vendredi 13 novembre 2020

Sagesse du Confinement


On mesure l'intelligence d'un individu à la quantité d'incertitudes qu'il est capable de supporter. Emmanuel Kant 

Notre compréhension de la situation actuelle, marquée notamment par les crises sanitaires, sécuritaires et climatiques, est oblitérée par une vision disciplinaire et fragmentaire qui nous empêche trop souvent d’en saisir, de manière globale, son sens profond et essentiel. Nous avons tenté de développer cette vision globale dans nos différents billets depuis le printemps. Dans le dernier de ces billets nous évoquions le principe de sagesse qui doit être au cœur de la mutation actuelle : « Contentez-vous ! ». Se contenter c’est savoir se contenir grâce à une maîtrise des limites qui conduit au contentement

Toutes les grandes traditions spirituelles ont effectué le même constat et l’ont enseigné à travers les siècles : quand, sur le plan individuel ou collectif, on devient incapable de maîtriser ses propres limites par un acte de conscience et de volonté, des limitations s’imposent de l’extérieur et font irruption, parfois de manière violente, pour freiner et stopper une extériorisation dissolvante et dangereuse pour notre intégrité physique, morale et spirituelle. Ce processus de limitation s’exerce aussi bien pour l’individu que pour sa communauté, aussi bien pour l’espèce humaine que pour toutes les autres formes de vie. 

Tel est le rôle fondamental d’un confinement sanitaire qui s’impose aujourd’hui à des sociétés qui transgressent les lois naturelles de la vie en imposant à leur milieu d’évolution une domination technologique éhontée et une exploitation économique profondément destructrice des ressources naturelles dont les zoonoses et les épidémies sont les conséquences mortifères. Comme la prison est le devenir des délinquants et des criminels qui ne respectent pas les lois de la société, le confinement est le devenir de ceux qui, ne respectant pas les lois de la vie, se heurtent aux limites imposées par celles-ci. Pour le dire d’une manière beaucoup plus triviale : de nos jours, le confinement est un remède à la connerie humaine. 

Et ce remède peut s’avérer comme la meilleure ou la pire des choses selon la façon dont on le vit. La pire quand il est vécu comme un emprisonnement qui nous confronte, de manière angoissée, à un vide existentiel que nous cherchons à éviter normalement à travers toutes sortes de divertissements et de diversions (dont le travail et la consommation) qui agissent comme autant d’addictions dont la privation nous déprime profondément. La meilleure des choses quand le confinement crée les conditions d’une conversion existentielle qui permet un retour aux sources de la vie et de l’esprit. A l'origine d'un éveil de la conscience une telle conversion fut au cœur des initiations et des sagesses millénaires. Nous consacrerons ce billet à cette sagesse du confinement née d'une grande initiation collective dans une société matérialiste qui a oublié le sens même de l'initiation.

L'ère des pandémies

Pour comprendre la crise sanitaire que nous traversons, on peut se noyer comme le font les spécialistes sous une masse d’informations et de statistiques plus ou moins contradictoires, on peut analyser de manière fragmentaire tel ou tel aspect de la situation mais, pour en saisir la signification profonde, il faut prendre de la hauteur en développant une vision globale qui permet d’aller à l’essentiel. On ne comprend rien à cette crise sanitaire sans la situer dans le contexte qui est le sien : celui d’une crise de civilisation en voie d’effondrement. Cette crise sanitaire est la conséquence d’un développement technologique et économique dont nous avons totalement perdu la maîtrise. Et, selon un récent rapport de l’Onu intitulé Échapper à l'ère des pandémies, le pire reste à venir. 

