Disons à nos enfants qu’ils arrivent sur terre quasiment au début d’une histoire et non pas à sa fin désenchantée. Ariane Mnouchkine
Chaque année le site Médiapart propose à une personnalité de célébrer les vœux pour l’année qui vient. Après Stéphane Hessel en 2010, Moncef Marzouki en 2011 et Édouard Martin en 2012, c’est Ariane Mnouchkine, metteure en scène et fondatrice du Théâtre du Soleil, qui a été choisie pour les vœux de 2014. Inspirées par l’esprit du temps, les paroles qu’elle a adressé à cette occasion évoquent de manière inspirée la dynamique de résilience qui doit nous libérer de la désespérance ambiante pour oser réinvestir le futur à partir d’une une vision collective et créatrice.
Confirmés par les plus récentes études des politologues, ses propos s’inscrivent dans une période évolutionnaire où les élites et les institutions officielles sont profondément délégitimées comme elles le furent en 1789, période révolutionnaire à laquelle le Théâtre du Soleil consacra un spectacle fondateur. En 1789, la société sortait de l’ancien régime fondé sur la religion pour entrer dans une modernité fondée sur l’économie.
En 2014, les valeurs abstraites, individualistes et quantitatives, de la modernité sont saturées. L’heure est venue d’une refondation démocratique fondée sur les valeurs qualitatives, conviviales et coopératives de la cosmodernité. Ce n’est pas un hasard si c’est autour du thème Réinventer la démocratie que le mouvement Colibris et le Collectif pour une Transition Citoyenne propose Samedi 1er février une grande journée de mobilisation et de convergence citoyenne.
Il faut toujours être à l’écoute des artistes dont la sensibilité aiguisée et entraînée capte l’esprit du temps et le retranscrit à travers des formes esthétiques qui manifestent ce que nous ressentons de manière profonde sans pouvoir ni savoir l’exprimer. Cet effet de révélation nous libère des habitudes de perception et de pensée pour nous connecter au mouvement intérieur de notre subjectivité, elle-même intimement liée au courant d’une intersubjectivité collective. En transformant notre regard sur le théâtre, Ariane Mnouchkine a aussi quelque peu modifié notre vision du monde.
Son sixième sens - celui de l’épopée - nous plonge au cœur d’une expérience poétique qui dépasse les limites du spectacle pour nous faire participer à un rituel collectif célébrant la vie, l’être humain et l’esprit de révolte contre toutes les formes d’emprise et de domination.
A travers cette création collective que fut 1789, le Théâtre du Soleil s’inspira du souffle poétique et libérateur des évènements de Mai 68 qui venaient juste de se produire pour reproduire le mouvement insurrectionnel qui fut au cœur de la révolution française.
Pour toute une génération cette expérience esthétique a été une œuvre de référence qui réintroduisait dans l’univers consumériste des Trente Glorieuses finissantes le souffle lyrique d’une épopée collective.
C’est avec émotion que je me souviens aujourd’hui de cette expérience théâtrale qui s’est déroulée il y a plus de quarante ans. Les grandes œuvres d’art ne meurent jamais. Elles résonnent toujours en nous comme les témoins vibrants d’une intensité qu’il ne faut jamais trahir sous peine de désespérer.
Les Vœux d'Ariane Mnouchkine pour 2014
Les vœux d’Ariane Mnouchkine pour 2014 sont placés sous le double signe d’une « fuite périlleuse » et d’un « immense chantier » : il s’agit de fuir la peste émotionnelle de la démoralisation et du cynisme ambiants pour réenchanter le monde à travers un saut créatif qui imagine et expérimente un autre rapport au monde et aux autres. Ce double mouvement de résistance et de création est au cœur même de la dynamique de résilience dont nous nous sommes fait l’écho dans nos derniers billets.
