vendredi 8 avril 2011

Le Printemps du Nouveau Monde (1)


« Le Futur est en nous bien avant qu’il n’arrive » Rainer Maria Rilke
C'est le printemps !... La saison du renouveau après cette période de repos et de maturation qu’est l’hiver. Une saison durant laquelle auront lieu, telle une floraison inespérée, une série d’évènements et de rencontres qui, toutes, visent à une refondation du lien social sur la base d’une vision à la fois éthique, culturelle, spirituelle. Regardez, écoutez, sentez : dans le mystère des aurores, un nouveau monde est en train d’éclore...
Un monde commun
Il n’est qu’à énumérer les thèmes autour desquels s’organisent tous ces évènements pour percevoir, derrière la diversité et la complémentarité des approches (parfois même leurs contradictions apparentes) la même volonté de refonder la société sur un socle de valeurs communes. Comme l’écrivent Daniel Cohn-Bendit et José Bové dans Libération : « Entre crise financière et climatique, crise énergétique et sociale, crise économique, politique et culturelle, c'est le sens même du monde commun qu’il faut remettre collectivement en chantier
Cet immense chantier est au programme de ces évènements printaniers. Le 2 et 3 Avril a eu lieu la troisième édition de l’Université de la Terre sur le thème : Bâtir une nouvelle société. Le 2 Avril, le Contre-Grenelle 3 a eu pour thème Décroissance ou Barbarie. D’Avril en Juin auront lieu en Belgique les "Dimanches des Créateurs de Culture". Le 7 Mai est la date de la création officielle du parti Politique Intégrale Suisse . Les 14 et 15 Mai aura lieu le lancement du Pacte Civique qui est à la société ce que fut le Pacte Ecologique à l'environnement. Le 24 Mai, aura lieu une journée de l’Université Intégrale dédiée à la société et à la politique intégrales. Les 11.12.13 Juin aura lieu le Forum Terre du Ciel sur le thème Bâtir l’avenir. Enfin une conférence de préparation au Congrès pour une politique intégrale de 2012 aura lieu, cet été, à St Arbogast en Autriche du 15 au 20 Août. Et ceci sans compter toutes les autres initiatives que nous n'avons pas recensé.
Un regard superficiel verrait dans cette efflorescence printanière un pur hasard ou une simple coïncidence. Un regard plus profond percevrait cette synchronicité comme l’expression systémique d’un nouvel air du temps qui pourrait s’exprimer de la manière suivante : on ne pourra remettre l’homme au cœur de nos sociétés défigurées par l’individualisme et l’utilitarisme, le machinisme et le productivisme, sans retrouver au cœur de notre humanité les dimensions fondamentales du sens, de l’éthique et de la solidarité.
Une intuition encore plus profonde distinguerait dans ce nouvel air du temps l’émergence d’une nouvelle « vision du monde » annoncée depuis plusieurs décennies par nombre de penseurs inspirés. Fondé sur les notions de relation et d'évolution, un paradigme intégral est amené à dépasser – tout en l’incluant – l’ancien paradigme réductionniste de la modernité fondé sur la distinction et l’abstraction. Ce nouveau paradigme intégral prend en compte aussi bien les qualités subjectives et intersubjectives propres à la sensibilité et à l'être que l’objectivité quantifiable propre au savoir et à l'avoir.
Selon le niveau de complexité et de profondeur à travers lequel il interprète les phénomènes sociaux et culturels, chacun donc verra dans cette efflorescence printanière, un hasard, un nouvel air du temps ou l’émergence d’une nouvelle "vision du monde".
Renouveau printanier
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je suis émerveillé, à chaque printemps, par les métamorphoses soudaines de la nature. En quelques jours les bourgeons apparaissent et les fleurs s’épanouissent telle une myriade de tours effectués par un magicien aussi prodigue que prodigieux. En quelques jours le décor de nos vies se transforme sous un regard émerveillé où l’admiration se conjugue à l’étonnement.