" Les conclusions du récent rapport de l’ONU sur les liens entre dégradation de la biodiversité et pandémies sont préoccupantes : elles montrent que les futures pandémies seront plus nombreuses, se propageront plus rapidement, impacteront davantage l'économie mondiale et feront plus de morts que la pandémie de Covid-19. Avec 45 millions de malades à travers le monde et 1,18 million de morts, la pandémie de Covid-19 ravage la santé et l’économie mondiales. Jusqu’à récemment jugé comme exceptionnel, un tel phénomène pourrait bien devenir récurrent, prévient l’IPBES - la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques de l’ONU - dans son rapport publié le 29 octobre. 

« Sans stratégie préventive, les pandémies vont émerger plus souvent, se propager plus rapidement, tuer plus de gens et affecter l'économie mondiale avec des impacts dévastateurs sans précédent. Il n'y a pas de mystère sur les causes de la pandémie de Covid-19, ou d'aucune autre pandémie moderne », analyse Peter Daszak, qui a dirigé ce rapport. « Les mêmes activités moteurs du changement climatique et de la destruction de la biodiversité stimulent les risques de pandémie en raison de leurs impacts sur notre environnement », explique-t-il. " (Pandémies : le pire reste à venir

Une initiation collective

Mais quelle est donc cette force insensée qui nous pousse sans cesse dans cette course suicidaire où nous perdons pied ? Pour Pascal : « Les hommes ont un instinct secret qui les porte à chercher le divertissement et l’occupation au dehors, qui vient de leur ressentiment de leurs misères continuelles. » Philosophe et enseignant de méditation, Fabrice Midal interprète ainsi cette pensée de Pascal : « Une soif nous pousse, comme malgré nous, dans une course en avant, nous empêchant de vivre notre expérience et de nous relier à la réalité. Elle rend impossible une spontanéité et une présence véritables. Je suis, mû par elle, toujours en train de fuir quelque chose au lieu de me rendre quelque part. Cette soif n’est jamais comblée car paradoxalement elle ne désigne rien de réel : rien ne peut donc réussir à la satisfaire. Elle s’intensifie même à mesure que je l’ignore. Voilà pourquoi un regard direct, sans jugement, sur ce qui est, est salutaire. » (Quel bouddhisme pour l’Occident ?) 

Cette pensée de Pascal doit être complétée par un autre, fameuse, répétée à l'envie durant le printemps dernier : « Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » Demeurer en repos dans une chambre, n’est-ce pas là une opportunité offerte par un confinement qui permet à chacun de s’arrêter quelques temps pour prendre conscience de la course suicidaire de notre civilisation. C’est ainsi que le confinement peut-être perçu et vécu comme une forme d’initiation collective, une période de retraite et d’introspection propice à la contemplation et à la création, à l’étude et à la méditation, loin des tumultes et des illusions spectaculaires générées sans cesse par le monde marchand (à sa perte) !

Anna Guégan pour la revue Troisième Millénaire

Dans un article intitulé Méditation : la grande évasion à l’heure du confinement, Le Monde évoque la façon dont la crise sanitaire a été l’occasion pour de nombreuses personnes de découvrir ou de pratiquer la méditation en participant à de multiples sessions proposées sur Internet. 4,8 millions de personnes sont inscrites sur l'application Le Petit Bambou dédié à la méditation. « Le nombre de nouveaux inscrits a décuplé depuis le début du confinement et celui des séances quotidiennes suivies a triplé selon son fondateur Benjamin Blasco : " Cela démontre une soif de résilience mais aussi un besoin de communion" ». Cet article évoque également l’allocution télévisée du 5 Avril dans laquelle la reine Elizabeth II elle-même se fait l’écho de cette démarche collective : « Un grand nombre de personnes, quelle que soit leur confession, se rendent compte qu’il y a là une occasion de ralentir, de réfléchir, dans la prière ou la méditation ».

