L’intuition est un don sacré et la raison, une fidèle servante. Nous avons crée une société qui honore la servante en oubliant le don. Albert Einstein
A travers cette phrase, Albert Einstein pose, de manière synthétique, le problème essentiel auquel notre civilisation se trouve confrontée : l’hégémonie d’une rationalité abstraite enfermant la conscience humaine dans un modèle technocratique qui la coupe d’une participation intuitive au flux créateur et évolutif de la vie/esprit.
Le déni contemporain de l’intuition conduit à une profonde régression : notre culture abstraite identifie la conscience au mental et le mental à la satisfaction des intérêts égoïstes. Dans une telle société, l’économie devient tout naturellement le modèle d’interprétation dominant qui réduit l’homme à la figure abstraite de calculateur égoïste.
Mais ce modèle technocratique est saturé. Il n’est plus adapté à l’ère qui vient : celle de l’information et de l’interconnexion fondée sur l'immédiateté et d'où émergent de nouvelles formes de sensibilité, de pensée et d'organisation. L'ancien modèle s’effondre à travers une crise systémique qui est, en fait, une crise évolutive : à cet effondrement correspond l’émergence d’un nouveau modèle adapté au prochain stade évolutif où l’intuition retrouve toute sa place.
Le paradigme émergent associe intuition holiste et raison instrumentale en redonnant à la première sa fonction prééminente et en remettant la seconde à sa place qui est celle d’un moyen au service d’une finalité qui la transcende.
Cette série de billets intitulée La voie de l’intuition explore quelques uns des multiples visages de l’intuition et les rapports que celle-ci entretient avec la raison, la création et l’évolution tant sociale que spirituelle.
Un regard intérieur
La conscience - tel Janus - possède deux faces. L’une, immédiate, liée à l’intériorité : c’est l’intuition qui fonctionne sur le mode d’un « regard intérieur », puisque tel est le sens de in-tueri, son étymologie latine. L’autre, instrumentale et utilitaire : c’est la rationalité qui, pour adapter l’homme à son environnement, fonctionne sur le mode d’une formalisation logique et abstraite.
Notre culture moderne déteste tout ce qui n’est pas réductible à une définition conceptuelle. Mais vouloir définir l’intuition c’est la réduire à une de ses multiples expressions qui appartiennent à un vaste spectre de phénomènes allant de l’inspiration visionnaire à l’instinct en passant par toutes les dimensions – corporelle, émotionnelle, intellectuelle, créatrice et spirituelle – de l’être humain.
Ce qui fait justement la spécificité de l’intuition, c’est qu’elle est irréductible : impossible de réduire ce « regard intérieur » à une de ses manifestations puisque, se situant toujours au-delà, il les transcende tous.
Le fil et le flux
L’intuition apparaît comme la voix d’un mystère qui dépasse nos facultés de raisonnement. Pour se familiariser avec elle, il faut donc quitter le terrain objectif du phénomène ou celui abstrait du concept pour rejoindre le sien, celui d'une expérience subjective véhiculée à travers le langage poétique de l’analogie et de la métaphore.
Dans l’expérience vécue par les créateurs, les visionnaires et les mystiques, l’intuition est décrite notamment comme un flux et une source, une voix et un fil. Un fil ténu et fragile qui conduit la conscience à une dimension supérieure où elle participe à l’ordre interne qui sous-tend l’univers physique et dont celui-ci est une manifestation matérielle.
Un flux qui s’exprime à travers toutes les dimensions de l’être humain – sensations, émotions et conceptions – comme un même courant d’énergie, connecté à cette force évolutive et créatrice qui anime aussi bien le microcosme humain que le macrocosme universel.
Comme l’écrit le philosophe André Lalande : « Le discours ne crée rien par lui même, il n'est qu'un moyen de transport, un canal conduisant l'eau d'une source. Notre force, pour la connaissance, est toute dans l'intuition, et notre faiblesse dans la nécessité de prouver médiatement ce dont la vérité ne s'impose pas d'elle même ». (Les raisons et les normes)
En quittant la terre statique des concepts pour entrer dans le flux vivant des relations, l’intuition libère la conscience des limites individuelles et des logiques formelles pour participer à la dynamique associative et intégrative de la vie/esprit. L’intuition dévoile l’unité organique qui relie la subjectivité à ses objets d’attention et les deux à une même source qui est celle de l’Esprit.
Henri Bergson faisait de l’intuition la pierre de touche de sa pensée évolutionniste. Dans La pensée et le mouvant, il écrit : « Un absolu ne saurait être donné que dans une intuition ... nous appelons ici intuition la sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent d'inexprimable ».
