Aujourd'hui l'utopie a changé de camp : est utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant. Pablo Servigne
Dans nos deux derniers billets intitulés Qu'est ce que le Capitalocène? et L’effondrement qui vient, nous avons prolongé et approfondi une réflexion initiée dans une série de textes écrits en 2013, intitulée Effondrement et Refondation. Parce qu’elle refuse à la fois le déni, la peur et le conformisme de pensée, une telle réflexion prendre acte avec lucidité des multiples expressions – écologique, économique, sociale, culturelle, psychique, spirituelle – d’une même crise systémique qui pourrait conduire à l’effondrement de notre civilisation et au danger que celui-ci pourrait faire peser sur l’évolution de l’humanité. En les mettant en perspective, nous vous proposerons dans ce billet deux textes qui se répondent l’un l’autre et permettent de nourrir cette réflexion.
Fred Vargas est à la fois une archéologue et un auteur dont les romans policiers caracolent régulièrement en tête des classements des ventes. En utilisant l'humour et le second degré comme armes de résistance au désespoir, elle nous annonce l’avènement d’une Troisième Révolution qui fait suite aux révolutions néolithiques et industrielles. Nouvelle séquence de l'évolution humaine, cette Troisième Révolution est aussi la conséquence de notre inconséquence : le désastre écologique nous oblige à sortir des ornières de nos habitudes pour modifier fondamentalement nos modes de vie et de pensée. Après les révolution néolithiques et industrielles, le temps est donc venu d'une révolution écosophique évoquée à plusieurs reprises dans le Journal Intégral.
Quelles sont les étapes du processus de transformation qui accompagne cette révolution écosophique ? Dans un texte écrit en 2012 et intitulé Gravir l’échelle de la conscience, le blogueur canadien Paul Chefurka tente de répondre à cette question en élaborant une échelle de prise de conscience qui comporte cinq étapes. Deux chemins s’offrent à celui qui atteint la cinquième étape. Le chemin extérieur consiste à s’engager dans des actions individuelles et collectives, souvent locales et concrètes. Le chemin intérieur conduit à une recherche de sens qui peut déboucher sur cette sagesse évolutionnaire résumée par le message Gandhi : "Devenez le changement que vous voulez voir dans le monde". Les individus arrivés à ce cinquième stade développent une vision globale qui leur permet de comprendre et de vivre la complémentarité entre les chemins intérieurs et extérieurs.
La Troisième Révolution. Fred Vargas
Dans le contexte actuel décrit par cette science de l'effondrement qu'est la collapsologie, ce texte de Fred Vargas écrit en 2009 apparaît quelque peu prémonitoire alors même que le GIEC vient de publier le 8 Octobre un nouveau rapport de 400 pages sur les effets du réchauffement climatique dans lequel ces experts évoque la nécessité de "changements sans précédent dans tous les aspects de la société". Ce rapport conforte le cri d'alerte poussé le 10 Septembre par le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, qui est tout sauf un écologiste radical : « Il
nous reste deux ans pour mettre fin à l’augmentation de la quantité de
gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Au-delà il n’y aura pas de
solution possible.»
Nous y voilà, nous y sommes.
Nous y voilà, nous y sommes.
Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts- fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes. Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal. Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance, nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout du monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.
On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s'est marrés. Franchement on a bien profité. Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes. Mais nous y sommes. A la Troisième Révolution. Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins. Oui. On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau. Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse).
Sauvez-moi ou crevez avec moi. Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux. D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance. Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, – attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille – récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).
S'efforcer. Réfléchir, même. Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire. Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution. Pas d'échappatoire, allons-y.
Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante. Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible. A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie – une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut-être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution. A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore. (fin du texte de Fred Vargas)
Une Révolution Écosophique
Initiée au Proche-Orient il y a environ 10.000 ans, la révolution néolithique correspond à la transformation progressive des tribus nomades de chasseurs-cueilleurs en communautés sédentaires pratiquant l'agriculture et l'élevage. La production d'un surplus alimentaire modifie totalement l'organisation et la culture des sociétés ainsi sédentarisées. Quant à la révolution industrielle, elle se caractérise par le passage d'une société à dominante agricole et artisanale vers une société à dominante commerciale et industrielle fondée sur l'hégémonie progressive de la raison instrumentale. Si elle est initiée à la Renaissance par l'émergence d'une civilisation bourgeoise en Italie, la révolution industrielle prend son essor au XIXème siècle, en Europe et principalement en Angleterre, notamment grâce au développement du chemin de fer.