Une telle « retraite » permet de se recentrer pour renouer avec une dimension plus profonde et plus essentielle de soi-même que nos sociétés du spectacle font tout pour occulter dans la mesure où, selon la célèbre formule de Bernanos, la civilisation moderne est un « complot universel contre toute espèce de vie intérieure ». De manière humoristique, l'écrivain Renaud Camus évoque la façon dont la crise sanitaire libère certains individus du carcan des habitudes imposé par les codes sociaux dominants : « Merci Saint-Covid qui nous avez libéré du bisou, de la poignée de mains, des mariages, des festivals de l’été, des réunions de famille, du tourisme de masse, de l’hyperconsommation, de la croissance économique. » 

Loin d’être une démarche égoïste, approfondir cette relation à soi-même, c’est poser sur les autres et sur le monde un regard épuré qui remet chaque chose à sa juste place et ordonne chaque place dans un vaste espace régi par un ordre intérieur. Cette vision globale et inspirée permet d’agir dans le champ social avec un esprit de sagesse fait de bienveillance et de courage. C’est ainsi que le confinement printanier a été pour certains une pause salvatrice permettant de prendre du recul en élaborant, de manière individuelle et collective, des projets pour le "monde d'après", en expérimentant d’autres manières de vivre et d’autres modes de pensée. D'où l'impression véhiculée par Coline Sereau et relayée par les réseaux sociaux : "Le monde qui marchait sur la tête est en train de remettre ses idées à l'endroit." (L'art de la Conversion)

Individuholisme

A l’occasion de cette crise sanitaire, l’individu moderne, bercé par l’illusion marchande de son autonomie et de son indépendance, découvre dans un mélange d’effroi et de soulagement qu’il est aussi – et surtout – partie intégrante d’une communauté (familiale, amicale, nationale, humaine et naturelle) auprès de laquelle il peut trouver refuge quand il doit faire face à un danger vital. L’odeur de la mort l’incite à rejoindre ces communautés en faisant le saut existentiel qui consiste à passer du Je au Nous et du Nous à l’Un. Lui qui se croyait seul, découvre qu'il fait partie d'un Tout multidimensionnel qui le dépasse et le transcende.

Sous la pression du danger, nos vies individuelles se synchronisent à la vie d’un immense organisme collectif rythmé par une pulsation biologique entre expansion et concentration : confinement, déconfinement, reconfinement. C’est ainsi que l’individualisme abstrait et hors sol de la modernité se métamorphose en une forme nouvelle : celle d’un "individuholisme" où l’individu concret est relié organiquement à son milieu social, naturel et spirituel. 

Le terme de holisme (du grec holos qui signifie entier) renvoie à la primauté du tout sur les parties qui le constituent. Alors que la modernité est fondée sur une rationalité abstraite et analytique qui fragmente le monde pour l’observer et le mesurer, la pensée holistique est globale et complexe : elle conçoit chaque phénomène comme une totalité indivisible, informant chacune de ses parties, reliées par un réseau d'interdépendances. Alors que le réductionnisme moderne est à l’origine d’un individualisme qui crée l'illusion d'une monade solitaire, séparée abstraitement de son milieu de vie, l’individuholisme considère la singularité individuelle comme le résultat d'une intégration des expériences et des informations issues d'un milieu multidimensionnel qui est à la fois naturel et social, culturel et spirituel. 

Le holisme conçoit l’être humain comme une totalité indivisible – physique, psychique et spirituelle – qui est elle-même intégrée à un Kosmos conçu comme une totalité multidimensionnelle en évolution. Dans cette perspective individuholiste, l’homme est ce que la philosophie intégrale définit comme un Holon : à la fois un tout irréductible et une partie d’un tout qui le transcende. L'émergence de l'individuholisme correspond à la mutation de l'Homo Sapiens en Holo Sapiens évoquée par Jean-François Noubel. Nous recommandons les Live évolutionnaires réalisés durant le confinement printanier - et plus tard - par ce penseur visionnaire qui explore la prochaine conscience et l'intelligence collective tout en expliquant, d'une manière simple et synthétique, les cartographies du développement humain permettant, entre autre, de mieux comprendre l'émergence de l'individuholisme.

2020, année de l’éveil spirituel ?  