Une connaissance immédiate
Toutes les traditions, à travers l’histoire, font part des mêmes expériences intuitives vécues comme un mode de connaissance immédiat qui pénètre la profondeur du réel en participant intimement à la continuité indivisible de la vie intérieure. Chaque tradition a développé ses propres rituels et ses méthodes pour se relier à l’intuition et pour la développer, notamment à travers des états d’expansion de conscience.
Ami de Teilhard de Chardin et de Bergson, Edouard Le Roy écrit ceci : « Ce qui caractérise avant tout l'intuition, c'est d'être une connaissance antérieure parfois, en tout cas supérieure à l'analyse, à la réflexion abstractive, une connaissance transcendante au discours, source plutôt que résultat du discours, une connaissance enfin qui se justifie rien qu'en se présentant, qui porte son évidence avec soi. » (La Pensée intuitive)
Liée à l’hémisphère droit du cerveau qui perçoit les relations et les ensembles, l’intuition est cette faculté qui permet à la conscience de se connecter à la force créatrice de la vie/esprit et qui exprime cette force à travers une forme symbolique et/ou esthétique qui la contient et la manifeste en même temps.
Cette forme n’est pas rationnelle mais opérationnelle, c'est-à-dire qu’elle opère dans la conscience une connexion avec le flux de l’intuition créatrice qui l’a générée. Les clés de cette pensée opérationnelle sont transmises à travers des traditions herméneutiques propres à chaque culture.
Une représentation abstraite
Alors que l’intuition relève d’une résonance intérieure qui perçoit de manière immédiate, globale et dynamique, le mental est à l’origine d’un raisonnement qui - via un processus d’abstraction intellectuelle - sépare, analyse et objective dans le but de l’action. Bergson a bien montré comment l’intelligence humaine advient, durant le long processus de l’évolution, comme un outil au service de la vie. Selon lui, la faculté de comprendre apparaît dès lors comme une annexe de la faculté d’agir :
« De là devrait résulter cette conséquence que notre intelligence, au sens étroit du mot, est destinée à assurer l'insertion parfaite de notre corps dans son milieu, à se représenter le rapport des choses extérieures entre elles, enfin à penser la matière... La nature a doté l'homme d'une intelligence fabricatrice. Au lieu de lui fournir des instruments, comme elle l'a fait pour bon nombre d'espèces animales, elle a préféré qu'il les construisît lui-même ».
Ce que la rationalité nous donne à voir ce n’est pas l’homme ou la nature mais une représentation abstraite de ceux-ci en vue de l’action. La logique distinctive, abstraite et linéaire, liée à l'hémisphère gauche du cerveau, permet de classer et de contextualiser l'information. Cette formalisation logique et conceptuelle destinée à l’action construit un rapport d’objectivation instrumentale avec le milieu que celui-ci soit naturel ou social.
Deux visions du monde
Ces deux modes de connaissance que sont l’intuition et la raison donnent naissance à deux visions du monde : la vision holiste de la résonance intuitive et la vision analytique du raisonnement abstrait.
L’intuition implique la subjectivité dans la connaissance de son milieu d’évolution. Elle inspire une vision holiste qui fut celle des traditions, fondée sur la participation intime du microcosme humain à un macrocosme universel dont il se sent partie intégrante. Cette participation intuitive est initiatique : elle à l'origine d'un processus d'universalisation à partir duquel la conscience évolue à travers divers stades évolutifs de profondeur et d'intégration croissante.
Fondée, quant à elle, sur une approche objective qui met une distance abstraite entre la conscience et ses objets d’attention, la rationalité est explicative : elle analyse une totalité en séparant de manière abstraite ses éléments. La raison inspire une vision du monde - l'universalisme abstrait - qui fait la promotion d'un individu autonome et rationnel, désaffilié de toutes ses appartenances culturelles, sociales et spirituelles.
Un coup d’état d’esprit
A partir de la Renaissance, la modernité émerge en tant que nouveau stade de l’évolution culturelle qui s’émancipe de la vision traditionnelle pour promouvoir les valeurs de la raison, de l’individu et du progrès.
La modernité est marquée par le développement progressif de la raison instrumentale auquel correspond la dévaluation graduelle de l’intuition. Durant le dix-septième et dix-huitième, intuition holiste et raison analytique ont tendance à s’équilibrer dans une synthèse novatrice qui inspire la philosophie des Lumières jusqu’au moment où s’opère, au cours du dix-neuvième siècle, un véritable coup d’état d’esprit : la raison instrumentale usurpe le pouvoir souverain de l’intuition.
