vendredi 12 juillet 2013

Les Trois Yeux... (3) La Confusion Pré/Trans


Le problème n'est pas de faire entrer dans votre esprit des pensées nouvelles et innovantes, il est d'en faire sortir les vieilles. Dee Hock

Racines, Tronc et Branches :  Pré-personnel, Personnel et Transpersonnel

Ce billet constitue la suite des deux précédents qu’il vaut mieux avoir lu pour aborder celui-ci.

Dans Les trois yeux de la connaissance, Ken Wilber analyse les implications philosophiques et épistémologiques de l’anthropologie évolutionnaire issue de sa découverte du "Spectre de la Conscience". Contre l’emprise du scientisme dominant et son réductionnisme mortifère, il pose les bases d’une écologie de l’esprit en affirmant un pluralisme épistémologique et une diversité cognitive à travers la métaphore des Trois Yeux de la Connaissance. 

Wilber diagnostique deux principaux obstacles à l’émergence d’un nouveau paradigme. Le premier a été évoqué dans les deux billets précédents. C’est "l’erreur catégorielle" fondée sur la confusion entre les trois grands domaines de connaissance – sensoriel, mental et spirituel – symbolisés par l’œil de chair, l’œil de raison et l’œil de contemplation. 

Le second obstacle est explicité dans un article devenu célèbre - "The Pre/Trans Fallacy" - traduit dans cet ouvrage par La Confusion Pré/Trans. Wilber a défini le « Spectre de la Conscience » comme un processus dynamique de développement qui commence dans les états archaïques pré-personnels, continue avec l’émergence d’une individualité singulière pour aboutir à des états transpersonnels 

A partir de ce modèle, Ken Wilber pointe l’erreur de nombreux auteurs qui confondent les domaines du pré-personnel et ceux du transpersonnel au prétexte qu’ils n’appartiennent ni les uns ni les autres au domaine de prédilection de la connaissance occidentale qui est celui de l’individu rationnel. La confusion Pré-Trans est une erreur de raisonnement et de perception qui a perverti nombre de réflexions théoriques, notamment dans le domaine des sciences humaines.

Mais cette erreur a aussi beaucoup de conséquences pratiques dans la vie sociale, culturelle et politique où le surgissement de la nouveauté, perçu comme une transgression par la pensée dominante, est jugé par celle-ci comme une régression vis-à-vis des normes établies. La compréhension de la confusion Pré/Trans est un apport essentiel à la connaissance du développement humain et de l’évolution culturelle mais aussi à l’émergence d’un modèle intégral permettant d’éviter cette erreur. 

Qu’est-ce que la Confusion Pré/Trans ? 


Pour mieux comprendre la nature de la Confusion Pré/Trans, donnons la parole à Wilber dans la présentation de son célèbre essai : « Il y a un obstacle à l'émergence d'une vision du monde complète et celui-ci est sans conteste le plus fascinant de tous. Cet obstacle, cette confusion, a corrompu, sous ses formes diverses, les travaux des psychologues de Freud à Jung, des philosophes de Bergson à Nietzsche, des sociologues de Lévy-Bruhl à Auguste Comte. 

On le retrouve aussi bien derrière la vision du monde mythologique et romantique que derrière la vision rationnelle et scientifique; aussi bien dans les tentatives actuelles visant à prôner le mysticisme que dans celles visant à le dénoncer. Je suis convaincu que tant que cet obstacle n'aura pas été levé, tant que cette confusion n'aura pas été dissipée, nous serons dans l'incapacité d'élaborer une vision du monde qui soit vraiment complète. 

J'ai baptisé cet obstacle la « confusion pré/trans »… Il est relativement simple de formuler l'essence de la confusion pré/trans. Nous commençons tout simplement par supposer que les êtres humains ont en réalité accès à trois domaines généraux d'être et de connaissance — le sensoriel, le mental et le spirituel. La terminologie variera selon les préférences : subconscient, conscient et surconscient, ou prérationnel, rationnel et transrationnel, ou prépersonnel, personnel et transpersonnel. 