Dans un article paru en Septembre dans Marie-Claire et intitulé 2020, année de l’éveil spirituel ? Géraldine Dormoy-Tungate évoque les transformations psycho-spirituelles qui se sont déroulées dans le contexte du confinement printanier et qui sont autant d’expressions de cet individuholisme en train d’émerger :

« Chez certain(e)s, le confinement a mis en lumière un authentique besoin de spiritualité. Simple effet de mode ou marque d'un changement profond dans notre société ? Témoins, sociologue et philosophe partagent leur analyse… "Je suis croyante mais je ne sais pas en quoi", estime Chloé, 31 ans. Cette jeune photographe parisienne a vécu le confinement comme "un accélérateur d'éveil". Privée de client(e)s, elle a été contrainte de lâcher-prise. "Je m'intéresse à la spiritualité depuis plus de quinze ans, mais d'habitude, le boulot et les sorties entravent mes pratiques. Pendant deux mois, j'ai pu lire, méditer, faire du yoga. Je me suis même formée en ligne pour pratiquer des soins énergétiques." 

Chloé n'est pas la seule à s'être récemment tournée vers son monde intérieur. Si la crise du Covid-19 est encore trop récente pour que l'on mesure l'ampleur d'un éveil collectif des consciences, Éric Vinson, chercheur et spécialiste du fait religieux et de la laïcité, a noté des signes : « En nous privant des divertissements extérieurs, le confinement a suscité une disponibilité qui incite à l'introspection. Même le chef de l'État, dans ses discours, a combiné un ton martial avec une invitation à se recentrer sur l'essentiel, sans ignorer la dimension religieuse. Le "Jour du Seigneur" a battu des records d'audience. Pour beaucoup, le ramadan s'est révélé moins convivial mais plus intériorisé. » 

Sur Internet, réseaux sociaux et outils tels que Zoom ont facilité l'accès aux guides spirituels. Pour José Le Roy, professeurs de philosophie et écrivain très actif en ligne, le changement était flagrant : " J'ai vu beaucoup plus de gens se connecter. Il y avait à la fois plus de propositions et plus de participants."  Lili  Barbery-Coulon, professeur de kundalini yoga, a même vu sa communauté exploser quand, mi-mars elle s'est mise à animer chaque soir une méditation en ligne sur Instagram.

Elle non plus ne s'étonne pas de cet enthousiasme : « On a vécu un grand moment de sidération collective. On a appris qu'on ne contrôlait rien d'autre que l'instant présent : une énorme leçon spirituelle. » Elle définit la spiritualité comme « tout ce qui nous relie à quelque chose qui nous dépasse ». José Le Roy y voit « une recherche de sens pas forcément tournée vers la religion ». Pour Éric Vinson, il s'agit de « la relation avec la réalité ultime qu'on l'appelle Esprit, Esprit saint ou dimension divine ». Enora, yogi depuis deux ans, se figure « une connexion entre le corps, le mental et l'âme »… 

Cette soif de spiritualité se vit dans un contexte de tensions politiques – rejet des institutions, montée des extrémismes – et sociales – mouvement Black Lives Matter. Un climat insurrectionnel qui n'est pas sans rappeler celui de la fin des années 60. Assiste-t-on au retour des hippies ? « La fin des années 60 correspond au moment où l'Occident s'est tourné vers l'Orient, concède José Le Roy. Ce fut le début de notre intérêt pour la méditation, la philosophie orientale avec la visite de maîtres hindous et bouddhistes. » Mais la comparaison s'arrête là. « Le contexte n'est pas le même. Il y a aujourd'hui moins de naïveté et plus d'action, poursuit-il. On est à la fois méditant et militant. » 

Le rejet de la société de consommation est passé par là : marginal il y a cinquante ans, il prend de l'ampleur. « Les gens ont l'impression d'être au bout d'un système. Ils se rendent compte qu'ils ne sont pas plus heureux avec leurs possessions, d'où leur élan spirituel. »… Quoi qu'il arrive, le changement climatique est devant nous. Le danger qu'il représente est plus grand que la crise que nous venons de vivre. Nous allons avoir besoin d'être sacrément connectés à nous-mêmes pour bien vivre demain. » 

Un Cauchemar Climatisé

Déconfinement... Tout le  monde descend !