Parce qu’ils participent de manière intime au mouvement de la conscience collective, les artistes sont capables d’anticiper l’évolution de nos sociétés. Le message qu’ils puisent aux sources d’une intuition commune, chacun doit être capable de le faire résonner en soi pour le méditer, se l’approprier et l’incarner dans sa vie quotidienne.
À l’aube de cette année 2014, je vous souhaite beaucoup de bonheur.
Une fois dit ça… qu’ai-je dit ? Que souhaité-je vraiment ?
Je m’explique : je nous souhaite d’abord une fuite périlleuse et ensuite un immense chantier.
D’abord fuir la peste de cette tristesse gluante, que par tombereaux entiers, tous les jours, on déverse sur nous, cette vase venimeuse, faite de haine de soi, de haine de l’autre, de méfiance de tout le monde, de ressentiments passifs et contagieux, d’amertumes stériles, de hargnes persécutoires.
Fuir l’incrédulité ricanante, enflée de sa propre importance, fuir les triomphants prophètes de l’échec inévitable, fuir les pleureurs et vestales d’un passé avorté à jamais et barrant tout futur.
Une fois réussie cette difficile évasion, je nous souhaite un chantier, un chantier colossal, pharaonique, himalayesque, inouï, surhumain parce que justement totalement humain. Le chantier des chantiers.
Ce chantier sur la palissade duquel, dès les élections passées, nos élus s’empressent d’apposer l’écriteau : “Chantier Interdit Au Public“
Je crois que j’ose parler de la démocratie.
Être consultés de temps à autre ne suffit plus. Plus du tout. Déclarons-nous, tous, responsables de tout.
Entrons sur ce chantier. Pas besoin de violence. De cris, de rage. Pas besoin d’hostilité. Juste besoin de confiance. De regards. D’écoute. De constance.
L’État, en l’occurrence, c’est nous.
Ouvrons des laboratoires, ou rejoignons ceux, innombrables déjà, où, à tant de questions et de problèmes, des femmes et des hommes trouvent des réponses, imaginent et proposent des solutions qui ne demandent qu’à être expérimentées et mises en pratique, avec audace et prudence, avec confiance et exigence.
Ajoutons partout, à celles qui existent déjà, des petites zones libres.
Oui, de ces petits exemples courageux qui incitent au courage créatif.
Expérimentons, nous-mêmes, expérimentons, humblement, joyeusement et sans arrogance.
Que l’échec soit notre professeur, pas notre censeur.
Cent fois sur le métier remettons notre ouvrage. Scrutons nos éprouvettes minuscules ou nos alambics énormes afin de progresser concrètement dans notre recherche d’une meilleure société humaine.
Car c’est du minuscule au cosmique que ce travail nous entraînera et entraine déjà ceux qui s’y confrontent.
Comme les poètes* qui savent qu’il faut, tantôt écrire une ode à la tomate ou à la soupe de congre, tantôt écrire Les Châtiments.
Sauver une herbe médicinale en Amazonie, garantir aux femmes la liberté, l’égalité, la vie souvent.
Et surtout, surtout, disons à nos enfants qu’ils arrivent sur terre quasiment au début d’une histoire et non pas à sa fin désenchantée.
Ils en sont encore aux tous premiers chapitres d’une longue et fabuleuse épopée dont ils seront, non pas les rouages muets, mais au contraire, les inévitables auteurs.
Il faut qu’ils sachent que, ô merveille, ils ont une œuvre, faite de mille œuvres, à accomplir, ensemble, avec leurs enfants et les enfants de leurs enfants.
Disons-le, haut et fort, car, beaucoup d’entre eux ont entendu le contraire, et je crois, moi, que cela les désespère.
Quel plus riche héritage pouvons-nous léguer à nos enfants que la joie de savoir que la genèse n’est pas encore terminée et qu’elle leur appartient ?
Qu’attendons-nous ? L’année 2014 ? La voici.