La difficulté est liée à un fait assez simple : le prérationnel et le transrationnel sont non-rationnels, chacun à leur manière, en conséquence ils paraissent relativement semblables, voire identiques, au regard du profane. Cette confusion — entre « pré » et « trans » a deux conséquences possibles : les domaines transrationnels sont réduits au niveau pré-personnel, ou les domaines prérationnels sont élevés à une gloire transrationnelle. Dans un cas comme dans l'autre, la vision du monde est tronquée, une moitié du monde réel (le « pré » ou le « trans ») étant victime d'une profonde erreur de traitement et de compréhension. » 

Une phénoménologie dynamique 

Wilber évoque le contexte culturel et les références intellectuelles qui ont nourri sa réflexion : « Le concept de la confusion pré/trans — « cpt » en abrégé — est issu tout à la fois de la philosophie du développement, dont l'un des plus éminents représentants en Occident est sans conteste Hegel, et en Orient, Aurobindo; et de la psychologie du développement, Baldwin et Piaget, en Occident, le yoga kundalini en Orient. 

Cette vision évolutive générale s'appuie sur le postulat que, dans le monde de maya, tous les objets existent dans le temps; le monde du temps étant celui du flux, tous les objets se situant dans ce monde sont en changement permanent; le changement implique une certaine différence d'un état à un autre, c'est-à-dire, un certain développement; tous les objets de ce monde ne peuvent donc être considérés que comme des objets ayant connu un certain développement. Ce dernier peut être progressif, régressif ou stationnaire, mais il n'est jamais totalement absent. 

Bref, tous les phénomènes se développent, donc une phénoménologie authentique est toujours évolutive, dynamique — ce fut, par exemple, l'essence de la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel. Selon cette conception, tout phénomène donné existe dans, et en tant que flux de développement, et un des meilleurs moyens d'appréhender la nature du phénomène consiste à retrouver la trame de son développement — retracer son historique, établir son évolution, découvrir son contexte non seulement dans l'espace mais encore dans le temps. 

Un monde en développement 

Modèle AQAL de Wilber. Doc Second Tiers

Si on s'emploie à considérer le monde dans son ensemble en termes d'évolution, il nous apparaîtra lui-même comme évoluant dans une direction définie, c'est-à-dire, vers des niveaux toujours plus élevés d'organisation structurale, vers un holisme, une intégration, une attention, une conscience toujours plus grands.

Il suffit d'envisager l'évolution qu'a connu le monde à ce jour — de la matière aux êtres humains en passant par les végétaux, les animaux inférieurs et les mammifères — pour s'apercevoir qu'elle se caractérise par une croissance prononcée vers une complexité et une attention sans cesse croissantes. 

Maints philosophes et psychologues ont conclu, au vu de cette tendance évolutive, non seulement que le meilleur moyen de connaître un phénomène consiste à étudier son évolution, mais encore que celle-ci vise au noumène. Songeons à la conception évolutive vers le point oméga de Teilhard de Chardin, à la pulsion évolutive vers le supra-mental d'Aurobindo, mais aussi aux concepts de philosophes occidentaux tels que Aristote et Hegel… 

Auto-actualisation de l’Esprit

Hegel
Ainsi, l'histoire (l'évolution) était-elle pour Hegel, comme pour la philosophie éternelle en général, le processus d'auto-actualisation de l'Esprit. Il est significatif que Hegel ait affirmé que ce processus évolutif se déroulait en trois phases principales. Il commence avec la nature, le domaine le plus bas — celui de la matière, des sensations et des perceptions corporelles élémentaires. C'est le domaine que nous qualifierons de prépersonnel ou de subconscient. 

Hegel parle souvent de la nature subconsciente (c'est-à-dire du domaine prépersonnel) comme d'une « chute » (Abfall) — mais il ne faut pas en déduire que la nature soit opposée à l'Esprit ni qu'elle en soit séparée. La nature est plutôt « l'Esprit assoupi », ou « Dieu dans son autre-té (otherness) ». Soyons plus spécifique : la nature est « l'Esprit auto-aliéné » ou la forme la plus basse de l'Esprit dans son retour vers l'Esprit. 