Il ne faut cependant pas trop se bercer d’illusions. Si cette émergence de l’individuholisme est qualitativement fondamentale, elle est encore quantitativement minoritaire. Suite au déconfinement, beaucoup ont abandonné - tels des chiens dans la forêt - leurs bonnes résolutions, leurs idéaux et leurs projets pour le "monde d'après". Nombre de ces visions d'avenir, inspirées par la peur et la proximité de la mort, se sont évanouies dans un lâche soulagement comme les promesses de sobriété d'un alcoolique devant le zinc. 

Ils ont été nombreux à retourner à leurs addictions sans s'être réveillés du cauchemar climatisé où se déroulent leurs vies de drogués à l'économie et à ses catégories : production et consommation, technique et croissance, travail et divertissement. Le confinement a été vécu par beaucoup comme l’épreuve d’un emprisonnement dont ils attendaient d’être libérés pour se diffuser à nouveau dans la galaxie de pulsions et sensations qui tournent en une spirale dispersive et régressive autour de leur vide existentiel. 

C'est ainsi qu'à l’heure du déconfinement, pour relâcher la pression, les jeunes, se croyant immortels, ont fait la fête en oubliant les gestes barrières et les adultes ont repris de manière quasi-hypnotique le chemin balisé par leurs habitudes. La sagesse c’est comme la culture et la confiture : moins on en a et plus on s’étale dans l’horizontalité d’une vie dépourvu de sens c’est-à-dire de signification et d’orientation. Le virus nous sommait collectivement de faire le choix entre L’économie ou la Vie. C’est l'économie qui a choisi beaucoup d’entre nous, rassurés de faire tourner en boucle, tels des Hamsters, la roue de leur aliénation.

Dans le contexte d’un effondrement global dont la crise sanitaire n’est qu’une des manifestations, chacun est tiraillé entre ces deux pôles que sont l’entropie individualiste d’une part et, de l’autre, l’évolution vers l’individuholisme. D’une part le laisser aller dans la dispersion et la dissolution, la diversion et le divertissement. D’autre part, un effort de centralisation, de concentration et de conversion intérieure pour remettre à l’endroit ce que l’emprise dissolvante du matérialisme a inversé. 

Paranoïa ou Métanoïa?

Diversion ou conversion ? Homo Sapiens ou Holo Sapiens ? Tel est en fait le choix que nous devons faire de manière individuelle et collective. Un choix correspondant aux deux voies qui s’offrent à nous actuellement : la dynamique régressive d’une spirale infernale qui engendre des situations de plus en plus chaotiques ou la dynamique créatrice d’une spirale évolutive vers un nouveau stade de développement. C'est dans cette perspective que pandémie et confinement participent d'une initiation à la fois individuelle et collective: cette crise sanitaire éprouve notre conscience et de cette épreuve nous pouvons sortir grandis ou soumis au désordre ambiant. 

La soumission aux forces chaotiques conduit à un ensauvagement généralisé ainsi qu'à l'explosion des maladies mentales et des consultations en service psychiatriques mais elle se manifeste aussi par une infodémie : une vague d'informations fausses ou délirantes véhiculées par un courant complotiste qui submerge des franges de plus en plus importantes de la population. Ce complotisme a pour origine une impuissance à appréhender la complexité du monde ainsi qu'une profonde angoisse face à l'effondrement en cours et à la nécessité vitale de se transformer pour y faire face. C'est ainsi que, privés de leurs repères et de leurs références habituelles, nombre d'individus préfèrent se réfugier dans un imaginaire à la fois victimaire et paranoïaque, en construisant des récits plus ou moins délirants où sont désignés des boucs-émissaires chargés d'expier l'angoisse collective. 

