lundi 14 février 2011

Comment l'entreprise élargie réenchante le monde ? (1)

Dans le cadre de la onzième journée de l'Université Intégrale qui aura lieu Samedi 19 Février sur le thème : « Vers une entreprise plus intégrale ? » nous proposons ci-dessous des extraits d’un article de Michel Saloff-Coste, co-fondateur de l’Université Intégrale, où l'auteur nous explique : « Comment l’entreprise élargie réenchante le monde ». A lire dans son intégralité sur le blog de l’Université Intégrale.

Michel Saloff-Coste définit de manière synthétique les trois axes du contexte évolutif dans lequel se développe l’entreprise du 21ème siècle. Un axe de durabilité économique, sociale et écologique. Un axe de temporalité, courte, moyenne et longue. Un axe de profondeur qui touche aux dimensions rationnelles, émotionnelles et spirituelles.
Ces trois axes sont interdépendants : la question de la durabilité amène à se poser des questions de temporalité et à approfondir son questionnement au-delà d'une rationalité étroite. L’intrication et l’interaction de ses dimensions nécessitent une nouvelle approche - à la fois systémique et intégrale - des organisations humaines en générale et des entreprises en particulier.

Michel Saloff-Coste a vingt ans d’expérience dans l’accompagnement de dirigeants et d’équipe de direction. Il a développé une méthode originale de coaching stratégique qui articule Développement du Potentiel Individuel (DPI) et Développement du Potentiel de l’Entreprise (DPE). Ses conférences en Europe, en Amérique et en Asie ont touché plusieurs milliers de personnes. Il est l'auteur de nombreux ouvrages de références dans le domaine du management.


Comment l’entreprise élargie réenchante le monde. Première partie. Michel Saloff Coste

Science sans conscience n'est que ruine de l'âme. Rabelais
Dans les temps faciles les esprits mécaniques suffisent mais en période de crise il faut du cœur et même du génie. Charles de Gaulle

Rien n'est plus puissant qu'une idée lorsque son temps est arrivé ! Victor Hugo

J'ai souvent été amené à éclairer les entreprises sur leur futur et leur choix stratégique. Mon expérience m'a montré combien il est difficile de distinguer les vrais enjeux. Face à la métamorphose contemporaine du monde, les entreprises vont devoir profondément se transformer pour pouvoir être légitimes et continuer a créer de la valeur ajoutée.
Le sujet traité dans cet article est la question de l’entreprise élargie : une tendance de fond qui est en train de toucher toute les entreprises en modifiant profondément le rôle futur que peuvent avoir les Ressources Humaines dans les organisations.

Les enjeux des entreprises au cours du XXème siècle ont été souvent marqués par des caractéristiques bien définies : une stratégie dominée par la nécessité de résultats trimestriels et donc une dictature du court terme. Cette logique et souvent accompagnée d’une emphase forte donnée à la rationalité. Par ailleurs les intérêts de l’entreprise sont surtout économiques. Pour résumer l’entreprise est essentiellement préoccupée par le court terme, l’économique et la rationalité.

Cette vision de l’entreprise "étroite" est directement liée à la relation forte entre les investisseurs, "stock holders" et l’équipe de direction, chargée d’exécuter une stratégie de retour sur investissement. Ce tropisme s’amplifie jusqu'aux crises à écologique, sociale et économique du début du XXIème siècle.
Ces crises interrogent radicalement les entreprises sur leur capacité à créer de la richesse économique mais aussi leur responsabilité sociale et écologique. Ces crises, dans leur radicalité, interrogent la rationalité classique du progrès. Cette vision étroite de l’entreprise apparaît de plus en plus discutable en mesure que l’entreprise est amenée à considérer l’ensemble de ces parties prenantes, "share holders" !

Dans les années qui viennent les enjeux économique mais aussi sociaux et écologiques emmèneront des interrogations qui susciteront à juste titre beaucoup d’émotions et de questions philosophiques et spirituelles.

Les entreprises se retrouvent confrontées à ce qu’elles ont souvent voulu évacuer en l'externalisant en dehors de l’entreprise. L’entreprise du futur ne peut plus être seulement économique, à court terme et rationnelle. Il lui faudra de plus en plus se positionner face à des enjeux à long terme, écologiques et spirituels. Elle devra aussi être sociale, gérer le moyen terme et avoir des réponses au désarroi émotionnel de chacun. Ce nouveau défi est c’est que nous appelons "l’entreprise élargie".


L’entreprise élargie

Derrière cette évolution se dessine une entreprise qui prendrait en compte le court terme, mais aussi le moyen et le long terme ; une entreprise économique mais aussi sociale et écologique ; une entreprise capable de penser rationnellement mais aussi dotée d’une véritable intelligence affective et spirituelle.

