L'économie transforme le monde, mais le transforme seulement en monde de l'économie. Guy Debord
Chaque billet du Journal Intégral est la pièce d’un puzzle qui dessine, entre intuitions créatrices et réflexions critiques, la vision intégrale d’un homme réunifié dans un Kosmos réenchanté. Les résumés des articles présentés dans cette Table des Matières permettront aux lecteurs de reconstituer ce puzzle en allant se référer à telle ou telle pièce afin de mieux comprendre et intégrer les autres.
1 - Demandez le programme !... 2 - Une philosophie du Tout. 3 - La Petite Princesse. 4 - Evolutions. 5 - Evolutions (fin). 6 - Post-Matérialisme. 7 - Penser la nouvelle civilisation
Table des Matières 2011
8. L’ère des créateurs 9. Développement intégral des hommes et des organisations 10. Une nouvelle culture politique 11. Un nouveau stade de l’esprit humain. 12. Sri Aurobindo.
Un paradigme post-capitaliste
Table des Matières (12) du /07/11 au 02/09/11
Sortir de l’économie
Quelques mots d’introduction pour présenter le contexte qui préside à la réflexion sur un paradigme post-capitaliste. Dans La société du Spectacle, Guy Debord écrit : « L'économie transforme le monde, mais le transforme seulement en monde de l'économie. » Effectivement, le monde dans lequel nous vivons est un monde économique c'est-à-dire un monde où l’économie est devenue le modèle d’interprétation dominant dont l’hégémonie disqualifie et diabolise toute autre approche.
Fondé sur une rationalité instrumentale et utilitaire, ce monde économique est animé par un processus inhumain qui saccage l’environnement, crée sans cesse de faux-besoins tout en brisant les liens sociaux et culturels afin de les remplacer par les lois du marché qui sont, en fait, celles d’une compétition généralisée où prévaut le combat de chacun contre tous. Face à cette régression profondément mortifère, des réflexions individuelles et des projets collectifs de plus en plus nombreux s’inscrivent dans la perspective d’une sortie de l’économie.
Dans La Grande Transformation, l'économiste Karl Polanyi évoque le processus de "désencastrement" de l'économie hors de la société qui prend ainsi son autonomie en faisant du marché la forme d'organisation dominante des relations sociales. Sortir de l’économie c’est se libérer d’un monde centré sur l’économie en ré-encastrant celle-ci dans la société comme on ré-encastre la société dans l'ordre symbolique qui régit les relations sociales et culturelles.
Global, ce projet de civilisation est à la fois social et culturel, politique et spirituel, individuel et collectif. Il consiste à remettre simultanément l’esprit au cœur de la conscience, l’homme au cœur de la société et la société au cœur de l’économie. Parce que toutes ces dimensions – spirituelle, culturelle, politique, économique – sont liées les unes aux autres, elles doivent co-évoluer toutes ensemble dans une perspective intégrale. ( Lire à ce sujet : Se libérer de l'horreur économique)
Une approche intégrale de l’économie
C’est ce projet qui anime notre réflexion sur une approche intégrale de l’économie comme condition nécessaire et transitoire pour penser la sortie de l’économie. Une approche intégrale de l’économie envisage non seulement l’économie sous tous ses aspects – individuel et collectif, culturel et social, synchronique et diachronique – mais elle décrit aussi les interactions entre ces diverses formes d’économie que sont les économies psychique et symbolique, politique et spirituelle.
L’ « économie des profondeurs » dont nous évoquons ici quelques travaux est une étape indispensable à ce renversement de perspective permettant de passer d’une société du tout-économique à une vision intégrale de l’être humain qui envisage les divers formes d'économie psychique, symbolique, politique et spirituelle de manière simultanée et systémique.
Inspirée par le nouvel esprit du temps, l’émergence des monnaies libres est un phénomène qui participe du nouveau paradigme post-capitaliste, en train de se construire à travers des milliers d’expérimentations concrètes et novatrices mais aussi dans la tête de chercheurs inspirés et dans un profond silence médiatique.
Lundi 19 et Mardi 20 septembre 2011 ont eu lieu à Paris la treizième session de l'Université Intégrale sur le thème : « Nouvelles valeurs, nouvelles richesses, nouvelles mesures, nouvelles monnaies ». Alors que nos économies et sociétés sont en pleine transformation et connaissent des ruptures majeures, que les voies de réinvention nous obligent à puiser dans nos inspirations les plus globales (sociales, économiques, écologiques, culturelles, artistiques, spirituelles…), nos indicateurs de richesse principalement dominés par le Produit Intérieur Brut ne semblent pas évoluer et restent figés sur des schémas passés.
En 2008, soit 6 ans après la parution du Rapport Viveret « Reconsidérer la richesse», le Président de la République Française sollicite des experts français et internationaux qui donneront naissance au « Rapport Stiglitz » sur la mesure des performances économiques et du progrès social.
