L'édification d'un nouvel ordre social ou économique ne doit pas faire perdre de vue l'importance de l'édification parallèle d'une nouvelle culture, d'un nouveau stade de l'esprit humain. Roger Gilbert-Lecomte
Le Grand Jeu
A la fin des années vingt, un groupe de poètes se réunit autour de René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte et Roger Vailland pour créer la revue Le Grand Jeu. Inspirés notamment par la figure de Rimbaud - le Voyant – ils conçoivent la poésie comme une « métaphysique expérimentale » c'est-à-dire un mode de connaissance à part entière fondé sur l’intuition analogique qui révèle l’unité organique entre l’homme et son milieu.
Leur idée est de retrouver "la simplicité de l'enfance et ses possibilités de connaissance intuitive et spontanée" notamment grâce au développement des facultés extrasensorielles, à la lecture des textes mystiques et, pour certains, à l’usage de drogues. En retournant aux sources mystiques dont elle procède et qui précède tout séparation abstraite entre le sujet et l’objet, la sensibilité poétique participe à la relation secrète et primordiale entre l’homme et le monde, révélant ainsi leur harmonie profonde. Pour Roger Gilbert-Lecomte : « De l'union de la conscience avec l'objet naît la seule possibilité d'une connaissance vraie »
Dans La quête du primitivisme perdu Thierry Galibert analyse le rôle du poète selon le Grand Jeu. Il écrit : « Tout éloignement de ses origines conduisant chaque civilisation à s’éloigner de son état poétique naturel, l’Occident serait passé par trois phases d’évolution : l’état primitif de réceptivité avec la nature, l’homme d’Occident et la synthèse d’Orient et d’Occident que Gilbert-Lecomte voit naître à l’ère romantique. » Cette synthèse entre Orient et Occident, entre implication sensible et raison explicative, correspond selon Gilbert-Lecomte à un « nouveau stade de l’esprit humain ».
Dans une conférence de 1932, intitulée Les métamorphoses de la poésie, il écrit ceci : « L'édification d'un nouvel ordre social ou économique ne doit pas faire perdre de vue l'importance de l'édification parallèle d'une nouvelle culture, d'un nouveau stade de l'esprit humain - ce qui est le but du Grand Jeu... Une des caractères de l'esprit d'abstraction, du goût de définir, a été d'établir des clôtures de consommer des séparations de créer des spécialisations." Tu sépares trop cela dans ton esprit " répondait un vieux nègre à un ethnographe qui tentait de systématiser ses croyances, en lui demandant son adhésion.
Puisque notre esprit ne peut se défendre de séparer en définissant au moins faudrait-il établir qu'il y a deux modes d'activités spirituelles chez l'homme, d'une part l'activité logique et scientifique, d'autre part l'activité mythique et de participation. Ces deux modes de pensées au lieu de s'exclure l'un l'autre devraient se développer parallèlement, s'adresser chacun aussi bien à l'esprit, au cœur qu'aux entrailles pour aboutir en somme au but commun de toute culture : une plus vaste connaissance de l'humain, source de toute une évolution morale... le devenir universel doit amener la conscience humaine à être à la fois évoluée dans tous les sens, occidentale et orientale. Alors que le devenir individuel doit amener l'homme à être une synthèse de ce qui caractérise en ce moment l'âge d'enfant et l'âge adulte.»
Les avant-gardes visionnaires
En l’exprimant avec le vocabulaire de l’époque, Roger Gilbert Lecomte a la prescience de ce qui deviendra le paradigme intégral, ce nouveau stade évolutif qui associe raison explicative et implication sensible à travers « l’intelligence sensible ». On considère aujourd’hui les membres du Grand Jeu comme des visionnaires particulièrement inspirés, ayant dénoncé l’hégémonie d’une culture abstraite et anticipé l’évolution culturelle qui se déroulera tout au long du siècle.