Dans la deuxième phase du retour de l'Esprit vers l'Esprit, ou du processus de renversement de l'auto-aliénation, le développement évolue de la nature (prépersonnel) à ce que Hegel a nommé la phase consciente. C'est la phase de conscience de soi ou de conscience mentale typique – le domaine que nous qualifierons de personnel, de mental, de conscient. Enfin, toujours selon Hegel, l'évolution culmine dans l'Absolu, ou dans la découverte de l'Esprit en tant qu'Esprit par l'Esprit, un stade/niveau que nous baptiserons transpersonnel ou surconscient. 

Trois phases évolutives 

Résumons la séquence globale du développement : de la nature à la divinité via l'humanité, du subconscient au surconscient via le conscient, du prépersonnel au transpersonnel via le personnel. Nous retrouvons exactement les trois mêmes phases majeures chez Berdiaev et Aurobindo — quant à Baldwin, il n'en est guère éloigné avec sa notion de prélogique, logique et hyperlogique. Quoi qu'il en soit, cette conception se fonde sur une tradition extrêmement large. 

Revenons maintenant au processus global d'évolution, ou de croissance et de développement en général, car c'est ici qu'intervient la cpt. Puisque le développement évolue du prépersonnel ou transpersonnel en passant par le personnel, et puisque le prépersonnel et le transpersonnel sont, chacun à leur façon, non-personnels, alors le profane aura tendance à croire que le prépersonnel et le transpersonnel sont semblables voire identiques. 

En d'autres termes, il fera une confusion entre les dimensions prépersonnelle et transpersonnelle — et nous voici au coeur de la cpt. Cette confusion revêt deux formes majeures : la réduction du transpersonnel au prépersonnel et l'élévation du prépersonnel au transpersonnel."

Wilber, Freud et Jung 

Freud, Wilber, Jung. Doc Carnet Philosophique

Habituée à penser en termes d’objectivité statique et d’oppositions abstraites, la rationalité moderne a du mal à se représenter le flux dynamique et la continuité évolutive propre au développement humain. Ceci explique pourquoi la confusion Pré/Trans a généré de nombreuses erreurs dans le domaine des sciences humaines, que ce soit en psychologie, en sociologie ou en anthropologie mais aussi dans les domaines de la spiritualité, de la politique ou de la médecine, par exemple. 

Wilber illustre les deux variantes de la confusion Pré/Trans en se référant aux œuvres de Freud et de Jung, le premier ayant réduit les inspirations transpersonnelles à des émotions archaïques alors que le second élève des états fusionnels infantiles à un statut transcendant. 

« Freud avait une notion correcte du ça prépersonnel et du moi personnel, mais il réduisit toutes les expériences spirituelles et transpersonnelles au niveau prépersonnel. Les intuitions transtemporelles sont expliquées comme étant des pulsions prétemporelles du ça; le samâdhi transsujet/objet est considéré comme une régression vers un narcissisme présujet/objet; l'union transpersonnelle est interprétée comme une fusion prépersonnelle… [Cette vue ]n'est pas bien entendu propre à Freud. Elle caractérise l'orthodoxie occidentale classique — de Piaget à Sullivan en passant par Adler et Arieti. 

J'ai le sentiment que Jung se situe à l'extrême opposé. Il avait une notion correcte et très claire de la dimension transpersonnelle ou spirituelle, mais il la fondait et la confondait souvent avec les structures prépersonnelles. Pour Jung, il n'est que deux domaines majeurs : le personnel et le collectif — et il a donc tendance, comme Assagioli lui-même l'a fait remarquer, à obscurcir les différences importantes et profondes existant entre l'inconscient collectif inférieur et l'inconscient collectif supérieur; soit entre le collectif prépersonnel et le collectif transpersonnel. Ainsi, Jung se retrouve-t-il parfois amené non seulement à glorifier des formes de pensée mythiques infantiles, mais encore à faire subir un traitement régressif à l'Esprit. » 

Un effet horizon

En analysant les manifestations de la confusion Pré/Trans dans plusieurs domaines des sciences humaines, Wilber pose un nouveau regard sur divers phénomènes sociaux, culturels ou spirituels. L’intérêt de ces analyses réside dans le fait que, loin d’être une erreur théorique qui plane de manière abstraite dans le domaine des idées, la confusion Pré/Trans a de nombreuses répercussions pratiques dans la vie quotidienne. 