Les bouleversements environnementaux opérés durant la révolution industrielle auraient fait entrer la terre dans une nouvelle ère géologique - le Capitalocène - qui fait suite à l'Holocène, période de dix millénaires commencée au néolithique. Le désastre écologique actuel et principalement le réchauffement climatique dû aux pollutions émises par l'extraction et la consommation d'énergies fossiles ne sont pas séparables du capitalisme dont le développement est synchrone à la révolution industrielle. A ces deux grandes révolutions - néolithiques et industrielles - correspondent chaque fois l'émergence d'une vision du monde qui modifie l'organisation socio-économique, les représentations culturelles, les modes de subjectivation comme les comportements.
Comme les deux révolutions précédentes, la révolution écosophique est à la fois la cause et l'effet d'un changement de paradigme. Selon Ervin Laszlo : "Le paradigme est le totalité des présupposés d'une théorie. C'est une image, une idée du monde. Nous en avons tous une dans la tête - même si nous n'en sommes pas conscients - que nous avons construit à partir de ces présupposés. Quand il y a trop d'anomalies, trop de choses incompréhensibles sur la base de cet ensemble de présupposés, alors on cesse d'ajouter explication sur explication, et on propose un autre système. C'est ce qu'a fait Copernic en disant que le soleil était au centre du système, et non la Terre. Le nouveau paradigme consiste à re-simplifier en se basant sur une conception plus profonde, plus capable de répondre à nos interrogations. C'est un autre type de monde." (Vers une nouvelle vision du monde)
A de nombreuses reprises, nous avons évoqué le changement de paradigme qui est au cœur de la troisième révolution : le passage d'une vision abstraite, à la fois réductionniste et mécaniste, (fondée sur l'hégémonie de la rationalité instrumentale) à la vision d'une complexité organique où tout est lié. La participation à cette complexité organique relève d'une raison sensible où la rationalité est au service d'une intuition holiste qui perçoit les ensembles et participe à leur dynamique. Ce saut paradigmatique a pour conséquence le passage d'une vision économique - fondée sur les mécanismes d'un marché où interagissent des monades individuelles mues par la maximisation de leur intérêts égoïstes - à une vision écosophique fondée sur la participation sensible de l'être humain à un milieu d'évolution à la fois naturel, social et culturel. L'être vivant et son milieu d'évolution sont interdépendants, au-delà de toute séparation abstraite : tel est le principe de complexité qui fonde cette sagesse du vivant qu'est l'écosophie.
Un renversement de perspective
Comme les deux premières, la troisième révolution opère donc un renversement total de perspective. Tous les précurseurs, les lanceurs d'alerte et les écologistes que l'on traitait hier d'utopistes apparaissent aujourd'hui comme des individus dont le réalisme est enraciné dans l'expérience sensible de la vie concrète alors même que les technocrates qui se drapaient dans une posture réaliste, identifiée à l'abstraction de la technique et de l'économie, apparaissent tout d'un coup comme de dangereux idéologues et des apprentis sorciers d'autant plus déconnectés de la réalité qu'ils veulent résoudre cette crise systémique en utilisant les méthodes et les modes de pensée qui en sont à l'origine. Comme le dit Einstein : " La définition de la folie c'est de refaire toujours la même chose et d'attendre des résultats différents".
Emily Angelopoulos illustre ainsi le renversement de perspective opéré par la révolution écosophique : " L'utopie n'est plus du côté des écologistes réclamant la décroissance, des végans réclamant la fin de l'élevage, des zadistes refusant l'artificialisation des terres... mais du côté des dirigeants défendant le système économique actuel." Dans ce propos, l'utopie est bien-sûr considérée dans son acception négative de fantasme irréaliste et non dans son acception positive comme expression de l'imagination créatrice.
