Qui augmente sa connaissance augmente son ignorance. Friedrich Schlegel
Dans notre dernier billet nous évoquions l’ouvrage de Serge Carfantan : "Connaissance de la Totalité. Pourquoi l’univers fonctionne comme une totalité vivante". L’auteur y fait la chronique d’une mutation qui touche simultanément tous les aspects de la connaissance : sciences exactes, sciences humaines et spiritualité. Élaboré au cours des cinq derniers siècles, le paradigme qualifié de "moderne" était fondé sur l’approche scientifique et technologique d’une rationalité instrumentale et utilitaire. A la fois objective et quantitative, mécanique et réductionniste, analytique et abstraite, la vision du monde promue par cette modernité obéissait au mot d’ordre défini par Descartes : devenir "comme maître et possesseur de la nature".
Aujourd’hui, ce paradigme apparaît dépassé : la nature n'a pas été simplement maîtrisée et possédée, elle est aujourd'hui dévastée après avoir été violée par une abstraction technocratique mettant hors-jeu la sensibilité et la vie même. Le désenchantement de notre rapport au monde a réduit ce dernier à une quantité de ressources disponibles à exploiter sans limites. Face à une telle dévastation, à l’ère des sociétés de l’information, émerge une nouvelle vision du monde qui réintroduit la vie et la sensibilité humaine dans le domaine de la connaissance. Ce nouveau paradigme est fondé sur les notions de totalité et de complexité, de système et d’interdépendance, de relation et de dynamique, d’émergence créatrice et de développement (du vivant comme de la conscience). Le nouveau "mot d’ordre" consiste à se connecter à la dynamique évolutive d’une totalité vivante pour y participer de manière consciente et créative.
Comme à chaque grand tournant de l'histoire humaine, il faut effectuer un véritable saut évolutif pour passer de l'ancien au nouveau paradigme. Dans ce contexte est apparue en physique l’idée d’une "Théorie du tout" comme modèle unifiant toutes les lois connues de l’univers dans une théorie globale. Ken Wilber, auteur de "Théorie de Tout" et Serge Carfantan, auteur de "Connaissance de la Totalité" se sont interrogés tous les deux sur la pertinence et les limites d'une telle théorie comme sur les fantasmes d'omniscience dont elle est l'expression. Dans ce billet, après avoir évoqué l'influence fondamentale de l'épistémologie dans les champs culturels et sociaux, nous proposerons les réflexions croisées de ces deux auteurs pour mieux comprendre le sens du saut paradigmatique qui détermine une nouvelle vision du monde et de l’être humain.
Des enjeux de société
L’épistémologie – ce mot barbare qui concerne l’étude de la connaissance – est une discipline qui n’est réservée ni aux savants ni aux philosophes dans la mesure où elle influence à la fois la culture, la société et les consciences individuelles. Dans Les mots et les choses, Michel Foucault définit l’"épistémè" d’une époque comme une façon de penser et de se représenter le monde qui imprègne toute la culture. Cet épistémè exprime la vision du monde véhiculée par la société à une époque donnée : c’est ainsi que Foucault opère la distinction entre les épistémès de la Renaissance, de l'époque classique et de l'époque moderne.
Chaque époque privilégiera un mode de connaissance, des méthodes et des savoirs qui expriment et légitiment ses valeurs et sa vision du monde. Les analyses de Foucault ne sont pas éloignées de celles de Thomas Kuhn qui, dans son célèbre ouvrage intitulé La Structure des révolutions scientifiques , introduit le concept - devenu lieu commun - de changement de paradigme. En étudiant l'histoire des sciences, Kuhn montre que l'évolution des sciences n'est pas cumulative : elle s'effectue à travers des sauts conceptuels qui, en changeant de perspective, modifient nos modèles, nos méthodes et notre compréhension du monde.