Un déluge de couleurs vives remplace les tonalités pâles de l’hiver. Le chœur éclatant des oiseaux émerge des sonorités étouffées qui permettaient à la nature de se reposer. Le courant vibrant et continu d’une mystérieuse énergie circule entre toutes les formes de vie perçues par la sensibilité comme autant de notes d’une même harmonie. Parce qu’elle nous habite et nous anime, cette énergie nous fait percevoir le monde d’une autre manière. Concentré sur lui-même, l’homme de l’hiver s’ouvre soudain au monde à travers un florilège de perceptions intenses qui l’arrache à son inertie et à ses habitudes.
La vie sociale semble nous éloigner de cette participation organique de la sensibilité au renouveau printanier. Et pourtant, il en est de culture comme de la nature. Comme les formes de la nature, les formes de la pensée et de la sensibilité obéissent à des cycles qui font alterner poussée de l’énergie créatrice, émergence formelle, apogée née d’un équilibre subtil et stabilisateur, puis enfin déclin progressif jusqu’à une dégénérescence mortelle et à une décomposition qui nourrit l’émergence d’une nouvelle forme.
Un nouveau cycle
Les cultures sont vivantes comme les peuples dont elles sont l’expression. Elles émergent, se stabilisent, déclinent et meurent à travers des cycles correspondant à la façon dont une collectivité s’adapte à ses conditions d’existence à un moment donné. Selon ces conditions, la conscience collective interprète son expérience à travers une « vision du monde » qui détermine des médiations culturelles permettant aux individus de faire société.
Si, à travers la perspective d’une vie humaine, les cycles naturels semblent se répéter de manière immuable, les cycles culturels expriment une dynamique évolutive plus lisible pour l’observateur attentif. A chaque cycle de l’évolution culturelle correspond l’émergence d’une nouvelle "vision du monde" - plus complexe et plus intégré - qui va s’exprimer à travers des perspectives épistémologiques, anthropologiques et sociales novatrices. A de nombreuses reprises, nous avons abordé ici le thème de l’évolution culturelle et le modèle de la Spirale Dynamique qui rend compte des divers cycles de cette évolution.
Dans mon dernier billet, je faisais référence à ces visionnaires qui anticipent les évènements parce que leur sensibilité participe de manière intime et profonde à la dynamique évolutive qui anime la conscience collective. En traduisant cette force évolutive en formes esthétiques et cognitives, ces créateurs annoncent l’avènement d’un nouveau mode de conscience qui va s’objectiver en évènements transformant le monde.
Rien d’étonnant donc qu’à l’émergence d’un nouveau cycle évolutif, de multiples initiatives émergent comme autant de couleurs d’un même arc en ciel après la pluie. Chacune de ces initiatives correspond à la façon dont divers groupes humains vont exprimer la même dynamique évolutive à travers leurs spécificités idéologiques et culturelles.
"Autrement, le bonheur"
Parmi les multiples évènements de ce printemps, un collectif d’une quinzaine d’organisations de la société civile et des responsables associatifs va lancer en Mai un Pacte Civique. Les promoteurs du Pacte Civique analysent ainsi le changement de cycle que nous sommes en train de vivre : « Nous assistons à une fin de cycle de la modernité, modernité que Max Weber avait caractérisée comme le passage d’une société cherchant dans la religion la solution à ses maux à une société la trouvant dans l’effort productif et le progrès économique...
La recherche du bonheur par l’accumulation de l’avoir a constitué l’orientation fondamentale de la modernité ; cette approche, contraire à la plupart des traditions de sagesse dont aucune ne place le bonheur et la joie de vivre dans la possession, a démontré ses limites. Il faut la repenser en équilibrant mieux l’être et l’avoir, le mode de vie et le niveau de vie, le bien être et le mieux être, avec, par exemple, comme mot d’ordre : « Autrement, le bonheur ».
A la fin du cycle de la modernité correspond l’effondrement du vieux monde sous le poids d’une crise systémique dont le krach financier de 2008, le réchauffement climatique ou la catastrophe de Fushiyama sont autant d’expressions emblématiques. Un tel effondrement fait surgir les peurs et les replis identitaires, instrumentalisés par des mouvements régressifs qui cherchent à renouer un lien social désagrégé en désignant des bouc émissaires : l’étranger, le nomade, la mondialisation, le délinquant, le fou.