Un exemple parmi tant d'autres de ce renversement de perpective : une étude publiée le 10 Octobre dans la célèbre revue scientifique Nature démontre que les pays développés devront réduire de 90% leur consommation de viande pour préserver la planète et nourrir les quelques 10 milliards d'êtres humain attendus d'ici 2050. La production agroalimentaire, consommatrice d'eau, source de déforestation, est en effet un facteur majeur du réchauffement climatique. Et sans un recul net de la consommation de viande, son impact sur l'environnement devrait croître jusqu'à 90% d'ici la moitié du siècle selon ces chercheurs qui appellent aussi à réduire le gaspillage alimentaire et à mettre en place de meilleurs pratiques agricoles. Une tel renversement de perspective a de quoi faire sourire les végétariens qui, parfois depuis des décennies, ont du faire face aux railleries, aux interrogations, aux injonctions sanitaires, aux mises en demeure et à l'index, voire à l'ostracisme et à la diabolisation sectaire vécus par tous ceux qui sont simplement juste un peu en avance sur leur temps. (Une vision intégrale du végétarisme - Libération animale)
Auteurs de "Comment tout peut s'effondrer", Pablo Servigne et Raphael Stevens évoquent le rôle fondamental de l'effondrement dans ce renversement total de perspective : " L'utopie a changé de camp : est utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant. L'effondrement est l'horizon de notre génération, c'est le début de son avenir. Qu'y aura-t-il après ? Tout cela reste à penser, à imaginer et à vivre." Aux deux premières révolutions décrites par Fred Vargas, Mike Dertouzos, qui fut directeur du laboratoire d'informatique du M.I.T, en ajoute une troisième : la révolution de l'information vécue depuis quelques décennies. Ce qu'il nomme la "Quatrième Révolution" est décrite comme une conversion du regard : "Les trois premières révolutions socio-économiques ont été fondées sur des objets : la charrue pour l'agriculture, le moteur pour l'industrie, l'ordinateur pour l'information. Peut-être le temps est-il venu pour une quatrième révolution dirigée non plus vers des objets mais vers la compréhension de la plus précieuse ressource sur Terre : nous-mêmes."
La révolution qui vient doit donc être aussi - et surtout - une révolution intérieure issue d'une transformation profonde de notre regard sur le monde, sur les autres et sur nous-mêmes. Les grecs parlaient de "métanoïa" pour évoquer ce mouvement de conversion et de retournement par lequel l'homme s'ouvre, en lui, à plus grand que lui-même. Un tel processus est décrit par Paul Chefurka dans l'article ci-dessous intitulé Gravir l'échelle de la conscience où l'auteur évoque les principales étapes d'une prise de conscience individuelle face à l'effondrement. Ces étapes sont aussi celles d'un changement de paradigme qui transforme toutes les dimensions de l'existence et qui touche plus particulièrement les jeunes générations d'autant plus concernées par l'effondrement qui vient.
Une Révolution Écosophique
Initiée au Proche-Orient il y a environ 10.000 ans, la révolution néolithique correspond à la transformation progressive des tribus nomades de chasseurs-cueilleurs en communautés sédentaires pratiquant l'agriculture et l'élevage. La production d'un surplus alimentaire modifie totalement l'organisation et la culture des sociétés ainsi sédentarisées. Quant à la révolution industrielle, elle se caractérise par le passage d'une société à dominante agricole et artisanale vers une société à dominante commerciale et industrielle fondée sur l'hégémonie progressive de la raison instrumentale. Si elle est initiée à la Renaissance par l'émergence d'une civilisation bourgeoise en Italie, la révolution industrielle prend son essor au XIXème siècle, en Europe et principalement en Angleterre, notamment grâce au développement du chemin de fer.
