Chaque vie humaine est un terrain de Je entre deux enfants : l’enfantaisie qui l’enchante et l’enfantôme qui la hante.
L'enfantaisie c'est l'innocence enfantine, née d'une relation immédiate et créatrice à l'autre et au monde.
L'enfantôme c'est la perversité infantile qui cherche à instrumentaliser l'autre pour satisfaire les fantasmes d'une toute puissance archaïque dont le rôle est de compenser un état de dépendance, absolu dans le cas du nourrisson et vital dans celui de l'enfant.
Ce qui transforme un enfant tout-puissant en adulte conscient et responsable c'est la reconnaissance de sa fragilité, de ses manques et de ses limitations. Cette reconnaissance passe par deux désillusions nécessaires.
La première, au moment de l'adolescence, où l’on comprend que son propre père n’est pas un dieu. La seconde au moment de la maturité où l’on comprend que Dieu, le Tout Puissant, est un papa de rechange sur lequel on projette, de manière idolâtre, ses fantasmes infantiles d’omniscience et d’omnipotence.
On quitte alors définitivement les rives archaïques du fétichisme, de l'idolâtrie et de la superstition pour entrer dans l'âge adulte : celui de l'angoisse qui conduit au questionnement, du manque qui aspire à la plénitude, de la ferveur qui naît de l'enthousiasme créateur et de la paix qui provient du lâcher prise.
La quête spirituelle peut alors commencer.
On devient véritablement adulte en distinguant la perversité infantile de l'innocence enfantine, en se libérant de l'emprise qu'une toute puissance archaïque exerce sur notre psyché et en intégrant l'innocence créatrice comme guide intérieur dans notre chemin d'évolution. Car l'innocence enfantine est cette force de conversion intérieure capable de transfigurer poétiquement le monde, là où l'infantilisme est force de perversion qui réduit le monde et les autres à des objets au service de sa jouissance. Fixés de manière névrotique à l'état infantile, le pervers instrumentalise l'innocence pour satisfaire ses fantasmes de toute puissance.
C’est ainsi que notre société de consommation prend les airs innocents du bonheur publicitaire pour imposer son emprise mercantile. En manipulant les fantasmes archaïques, médias et publicité induisent une régression généralisée qui suscite une relation de dépendance/soumission à la marchandise.
Si beaucoup de personnes étouffent en eux la voix de l'enfant, c'est qu'elles ont peur d'affronter l'infantilisme archaïque qui la sous-tend. Ne sachant différencier l'enfantin et l'infantile, elles laissent mourir leur enfant intérieur en le privant de ces nourritures psychiques et spirituelles qui alimentent cet état de grâce qu'est l'innocence.
La confusion entre les dimensions de l'enfantin et de l'infantile est l'illustration, sur le plan de la psyché, de ce que Ken Wilber nomme, à un niveau plus général, l'erreur pré-trans qui est un des apports les plus importants de la théorie intégrale. L'erreur pré-trans est celle que l'on commet en confondant les états de conscience pré-personnels, ceux qui qui préexistent à l'émergence de la conscience personnelle et rationnelle, avec les états transpersonnels qui incluent et transcendent ces derniers. Faute d'une cartographie précise des divers stades évolutifs de la conscience, on se met à confondre les états pré-personnels et transpersonnels au prétexte qu'ils sont situés, les uns et les autres, hors de la sphère des états de conscience individuels et rationnels considérés comme normaux dans notre culture. On peut alors réduire tous les états transpersonnels à des états pré-personnels, comme le font les freudiens, ou prendre, comme le font les jungiens, les états fusionnels pré-individuels pour des états transpersonnels. Le modèle des stades évolutifs proposé par Ken Wilber est un large spectre pluridimensionnel composé d'états prépersonnels, personnels et transpersonnels. Il permet de distinguer ce qui est du domaine des fantasmes infantiles de l'enfantôme , liés aus stades pré-personnels, et ce qui est du domaine du génie inspiré de l'enfantaisie, lié aux stades transpersonnels.
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