Jacques Ferber est l’auteur d’un texte intitulé L’approche intégrale et l’erreur pré/trans à lire sur son site Développement Intégral. Pour lui, l’erreur Pré/Trans « consiste à confondre le dépassement d’un stade avec ce qui se passe avant ce stade, c’est à dire à confondre le pré-X avec le trans-X où X est une caractéristique donnée qui apparaît avec un stade particulier. Trans-X signifie qui apparait après X et qui en même temps inclut X comme un élément… Toute la notion de développement passe par cette idée d’évolution et de passage à une phase suivante qui transcende et inclut la phase précédente… 

Nombre de personnes ne voyant pas le dépassement de X confondent son dépassement et ce qui se passe avant, puisque tous les deux ne sont pas X…. C’est une forme d’effet horizon: le pré-X ne comprend pas X et le rejette parce qu’il le considère comme non pertinent, en fait parce qu’il se situe dans une perspective évolutionniste, au-delà de son mode de pensée » 

Au cœur de l’évolution culturelle 


La confusion Pré/Trans ainsi analysée par Jacques Ferber explique la dialectique d’une évolution culturelle fondée sur la lutte entre les gardiens de la pensée dominante et des avant-gardes qui sont les vecteurs d’un saut créatif vers un nouveau stade évolutif. Si, à un stade évolutif donné, la pensée dominante est incapable de percevoir les courants novateurs qui font avancer la culture comme la société c'est parce qu’elle projette sur eux sa propre grille d’interprétation en les jugeant avec des références que ces pionniers sont justement en train de dépasser. 

Si les institutions sont aveugles à l’émergence du nouveau, dans quelque domaine que ce soit, c’est qu’elles le réduisent toujours à de l’ancien. De fait, elles rejettent les mouvements novateurs qui se situent – dans une perspective développementale – au-delà de leurs modes de pensée. Connaître l’erreur Pré/Trans c’est mieux comprendre pourquoi les avant-gardes novatrices sont toujours envisagées comme des mouvements régressifs, subversifs et même dangereux par les gardiens de la pensée dominante qui n’auront de cesse de les stigmatiser et de les marginaliser à travers des stratégies de diabolisation. 

Au fil de l’actualité, nous aurons l’occasion de revenir sur de nombreux exemples où la confusion Pré/Trans se manifeste à travers les tensions entre les tenants du modèle dominant et les courants créateurs inspirés par une nouvelle vision du monde, et ce dans des domaines aussi variés que la culture, la politique, la spiritualité, les sciences humaines ou la médecine. Ce faisant, nous n'aurons dévoilé qu'une des deux parties du tableau entier. Car si les conservateurs perçoivent la nouveauté en termes de régression, les réactionnaires, eux, idéalisent le passé en faisant de la pensée mythique et des sociétés organiques pré-modernes les modèles de référence.

Qu’ils soient nationalistes ou ethnocentrés, intégristes ou traditionalistes, ces courants réactionnaires sont adeptes d'un retour en arrière, à un stade précédent la modernité. Ce faisant, ils sont pris au piège de la confusion Pré/Trans dans sa seconde version, celle qui élève les stades fusionnels et mythiques pré-modernes à un statut de développement supérieur. Nous aurons l’occasion aussi de revenir au fil de l’actualité sur ce versant de la confusion Pré/Trans qui  conduit les individus en quête de références à des impasses dans la mesure où leur modèle rétrograde n'est plus du tout adapté au stade actuel de l'évolution culturelle.
 

Les Trois Yeux de la Connaissance. Table des Matières 

Préface 

1.Oeil pour œil 

Les trois yeux de l’âme. La naissance de la science. La science nouvelle. Kant et l’au-delà. Le nouveau scientisme. La nature du scientisme. La contradiction du scientisme. Mais la vérification est-elle possible ? Science et religion. 

2. Le problème de la preuve 

Données et connaissance. La signification d’ « expérience » et d’ « empirisme ». Les procédures de vérification. Investigation empirico-analytique. Investigation empirico-analytique. Investigation mentalo-phénoménologique. Quelques exemples en psychologie. L’investigation transcendantale. La preuve de l’existence de Dieu. Mais peut-on parler de science ? Théorie et hypothèse. Mais alors qu’entendons-nous par « science » ? Quelques exemples. Que dire des mesures dans le cadre des sciences nouvelles ? Résumé et conclusion : les sciences « Geist ». 