Les bouleversements environnementaux opérés durant la révolution industrielle auraient fait entrer la terre dans une nouvelle ère géologique - le Capitalocène - qui fait suite à l'Holocène, période de dix millénaires commencée au néolithique. Le désastre écologique actuel et principalement le réchauffement climatique dû aux pollutions émises par l'extraction et la consommation d'énergies fossiles ne sont pas séparables du capitalisme dont le développement est synchrone à la révolution industrielle. A ces deux grandes révolutions - néolithiques et industrielles - correspondent chaque fois l'émergence d'une vision du monde qui modifie l'organisation socio-économique, les représentations culturelles, les modes de subjectivation comme les comportements.
Comme les deux révolutions précédentes, la révolution écosophique est à la fois la cause et l'effet d'un changement de paradigme. Selon Ervin Laszlo : "Le paradigme est le totalité des présupposés d'une théorie. C'est une image, une idée du monde. Nous en avons tous une dans la tête - même si nous n'en sommes pas conscients - que nous avons construit à partir de ces présupposés. Quand il y a trop d'anomalies, trop de choses incompréhensibles sur la base de cet ensemble de présupposés, alors on cesse d'ajouter explication sur explication, et on propose un autre système. C'est ce qu'a fait Copernic en disant que le soleil était au centre du système, et non la Terre. Le nouveau paradigme consiste à re-simplifier en se basant sur une conception plus profonde, plus capable de répondre à nos interrogations. C'est un autre type de monde." (Vers une nouvelle vision du monde)
A de nombreuses reprises, nous avons évoqué le changement de paradigme qui est au cœur de la troisième révolution : le passage d'une vision abstraite, à la fois réductionniste et mécaniste, (fondée sur l'hégémonie de la rationalité instrumentale) à la vision d'une complexité organique où tout est lié. La participation à cette complexité organique relève d'une raison sensible où la rationalité est au service d'une intuition holiste qui perçoit les ensembles et participe à leur dynamique. Ce saut paradigmatique a pour conséquence le passage d'une vision économique - fondée sur les mécanismes d'un marché où interagissent des monades individuelles mues par la maximisation de leur intérêts égoïstes - à une vision écosophique fondée sur la participation sensible de l'être humain à un milieu d'évolution à la fois naturel, social et culturel. L'être vivant et son milieu d'évolution sont interdépendants, au-delà de toute séparation abstraite : tel est le principe de complexité qui fonde cette sagesse du vivant qu'est l'écosophie.
Un renversement de perspective
Comme les deux premières, la troisième révolution opère donc un renversement total de perspective. Tous les précurseurs, les lanceurs d'alerte et les écologistes que l'on traitait hier d'utopistes apparaissent aujourd'hui comme des individus dont le réalisme est enraciné dans l'expérience sensible de la vie concrète alors même que les technocrates qui se drapaient dans une posture réaliste, identifiée à l'abstraction de la technique et de l'économie, apparaissent tout d'un coup comme de dangereux idéologues et des apprentis sorciers d'autant plus déconnectés de la réalité qu'ils veulent résoudre cette crise systémique en utilisant les méthodes et les modes de pensée qui en sont à l'origine. Comme le dit Einstein : " La définition de la folie c'est de refaire toujours la même chose et d'attendre des résultats différents".
Emily Angelopoulos illustre ainsi le renversement de perspective opéré par la révolution écosophique : " L'utopie n'est plus du côté des écologistes réclamant la décroissance, des végans réclamant la fin de l'élevage, des zadistes refusant l'artificialisation des terres... mais du côté des dirigeants défendant le système économique actuel." Dans ce propos, l'utopie est bien-sûr considérée dans son acception négative de fantasme irréaliste et non dans son acception positive comme expression de l'imagination créatrice.
