jean Bouchart d'Orval souligne que tant qu'un individu « se prend pour un personnage, il ne remettra pas en question son monde, celui dans lequel il rêve ». L'illusion d'être une personne plutôt que d'Être ne permet aucun enracinement planétaire, aucune Conscience écologique véritable. Dans les termes d'Armelle Six : « lorsque nous croyons être une personne merveilleuse qui a réussi, grande, belle, socialement développée ou apte, peu importe, ou que nous soyons la pire chose qui soit sur cette terre, c'est la même chose ! » Joanna Macy montre que « la science du XXe siècle remet en question la notion d'un soi séparé du monde qu'il observe et sur lequel il agit », car « comme le disent les théoriciens des systèmes : il n'y a pas de catégorie du “je” en opposition à une catégorie du “tu” ou du “ça” ». 

« L'écologie, déclare Armelle Six, c'est le bonheur et l'amour, dans l'arrêt de toutes les comparaisons qui ne mènent nulle part, parce que nous sommes déjà parfaits comme tel que nous sommes, parce que nous sommes l'extension de la Source ». La Conscience écologique est notre propre intériorité, notre vraie nature. Elle relie spirituellement, psychologiquement et physiquement l'humanité à ses racines planétaires – ce qu'a incontestablement vécu ce précurseur que fut Henry Thoreau. Par une approche méditative, la planète “extérieure” se découvre être la manifestation de la Vie et de l'Esprit. Dans l'approche méditative, la Terre, Gaïa, n'est plus un simple concept, c'est l'entité que nous habitons corps et âme.

Table des Matières de la revue 3e Millénaire consacrée à l'écologie intérieure 

Marc Halévy : Qu’est-ce que l’écologie intérieure ? - Le moine Gojo : Le fondement de l’écologie intérieure - Bernard Boisson : « L’écopsychologie » : le défi à la vivre - Joanna Macy : Pour reverdir l’être - Michel Maxime Egger : Réchauffement climatique : vaincre la tentation du déni - Jean-Pierre Le Danff : L’émerveillement : l’ultime voie - Yann Thibaud : L’écologie intérieure ou la fin du combat contre soi - Armelle Six : Donner c’est recevoir - David Sire : Le mouvement de la vie - Jeff Foster : L’Acceptation - Dominique Casterman : Rien n’est séparé - Jean Bouchart d’Orval : Céder devant la réalité - Documents : Henri Thoreau : L’âme de la Terre - Teilhard de Chardin : Aux origines de Gaïa - Portfolio : Photographies de Elena Ray - Méditation avec Marianne Dubois - BD : Anna Guégan : Soleil noir. N. Céliolisa : Écolo-je 

Ressources 


Plusieurs vidéos passionnantes où s'expriment certains auteurs des articles ci-dessus constituent les suppléments du  N°117 consacré à l'écologie intérieure par la revue 3e Millénaire.

Écologie et Vie sacrée   Entretien avec le Lama Denys Teundroup sur le site Demain l'Homme

24 h de méditation pour la Terre  1/11/2105

Comment tout peut s’effondrer ? de Pablo Servigne et Raphaël Stevens.

Nous sommes en train de vivre une mosaïque d'effondrements Entretien de Paolo Servigne et Rapahel Stevens avec Bastamag.

Faut-il prendre l'effondrement au sérieux ?  Hubert Guillaud. Blog Internet Actu

Soigner l'esprit, guérir la Terre. Michel Maxime Egger. Un livre de référence qui propose une introduction à l'écopsychologie.

L'écopsychologie  Site de Jean Pierre Le Danff

Trilogies, entre le cosmique, l'humain et le divin. Site de Michel Maxime Egger. De nombreux articles intéressants sur l'écologie intérieure et l'écopsychologie.

Roseaux Dansants a pour but la diffusion du Travail qui Relie, méthode de Joanna Macy, en payx francophones.

Écologie, écopsychologie et philosophie organique  Blog de Mohammed Taleb

Site de Marc Halévy  Noétique. Expertise et prospective dans le monde réel. 

Nature primordiale  Bernard Boisson