3. Une carte mandala de la conscience

La nature du développement. Les domaines inférieurs. Les domaines intermédiaires. Les domaines supérieurs. Les domaines ultimes. 

4. Développement, méditation et inconscient 

La forme du développement. Les types de l’inconscient. Méditation et l’inconscient. 

5. Physique, mysticisme et le nouveau paradigme holographique 

Introduction. La philosophie éternelle. Physique et mysticisme. L’ordre implicite. Mental et mécanique quantique. Le cerveau holographique. Conclusions et évaluations. 

6. Réflexions sur le paradigme du nouvel âge — une interview 

7. La confusion pré/trans 

La nature générale de la confusion pré/trans. Exemples de CPT dans les théories psychologiques. CPT dans les théories psychologiques. CPT en sociologie et en anthropologie. Transcendance, refoulement et régression. La matrice primaire. Freud, Eros et Thanatos. Un raffinement. Un mot de mise engarde. 

8. Légitimité, authenticité et autorité dans les nouvelles religions 

Une approche structuralo-développementale. La confusion pré/trans. Légitimité versus authenticité. Les critères. Autorité. Quelques exemples concrets. Un modèle conformatif. Le groupe non problématique. 

9. Structure, phase et moi 

Introduction. Les structures fondamentales de la conscience. Quelques aspects de transition associés aux structures fondamentales. Le système du moi. Les phases du moi. Les phases du moi de la conscience. Discussion. 

10. L'état de conscience ultime 

Un sans second 

Ressources

A lire sur le site Philosophie et Spiritualité, un article complet sur la confusion Pré/Trans intitulé Prépersonnel et Transpersonnel

L'approche intégrale et l'erreur pré/trans Article de Jacques Ferber sur son site Développement Intégral 

6 commentaires:

  1. La confusion pré/trans a encore de beaux jours devant elle, quand on voit le romantisme qui règne dans le milieu de la spiritualité et de l'écologie.
    La vision manichéenne et romantique du monde, où l'homme moderne est présenté comme le mal absolue et la nature comme pure et immaculée, est toujours omniprésente. Dans cette optique, il ne s'agit pas seulement de dénoncer les excès et les pathologies de notre monde moderne, ce qui est nécessaire, mais de montrer que la technologie est responsable de tous les maux et que l'apocalypse est imminente si nous ne rejetons totalement tous les aspects de la société moderne. Cela n'empêche pas ces prêcheurs de l'apocalypse de profiter du confort de notre société, en utilisant par exemple les vols en avion et en allant acheter le dernier gadget électronique à la mode. Tant que les gens ne remettront pas en cause cette vision et continueront dans le catastrophisme, il n'y a aura pas de révolution intégrale. Pour moi la révolution intégrale c'est avant tout de reconnaitres les aspects négatifs et POSITIFS de chaque système de valeurs qui nous ont précédé. Jusqu'à présent chaque système de valeurs défendait une vision du monde dogmatique ou toutes les véritées partielles des autres systèmes étaient rejetées en bloc.
    Malgré que vous vous défendez de ne pas faire dans le catastrophisme, on voit souvent des articles sur votre blog qui font dans le catastrophisme le plus éhonté. Un exemple parmi d'autres:

    "La Situation Globale

    La crise globale à laquelle l'humanité est confrontée affecte aujourd'hui toutes les personnes et toutes les sociétés. Si nous continuons au rythme actuel, au milieu de ce siècle notre Terre pourrait devenir en grande partie inhabitable pour l'humain et la plupart des autres formes de vie. Un tel effondrement global du système pourrait se produire bien plus tôt par un emballement du réchauffement climatique ou d'autres éco-catastrophes, ou par des guerres nucléaires déclenchées par des conflits religieux, ethniques ou géopolitiques, ou une utilisation exagérée des ressources naturelles décroissantes."