Un exemple parmi tant d'autres de ce renversement de perpective : une étude publiée le 10 Octobre dans la célèbre revue scientifique Nature démontre que les pays développés devront réduire de 90% leur consommation de viande pour préserver la planète et nourrir les quelques 10 milliards d'êtres humain attendus d'ici 2050. La production agroalimentaire, consommatrice d'eau, source de déforestation, est en effet un facteur majeur du réchauffement climatique. Et sans un recul net de la consommation de viande, son impact sur l'environnement devrait croître jusqu'à 90% d'ici la moitié du siècle selon ces chercheurs qui appellent aussi à réduire le gaspillage alimentaire et à mettre en place de meilleurs pratiques agricoles. Une tel renversement de perspective a de quoi faire sourire les végétariens qui, parfois depuis des décennies, ont du faire face aux railleries, aux interrogations, aux injonctions sanitaires, aux mises en demeure et à l'index, voire à l'ostracisme et à la diabolisation sectaire vécus par tous ceux qui sont simplement juste un peu en avance sur leur temps. (Une vision intégrale du végétarisme - Libération animale)
Auteurs de "Comment tout peut s'effondrer", Pablo Servigne et Raphael Stevens évoquent le rôle fondamental de l'effondrement dans ce renversement total de perspective : " L'utopie a changé de camp : est utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant. L'effondrement est l'horizon de notre génération, c'est le début de son avenir. Qu'y aura-t-il après ? Tout cela reste à penser, à imaginer et à vivre." Aux deux premières révolutions décrites par Fred Vargas, Mike Dertouzos, qui fut directeur du laboratoire d'informatique du M.I.T, en ajoute une troisième : la révolution de l'information vécue depuis quelques décennies. Ce qu'il nomme la "Quatrième Révolution" est décrite comme une conversion du regard : "Les trois premières révolutions socio-économiques ont été fondées sur des objets : la charrue pour l'agriculture, le moteur pour l'industrie, l'ordinateur pour l'information. Peut-être le temps est-il venu pour une quatrième révolution dirigée non plus vers des objets mais vers la compréhension de la plus précieuse ressource sur Terre : nous-mêmes."
La révolution qui vient doit donc être aussi - et surtout - une révolution intérieure issue d'une transformation profonde de notre regard sur le monde, sur les autres et sur nous-mêmes. Les grecs parlaient de "métanoïa" pour évoquer ce mouvement de conversion et de retournement par lequel l'homme s'ouvre, en lui, à plus grand que lui-même. Un tel processus est décrit par Paul Chefurka dans l'article ci-dessous intitulé Gravir l'échelle de la conscience où l'auteur évoque les principales étapes d'une prise de conscience individuelle face à l'effondrement. Ces étapes sont aussi celles d'un changement de paradigme qui transforme toutes les dimensions de l'existence et qui touche plus particulièrement les jeunes générations d'autant plus concernées par l'effondrement qui vient.
Gravir l’échelle de la conscience – Paul Chefurka
Lorsqu’il s’agit de notre compréhension de la crise mondiale actuelle, chacun de nous semble s’insérer quelque part le long d’un continuum de prise de conscience qui peut être grossièrement divisé en cinq étapes :
1. En sommeil profond. À ce stade, il ne semble y avoir aucun problème fondamental, seulement quelques lacunes dans l’organisation humaine, le comportement et la moralité, lacunes qui peuvent être résolues à l’aide d’une attention appropriée portée à l’élaboration de règles. Les gens à ce stade ont tendance à vivre avec joie, avec des explosions occasionnelles d’irritation lors de périodes électorales ou de la publication trimestrielle des bénéfices des entreprises.
2. Conscience d’un problème fondamental. Que ce soit le changement climatique, la surpopulation, le pic pétrolier, la pollution chimique, la surpêche océanique, la perte de biodiversité, le corporatisme, l’instabilité économique ou l’injustice sociopolitique, un problème semble retenir l’attention complètement. Les gens à ce stade ont tendance à devenir d’ardents militants pour leur cause choisie. Ils ont tendance à être très volubile quant à leur problème personnel, et aveugle à tous les autres.
3. Conscience de nombreux problèmes. Alors que les gens absorbent des évidences de différents domaines, la conscience de la complexité commence à croître. À ce stade, une personne s’inquiète de la hiérarchisation des problèmes en termes de leur urgence et de leur force d’impact. Les gens à ce stade peuvent devenir réticents à reconnaître de nouveaux problèmes – par exemple, quelqu’un qui s’est engagé à lutter pour la justice sociale et contre le changement climatique peut ne pas reconnaître le problème de l’épuisement des ressources. Ils peuvent penser que le problème est déjà assez complexe, et que l’ajout de nouvelles préoccupations ne ferait que diluer l’effort à déployer pour résoudre le problème de « plus haute priorité ».