A travers leur quête d’un « nouveau stade de l’esprit humain » fondé sur la synthèse de la raison et de l’intuition, les protagonistes du Grand Jeu dévoilait la dynamique culturelle qui devait animer tous les mouvements d’avant-gardes du vingtième siècle, du surréalisme d'avant-guerre à la contre-culture des années soixante, de la quête du nouveau paradigme des années quatre vingt à l’émergence actuelle, en ce début du millénaire, d’une « vision intégrale ».
Roger-Gilbert Lecomte avait théorisé le rôle visionnaire des avant-gardes culturelles en ces termes : « Au dessus de l'époque même, bien que coexistant avec elle, certains esprits font déjà partie de l'époque suivante, celle qui n'est pas encore mais devient... Cela signifie sans doute qu'à chaque époque une avant garde défend " les bastions avancés de la pensée " et que les contemporains sont à la traîne avec cinquante ans de retard. Ce décalage n'est pas du seul domaine de la poésie, il appartient à toute la vie de l'esprit.
Les hommes politiques réalisent ce que les théoriciens ont élaboré au siècle précédent. Le sens commun fait sienne une philosophie morte un siècle auparavant et si l'Université reflète une pensée plus proche de nous, tous deux ensemble demeurent en général parfaitement fermés à la pensée vivante de leur époque. »
Un profond déphasage
S’il existe à chaque époque un décalage entre la dynamique créatrice de la pensée instituante et le conformisme de la pensée institutionnelle, ce décalage devient profond déphasage, parfois abîme, dans les périodes de mutation comme celle que nous sommes en train de vivre. Un déphasage analysé ainsi par le sociologue Michel Maffesoli :
« Car c’est cela qui est en cause : l’extraordinaire déphasage des élites intellectuelles et politiques par rapport aux choses de la vie. Leur incompréhension d’une vitalité qui leur échappe... Cette postmodernité naissante que le conformisme et la paresse intellectuelle se refusent à qualifier comme telle, où un intense grouillement culturel expérimente, spirituellement et existentiellement, ce que seront les modes de vie à venir. Matérialisme mystique, spiritualisme corporel, et autres oxymores du même ordre, voilà bien ce qui est en gestation pendant que notre intelligentsia patine en un entre-soi douillet, et tente de rafistoler, tant bien que mal l’édifice de la Pensée Officielle.
Ce faisant, elle est incapable de saisir les ressorts intérieurs de l’époque. Ce que j’appellerai d’une manière qui peut paraître paradoxale, ces racines aériennes grâce auxquelles les nouvelles formes de solidarité, les divers manifestations de générosité, propres aux nouvelles générations, tout à la fois s’enracinent profond dans les archétypes de l’espèce, valeurs chtoniennes, celle de Dyonisos, sans oublier un idéal, plus nébuleux, caractérisant Apollon. C’est parce qu’elles sont incapable de repérer, et donc de comprendre, cette dialogique, que l’on peut qualifier « d’hermésienne », que les élites, politiques ou intellectuelles, succombent peu à peu à une sorte de lymphocytose, cette décomposition des globules rouges engendrant une maladie invisible, mais bien plus mortelle qu’une blessure voyante... »
Observateur savant et inspiré des mutations sociales et culturelles, Maffesoli nomme post-modernité les nouvelles formes de pensée, de sensibilité et de lien social expérimentées et exprimées par les jeunes générations. Cette post-modernité naissante renvoie à l’intuition visionnaire du Grand Jeu : celle d’un nouveau stade de l’esprit humain fondé sur l’intégration de la raison explicite et de l’implication sensible.
Matérialisme mystique, spiritualisme corporel sont deux expressions qui renvoient l’une et l’autre au refus d’une séparation abstraite entre le corps et l’esprit ainsi qu’à l’affirmation d’une pensée non-duelle fondée sur la participation organique de la sensibilité à ses divers milieux d’évolution, naturel, social et culturel.