C’est ainsi qu’à l’échelle de l’Europe, la haine de l’Autre nourrit, comme autant de crispations identitaires, le nationalisme, le communautarisme et le racisme. Pour qualifier ce mouvement régressif, le politologue Dominique Reynié parle d’un populisme patrimonial qu’il définit de la manière suivante : « Le populisme patrimonial est un mouvement politique contemporain né d'une inquiétude des Européens de voir simultanément remis en cause leur patrimoine matériel, ou leur niveau de vie, et leur patrimoine culturel, ou leur mode de vie, par les effets de la globalisation économique et du vieillissement démographique. »
Quand il n’y a plus de projet commun, le lien social se tisse autour d’un rejet commun. Quand un peuple n’est plus uni autour d’une vision commune, il se déchire et se fragmente dans des divisions entretenues par les gouvernants pour mieux régner. Ce jeu des gouvernants s’apparente souvent à celui de l’apprenti sorcier quand le peuple se retourne contre eux, victimes à leur tour de cet esprit de division qu’ils ont générés.
Résistance et Création
La transformation sociale mobilise des processus à la fois destructeurs et créateurs : destructeurs des structures anciennes, devenues inadaptées à la dynamique de l’évolution, et créateurs d’une nouvelle « vision du monde » qui exprime cette dynamique évolutive. Vus ainsi, les mouvements régressifs prennent tout leur sens : ils expriment les forces de décomposition à l’œuvre dans toutes transformation sociale. Des forces destructrices donc déstructurantes dont le rôle est de déstabiliser et de subvertir les structures inadaptées afin de permettre l’émergence d’un nouveau cycle créateur. Ces forces destructrices sont le côté sombre d’un dynamique de transformation dont la refondation culturelle est le côté lumineux.
C’est pourquoi toute transformation sociale implique un double mouvement de la part des individus et des groupes humains qui sont les vecteurs de l’évolution culturelle : résistance aux forces destructrices et participation à la dynamique créatrice de l’évolution. On connaît le slogan inspiré par le Conseil National de la Résistance et mis en avant par Stéphane Hessel : « Résister c’est créer, créer c’est résister. » Résistance et création : l’un ne va pas sans l’autre. Ils sont les deux polarités définissant un champ régénérateur de conscience et d’énergie.
Les animateurs du Forum Terre du Ciel ont justement placé leurs journées sous le thème « Résistances et Créations » : « Notre société est en fin de cycle, et manifeste partout dérapages, durcissements, rouilles et fêlures. Une société post-industrielle, postmoderne se cherche. De partout surgissent des initiatives novatrices, des approches décalées, des laboratoires pour demain. En même temps que se radicalisent les résistances à des aberrations du système, à des pratiques inacceptables qui insultent par trop la dignité de l’homme ou menacent son avenir. »
L’instituant et l’institué
Dans une perspective évolutive, résister aux forces destructrices c’est comprendre leur sens dans le processus de transformation sociale et, en se référant aux cycles naturels, utiliser l’énergie à l’œuvre dans ces processus de décomposition pour faire émerger une nouvelle « vision du monde » inspirée par la dynamique créatrice de l’évolution. Les acteurs de l’évolution culturelle ont un rôle : inventer les formes novatrices qui expriment et incarnent la dynamique évolutive, pour mobiliser et harmoniser les énergies jusque là dispersées par les intérêts égoïstes et divisées par des replis communautaristes.
On connaît la phrase d’Hölderlin : « Là où croit le péril, croît ce qui sauve ». A l’effondrement spectaculaire du vieux monde, à la peur et au repli que cet effondrement suscitent, correspond une profonde dynamique de régénération qui mobilise les énergies vitales et créatrices pour refonder un nouveau projet de société. Cette force régénératrice que Michel Maffesoli nomme « l’instituant » tend alors à trans-former les formes dégénérées de « l’institué ».
A l’origine de nouvelles formes de pensées et de sensibilité, cette force de l’instituant s’exprime notamment à travers le bouquet d’initiatives offert par ce Printemps du Nouveau Monde. Nous proposerons dans le prochain billet une rapide présentation de ces divers évènements pour être à l’écoute de cet « air du temps » qui, au cœur de toutes ces initiatives, exprime l’émergence d’une nouvelle « vision du monde ».

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    Très belle vision du monde, synthétique et novatrice.
    Vive le printemps !
    Konrad.

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