    http://journal-integral.blogspot.ch/search/label/Ecologie%20Int%C3%A9grale

    Si ce n'est pas catastrophisme ça !
    Les malthusiens se sont toujours trompés, cela ne les empêche pas de faire toujours des prédictions toujours plus apocalyptiques. Par exemple dans les années 60, Paul Erlich, dans sont livre 'The population Bomb' nous prédisaient que dans les années 70 des centaines de millions de gens allaient mourir de faim et que dans les années 80 les ressources de la planète serait épuisées. Il prévoyait également que 65 millions d'américains allaient mourir de faim entre 1980 et 1989. Malgré ces prévisions absurdes, les écologistes ne se gênent pas de continuer à faire ce genre de prédictions, puisque c'est leur fond de commerce.

    Pour ceux qui lisent l'anglais, je recommande de lire le livre de Ken Wilber : 'Boomeritis', qui démonte tous les mythes véhiculées dans notre société moderne par les post-modernes.

    Une information hors-sujet : Andrew Cohen ferait son mea-culpa sur ses comportements abusifs envers ses disciples et prendrait une année sabatique (c.f http://andrewcohen.org/)

    Philippe.

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  2. Cher Philippe. Je suis tout à fait d’accord avec vous quand vous écrivez : " La révolution intégrale c'est avant tout de reconnaître les aspects négatifs et POSITIFS de chaque système de valeurs qui nous ont précédé ". Parce que ce que vous dîtes est l’essence même d’une vision intégrale, je ne pense absolument pas que « la technologie est responsable de tous les maux et que l'apocalypse est imminente si nous ne rejetons totalement tous les aspects de la société moderne ».

    Bien au contraire, à de nombreuses reprises dans le Journal Intégral j’ai critiqué les délires apocalyptiques et le catastrophisme qui consiste à utiliser la peur pour empêcher de penser et les passions tristes pour imposer son pouvoir : « Contre le catastrophisme ambiant qui instrumentalise les peurs collectives au service d’intérêts politiques, idéologiques ou économiques, il faut s'arracher de l'hypnose médiatique comme des analyses factuelles pour comprendre la signification de cet évènement… »

    « Derrière ce catastrophisme – si fasciné par les arbres qui s’écrasent qu’il est aveugle aux forêts qui poussent – se cache une mutation profonde de notre mode de fonctionnement individuel et collectif… »
    Censé illustrer mon prétendu catastrophisme, l'extrait que vous citez, n'est pas de mon fait mais il est tiré d'un texte intitulé L'état d'Urgence Mondial où Ervin Laszlo, philosophe des sciences mondialement connu, évoque un effondrement possible de notre civilisation. Dans le même registre, Dennis Meadows, l’auteur du fameux rapport du club de Rome intitulé Les limites de la croissance dit ceci à Libération en 2012 : « En 1972, nous avions élaboré treize scénarios, j’en retiendrais deux : celui de l’effondrement et celui de l’équilibre. Quarante ans plus tard, c’est indéniablement le scénario de l’effondrement qui l’emporte ! Les données nous le montrent, ce n’est pas une vue de l’esprit. » (Libération 15/06/2012)

    Au sujet de Paul Ehrlich, je vous conseille un article de Stéphane Foucart à son sujet dans Le Monde qui commence ainsi : « Pour son élection à la Royal Society de Londres, Paul Ehrlich tenait à mettre sur la table une question abrupte sur la marche du monde. Cette question, elle ne cesse de le travailler depuis quatre décennies : " Un effondrement de la civilisation globale peut-il être évité ? " C'est donc le titre que le célèbre biologiste américain a choisi pour la longue tribune qu'il a rédigée à l'invitation de la plus vénérable des académies des sciences. Hélas ! Cette interrogation, qui ne soulevait guère, jusqu'à récemment, que des haussements d'épaules, est désormais de plus en plus sérieusement considérée par la communauté scientifique. »

    Quant aux critiques concernant « The population Bomb » Paul Ehrlich répond ainsi « Ce qui est souvent décrit comme des prévisions "fausses" n'était que des scénarios, clairement présentés comme des histoires qui devaient aider à penser le futur et dont certaines ne se réaliseraient pas »..

    http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/02/07/notre-civilisation-pourrait-elle-s-effondrer-personne-ne-veut-y-croire_1828673_3246.html

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  3. Suite de la réponse à Philippe…,Ce n’est être ni malthusien ni catastrophistes que de reconnaître avec lucidité les dangers auxquels nous expose la progression exponentielle d’une techno-science sans conscience. Ces impasses peuvent conduire au pire si notre attitude envers la rationalité et la technique ne fait pas l’objet d’une véritable conversion, d’un retournement, d’une métanoïa. Il faut remettre les choses à leur place : comme le dit Einstein, l’intuition est un don sacré et la raison doit être à son service.