Là où la raison explicite ne voit que des faits liés par les lois mécaniques de la causalité, l’intuition analogique et symbolique, fille d’Hermès perçoit des signes porteurs de sens. L’individu post-moderne est à la fois un observateur abstrait qui agit à partir d’une pensée conceptuelle et un créateur de sens qui interprète son expérience en participant, de manière sensible, au contexte social, naturel et culturel dans lequel il évolue.
Un modèle qui a fait son temps
Dans ses travaux, Michel Maffesoli fait souvent la distinction entre l’opinion publique, celle qu’exprime la conscience collective à travers les phénomènes sociaux et culturels, et l’opinion publiée, celle des élites ayant le monopole de la parole. Le déphasage spectaculaire entre la pensée officielle, corsetée dans une modernité abstraite, et les nouvelles générations, porteuses de valeurs post-modernes, est à l’origine d’un mal-être social et d’une colère ressentis par des millions d’individus, profondément insatisfaits d’un modèle qui n’est plus adapté ni à ce qu’ils ressentent, ni à ce qu’ils pensent, ni à ce qu’ils vivent.
Un modèle qui a littéralement fait son temps, celui de la modernité industrielle, mais qui est devenu incapable d’apporter des réponses en terme de valeurs et de sens, aussi bien aux interrogations du présent qu’aux défis du futur. Les solutions d’hier sont devenues aujourd’hui autant de problèmes à résoudre à partir d’un autre niveau de conscience.
Une des principales impasses où nous nous trouvons à l’heure actuelle, c’est cette façon de poser les problèmes actuels à travers des catégories - économiques, politiques ou sociales - qui sont celles de l’ancien paradigme alors même que les solutions adaptées ne peuvent émerger qu’à travers une nécessaire – mais difficile – transformation du modèle à travers lequel nous interprétons collectivement notre expérience.
Du déphasage culturel à la défiance politique
Incapables, par intérêt et par formation, d’effectuer ce changement de paradigme, les élites – politiques, médiatiques, culturelles – sont inaptes à percevoir, à exprimer et à transmettre la vérité de l’époque, enfermées qu’elles sont dans des formes d’abstraction fort éloignées du mouvement créateur de la vie et de l’esprit. Cette impuissance les conduit à dénier ou à dénigrer toutes les formes de sensibilité et de pensée novatrices qui échappent aux radars idéologiques des gardiens de la culture dominante.
Ce profond déphasage culturel produit une désaffection et à une défiance croissante de la population vis-à-vis des responsables politiques. Aujourd’hui, tout un chacun peut observer dans la vie quotidienne le fossé croissant qui se creuse entre le discours institutionnel et les attentes des citoyens, notamment celles des nouvelles générations qui se reconnaissent de moins en moins dans le mode de vie et de pensée défendues par une oligarchie technocratique et financière.
Publié en Janvier 2011 par le Cevipof, centre de recherches politiques de Sciences Po, le « Baromètre de la confiance politique » permet paradoxalement de mesurer la profonde défiance des français envers leurs élus et dirigeants. Les mesures prises par ce qui est devenu un véritable « Baromètre de la défiance politique » sont édifiantes : 83 % des Français considèrent que les responsables politiques se préoccupent peu ou pas du tout de ce que pensent les gens comme eux !... 57 % des Français considèrent que la démocratie ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout en France alors que 56 % d’entre eux déclare n'avoir confiance ni dans la droite ni dans la gauche pour gouverner le pays.
(A suivre...)
Netographie sur le Grand Jeu
Les métamorphoses de la poésie. Roger Gilbert Lecomte
Œuvres complètes, tome 1, proses, Paris, Gallimard, 1974, p. 279.