A l’origine de cette usurpation, l’hypostase de la raison crée le rationalisme : une hégémonie de la rationalité instrumentale produite par le déni et/ou la diabolisation d’une intuition caricaturée et stigmatisée sous la forme de l’irrationnel.Fondée sur la séparation et l’abstraction, la raison - devenue autonome - crée un univers unidimensionel à son image où la relation, la profondeur et le mouvement disparaissent au profit d’une vision instrumentale et objective, à la fois mécanique et technocratique.
Conséquence de ce coup d'état d'esprit : la société technocratique où nous vivons pourrait être définie comme la tyrannie des moyens sur les finalités qui les transcendent.Placé sous la tutelle d’un rationalisme abstrait, l’homme moderne est infantilisé, réifié, castré de son potentiel créateur, incapable de donner un sens à sa vie et de donner vie à une existence fantomatique, devenue totalement insensée. Dès lors que l'individu perd le sens de l'orientation existentielle, son autonomie se transforme en automatisme régi par le jeu compulsif des pulsions narcissiques et des intérêts égoïstes. Le processus évolutif de l'individuation se pervertit en individualisme régressif.
Un nouveau mode de pensée
Les impasses de notre société technocratiques sont celles d’une science sans conscience qui, elle-même, est la conséquence d’une conscience déconnectée de la source vivifiante et créatrice de l’intuition. L’émergence impérative d’une autre forme de pensée est indispensable pour sortir de ces impasses. La crise évolutive que nous vivons correspond à la fin de l’ère économique et à l’émergence d’un autre modèle qui inspire un nouveau mode de pensée.
Pour Einstein : " La puissance déchaînée de l'homme a tout changé, sauf nos modes de pensées et nous glissons vers une catastrophe sans précédent... Il devient indispensable que l'humanité formule un nouveau mode de pensée si elle veut survivre et atteindre un plan plus élevé ". Cette pensée novatrice nécessite de changer de niveau de conscience car, selon lui, "aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l'a engendré ".
Ce changement évolutif implique l’inversion des rapports entre raison et intuition. Se libérer de la tyrannie technocratique c’est redonner à l’intuition sa fonction prééminente de « regard intérieur » et remettre la raison à sa juste place : celle d’un moyen au service d’une totalité multidimensionnelle qui le dépasse.
A travers cette phrase, Albert Einstein pose, de manière synthétique, le problème essentiel auquel notre civilisation se trouve confrontée : l’hégémonie d’une rationalité abstraite enfermant la conscience humaine dans un modèle technocratique qui la coupe d’une participation intuitive au flux créateur et évolutif de la vie/esprit.
Le déni contemporain de l’intuition conduit à une profonde régression : notre culture abstraite identifie la conscience au mental et le mental à la satisfaction des intérêts égoïstes. Dans une telle société, l’économie devient tout naturellement le modèle d’interprétation dominant qui réduit l’homme à la figure abstraite de calculateur égoïste.
Mais ce modèle technocratique est saturé. Il n’est plus adapté à l’ère qui vient : celle de l’information et de l’interconnexion fondée sur l'immédiateté et d'où émergent de nouvelles formes de sensibilité, de pensée et d'organisation. L'ancien modèle s’effondre à travers une crise systémique qui est, en fait, une crise évolutive : à cet effondrement correspond l’émergence d’un nouveau modèle adapté au prochain stade évolutif où l’intuition retrouve toute sa place.
Le paradigme émergent associe intuition holiste et raison instrumentale en redonnant à la première sa fonction prééminente et en remettant la seconde à sa place qui est celle d’un moyen au service d’une finalité qui la transcende.
Cette série de billets intitulée La voie de l’intuition explore quelques uns des multiples visages de l’intuition et les rapports que celle-ci entretient avec la raison, la création et l’évolution tant sociale que spirituelle.
Un regard intérieur
La conscience - tel Janus - possède deux faces. L’une, immédiate, liée à l’intériorité : c’est l’intuition qui fonctionne sur le mode d’un « regard intérieur », puisque tel est le sens de in-tueri, son étymologie latine. L’autre, instrumentale et utilitaire : c’est la rationalité qui, pour adapter l’homme à son environnement, fonctionne sur le mode d’une formalisation logique et abstraite.
Notre culture moderne déteste tout ce qui n’est pas réductible à une définition conceptuelle. Mais vouloir définir l’intuition c’est la réduire à une de ses multiples expressions qui appartiennent à un vaste spectre de phénomènes allant de l’inspiration visionnaire à l’instinct en passant par toutes les dimensions – corporelle, émotionnelle, intellectuelle, créatrice et spirituelle – de l’être humain.