*Les deux poètes cités sont évidemment Pablo Neruda et Victor Hugo
Une dépression collective
Alors qu’Ariane Mnouchkine évoque la « tristesse gluante » et la « vase venimeuse » pour décrire le climat dépressif qui s’est emparé de la société française, voilà qu’une étude vient de mesurer le profond pessimisme et la défiance généralisée qui affecte nos contemporains. La correspondance entre le ressenti subjectif de l’artiste et la mesure objective du politologue est étonnante. Dans un article du 13 Janvier intitulé Les Français s’enfoncent dans la dépression collective, le journal Le Monde écrit ceci : " La France, année après année, s'enfonce un peu plus dans la morosité, et, à force, c'est la relation même des citoyens à la démocratie qui s'en trouve affectée. Telle est là la leçon principale du « baromètre de la confiance politique », publié lundi 13 janvier par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), en partenariat avec le Conseil économique, social et environnemental.
Alors qu’Ariane Mnouchkine évoque la « tristesse gluante » et la « vase venimeuse » pour décrire le climat dépressif qui s’est emparé de la société française, voilà qu’une étude vient de mesurer le profond pessimisme et la défiance généralisée qui affecte nos contemporains. La correspondance entre le ressenti subjectif de l’artiste et la mesure objective du politologue est étonnante. Dans un article du 13 Janvier intitulé Les Français s’enfoncent dans la dépression collective, le journal Le Monde écrit ceci : " La France, année après année, s'enfonce un peu plus dans la morosité, et, à force, c'est la relation même des citoyens à la démocratie qui s'en trouve affectée. Telle est là la leçon principale du « baromètre de la confiance politique », publié lundi 13 janvier par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), en partenariat avec le Conseil économique, social et environnemental.
Les vagues précédentes du baromètre faisaient déjà apparaître un niveau de pessimisme très élevé. Si élevé que, précise Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po et chercheur au Cevipof, « l'on pouvait s’attendre à ce qu'un palier soit atteint pour de bon ». Ce n'est pas le cas. Le climat général est à la « dépression collective », dit-il. Pour la première fois depuis 2009, la morosité arrive en tête des sentiments qui caractérisent le plus les Français : 34 % d'entre eux estiment qu'il s'agit là du terme qui caractérise le mieux leur état d'esprit. C'est 3 points de plus qu'en décembre 2012".
Selon l’étude du Cevipof, 31 % des Français ressentent du dégoût pour la politique (23 % en décembre 2010), 36 % éprouvent de la "méfiance" et 1 % seulement "du respect". Étrangement, ce chiffre de 1% est à mettre en rapport avec le slogan du mouvement social Occupy Wall Street : « Ce que nous avons tous en commun, c'est que nous sommes les 99 % qui ne tolèrent plus l’avidité et la corruption des 1 % restant ». Le sentiment commun est que les élites ont fait sécession dans une dérive oligarchique parfaitement résumée par Warren Buffet, troisième fortune du monde : "Tout va très bien pour les riches dans ce pays, nous n'avons jamais été aussi prospères. C'est une guerre de classes, et c'est ma classe qui est en train de gagner."
Selon l’étude du Cevipof, 31 % des Français ressentent du dégoût pour la politique (23 % en décembre 2010), 36 % éprouvent de la "méfiance" et 1 % seulement "du respect". Étrangement, ce chiffre de 1% est à mettre en rapport avec le slogan du mouvement social Occupy Wall Street : « Ce que nous avons tous en commun, c'est que nous sommes les 99 % qui ne tolèrent plus l’avidité et la corruption des 1 % restant ». Le sentiment commun est que les élites ont fait sécession dans une dérive oligarchique parfaitement résumée par Warren Buffet, troisième fortune du monde : "Tout va très bien pour les riches dans ce pays, nous n'avons jamais été aussi prospères. C'est une guerre de classes, et c'est ma classe qui est en train de gagner."
