Changer, c’est d’abord changer de point de vue. J.B Pontalis
Lundi 19 Septembre, lors de sa treizième session, l’Université Intégrale a été le théâtre d’un impressionnant dialogue entre deux penseurs visionnaires de l’économie et de la monnaie, Bernard Lietaer et Patrick Viveret, autour du thème : « La monnaie, yin et yang de l'économie ? ».
On peut voir ici la vidéo de la conférence de Bernard Lietaer dont le titre Au cœur de la monnaie reprenait celui de son dernier livre dont nous avons parlé dans un billet précédent. Intitulé La résilience face à la crise financière, on peut voir ici la vidéo de la conférence de Patrick Viveret.
Valeurs qualitatives et valeur quantitative
Loin de l’idéologie dominante qui consiste à réduire l’économie et la monnaie à une dimension purement abstraite et instrumentale, les travaux de ces deux chercheurs montrent à quel point l’organisation économique et monétaire des sociétés est le reflet des croyances et des émotions collectives.
La valeur économique et monétaire renvoie toujours à une intersubjectivité émotionnelle et culturelle fondée sur des valeurs collectives et qualitatives. Quand ces valeurs collectives ne sont plus adaptées à l’évolution du contexte historique et technologique ainsi qu’aux conditions de vie des sociétés, elles s’effondrent, entraînant de ce fait l’écroulement des valeurs monétaires qui en étaient la traduction économique.
A ce cycle de dégénérescence correspond l’émergence régénératrice de nouvelles formes culturelles et sociales, économiques et monétaires, adaptées à un nouveau stade évolutif.
Un modèle mécaniste
Inspirée par les méthodes de la science expérimentale, la psychologie naissante au dix-neuvième siècle décrivait un sujet libre, rationnel et volontaire, dont les comportements pouvaient être observés et mesurés. La science économique s’est construite autour de cet individu abstrait et autonome.
En appliquant aux flux économiques une grille d’observation et d’interprétation adaptée aux phénomènes matériels, la science économique a plaqué un modèle mécaniste sur la complexité dynamique et multidimensionnelle des échanges qui sont au cœur de l’organisation socio-économique.
Elle en est ainsi venue à dénier les valeurs qualitatives et collectives qui fondent la valeur monétaire pour promouvoir un ensemble de procédures techniques liées à des abstractions formelles ainsi qu'à des modèles mathématiques et statistiques qui n’ont plus grand-chose à voir avec la vie concrète, la profondeur et le mouvement des sociétés.
Une idéologie dominante
Face au réductionnisme psychologique sont apparus avec Freud et Jung les représentants d’une « psychologie des profondeurs » qui appréhendait les dynamiques inconscientes de la psyché, puis, à partir des années 60, les tenants d’une approche systémique et ceux d’une psychologie transpersonnelle prenant en compte les champs relationnels et supérieurs de la psyché. Toutes ces démarches remettaient en question l’individu autonome en démontrant qu’il était traversé et déterminé par des dynamiques à la fois inconscientes et transpersonnelles, familiales et sociales.
Si, au cours du vingtième siècle, la psychologie a progressivement évolué en prenant en compte les diverses facettes de la personnalité, l’économie, par contre, a peu bougé : son individualisme méthodologique lui a permis de se constituer en idéologie dominante d’une société de plus en plus mercantile qui trouvait en elle une rationalisation de son productivisme et une justification de son consumérisme.
Il ne faut donc pas s’étonner que, dans nos sociétés libérales où cette science économique est le modèle d’interprétation dominant, l’homme soit devenu une simple variable d’ajustement de logiques comptables fondées sur le profit financier et le déni des relations humaines.
Economie psychique, symbolique et monétaire.
Un certain nombre de penseurs en sciences sociales et en économie remettent en cause cet individualisme méthodologique et le réductionnisme épistémologique qui le sous-tend. Représentatif de ce courant de pensée, le M.a.u.s.s – Mouvement anti-utilitaire en sciences sociales – regroupe des chercheurs transdisciplinaires qui réactualisent l’économie traditionnelle du don explorée par Marcel Mauss.
C’est ainsi qu’on assiste à l’émergence d’une véritable « économie des profondeurs » qui ne se limite pas à l’observation superficielle des comportements individuels mais qui rend compte des dynamiques collectives et culturelles qui animent en profondeur les sociétés humaines comme les individus.
Cette « économie des profondeurs » met en rapport et en correspondance l’économie psychique des archétypes et des dynamiques qui déterminent la conscience collective et les comportements individuels, l’économie symbolique de l’imaginaire collectif et des représentations culturelles, ainsi que l’organisation économique et monétaire des sociétés.
Il existe une relation systémique entre les économies psychique, symbolique et monétaire et il s’agit de saisir les interactions entre toutes ses dimensions qui sont les expressions diversifiées d’une même « vision du monde » inspiré par l’esprit du temps. Ce système synchrone est lui-même la manifestation à un moment donné d’une dynamique évolutive qui se déploie à travers des stades successifs de complexité et d’intégration croissants.