Ce qui fait justement la spécificité de l’intuition, c’est qu’elle est irréductible : impossible de réduire ce « regard intérieur » à une de ses manifestations puisque, se situant toujours au-delà, il les transcende tous.
Le fil et le flux
L’intuition apparaît comme la voix d’un mystère qui dépasse nos facultés de raisonnement. Pour se familiariser avec elle, il faut donc quitter le terrain objectif du phénomène ou celui abstrait du concept pour rejoindre le sien, celui d'une expérience subjective véhiculée à travers le langage poétique de l’analogie et de la métaphore.
Dans l’expérience vécue par les créateurs, les visionnaires et les mystiques, l’intuition est décrite notamment comme un flux et une source, une voix et un fil. Un fil ténu et fragile qui conduit la conscience à une dimension supérieure où elle participe à l’ordre interne qui sous-tend l’univers physique et dont celui-ci est une manifestation matérielle.
Un flux qui s’exprime à travers toutes les dimensions de l’être humain – sensations, émotions et conceptions – comme un même courant d’énergie, connecté à cette force évolutive et créatrice qui anime aussi bien le microcosme humain que le macrocosme universel.
Comme l’écrit le philosophe André Lalande : « Le discours ne crée rien par lui même, il n'est qu'un moyen de transport, un canal conduisant l'eau d'une source. Notre force, pour la connaissance, est toute dans l'intuition, et notre faiblesse dans la nécessité de prouver médiatement ce dont la vérité ne s'impose pas d'elle même ». (Les raisons et les normes)
En quittant la terre statique des concepts pour entrer dans le flux vivant des relations, l’intuition libère la conscience des limites individuelles et des logiques formelles pour participer à la dynamique associative et intégrative de la vie/esprit. L’intuition dévoile l’unité organique qui relie la subjectivité à ses objets d’attention et les deux à une même source qui est celle de l’Esprit.
Henri Bergson faisait de l’intuition la pierre de touche de sa pensée évolutionniste. Dans La pensée et le mouvant, il écrit : « Un absolu ne saurait être donné que dans une intuition ... nous appelons ici intuition la sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent d'inexprimable ».
Une connaissance immédiate
Toutes les traditions, à travers l’histoire, font part des mêmes expériences intuitives vécues comme un mode de connaissance immédiat qui pénètre la profondeur du réel en participant intimement à la continuité indivisible de la vie intérieure. Chaque tradition a développé ses propres rituels et ses méthodes pour se relier à l’intuition et pour la développer, notamment à travers des états d’expansion de conscience.
Ami de Teilhard de Chardin et de Bergson, Edouard Le Roy écrit ceci : « Ce qui caractérise avant tout l'intuition, c'est d'être une connaissance antérieure parfois, en tout cas supérieure à l'analyse, à la réflexion abstractive, une connaissance transcendante au discours, source plutôt que résultat du discours, une connaissance enfin qui se justifie rien qu'en se présentant, qui porte son évidence avec soi. » (La Pensée intuitive)
Liée à l’hémisphère droit du cerveau qui perçoit les relations et les ensembles, l’intuition est cette faculté qui permet à la conscience de se connecter à la force créatrice de la vie/esprit et qui exprime cette force à travers une forme symbolique et/ou esthétique qui la contient et la manifeste en même temps.
Cette forme n’est pas rationnelle mais opérationnelle, c'est-à-dire qu’elle opère dans la conscience une connexion avec le flux de l’intuition créatrice qui l’a générée. Les clés de cette pensée opérationnelle sont transmises à travers des traditions herméneutiques propres à chaque culture.
Une représentation abstraite
Alors que l’intuition relève d’une résonance intérieure qui perçoit de manière immédiate, globale et dynamique, le mental est à l’origine d’un raisonnement qui - via un processus d’abstraction intellectuelle - sépare, analyse et objective dans le but de l’action. Bergson a bien montré comment l’intelligence humaine advient, durant le long processus de l’évolution, comme un outil au service de la vie. Selon lui, la faculté de comprendre apparaît dès lors comme une annexe de la faculté d’agir :
« De là devrait résulter cette conséquence que notre intelligence, au sens étroit du mot, est destinée à assurer l'insertion parfaite de notre corps dans son milieu, à se représenter le rapport des choses extérieures entre elles, enfin à penser la matière... La nature a doté l'homme d'une intelligence fabricatrice. Au lieu de lui fournir des instruments, comme elle l'a fait pour bon nombre d'espèces animales, elle a préféré qu'il les construisît lui-même ».