A l'encontre de cette paranoïa ambiante et mortifère, la dynamique évolutionnaire est porteuse de ce que la tradition nomme une métanoïa, c'est à dire une métamorphose à la fois cognitive et spirituelle qui, à travers un mouvement de conversion et de retournement, ouvre l'homme à plus grand que lui-même et sa conscience à ce qui la transcende. L'Holo Sapiens naît de cette  métanoïa en se libérant de la paranoïa ambiante propre à la monade solitaire et compétitive véhiculée par un paradigme en voie d'effondrement.

Les Tisserands

Selon plusieurs voix inspirées, l’épreuve du confinement aurait pour but de faciliter une mutation de conscience, synchrone avec l’effondrement du paradigme dominant. Dans un article intitulé Avant le coronavirus, nous étions déjà enfermés mais nous ne le savions pas, écrit durant le confinement printanier, Abdennour Bidar nous proposait de réfléchir au nouveau paradigme de civilisation qui accompagne l’émergence de l’individuholisme incarné par l'Holo Sapiens.

« Quel sera ce nouveau paradigme ? Quelle peut être son idée de base, simple, dont le sens, l'intérêt, seront immédiatement compréhensible par tous? Qui que nous soyons, où que nous vivions sur la planète, une même évidence et une même souffrance nous sautent aux yeux: nous avons rompu nos liens nourriciers, notre lien de proximité et de respect à la Mère Nature, notre lien de solidarité et de compassion aux autres à force de trop d’individualisme, et jusqu’à notre lien à nous-mêmes dans des vies absurdes ou superficielles. 

Voilà le dénominateur commun de toutes nos crises: la souffrance ou rupture de nos liens essentiels, notamment ce triple lien vital qui nous fait respirer, ouvrir grands nos poumons et notre cœur, grandir en humanité: le lien à soi, le lien à l’autre, le lien à la nature. Avec ce triple lien viennent naturellement pour nous le sens et la joie de la vie. Ni plus ni moins. Car le sens de la vie, n’en déplaise aux relativistes et aux nihilistes, est d’être en accord avec soi, de vivre en fraternité avec autrui et en harmonie avec la nature. Telle est la formule de la grande santé humaine. Voilà donc un nouveau paradigme possible: la vie bien reliée. Et voilà du même coup un objectif majeur pour les luttes de demain qui commencent aujourd’hui: réparer ensemble le tissu déchiré du monde…

À chacun de trouver sa façon, de mettre ou remettre sa vie dans l’alignement de son moi profond; de faire quelque chose pour le bien commun; de retrouver un contact vivant et régulier avec la terre, l’eau, les arbres, les animaux, le ciel. Et pendant ce temps du confinement qui nous est imposé, c’est peut-être la première question avec laquelle nous avons rendez-vous: quels sont les liens que je peux réparer? Là tout de suite, avec ceux en compagnie de qui je vis le confinement. Ce lien de sollicitude, de bienveillance, de partage, d’amour que j’avais un peu oublié ou négligé. Et demain, dehors, dans mon métier ou mon engagement bénévole, dans mon quartier ou sur mes réseaux, ce lien d’engagement et de combat qui va redonner à nos vies une belle et grande direction. Comment donc vais-je pouvoir rejoindre, dès aujourd’hui, l’armée des ombres, cette grande armée des Tisserandes et Tisserands qui ont entrepris de changer de vie pour changer la vie? Et qui œuvrent souterrainement au monde d’après? »

Le Frein d’Urgence 

Nous sommes d'autant plus d'accord avec Abdennour Bidar, que, depuis des années, Le Journal Intégral rend compte d’une évolution systémique qui concerne à la fois la conscience (Je, le lien à soi)), la culture (Tu, le lien à l’autre) et la société (Il, le lien au milieu social et naturel). Réparer ensemble le tissus déchiré du monde, c’est aussi développer une vision intégrale capable de penser le monde dans sa complexité en participant de manière intime à la dynamique évolutive d'une mutation intégrale. Une dynamique qui s’exprime simultanément dans le champ de la subjectivité personnelle, de l’intersubjectivité culturelle et de l’objectivité des structures socio-économiques qui déterminent le rapport à notre milieu de vie. 