Une profondeur diachronique et systémique
La profondeur dont il est question dans « l’économie des profondeurs » est celle qui perçoit la dimension systémique liant toutes les expressions psychique, symbolique et monétaire de l’économie à un moment donné. Elle est ensuite capable de replacer ce système dans la dynamique évolutive qui est à l’origine de la formation des divers systèmes économiques dans le temps.
L’"économie des profondeurs" est à la fois synchronique et diachronique : elle perçoit chaque système économique comme la manifestation historique d’une dynamique évolutive. Cette connaissance permet ainsi d'anticiper et de participer à la création des nouvelles formes économiques et monétaires à travers laquelle se manifeste cette dynamique.
Comme Christian Arnsperger dans son Ethique de l’existence post-capitaliste, Patrick Viveret et Bernard Lietaer sont des pionniers de cette "économie des profondeurs". Ils utilisent leur solide formation économique et professionnelle pour subvertir et dépasser la pensée dominante en interprétant l’histoire économique et la crise du capitalisme en terme de civilisation et de psychologie collective, de culture et de spiritualité.
Le défi est grand. A partir d’une démarche transdisciplinaire et d’une vision intégrale, il s’agit d’inventer une pensée économique correspondant au nouveau stade évolutif et capable de prendre en compte toutes les dimensions, individuelles et collectives, culturelles et organisationnelles, à travers lesquelles s’effectuent cette gestion des ressources et cet échange des richesses qu’est l’économie.
Remettre l’économie à sa place
Cette vision globale s’émancipe du réductionnisme dominant en remettant l’économie à la place qui devrait être la sienne dans le réseau de relations complexes et dynamiques que l’homme entretient avec les divers milieux - social, culturel et naturel - où il évolue. Elle fait descendre l’économie du ciel abstrait des idées, des mesures et des équations financières dans lequel la confine un modèle inapte à saisir la dynamique qualitative des sociétés.
Ce faisant elle redonne à l’économie le visage concret d’un échange situé dans un vaste contexte relationnel et symbolique, évolutif et multidimensionnel. Cette subversion du discours dominant et son dépassement ouvre des pistes très riches pour la création d’un nouveau logiciel économique et monétaire indispensable à l’avènement de sociétés post-capitalistes.
Un Grand Merci à toute l’équipe bénévole de l’Université Intégrale pour nous permettre de participer – en direct ou sur la toile, dans divers pays – à de tels débats qui ouvrent des perspectives novatrices en mobilisant en nous cette force vitale et créatrice seule à même de répondre aux défis d’un nouveau monde à inventer sur les ruines de l’ancien en train de s’écrouler...
Lundi 19 Septembre, lors de sa treizième session, l’Université Intégrale a été le théâtre d’un impressionnant dialogue entre deux penseurs visionnaires de l’économie et de la monnaie, Bernard Lietaer et Patrick Viveret, autour du thème : « La monnaie, yin et yang de l'économie ? ».
On peut voir ici la vidéo de la conférence de Bernard Lietaer dont le titre Au cœur de la monnaie reprenait celui de son dernier livre dont nous avons parlé dans un billet précédent. Intitulé La résilience face à la crise financière, on peut voir ici la vidéo de la conférence de Patrick Viveret.
Valeurs qualitatives et valeur quantitative
Loin de l’idéologie dominante qui consiste à réduire l’économie et la monnaie à une dimension purement abstraite et instrumentale, les travaux de ces deux chercheurs montrent à quel point l’organisation économique et monétaire des sociétés est le reflet des croyances et des émotions collectives.
La valeur économique et monétaire renvoie toujours à une intersubjectivité émotionnelle et culturelle fondée sur des valeurs collectives et qualitatives. Quand ces valeurs collectives ne sont plus adaptées à l’évolution du contexte historique et technologique ainsi qu’aux conditions de vie des sociétés, elles s’effondrent, entraînant de ce fait l’écroulement des valeurs monétaires qui en étaient la traduction économique.
A ce cycle de dégénérescence correspond l’émergence régénératrice de nouvelles formes culturelles et sociales, économiques et monétaires, adaptées à un nouveau stade évolutif.
Un modèle mécaniste
Inspirée par les méthodes de la science expérimentale, la psychologie naissante au dix-neuvième siècle décrivait un sujet libre, rationnel et volontaire, dont les comportements pouvaient être observés et mesurés. La science économique s’est construite autour de cet individu abstrait et autonome.
En appliquant aux flux économiques une grille d’observation et d’interprétation adaptée aux phénomènes matériels, la science économique a plaqué un modèle mécaniste sur la complexité dynamique et multidimensionnelle des échanges qui sont au cœur de l’organisation socio-économique.
Elle en est ainsi venue à dénier les valeurs qualitatives et collectives qui fondent la valeur monétaire pour promouvoir un ensemble de procédures techniques liées à des abstractions formelles ainsi qu'à des modèles mathématiques et statistiques qui n’ont plus grand-chose à voir avec la vie concrète, la profondeur et le mouvement des sociétés.