Chaque époque privilégiera un mode de connaissance, des méthodes et des savoirs qui expriment et légitiment ses valeurs et sa vision du monde. Les analyses de Foucault ne sont pas éloignées de celles de Thomas Kuhn qui, dans son célèbre ouvrage intitulé La Structure des révolutions scientifiques , introduit le concept - devenu lieu commun - de changement de paradigme. En étudiant l'histoire des sciences, Kuhn montre que l'évolution des sciences n'est pas cumulative : elle s'effectue à travers des sauts conceptuels qui, en changeant de perspective, modifient nos modèles, nos méthodes et notre compréhension du monde.
De même que la guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée aux militaires, il ne faut pas laisser aux seuls spécialistes l’exclusivité d’une réflexion épistémologique qui influence profondément la culture et, via celle-ci, les consciences individuelles comme l’organisation sociale. Conscience, culture et société sont autant d’éléments interdépendants d’une même totalité vivante. Quoiqu’en pensent les tenants d’une "science pure", totalement déconnectée des enjeux socio-culturels, l’épistémologie relève aussi d’une vision idéologique et politique : il n'est qu'à voir, par exemple, le débat qui opposent dans les sciences sociales les tenant de "l'individualisme méthodologique" et ceux du holisme.
Selon l’"individualisme méthodologique", les phénomènes collectifs doivent être décrits à partir des actions et des motivations individuelles. Une telle approche réductionniste a toujours été celle du libéralisme qui considère l'individu comme une monade abstraite et autonome agissant rationnellement pour maximiser ses intérêts. L'individualisme méthodologique est aux sciences sociales ce que l'atomisme est aux sciences physiques : la compréhension d'une totalité à partir de ses entités élémentaires. A l’encontre de ce réductionnisme se trouve le holisme (du grec holos = tout) à l’origine d'une toute autre approche dans le domaine physique comme dans celui des sciences sociales. Le holisme est cette théorie de la connaissance pour laquelle le tout n’est pas réductible à la somme de ses parties : il possède une qualité propre déterminant tous les éléments qui en sont parties prenantes.
L'évolution culturelle
Dans sa version sociologique, le holisme considère les individus comme des entités sociales engagées dans un milieu multidimensionnel à la fois humain et culturel, économique et politique, technologique et naturel. Dans cette perspective holiste, loin d'être l'entité abstraite et autonome promue par le libéralisme, l'individu est largement déterminé par cette totalité vivante qu’est chaque société humaine. L'individualisme méthodologique conduit, via la concurrence généralisée, à la guerre de tous contre tous quand le holisme fonde une anthropologie de la coopération. Les choix opérés par l'idéologie dominante dans ce débat théorique auront bien-sûr de profondes répercussions, jusque dans la vie quotidienne.
Nous ne rentrons pas ici plus avant dans un tel débat qui mériterait un développement complet. Si nous l'avons évoqué c'est juste pour montrer l'importance des perspectives épistémologiques et leur influence sur la culture, la société et les modes de subjectivation. Élevés au biberon de la modernité intellectuelle et de son abstraction méthodologique, nombre de militants politiques n’ont toujours pas compris qu’il ne peut y avoir de transformation sociale sans une mutation culturelle fondée elle-même sur un changement de paradigme. De même qu’une mutation culturelle ne peut s'approfondir que si elle s'incarne dans une multitude de changements individuels comme dans une évolution de l'organisation sociale.
Parce que, dans son optique abstraite et moderniste, la classe politique privilégie les champs socio-économiques et technologiques, elle minimise - quand elle ne le dénie pas - le rôle essentiel d'une évolution culturelle qui se manifeste par l'émergence de nouveaux paradigmes. Elle se condamne ainsi à répéter ad nauseam les mêmes recettes éculées issues de paradigmes dépassés sans proposer les nouvelles formes d’organisation et de vision collective correspondant à cette évolution. Ceci explique pourquoi la classe politique est toujours en retard d'une évolution par rapport aux mœurs, aux minorités créatives et à la société civile qui la précède !...
Parce que, dans son optique abstraite et moderniste, la classe politique privilégie les champs socio-économiques et technologiques, elle minimise - quand elle ne le dénie pas - le rôle essentiel d'une évolution culturelle qui se manifeste par l'émergence de nouveaux paradigmes. Elle se condamne ainsi à répéter ad nauseam les mêmes recettes éculées issues de paradigmes dépassés sans proposer les nouvelles formes d’organisation et de vision collective correspondant à cette évolution. Ceci explique pourquoi la classe politique est toujours en retard d'une évolution par rapport aux mœurs, aux minorités créatives et à la société civile qui la précède !...