La quête du primitivisme perdu. Le poète selon le grand jeu. Thierry Galibert
Le Grand Jeu de René Daumal : une avant-garde à rebours. Régis Poulet
Testament/Talisman. Note sur Roger Gilbert-Lecomte et Le Grand Jeu. Pacôme Thiellement
Site consacré au Grand Jeu
Le Grand Jeu
A la fin des années vingt, un groupe de poètes se réunit autour de René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte et Roger Vailland pour créer la revue Le Grand Jeu. Inspirés notamment par la figure de Rimbaud - le Voyant – ils conçoivent la poésie comme une « métaphysique expérimentale » c'est-à-dire un mode de connaissance à part entière fondé sur l’intuition analogique qui révèle l’unité organique entre l’homme et son milieu.
Leur idée est de retrouver "la simplicité de l'enfance et ses possibilités de connaissance intuitive et spontanée" notamment grâce au développement des facultés extrasensorielles, à la lecture des textes mystiques et, pour certains, à l’usage de drogues. En retournant aux sources mystiques dont elle procède et qui précède tout séparation abstraite entre le sujet et l’objet, la sensibilité poétique participe à la relation secrète et primordiale entre l’homme et le monde, révélant ainsi leur harmonie profonde. Pour Roger Gilbert-Lecomte : « De l'union de la conscience avec l'objet naît la seule possibilité d'une connaissance vraie »
Dans La quête du primitivisme perdu Thierry Galibert analyse le rôle du poète selon le Grand Jeu. Il écrit : « Tout éloignement de ses origines conduisant chaque civilisation à s’éloigner de son état poétique naturel, l’Occident serait passé par trois phases d’évolution : l’état primitif de réceptivité avec la nature, l’homme d’Occident et la synthèse d’Orient et d’Occident que Gilbert-Lecomte voit naître à l’ère romantique. » Cette synthèse entre Orient et Occident, entre implication sensible et raison explicative, correspond selon Gilbert-Lecomte à un « nouveau stade de l’esprit humain ».
Dans une conférence de 1932, intitulée Les métamorphoses de la poésie, il écrit ceci : « L'édification d'un nouvel ordre social ou économique ne doit pas faire perdre de vue l'importance de l'édification parallèle d'une nouvelle culture, d'un nouveau stade de l'esprit humain - ce qui est le but du Grand Jeu... Une des caractères de l'esprit d'abstraction, du goût de définir, a été d'établir des clôtures de consommer des séparations de créer des spécialisations." Tu sépares trop cela dans ton esprit " répondait un vieux nègre à un ethnographe qui tentait de systématiser ses croyances, en lui demandant son adhésion.
Puisque notre esprit ne peut se défendre de séparer en définissant au moins faudrait-il établir qu'il y a deux modes d'activités spirituelles chez l'homme, d'une part l'activité logique et scientifique, d'autre part l'activité mythique et de participation. Ces deux modes de pensées au lieu de s'exclure l'un l'autre devraient se développer parallèlement, s'adresser chacun aussi bien à l'esprit, au cœur qu'aux entrailles pour aboutir en somme au but commun de toute culture : une plus vaste connaissance de l'humain, source de toute une évolution morale... le devenir universel doit amener la conscience humaine à être à la fois évoluée dans tous les sens, occidentale et orientale. Alors que le devenir individuel doit amener l'homme à être une synthèse de ce qui caractérise en ce moment l'âge d'enfant et l'âge adulte.»
Les avant-gardes visionnaires
En l’exprimant avec le vocabulaire de l’époque, Roger Gilbert Lecomte a la prescience de ce qui deviendra le paradigme intégral, ce nouveau stade évolutif qui associe raison explicative et implication sensible à travers « l’intelligence sensible ». On considère aujourd’hui les membres du Grand Jeu comme des visionnaires particulièrement inspirés, ayant dénoncé l’hégémonie d’une culture abstraite et anticipé l’évolution culturelle qui se déroulera tout au long du siècle.