Incapables de donner un sens à la crise systémique que nous vivons et encore plus impuissantes à proposer une vision qui mobilise les énergies pour en sortir, les "élites" se trouvent totalement délégitimées. Un abîme se creuse entre l'évolution de la conscience collective d'une part et de l'autre le conservatisme d'une caste dont les références appartiennent à un modèle abstrait totalement dépassé et dont les intérêts n'ont plus rien à voir avec ceux de la population qu'elle est censée diriger.
Une guerre civile froide ?
Dans un excellent article paru le 12 Janvier sur son blog et intitulé La guerre civile froide ?, l’économiste Jacques Sapir, directeur d’études à l’Ecoles de Hautes Etudes en Sciences Sociales, écrit ceci : Nous vivons, en réalité, une crise de légitimité. Désormais la distinction, largement factice dans la plupart du temps, entre le pouvoir et le pays réel, devient une réalité. Cette opposition n'est pas sans rappeler celle entre "eux" et "nous" (Oni et Nachi) qui était de mise dans les régimes soviétiques lorsque le système a commencé à se bloquer...
Nous vivons, en réalité, l'équivalent des prémices d'une guerre civile "froide", qui menace à chaque instant de se réchauffer... L’année 2014 risque fort d’être marquée par une accumulation de mouvement sociaux dont la convergence mettrait directement en cause le pouvoir. Or, la crise de légitimité a ceci de particulier qu’elle pose directement la question non pas de la politique suivie, que l’on peut en fonction de ces opinions considérer comme bonne ou mauvaise, mais du fait que le pouvoir soit habilité à mener une politique. C’est pourquoi il faut s’attendre à ce que la contestation du pouvoir puisse prendre un tour violent dans le cours de cette année. En fait, l’exercice du pouvoir, la Potestas, dépend de sa légitimité que lui confère l’Auctoritas. »
Une autre enquête réalisée par l'Ifop, intitulée Fractures Françaises et publiée le 21 Janvier dans Le Monde vient confirmer l'analyse de Jacques Sapir. Selon Brice Teinturier qui résume ainsi les résultats de cet enquête : " La défiance à l'égard de la vie politique s'amplifie et atteint des sommets inégalés. Le sentiment que la démocratie fonctionne mal, que les hommes politiques sont corrompus, que les médias ne retranscrivent pas la réalité sont à des niveaux qui traduisent une fracture de plus en plus important entre le monde politique et la société en général et qui s'amplifie."
Une guerre civile froide ?
Dans un excellent article paru le 12 Janvier sur son blog et intitulé La guerre civile froide ?, l’économiste Jacques Sapir, directeur d’études à l’Ecoles de Hautes Etudes en Sciences Sociales, écrit ceci : Nous vivons, en réalité, une crise de légitimité. Désormais la distinction, largement factice dans la plupart du temps, entre le pouvoir et le pays réel, devient une réalité. Cette opposition n'est pas sans rappeler celle entre "eux" et "nous" (Oni et Nachi) qui était de mise dans les régimes soviétiques lorsque le système a commencé à se bloquer...
Nous vivons, en réalité, l'équivalent des prémices d'une guerre civile "froide", qui menace à chaque instant de se réchauffer... L’année 2014 risque fort d’être marquée par une accumulation de mouvement sociaux dont la convergence mettrait directement en cause le pouvoir. Or, la crise de légitimité a ceci de particulier qu’elle pose directement la question non pas de la politique suivie, que l’on peut en fonction de ces opinions considérer comme bonne ou mauvaise, mais du fait que le pouvoir soit habilité à mener une politique. C’est pourquoi il faut s’attendre à ce que la contestation du pouvoir puisse prendre un tour violent dans le cours de cette année. En fait, l’exercice du pouvoir, la Potestas, dépend de sa légitimité que lui confère l’Auctoritas. »
Une autre enquête réalisée par l'Ifop, intitulée Fractures Françaises et publiée le 21 Janvier dans Le Monde vient confirmer l'analyse de Jacques Sapir. Selon Brice Teinturier qui résume ainsi les résultats de cet enquête : " La défiance à l'égard de la vie politique s'amplifie et atteint des sommets inégalés. Le sentiment que la démocratie fonctionne mal, que les hommes politiques sont corrompus, que les médias ne retranscrivent pas la réalité sont à des niveaux qui traduisent une fracture de plus en plus important entre le monde politique et la société en général et qui s'amplifie."