Cette démarche n’est pas uniquement française puisqu’au niveau international d’autres indicateurs sont développés comme l’indice du développement humain (Rapport mondial sur le développement humain, 1990), l’indice du bien-être économique développé par Osberg et Sharpe ou plus récemment le Bonheur Intérieur Brut déployé au Bhoutan. Les expériences en matière de nouveaux indicateurs de mesures, de création de monnaies, que cela soit dans des communautés présentielles ou numériques, des territoires ou des réseaux foisonnent.
Parmi les ouvrages parus récemment, certains analysent l’évolution de la monnaie et de son rôle à travers l’histoire, d’autres proposent des visions novatrices permettant à la société civile de se réapproprier la création monétaire au service du bien commun alors qu’elle est aujourd’hui, trop souvent, au cœur des stratégies spéculatives d’une oligarchie financière.
A ce travail théorique correspondent des initiatives novatrices : des monnaies alternatives voient le jour comme autant de laboratoires sociaux permettant de vivre et d’expérimenter de nouvelles formes d’économie fondées non plus sur la compétition mais sur la solidarité. A toutes ces réflexions et initiatives, il manque souvent une vision globale permettant d’envisager la monnaie sous tous ses aspects, ceux qui relèvent de la subjectivité individuelle et des comportements personnels comme ceux qui sont liés aux représentations collectives ou aux fonctions économiques et sociales.
La création de nouveaux modèles économiques et politiques inspirés par une vision intégrale ne peut faire l’impasse sur la monnaie, son rôle à la fois social, symbolique et fiduciaire C’est ainsi que Bernard Lietaer utilise le modèle des Quatre Quadrants de Ken Wilber pour envisager le phénomène monétaire sous ses divers aspects, intérieur et extérieur, individuel et collectif.
Nous avons oublié que la monnaie ne devient un instrument financier que parce qu’elle est avant toute une ressource symbolique qui fonde et irrigue le corps social comme le sang irrigue le corps physique. Dans un ouvrage intitulé Au cœur de la monnaie, Bernard Lietaer développe une analyse de la dimension archétypale de la monnaie qui, selon lui, joue un rôle fondamental dans les fluctuations monétaires. Pour ce faire, il nous convie à un passionnant voyage de vingt huit mille ans - de la préhistoire à Wall Street – qui met en lumière la dimension émotionnelle de la monnaie, liée aux tréfonds de notre psyché individuelle et collective.
L’approche de la monnaie en termes de circulation énergétique et symbolique renvoie à la dynamique d’un imaginaire collectif à travers lequel s’exprime le caractère organique et créateur de toute société humaine. Parce qu’elle permet de participer de manière sensible à l’imaginaire collectif qui fonde la société, la monnaie est au cœur d’une vision du monde partagée qui s’exprime à travers un projet de civilisation.
Chaque individu doit pouvoir reconnaître la monnaie comme expression manifeste d’un lien social qui émane d’une intersubjectivité communautaire. La monnaie peut être est un vecteur de ce lien social fondé sur un ordre symbolique sans lequel il n’existe pas de communauté. Reconnaître le rôle symbolique de la monnaie, celui des archétypes, des affects et de l’imaginaire collectif qu’elle véhicule, c’est retrouver le sens d’une communauté de destin fondée à la fois sur un ordre symbolique et un bien commun.
A la crise profonde de l’hypercapitalisme dont nous sommes les spectateurs bien souvent sidérés, correspond l'émergence de nouvelles formes économiques et sociales. Il existerait actuellement à travers le monde plus de 5.000 monnaies, qualifiées de complémentaires, qui sont autant d’occasions de refonder la dimension économique sur la base d’une éthique communautaire.
Ces initiatives cherchent à retrouver le rôle fondateur de la monnaie : celui d’un échange et d’une relation sociale qui réfère à l’ordre symbolique sur lequel est fondée toute intersubjectivité. Comme leur nom l’indique, les monnaies complémentaires sont des compléments au système financier géré par les banques et les états comme les médecines complémentaires viennent en complément de la médecine officielle.
Certains pionniers, comme Jean-François Noubel veulent aller plus loin. En utilisant les technologies de l’information pour créer des « monnaies libres », ce spécialiste en intelligence collective cherche à démocratiser une création monétaire réservée jusque là au pouvoir étatique. C'est en ce sens qu'il participe à l’invention du prochain système monétaire global : une plateforme distribuée permettant à des millions de monnaies libres de circuler à travers les réseaux - Internet et téléphones mobiles.