Une idéologie dominante
Face au réductionnisme psychologique sont apparus avec Freud et Jung les représentants d’une « psychologie des profondeurs » qui appréhendait les dynamiques inconscientes de la psyché, puis, à partir des années 60, les tenants d’une approche systémique et ceux d’une psychologie transpersonnelle prenant en compte les champs relationnels et supérieurs de la psyché. Toutes ces démarches remettaient en question l’individu autonome en démontrant qu’il était traversé et déterminé par des dynamiques à la fois inconscientes et transpersonnelles, familiales et sociales.
Si, au cours du vingtième siècle, la psychologie a progressivement évolué en prenant en compte les diverses facettes de la personnalité, l’économie, par contre, a peu bougé : son individualisme méthodologique lui a permis de se constituer en idéologie dominante d’une société de plus en plus mercantile qui trouvait en elle une rationalisation de son productivisme et une justification de son consumérisme.
Il ne faut donc pas s’étonner que, dans nos sociétés libérales où cette science économique est le modèle d’interprétation dominant, l’homme soit devenu une simple variable d’ajustement de logiques comptables fondées sur le profit financier et le déni des relations humaines.
Economie psychique, symbolique et monétaire.
Un certain nombre de penseurs en sciences sociales et en économie remettent en cause cet individualisme méthodologique et le réductionnisme épistémologique qui le sous-tend. Représentatif de ce courant de pensée, le M.a.u.s.s – Mouvement anti-utilitaire en sciences sociales – regroupe des chercheurs transdisciplinaires qui réactualisent l’économie traditionnelle du don explorée par Marcel Mauss.
C’est ainsi qu’on assiste à l’émergence d’une véritable « économie des profondeurs » qui ne se limite pas à l’observation superficielle des comportements individuels mais qui rend compte des dynamiques collectives et culturelles qui animent en profondeur les sociétés humaines comme les individus.
Cette « économie des profondeurs » met en rapport et en correspondance l’économie psychique des archétypes et des dynamiques qui déterminent la conscience collective et les comportements individuels, l’économie symbolique de l’imaginaire collectif et des représentations culturelles, ainsi que l’organisation économique et monétaire des sociétés.
Il existe une relation systémique entre les économies psychique, symbolique et monétaire et il s’agit de saisir les interactions entre toutes ses dimensions qui sont les expressions diversifiées d’une même « vision du monde » inspiré par l’esprit du temps. Ce système synchrone est lui-même la manifestation à un moment donné d’une dynamique évolutive qui se déploie à travers des stades successifs de complexité et d’intégration croissants.
Une profondeur diachronique et systémique
La profondeur dont il est question dans « l’économie des profondeurs » est celle qui perçoit la dimension systémique liant toutes les expressions psychique, symbolique et monétaire de l’économie à un moment donné. Elle est ensuite capable de replacer ce système dans la dynamique évolutive qui est à l’origine de la formation des divers systèmes économiques dans le temps.
L’"économie des profondeurs" est à la fois synchronique et diachronique : elle perçoit chaque système économique comme la manifestation historique d’une dynamique évolutive. Cette connaissance permet ainsi d'anticiper et de participer à la création des nouvelles formes économiques et monétaires à travers laquelle se manifeste cette dynamique.
Comme Christian Arnsperger dans son Ethique de l’existence post-capitaliste, Patrick Viveret et Bernard Lietaer sont des pionniers de cette "économie des profondeurs". Ils utilisent leur solide formation économique et professionnelle pour subvertir et dépasser la pensée dominante en interprétant l’histoire économique et la crise du capitalisme en terme de civilisation et de psychologie collective, de culture et de spiritualité.
Le défi est grand. A partir d’une démarche transdisciplinaire et d’une vision intégrale, il s’agit d’inventer une pensée économique correspondant au nouveau stade évolutif et capable de prendre en compte toutes les dimensions, individuelles et collectives, culturelles et organisationnelles, à travers lesquelles s’effectuent cette gestion des ressources et cet échange des richesses qu’est l’économie.
Remettre l’économie à sa place
Cette vision globale s’émancipe du réductionnisme dominant en remettant l’économie à la place qui devrait être la sienne dans le réseau de relations complexes et dynamiques que l’homme entretient avec les divers milieux - social, culturel et naturel - où il évolue. Elle fait descendre l’économie du ciel abstrait des idées, des mesures et des équations financières dans lequel la confine un modèle inapte à saisir la dynamique qualitative des sociétés.
Ce faisant elle redonne à l’économie le visage concret d’un échange situé dans un vaste contexte relationnel et symbolique, évolutif et multidimensionnel. Cette subversion du discours dominant et son dépassement ouvre des pistes très riches pour la création d’un nouveau logiciel économique et monétaire indispensable à l’avènement de sociétés post-capitalistes.
Un Grand Merci à toute l’équipe bénévole de l’Université Intégrale pour nous permettre de participer – en direct ou sur la toile, dans divers pays – à de tels débats qui ouvrent des perspectives novatrices en mobilisant en nous cette force vitale et créatrice seule à même de répondre aux défis d’un nouveau monde à inventer sur les ruines de l’ancien en train de s’écrouler...
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