Une crise de légitimité
1789 : le clergé, la noblesse et le peuple... |
Selon Jacques Sapir, c’est le rapport entre souveraineté, légitimité et légalité qui fonde le vivre ensemble. La perte de légitimité a pour origine une perte de souveraineté : « La souveraineté est indispensable à la constitution de la légitimité, et cette dernière est nécessaire pour que la légalité ne soit pas le voile du droit sur l’oppression ». La souveraineté c’est avant tout la reconnaissance d’un principe supérieur dans laquelle se reconnait une collectivité et qui permet de transcender les différences parce qu’il fait autorité. Le mot « souverain » a pour origine le latin superanus qui signifie sur, au-dessus. Sans la référence à un principe souverain, la légitimité s’effondre en libérant les forces explosives de la fragmentation sociale.
A chaque stade de l'évolution culturelle correspond une "vision du monde" qui définit un principe supérieur, source d'autorité et de légitimité. Quand on passe d'un stade évolutif à un autre, la vision du monde se modifie et avec elle la source de la souveraineté. De puissance magique dans les sociétés archaïques, de droit divin dans l'ancien régime, le principe de la souveraineté s'est mué durant la modernité en intérêt général défini et incarné par la représentation nationale. Aujourd'hui dans nos sociétés interconnectées de l'information, la crise profonde de la représentation - politique autant que culturelle - a pour conséquence la recherche d'une forme nouvelle de souveraineté démocratique.
Dans un article du Monde intitulé « Inventons une cyberdémocratie pour accompagner la civilisation du numérique » Joël de Rosnay et Anne-Sophie Novel décrivent comment " La société informationnelle qui s'installe depuis l'avènement d'Internet en 1995 bouscule nos sociétés industrialisées… Comme le dit Michel Serres : " Ce n'est pas une crise, c'est un changement de monde " ". Les jeunes générations notamment « utilisent l'intelligence connective et collaborative pour donner du sens à leur vie individuelle et communautaire. Une approche qui privilégie la pratique solidaire de l'intelligence collective à l'exercice solitaire du pouvoir électif. » La refondation démocratique s’inscrit dans cette profonde mutation qui fait passer « d'une relation fondée sur des rapports de force – qui conduit à la concurrence, à la compétition et à l'individualisme – à une situation de rapports de flux, privilégiant l'échange, le partage, la solidarité et l'empathie. Un changement profond qui contribuera à donner plus de sens à la vie."
Une république des consciences
A l'émergence des sociétés de l'information correspond une nouvelle "vision du monde"et un projet de civilisation inspirés par la dynamique de l'évolution sociale et culturelle. Une dynamique qui s'exprime à travers cette nouvelle forme de souveraineté qu'est l'intelligence collective et qui s'incarne dans une véritable démocratie participative où les citoyens formés et informés déterminent directement les conditions du vivre ensemble conformes à l'intérêt général. En utilisant notamment les nouvelles technologies de l'information, une république des consciences doit permettre à chacun de participer à la délibération collective dans toutes les sphères locales, régionales et nationales de la vie publique. Cette démocratie directe doit pouvoir contrôler et évaluer en continu l'action des représentants chargés de mettre en place les politiques publiques.
Dans 1789, le Théâtre du Soleil avait mis en scène la destitution de l’ancien régime fondé sur la royauté de droit divin et son remplacement par la souveraineté populaire. Aujourd’hui, la coïncidence entre les propos d’Ariane Mnouchkine et les études des politologues permettent de faire l’analogie entre cette période révolutionnaire et celle que nous vivons actuellement. Coupées de la population par leur mode de vie et de l'évolution culturelle par leur modèle de pensée, les élites tirent aujourd’hui leur légitimité d’un savoir technocratique au service d’un pouvoir oligarchique.