4. Conscience des interconnexions entre les nombreux problèmes. La réalisation qu’une solution dans un domaine peut aggraver un problème dans une autre marque le début de la pensée systémique à grande échelle. Elle marque aussi la transition entre penser la situation en tant qu’un ensemble de problèmes à la pensée de celle-ci en tant que situation difficile. À cette étape, la possibilité qu’il pourrait ne pas y avoir de solution commence à pointer le bout de son nez.
Les gens qui arrivent à ce stade ont tendance à se retirer dans des cercles restreints de personnes aux vues similaires pour échanger des idées et approfondir leur compréhension de ce qui se passe. Ces cercles sont nécessairement petits, à la fois parce que le dialogue personnel est essentiel à cette profondeur d’exploration, et parce qu’il n’y a tout simplement pas beaucoup de gens qui sont arrivés à ce niveau de compréhension.
5. Conscience que la situation difficile englobe tous les aspects de la vie. Ceci inclut tout ce que nous faisons, comment nous le faisons, nos relations à autrui, ainsi que notre traitement du reste de la biosphère et de la planète physique. Avec cette réalisation, les vannes s’ouvrent, et aucun problème n’est exempté de l’examen ou de l’acceptation. Le concept même de "solution" est mis à nu et jeté de côté, il est un gaspillage d’efforts.
Pour ceux et celles qui parviennent au stade 5, il y a un risque réel que la dépression s’installe. Après tout, nous avons appris tout au long de notre existence que notre espoir pour demain réside dans notre capacité à résoudre les problèmes d’aujourd’hui. Lorsqu’aucun effort d’intelligence humaine ne semble en mesure de résoudre notre situation, la possibilité d’un espoir peut disparaître comme la lumière d’une flamme de bougie, pour être remplacée par l’obscurité étouffante du désespoir.
Deux chemins
Comment les gens composent avec le désespoir est, bien sûr, profondément personnel, mais il me semble qu’il y a deux routes habituelles sur lesquelles les gens s’engagent pour se réconcilier avec la situation. Elles ne sont pas mutuellement exclusives, et la plupart d’entre nous ferons usage d’un certain mélange des deux. Je les identifie ici comme des tendances générales parce que les gens semblent être attirés davantage par l’une ou l’autre. Je les appelle le chemin extérieur et le chemin intérieur.
Si l’on est enclin à choisir le chemin extérieur, les préoccupations concernant l’adaptation et la résilience locale passent au premier plan, comme en témoigne le Transition Network (Réseau de transition) et le Permaculture Movement (Mouvement de la permaculture). Pour ceux et celles qui sont sur la voie extérieure, le développement communautaire et les initiatives locales de développement durable auront un grand attrait. La politique des partis organisés semble moins attrayante aux personnes de ce stade, cependant. Peut-être que la politique est considérée comme une partie du problème, ou peut-être est-elle simplement considérée comme un gaspillage d’efforts lorsque l’action réelle a lieu au niveau local. Si l’on est peu enclin à choisir la voie extérieure, soit à cause de son tempérament ou des circonstances, le chemin intérieur offre son propre ensemble d’attraits.
Choisir le chemin intérieur implique la reformulation de l’ensemble en termes de conscience, de conscience de soi et/ou d’une certaine forme de perception transcendante. Pour quelqu’un sur ce chemin, ceci est considéré comme une tentative de manifester le message de Gandhi : «Devenez le changement que vous voulez voir dans le monde» au niveau personnel le plus profond.
Ce message est exprimé de façon similaire dans l’ancien adage hermétique : «Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas; ce qui est au-dessous est comme ce qui est au-dessus». Ou dans un langage clair : «Pour guérir le monde, commencez d’abord par vous guérir.»