Jean-François Noubel |
Nous nous sommes fait l’écho des initiatives concernant les « monnaies libres » distribuées à travers les réseaux sociaux par Internet et la téléphonie mobile. De la même façon que le micro-ordinateur a donné leur autonomie informatique à toutes les unités humaines (maisons, entreprises, écoles, institutions...) et que les technologies vertes promettent de leur donner une autonomie énergétique (solaire, éolien, géothermie, etc.), voilà qu’arrivent les monnaies libres (« open money »), censées donner à chacun son autonomie monétaire... chacun pourra bientôt devenir émetteur/récepteur de monnaies - ce qui va métamorphoser l’économie et la société, mais aussi nos vies et nos esprits.
Les monnaies libres fonctionnent à partir d’un paradigme post-capitaliste. La monnaie n’est pas émise par une source extérieure : elle est l’expression des échanges entre les participants d’un même écosystème. Ce type de fonctionnement renvoie une culture du flux et de l’interconnexion ainsi qu’à une éthique communautaire et une intelligence collective qui émergent des réseaux sociaux.
Comme le dit Jean-François Noubel : « Finement comprendre la monnaie est une expérience incroyable, quelque chose de l’ordre du film Matrix. On se libère des conditionnements du système, pour le contempler du dehors, dans ses structures fines. La plupart des échanges sont aujourd’hui monétarisés. La monnaie imbibe tout, nos psychés, nos comportements, bien au-delà de ce que nous imaginons. L’ensemble du monde actuel est modelé par la monnaie. Réaliser cela est très secouant. C’est du même ordre que découvrir la rotondité de la terre... »
Jean François Noubel : « La monnaie du futur émane des agents eux-mêmes. C’est un processus monétaire révolutionnaire, comparable à ce qui s’est passé pour les médias. Revenez vingt ans en arrière, nous avions quelques dizaines de mass-médias, journaux, télés, radios, pour des dizaines de millions de citoyens. Ces médias étaient tous propriété d’États ou de grands groupes. En face, l’individu était isolé, démuni.
Aujourd’hui, grâce à Internet, nous sommes des millions à avoir des blogs et des sites, qui diffusent toutes sortes d’informations, provenant de millions d’émetteurs. La source n’est plus extérieure à nous. Ce phénomène est en train de bouleverser les flux d’information, la gouvernance et donc la réalité du monde.
La monnaie constitue la prochaine étape. Il n’y a plus aucune raison, ni économique, ni idéologique, ni technique, pour que la monnaie continue à émaner d’une source extérieure, prise dans une architecture centralisée et inégalitaire.
Désormais, l’infrastructure technique, les connaissances, l’idéologie, tout est prêt pour que chacun puisse créer sa ou ses monnaies. Dans les années qui viennent, vous allez voir apparaître des millions de monnaies, comme vous avez aujourd’hui des millions de médias. Si je vous avais parlé de millions de médias il y a vingt ans, vous m’auriez ri au nez. »
Loin de l’idéologie dominante qui consiste à réduire l’économie et la monnaie à une dimension purement abstraite et instrumentale, les travaux de chercheurs comme Bernard Lietaer et Patrick Viveret montrent à quel point l’organisation économique et monétaire des sociétés est le reflet des croyances et des émotions collectives. La valeur économique et monétaire renvoie toujours à une intersubjectivité émotionnelle et culturelle fondée sur des valeurs collectives et qualitatives.
On assiste à l’émergence d’une véritable « économie des profondeurs » qui ne se limite pas à l’observation superficielle des comportements individuels mais qui rend compte des dynamiques collectives et culturelles qui animent en profondeur les sociétés humaines comme les individus. Cette « économie des profondeurs » met en rapport et en correspondance l’économie psychique, l’économie symbolique et l'économie politique.
Patrick Viveret |
Dans ce billet, nous proposons les vidéos des conférences de Patrick Viveret, Bernard Lietaer et Michel Saloff-Coste qui se sont déroulées lors de la treizième session de l’Université Intégrale et qui apparaissent comme autant d’illustrations d’une « économie des profondeurs » décrivant les interactions entre les économies psychique, symbolique et monétaire.
La Résilience face à la Crise Financière. Patrick Viveret analyse les crises financières comme des crises de foi et de confiance vis-à-vis d’un modèle capitaliste dont le rôle historique se termine. Il observe les dynamiques régénératrices qui s’expriment à travers de nombreux phénomènes économiques et monétaires, culturels et spirituels.
Au Cœur de la Monnaie. Pour Bernard Lietaer, la monnaie représente une projection de l’inconscient collectif des sociétés. Il utilise les concepts de la psychologie collective élaborés par Jung pour interpréter le rôle des archétypes qui structurent cet inconscient collectif à travers des séquences d’émotions et d’actions pouvant être observés à travers le temps et les cultures.
Redonner une âme à la monnaie c’est, selon Michel Saloff Coste, faire le constat que la valeur monétaire est toujours le reflet des valeurs collectives autour desquelles les êtres humains font société. Une économie intégrale prendra en compte les divers niveaux de l'échange monétaire qui traduisent sur le plan quantitatif les différents types de relations qualitatives que l’être humain entretient avec son milieu.
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