A travers leur quête d’un « nouveau stade de l’esprit humain » fondé sur la synthèse de la raison et de l’intuition, les protagonistes du Grand Jeu dévoilait la dynamique culturelle qui devait animer tous les mouvements d’avant-gardes du vingtième siècle, du surréalisme d'avant-guerre à la contre-culture des années soixante, de la quête du nouveau paradigme des années quatre vingt à l’émergence actuelle, en ce début du millénaire, d’une « vision intégrale ».
Roger-Gilbert Lecomte avait théorisé le rôle visionnaire des avant-gardes culturelles en ces termes : « Au dessus de l'époque même, bien que coexistant avec elle, certains esprits font déjà partie de l'époque suivante, celle qui n'est pas encore mais devient... Cela signifie sans doute qu'à chaque époque une avant garde défend " les bastions avancés de la pensée " et que les contemporains sont à la traîne avec cinquante ans de retard. Ce décalage n'est pas du seul domaine de la poésie, il appartient à toute la vie de l'esprit.
Les hommes politiques réalisent ce que les théoriciens ont élaboré au siècle précédent. Le sens commun fait sienne une philosophie morte un siècle auparavant et si l'Université reflète une pensée plus proche de nous, tous deux ensemble demeurent en général parfaitement fermés à la pensée vivante de leur époque. »
Un profond déphasage
S’il existe à chaque époque un décalage entre la dynamique créatrice de la pensée instituante et le conformisme de la pensée institutionnelle, ce décalage devient profond déphasage, parfois abîme, dans les périodes de mutation comme celle que nous sommes en train de vivre. Un déphasage analysé ainsi par le sociologue Michel Maffesoli :
« Car c’est cela qui est en cause : l’extraordinaire déphasage des élites intellectuelles et politiques par rapport aux choses de la vie. Leur incompréhension d’une vitalité qui leur échappe... Cette postmodernité naissante que le conformisme et la paresse intellectuelle se refusent à qualifier comme telle, où un intense grouillement culturel expérimente, spirituellement et existentiellement, ce que seront les modes de vie à venir. Matérialisme mystique, spiritualisme corporel, et autres oxymores du même ordre, voilà bien ce qui est en gestation pendant que notre intelligentsia patine en un entre-soi douillet, et tente de rafistoler, tant bien que mal l’édifice de la Pensée Officielle.
Ce faisant, elle est incapable de saisir les ressorts intérieurs de l’époque. Ce que j’appellerai d’une manière qui peut paraître paradoxale, ces racines aériennes grâce auxquelles les nouvelles formes de solidarité, les divers manifestations de générosité, propres aux nouvelles générations, tout à la fois s’enracinent profond dans les archétypes de l’espèce, valeurs chtoniennes, celle de Dyonisos, sans oublier un idéal, plus nébuleux, caractérisant Apollon. C’est parce qu’elles sont incapable de repérer, et donc de comprendre, cette dialogique, que l’on peut qualifier « d’hermésienne », que les élites, politiques ou intellectuelles, succombent peu à peu à une sorte de lymphocytose, cette décomposition des globules rouges engendrant une maladie invisible, mais bien plus mortelle qu’une blessure voyante... »
Observateur savant et inspiré des mutations sociales et culturelles, Maffesoli nomme post-modernité les nouvelles formes de pensée, de sensibilité et de lien social expérimentées et exprimées par les jeunes générations. Cette post-modernité naissante renvoie à l’intuition visionnaire du Grand Jeu : celle d’un nouveau stade de l’esprit humain fondé sur l’intégration de la raison explicite et de l’implication sensible.
Matérialisme mystique, spiritualisme corporel sont deux expressions qui renvoient l’une et l’autre au refus d’une séparation abstraite entre le corps et l’esprit ainsi qu’à l’affirmation d’une pensée non-duelle fondée sur la participation organique de la sensibilité à ses divers milieux d’évolution, naturel, social et culturel.