    Quand l’Esprit retrouve sa souveraineté, l’homme retrouve sa place au cœur de la société en remettant la technique à la sienne : celle d’un moyen au service du développement humain. Et non l’inverse !... C’est pourquoi l’homme doit donner des limites éthiques et spirituelles à un pouvoir technique qui se veut illimité. Entre technophobes et technolâtres, il faut suivre le chemin du milieu : celui d’une technique au service de l’homme comme la rationalité doit être au service de l’Esprit.

    Ce qui m’a intéressé chez Ken Wilber, par rapport aux approches traditionnelles de la spiritualité, c’est justement qu’il insiste sur le caractère évolutif et émancipateur de la modernité et de la rationalité. Mais la rationalité n’est pas réductible au rationalisme comme l’esprit des Lumières n’est pas celui de la technocratie.

    J’ai essayé de présenter à de nombreuses reprises les aspects positifs et négatifs de la modernité notamment dans Grandeur et Décadence de la modernité : « « Le dix-neuvième siècle transforma peu à peu l'héritage libéral des Lumières en domination instrumentale. Pondérée auparavant par la sensibilité holiste de la tradition, la rationalité des Lumières se mua en idéologie rationaliste. Comme les institutions religieuses ont instrumentalisé la spiritualité et le message évangélique à des fins dogmatiques, cléricales et temporelles le rationalisme instrumentalisa l’Esprit des Lumières, son humanisme émancipateur et sa rationalité, à des fins techniques et marchandes ».

    Dans La dialectique de la raison, Horkheimer et Adorno ont mis en évidence le détournement par la technocratie du programme rationnel des Lumières : « Chantée par Kant comme la clé de l'autonomie humaine, la raison aurait été instrumentalisée par la science, l'économie ou l'Etat dans une logique de «calcul» visant à aliéner l'homme, à le transformer en objet, à le «réifier». Dans un monde entièrement administré, où tout incite à se couler dans les normes sociales, l'individu moderne «se durcit et renonce à lui-même pour devenir pure ruse, pure intelligence instrumentale dominatrice de la nature». Une pulsion d'adaptation, qui devient conformisme volontaire et, au final, mutilation de soi. Eric Aeschimann. A l’école de Francfort. Nl Obs. 06/06/12

    C’est donc au nom d’une rationalité ouverte et sensible – trans-moderne – qu’il faut critiquer l’idéologie rationaliste et l’impérium de la techno-science. Même si elle peut parfois lui ressembler de manière superficielle, cette critique trans-moderne du rationalisme n’est bien sûr pas à confondre avec le déni de la rationalité qui est celui d’une conscience mythique pré-moderne. Rien de plus facile pour les tenants du rationalisme et les technolâtres que d’identifier et de réduire les critiques trans-moderne à un obscurantisme pré-moderne.

    Encore un effet de la confusion Pré/Trans qu’il convient d’expliciter. Je vous remercie de me donner l’occasion de le faire. Ces quelques précisions permettront, je l’espère, de mieux comprendre le point de vue qui est le mien et qui rejoint le votre sur la nécessité de reconnaître les aspects négatifs et positifs de chaque système de valeurs qui nous ont précédé.