Une entreprise de ce type serait capable de faire du profit mais serait aussi capable de traiter humainement ses clients et ses collaborateurs tout en étant capable d’apporter sa pierre dans l’élaboration de la vérité, de la bonté et de la beauté, dans le cadre du progrès spirituel de l’humanité.

Dans la pratique nous sommes encore souvent bien loin de cette entreprise élargie. Il est clair, malgré tout, que depuis trente ans se construisent petit à petit de nouveaux discours sur l’entreprise qui vont dans le sens de l'entreprise élargie. Il est possible même que la crise économique, la crise de société et la crise écologique précipitent la fin des entreprises dont la vision est trop étroite surtout lorsque par leurs fautes et leur aveuglement des millions de personnes mourront de faims, de soif et verront leur terre inondée par la montée du niveau de la mer.

Un film comme "The corporation" qui a été largement diffusé montre comment la vision étroite de l’entreprise classique justifie des comportements qui sont souvent responsables des crises que nous traversons aujourd’hui. A mesure où ces crises vont s’amplifier, on peut anticiper que les entreprises seront de plus en plus confrontées et critiquées du fait de leur manque de responsabilité globale. Une responsabilité qu'elles n’assument pas du fait de la vision étroite de leur rôle.

Dans cet article nous explorerons quelles sont les caractéristiques d’une entreprise élargie, le rôle particulier des ressources humaines dans ce type d'entreprise et enfin comment développer les talents dans l'entreprise élargie ?

Les différentes dimensions de l'entreprise élargie peuvent être analysées selon trois axes :
- Un axe de durabilité : Economique, Sociale, Ecologique
- Un axe de temporalité : Courte, Moyenne, Longue
- Un axe de profondeur: Rationnel, Emotionnel, Spirituel

Les différent axes se suscitent mutuellement : la question de la durabilité amène à se poser des questions de temporalité et à approfondir son questionnement au-delà d'une rationalité étroite.


L’axe de durabilité

Approfondissons, tout d'abord, l'axe de durabilité : Economique, Sociale, Ecologique

Le développement durable (ou développement soutenable, anglicisme tiré de Sustainable development) est une conception récente de l'intérêt public, c'est un mode de développement appliqué à la croissance et reconsidéré à l'échelle mondiale afin de prendre en compte les aspects écologiques et culturels généraux de la planète. Il s'agit, selon la définition proposée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement dans le Rapport Brundtland:

« Un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. »

Le philosophe français Michel Foucault aborde ces questions sur le plan épistémologique. Il parle de changements de conception du monde, qui se produisent à différentes époques de l'Histoire. Il appelle ces conceptions du monde, avec les représentations qui les accompagnent, des épistémès. J'ai moi même développé cette approche dans le cadre de mes recherches sur "Le management systémique de la complexité" et "Le management du troisième millénaire" en tentant de dégager les grandes caractéristiques "épistémologique" de l'ère contemporaine.

La formule « agir local, penser global », employée par René Dubos au sommet sur l'environnement de 1972, est souvent invoquée dans les problématiques de développement durable. Elle montre que la prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux nécessite de nouvelles heuristiques qui intègrent le caractère global du développement durable. Elle fait penser à la philosophie de Pascal, plutôt qu'à celle de Descartes, celle-ci étant davantage analytique. En pratique, elle devrait se traduire par des approches systémiques.

L'objectif du développement durable est de définir des schémas viables qui réconcilient les trois aspects (économique, social, et environnemental) des activités humaines : « trois piliers » à prendre en compte par les collectivités comme par les entreprises et les individus. La finalité du développement durable est de trouver un équilibre cohérent et viable à long terme entre ces trois enjeux. À ces trois piliers s'ajoute un enjeu transversal, indispensable à la définition et à la mise en œuvre de politiques et d'actions relatives au développement durable : la gouvernance.

La gouvernance consiste en la participation de tous les acteurs (citoyens, entreprises, associations, élus...) au processus de décision ; elle est de ce fait une forme de démocratie participative.

Le développement durable n'est pas un état statique d'harmonie mais un processus de transformation dans lequel l'exploitation des ressources, le choix des investissements, l'orientation des changements technologiques et institutionnels sont rendus cohérents avec l'avenir comme avec les besoins du présent.

Les trois piliers se renforcent mutuellement et sont synergiques les uns avec les autres pour bonifier l'entreprise ; cependant il existe une forte divergence de temporalité entre chacun d'eux. Les entreprises ont tendance à privilégier le pilier économique parce qu'il concerne le court terme, le social, lui, a des effets plutôt à moyen terme et la dimension environnementale concerne le long terme ! Le développement durable oblige donc l'entreprise à élargir sa vision temporelle à envisager le court mais aussi le moyen et le long terme de manière prospective.

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