Amis Tisserands, à la fois méditant et militant, le confinement pourrait être la matrice silencieuse d’une révolution des consciences qui se liguent pour tirer sur le frein d’urgence afin d’arrêter la course suicidaire de nos sociétés. Selon Walter Benjamin : « Marx a dit que les révolutions sont la locomotive de l'histoire mondiale. Peut-être que les choses se présentent autrement. Il se peut que les révolutions soient l'acte par lequel l'humanité qui voyage dans le train tire les freins d'urgence » Et si la sagesse du confinement était révolutionnaire dans la mesure où elle active les freins d’urgence d'une civilisation lancée à toute vitesse dans une course suicidaire ? 

Ressources 

Échapper à l'ère des pandémies Rapport de l'IPBES

Avant le coronavirus, nous étions déjà enfermés mais nous ne le savions pas. Abdennour Bidar - Huffington Post

Les Tisserands Réparer ensemble le tissus déchiré du monde. Abdennour Bidar

Le blog d'Abdennour Bidar 

2020, année de l’éveil spirituel ?  Géraldine Dormoy-Tungate. Marie-Claire. 

Éveil et Philosophie Le blog de José Le Roy

Méditation : la grande évasion à l’heure du confinement Le Monde

Prendre soin de son mental en période d'incertitude  Un e-book gratuit de 17 pages proposé par l'application Petit Bambou

Le Grand Livre de la pleine présence. Attentive, ouverte et bienveillante. Denys Rinpoche -  Chaîne You Tube de la Buddha University qui propose, entre autres, de nombreux enseignements de Denys Rinpoché.

Confinés, déconfinés. Et maintenant ? Revue Troisième Millénaire 

Blog de Anna Guégan, dessinatrice pour la revue Troisième Millénaire.

Les billets sur la crise sanitaire dans Le Journal IntégralL'Economie ou la Vie - L'Art de la Conversion - Autodestruction ou développement intégral - Les Deux Couronnes - Vacance et/ou Vacuité - Incitations (11) Contentez-vous ! - Sur la Méditation : Abécédaire de la méditation (1) et Abécédaire de la méditation (2) Une révolution silencieuse - Sur la Métanoïa : La Métanoïa -

Programme de méditation de Pleine Conscience et enseignements d'éveil durant le confinement ( Un choix subjectif à compléter suivant les informations et les expériences) :

Bouddha University - Shambhala Paris - Fabrice Midal - Altruistic Open Mindfulness (un entraînement online à la pleine conscience en français, à suivre selon son propre rythme) -

Vidéos à voir durant le confinement : 

Comment rester serein quand tout s'effondre 6 conférences de Fabrice Midal sur la chaîne You Tube de l’École de Méditation dont il est le fondateur. Les réflexions profondes  d'un philosophe sur la crise systémique que nous traversons, inspirées par la pratique et l'enseignement de la méditation.

Les Live évolutionnaires de Jean-François Noubel. Une série d'entretiens de une heure réalisées durant le confinement par un penseur visionnaire sur divers thèmes concernant l'évolution de la conscience, de la culture et de la société. A voir plus particulièrement les Live évolutionnaires de 9 à 12 sur les cartes de la conscience qui sont de très bonnes introductions, claires et synthétiques, à la théorie intégrale développée par Ken Wilber : L'Emergence - En route vers le Transrationnel - De l'Ego au Kosmos - La Spirale Dynamique.

Dans l'esprit des Live Évolutionnaires. Dans le blog de JF Noubel, une présentation de l'esprit qui préside à la série des Lives évolutionnaires hebdomadaires.