La légitimité de cette techno-oligarchie est totalement remise en question dans la mesure où elle conduit à l’impasse d’une crise systémique et à la perspective d’un effondrement. Mais aussi parce qu'elle s'appuie sur une conception pyramidale du pouvoir qui ne correspond plus du tout aux sociétés en réseaux qui fonctionnent à partir d'une intelligence collective "holomidale". Et pourtant, sourdes et aveugles, ces mêmes « élites » continuent de gérer les affaires courantes comme Louis XVI réparait ses serrures sous les ors de Versailles.
Réinventer la démocratie
Face à l’urgence de la situation, le temps est donc venu de refonder une souveraineté démocratique à travers un projet de civilisation ambitieux, à la mesure de la crise systémique que nous traversons et de la nouvelle "vision du monde" en train d'émerger. L’expérimentation concrète à laquelle nous convie Ariane Mnouchkine est animée par la dynamique de résilience analysée dans nos billets précédents et qui vise à refonder le lien social à partir d’un saut créatif et évolutif, incarné notamment par les Transitionneurs, les Convivialistes et les Créatifs culturels.
C’est dans le même esprit – l’esprit du temps – que le mouvement Colibris et le Collectif pour une Transition Citoyenne propose Samedi 1er février une grande journée de mobilisation et de convergence citoyenne autour du thème « Réinventer la démocratie » : « Abstention record, démobilisation citoyenne, individualisme, d'un côté, soif de pouvoir, impunité, court-termisme, clientélisme de l'autre... les obstacles semblent nombreux face aux enjeux que nos démocraties devront affronter dans les années à venir. De même, au sein des organisations, le modèle pyramidal montre ses limites. Les comportements archaïques (repli sur soi, agressivité, luttes de territoires...) sont autant de réactions défensives omniprésentes. Face à un monde en mutation, il est urgent de remplacer la compétition et l’individualisme par la coopération.
Comment faire primer l’intérêt général ? Comment faire face aux problèmes à long terme (changement climatique, raréfaction des ressources, instabilité économique...), à leur caractère mondialisé, tout en donnant aux citoyens le pouvoir qui leur revient ? Si nous voulons reprendre le pouvoir, il est essentiel que chacun fasse sa part et que nous construisions des dynamiques collectives. Ateliers citoyens, actions locales, nouveaux modes de gouvernance, Initiatives Citoyennes Européennes... Explorons ensemble ces nombreuses solutions ! Reprenons notre pouvoir d'agir et faisons l'avenir de nos territoires ! »
Cette initiative résonne précisément avec les propos d’Ariane Mnouchkine : « Ouvrons des laboratoires, ou rejoignons ceux, innombrables déjà, où, à tant de questions et de problèmes, des femmes et des hommes trouvent des réponses, imaginent et proposent des solutions qui ne demandent qu’à être expérimentées et mises en pratique, avec audace et prudence, avec confiance et exigence ».
L’esprit du temps nous inspire et s’exprime à travers des artistes visionnaires et des pionniers engagés. Sachons être à l’écoute de cette inspiration en mobilisant notre intelligence collective pour refonder une nouvelle souveraineté démocratique correspondant aux sociétés interconnectées de l'information fondées sur l’interdépendance et la coopération. C'est la responsabilité de chacun de participer de manière créatrice à ce qu'Ariane Mnouchkine nomme le "projet des projets".
Ressources
Le plan démocratie des Colibris
Libertarian Eco-Socialisme. The political philosophy and organizational form of an integral society. Joe Corbett. Sur le site Integral World.
Libertarian Eco-Socialisme. The political philosophy and organizational form of an integral society. Joe Corbett. Sur le site Integral World.
Très bon article de synthèse. Ainsi on y voit plus clair. De quoi alimenter la réflexion et surtout l'action !
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