Ce que la rationalité nous donne à voir ce n’est pas l’homme ou la nature mais une représentation abstraite de ceux-ci en vue de l’action. La logique distinctive, abstraite et linéaire, liée à l'hémisphère gauche du cerveau, permet de classer et de contextualiser l'information. Cette formalisation logique et conceptuelle destinée à l’action construit un rapport d’objectivation instrumentale avec le milieu que celui-ci soit naturel ou social.
Deux visions du monde
Ces deux modes de connaissance que sont l’intuition et la raison donnent naissance à deux visions du monde : la vision holiste de la résonance intuitive et la vision analytique du raisonnement abstrait.
L’intuition implique la subjectivité dans la connaissance de son milieu d’évolution. Elle inspire une vision holiste qui fut celle des traditions, fondée sur la participation intime du microcosme humain à un macrocosme universel dont il se sent partie intégrante. Cette participation intuitive est initiatique : elle à l'origine d'un processus d'universalisation à partir duquel la conscience évolue à travers divers stades évolutifs de profondeur et d'intégration croissante.
Fondée, quant à elle, sur une approche objective qui met une distance abstraite entre la conscience et ses objets d’attention, la rationalité est explicative : elle analyse une totalité en séparant de manière abstraite ses éléments. La raison inspire une vision du monde - l'universalisme abstrait - qui fait la promotion d'un individu autonome et rationnel, désaffilié de toutes ses appartenances culturelles, sociales et spirituelles.
Un coup d’état d’esprit
A partir de la Renaissance, la modernité émerge en tant que nouveau stade de l’évolution culturelle qui s’émancipe de la vision traditionnelle pour promouvoir les valeurs de la raison, de l’individu et du progrès.
La modernité est marquée par le développement progressif de la raison instrumentale auquel correspond la dévaluation graduelle de l’intuition. Durant le dix-septième et dix-huitième, intuition holiste et raison analytique ont tendance à s’équilibrer dans une synthèse novatrice qui inspire la philosophie des Lumières jusqu’au moment où s’opère, au cours du dix-neuvième siècle, un véritable coup d’état d’esprit : la raison instrumentale usurpe le pouvoir souverain de l’intuition.
A l’origine de cette usurpation, l’hypostase de la raison crée le rationalisme : une hégémonie de la rationalité instrumentale produite par le déni et/ou la diabolisation d’une intuition caricaturée et stigmatisée sous la forme de l’irrationnel.Fondée sur la séparation et l’abstraction, la raison - devenue autonome - crée un univers unidimensionel à son image où la relation, la profondeur et le mouvement disparaissent au profit d’une vision instrumentale et objective, à la fois mécanique et technocratique.
Conséquence de ce coup d'état d'esprit : la société technocratique où nous vivons pourrait être définie comme la tyrannie des moyens sur les finalités qui les transcendent.Placé sous la tutelle d’un rationalisme abstrait, l’homme moderne est infantilisé, réifié, castré de son potentiel créateur, incapable de donner un sens à sa vie et de donner vie à une existence fantomatique, devenue totalement insensée. Dès lors que l'individu perd le sens de l'orientation existentielle, son autonomie se transforme en automatisme régi par le jeu compulsif des pulsions narcissiques et des intérêts égoïstes. Le processus évolutif de l'individuation se pervertit en individualisme régressif.
Un nouveau mode de pensée
Les impasses de notre société technocratiques sont celles d’une science sans conscience qui, elle-même, est la conséquence d’une conscience déconnectée de la source vivifiante et créatrice de l’intuition. L’émergence impérative d’une autre forme de pensée est indispensable pour sortir de ces impasses. La crise évolutive que nous vivons correspond à la fin de l’ère économique et à l’émergence d’un autre modèle qui inspire un nouveau mode de pensée.
Pour Einstein : " La puissance déchaînée de l'homme a tout changé, sauf nos modes de pensées et nous glissons vers une catastrophe sans précédent... Il devient indispensable que l'humanité formule un nouveau mode de pensée si elle veut survivre et atteindre un plan plus élevé ". Cette pensée novatrice nécessite de changer de niveau de conscience car, selon lui, "aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l'a engendré ".
Ce changement évolutif implique l’inversion des rapports entre raison et intuition. Se libérer de la tyrannie technocratique c’est redonner à l’intuition sa fonction prééminente de « regard intérieur » et remettre la raison à sa juste place : celle d’un moyen au service d’une totalité multidimensionnelle qui le dépasse.
( A suivre...)