Cependant, le chemin intérieur n’implique pas un "retrait dans la religion". La plupart des gens que j’ai rencontrés et qui ont choisi une voie intérieure confèrent aussi peu d’utilité à la religion traditionnelle que leurs homologues sur la voie extérieure n’en confèrent à politique traditionnelle. La religion organisée est généralement considérée comme faisant partie du problème plutôt que comme une solution. Ceux et celles qui sont arrivés à ce point ne portent aucun intérêt à l’évitement ou au soulagement de la douloureuse vérité, ils souhaitent plutôt lui créer un contexte personnel cohérent. Une spiritualité personnelle d’une sorte ou d’une autre convient souvent pour cela, mais la religion organisée le fait rarement.
Il est important de mentionner qu’il y a aussi la possibilité d’une difficulté personnelle grave à cette étape. Si quelqu’un ne peut pas choisir un chemin extérieur pour une raison quelconque et résiste aussi à l’idée de croissance intérieure ou de la spiritualité comme réponse à la crise d’une planète entière, alors il est vraiment dans une impasse. Il existe quelques autres portes qui mènent hors de ce profond désespoir. Si on reste coincé ici pour une longue période de temps, la vie peut commencer à sembler terriblement sombre, et la violence à l’égard du monde ou de soi peut commencer à sembler être une option raisonnable. S’il vous plaît, gardez un œil vigilant sur votre propre progrès et, si vous rencontrez quelqu’un d’autre qui peut être dans cet état, s’il vous plaît, offrez-lui une oreille attentive.
D’après mes observations, chaque étape successive contient environ le dixième de la population de celle qui la précède. Ainsi, alors que peut-être 90% de l’humanité est à l’étape 1, moins d’une personne sur dix mille sera à l’étape 5 (et aucune d’entre elles n’est susceptible d’être un politicien). Le nombre de celles qui ont choisi la voie intérieure au stade 5 semble aussi être d’un ordre de grandeur plus petit que le nombre de celles qui sont sur la voie extérieure.
Pour ma part, j’ai choisi un chemin intérieur en réponse à ma prise de conscience de l’étape 5. Ce qui me convient bien, mais naviguer sur cet(te) imminent(e) (transition, changement, métamorphose – appelez ça comme vous voulez), requerra de nous tous – peu importe les chemins choisis – de coopérer dans la prise de décisions éclairées lors des moments difficiles.
Meilleurs vœux pour un voyage de longue durée, passionnant et enrichissant.
Ressources
Gravir l’échelle de la conscience Paul Chefurka Site Adrastia. Article original en anglais : Climbing the Ladder of Awareness Traduction libre (de tous droits d’auteur) par Paul Racicot.
Nous avons proposé de nombreux liens concernant la thématique de l’effondrement dans les rubriques Ressources des deux derniers billets : Qu'est ce que le Capitalocène? et L’effondrement qui vient
Un résumé synthétique du rapport du Giec Météo France
Ce qu'il faut retenir du rapport du Giec sur la hausse globale des températures Site Le Monde
Giec et Climat : la situation est très difficile mais pas désespérée Émilie Massemin. Site Reporterre
Il est encore temps De nombreux liens pour des actions concrètes, collectives et/ou personnelles.
Ervin Laszlow : vers une nouvelle vision du monde Site Inrees
Dans Le Journal Intégral : Effondrement et Refondation - De quoi la Zad est-elle le nom? - Une vision intégrale du végétarisme - Libération animale - Écosophie : une sagesse commune - Civilisation, Décadence, Écosophie -La voie de l'intuition (2) La Métanoïa - La Déclaration d'Unité .
Un résumé synthétique du rapport du Giec Météo France
Ce qu'il faut retenir du rapport du Giec sur la hausse globale des températures Site Le Monde
Giec et Climat : la situation est très difficile mais pas désespérée Émilie Massemin. Site Reporterre
Il est encore temps De nombreux liens pour des actions concrètes, collectives et/ou personnelles.
Ervin Laszlow : vers une nouvelle vision du monde Site Inrees
Dans Le Journal Intégral : Effondrement et Refondation - De quoi la Zad est-elle le nom? - Une vision intégrale du végétarisme - Libération animale - Écosophie : une sagesse commune - Civilisation, Décadence, Écosophie -La voie de l'intuition (2) La Métanoïa - La Déclaration d'Unité .