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  4. Comme cela ne fait pas longtemps que viens sur votre blog, il est fort possible que ma vision soit partielle et partiale.
    Concernant Ehrlich et ces conseours, je trouve que c'est trop facile de dire qu'après-coup, ils n'ont fait que des scénarios et des hypothèses de travail. Ces gens n'arrêtent pas de crier au loup et nous font croire que l'apocalypse est imminente. Pourquoi ils ne font jamais des scénarios positifs et toujours des scénarios apocalyptiques ? Parce qu'ils rejettent en bloc notre société moderne et qu'ils ont une vision romantique du monde.
    Vous citez le journaliste Stéphane Foucart. Je n'ai aucun respect pour ce journaliste et ces semblables, car ils sont avant tout des militants. Ils n'arrêtent pas de promouvoir leur idéologie. Désolé de revenir encore une fois sur ce sujet, mais ils adorent faire dans le catastrophisme, et notamment pour le 'réchauffement climatique'. On n'arrête pas de voir des gros titres sensationnels ou on veut nous faire croire que le réchauffement est obligatoirement responsable de tous les malheurs dans le monde. Qu'on croit ou pas à la responsabilité de l'homme dans le réchauffement climatique, il ne faut pas être un génie pour reconnaître que ce réchauffement aura aussi des aspects positifs, mais les médias et les journalistes adorent le catastrophisme et le sensationnel. Et surtout ils n'ont aucun respect pour ceux qui ne partagent pas leur point de vue. Ce sont tous des négationnistes et néo-ultra-libéraux !
    Stephane Foucart à écrit un livre sur les 'marchands de doute', mais ils devraient aussi écrire un livre sur les 'marchands de la peur' que sont devenus les journalistes.
    En tout cas ce sont tous sauf des adeptes d'une vision intégrale. Pour ma part, j'ai adoré les livres de Jean Staune, qui essaie de faire la part des choses et qui rejettent les extrémistes. Je conseille vivement la lecture de son dernier livre : 'La science en otage', qui montrent que très souvent dans beaucoup de domaines ce sont les extrémistes qui règnent dans les débats. Par exemple, dans le domaine de l'évolution on veut nous faire croire que si on est pas 100 % d'accord avec l'hypothèse darwiniste on est obligatoirement un créationniste, alors qu'il y a encore plein de choses que nous ne comprenons pas dans ce domaine et dans pleins d'autres.
    Dans le domaine du réchauffement climatique, il renvoie dos à dos Al-Gore et Claude Allègre. Je ne sais pas si on peut dire que c'est un penseur intégral, mais en français, c'est à ma connaissance un des auteurs qui s'en rapproche le plus.

    Philippe.

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  5. « Freud avait une notion correcte du ça prépersonnel et du moi personnel, mais il réduisit toutes les expériences spirituelles et transpersonnelles au niveau prépersonnel. Les intuitions transtemporelles sont expliquées comme étant des pulsions prétemporelles du ça; le samâdhi transsujet/objet est considéré comme une régression vers un narcissisme présujet/objet; l'union transpersonnelle est interprétée comme une fusion prépersonnelle… [Cette vue ]n'est pas bien entendu propre à Freud. Elle caractérise l'orthodoxie occidentale classique — de Piaget à Sullivan en passant par Adler et Arieti.

    J'ai le sentiment que Jung se situe à l'extrême opposé. Il avait une notion correcte et très claire de la dimension transpersonnelle ou spirituelle, mais il la fondait et la confondait souvent avec les structures prépersonnelles. Pour Jung, il n'est que deux domaines majeurs : le personnel et le collectif — et il a donc tendance, comme Assagioli lui-même l'a fait remarquer, à obscurcir les différences importantes et profondes existant entre l'inconscient collectif inférieur et l'inconscient collectif supérieur; soit entre le collectif prépersonnel et le collectif transpersonnel. Ainsi, Jung se retrouve-t-il parfois amené non seulement à glorifier des formes de pensée mythiques infantiles, mais encore à faire subir un traitement régressif à l'Esprit. » :

    Très intéressant...et sans doute très bien vu. J'ai aussi cette "impression"...Je vais y réfléchir plus profondément.

    Merci.

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    1. Pour alimenter votre réflexion, je vous conseille l'article fort intéressant du site Philosophie et Spiritualité intitulé Prépersonnel et Transpersonnel et indiqué dans le billet ci-dessus à la rubrique Ressources. Vous y trouverez notamment des citations de Freud et Jung qui viennent confirmer l'analyse de Wilber... ainsi que beaucoup d'autres informations qui permettent de préciser cette découverte importante qu'est la "confusion pré/trans".

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