Là où la raison explicite ne voit que des faits liés par les lois mécaniques de la causalité, l’intuition analogique et symbolique, fille d’Hermès perçoit des signes porteurs de sens. L’individu post-moderne est à la fois un observateur abstrait qui agit à partir d’une pensée conceptuelle et un créateur de sens qui interprète son expérience en participant, de manière sensible, au contexte social, naturel et culturel dans lequel il évolue.
Un modèle qui a fait son temps
Dans ses travaux, Michel Maffesoli fait souvent la distinction entre l’opinion publique, celle qu’exprime la conscience collective à travers les phénomènes sociaux et culturels, et l’opinion publiée, celle des élites ayant le monopole de la parole. Le déphasage spectaculaire entre la pensée officielle, corsetée dans une modernité abstraite, et les nouvelles générations, porteuses de valeurs post-modernes, est à l’origine d’un mal-être social et d’une colère ressentis par des millions d’individus, profondément insatisfaits d’un modèle qui n’est plus adapté ni à ce qu’ils ressentent, ni à ce qu’ils pensent, ni à ce qu’ils vivent.
Un modèle qui a littéralement fait son temps, celui de la modernité industrielle, mais qui est devenu incapable d’apporter des réponses en terme de valeurs et de sens, aussi bien aux interrogations du présent qu’aux défis du futur. Les solutions d’hier sont devenues aujourd’hui autant de problèmes à résoudre à partir d’un autre niveau de conscience.
Une des principales impasses où nous nous trouvons à l’heure actuelle, c’est cette façon de poser les problèmes actuels à travers des catégories - économiques, politiques ou sociales - qui sont celles de l’ancien paradigme alors même que les solutions adaptées ne peuvent émerger qu’à travers une nécessaire – mais difficile – transformation du modèle à travers lequel nous interprétons collectivement notre expérience.
Du déphasage culturel à la défiance politique
Incapables, par intérêt et par formation, d’effectuer ce changement de paradigme, les élites – politiques, médiatiques, culturelles – sont inaptes à percevoir, à exprimer et à transmettre la vérité de l’époque, enfermées qu’elles sont dans des formes d’abstraction fort éloignées du mouvement créateur de la vie et de l’esprit. Cette impuissance les conduit à dénier ou à dénigrer toutes les formes de sensibilité et de pensée novatrices qui échappent aux radars idéologiques des gardiens de la culture dominante.
Ce profond déphasage culturel produit une désaffection et à une défiance croissante de la population vis-à-vis des responsables politiques. Aujourd’hui, tout un chacun peut observer dans la vie quotidienne le fossé croissant qui se creuse entre le discours institutionnel et les attentes des citoyens, notamment celles des nouvelles générations qui se reconnaissent de moins en moins dans le mode de vie et de pensée défendues par une oligarchie technocratique et financière.
Publié en Janvier 2011 par le Cevipof, centre de recherches politiques de Sciences Po, le « Baromètre de la confiance politique » permet paradoxalement de mesurer la profonde défiance des français envers leurs élus et dirigeants. Les mesures prises par ce qui est devenu un véritable « Baromètre de la défiance politique » sont édifiantes : 83 % des Français considèrent que les responsables politiques se préoccupent peu ou pas du tout de ce que pensent les gens comme eux !... 57 % des Français considèrent que la démocratie ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout en France alors que 56 % d’entre eux déclare n'avoir confiance ni dans la droite ni dans la gauche pour gouverner le pays.
(A suivre...)
Netographie sur le Grand Jeu
Les métamorphoses de la poésie. Roger Gilbert Lecomte
Œuvres complètes, tome 1, proses, Paris, Gallimard, 1974, p. 279.
La quête du primitivisme perdu. Le poète selon le grand jeu. Thierry Galibert
Le Grand Jeu de René Daumal : une avant-garde à rebours. Régis Poulet
Testament/Talisman. Note sur Roger Gilbert-Lecomte et Le Grand Jeu. Pacôme Thiellement
Site consacré au Grand Jeu
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