De l’économie à l’écosophie
S’il faut développer une réflexion épistémologique, ce n’est donc pas pour le simple plaisir d’une masturbation intellectuelle – aussi agréable et valorisante fut-elle – mais pour saisir les enjeux de société et de civilisation dont est porteuse toute théorie de la connaissance. En nous faisant ici et là l’écho des travaux de Michel Maffesoli, nous avons évoqué la mutation d’une vision économique fondée sur la mesure et la valeur quantitative en une vision écosophique fondée sur la qualité des relations entre l’homme et son milieu multidimensionnel à la fois naturel, humain et spirituel. Une transformation culturelle d’une telle ampleur correspond évidemment à une profonde mutation épistémologique.
Dans La Nouvelle Avant-garde, Michel Saloff Coste évoque ainsi cette mutation : « Comme dans les grandes évolutions et transformations humaines du passé, la transition que nous vivons s'élabore d'abord à travers la critique épistémologique des cadres de référence du passé. Face à des équations apparemment impossibles à résoudre, les solutions ne peuvent être trouvées qu'en changeant d'échiquier et en questionnant nos a priori. De nouvelles approches philosophiques, artistiques et scientifiques sont en train d'émerger et de se préciser ». Comment pourrait-on "sortir de l’économie" - c’est-à-dire du capitalisme - pour entrer dans cette « "sagesse du milieu" qu’est l’écosophie, sans participer à l’émergence d’une nouvelle vision du monde qui remet à l’honneur les notions de totalité, de complexité et d’émergence créatrice ?
Dépasser le stade de l'abstraction économique, c'est faire l'expérience vécue de cette sagesse concrète qu'est l'écosophie. Une sagesse qui permet à l'individu d'évoluer en immersion dans ce milieu multidimensionnel qu'est la Totalité en intégrant les éléments et les informations issues de ce milieu pour se développer. Alors que le fétichisme de l'abstraction soumet encore les consciences à son emprise, un autre modèle s’affirme, fondé sur l’idée de relation, d’interdépendance et d’évolution. Figure emblématique incarnant l’émergence de ce nouveau modèle, Edgar Morin a su pointer les impasses d’une pensée abstraite et fragmentée tout en définissant les prémices d’une pensée complexe (cum-plexus : tissé ensemble) où tout se tient car tout est lié.
Une intelligence aveugle
Edgar Morin a qualifié d’intelligence aveugle le mode de pensée dominant fondée sur le réductionnisme et la fragmentation du réel : « Le mode de pensée qui nous a été inculqué obéit essentiellement à des principes de disjonction, de réduction et d'abstraction. Il isole les objets de connaissance les uns des autres, et il rend donc difficile l'appréhension des solidarités, interactions et implications mutuelles qui lient ces objets. Il privilégie la connaissance des unités de base ou des parties constituant les systèmes, sans nous inciter à opérer une navette cognitive des parties au tout et du tout aux parties. Nous disjoignons et ventilons en différentes disciplines les fragments des ensembles organisés dont notre mode de pensée a brisé l'unité.
L'hyper-spécialisation qui morcelle le tissu complexe des phénomènes donne finalement à voir comme seul réel sa fragmentation arbitraire. Par ailleurs, l'abstraction incontrôlée tend à considérer les formules et les équations comme seules réalités. On en arrive à une intelligence aveugle qui isole les objets les uns des autres, les soustrait à leur environnement, désintègre les ensembles, systèmes et totalités. Nous devenons ainsi de plus en plus aveugles aux phénomènes concrets, aux réalités globales et aux problèmes fondamentaux. Aussi, ce mode mutilant d'organiser notre pensée nous aveugle plus profondément que l'erreur d'observation ou l'incohérence logique. »
La crise systémique que nous vivons montre bien les limites, les impasses et les dangers de cet aveuglement technocratique. Comme le dit Einstein : « Il ne faut pas compter sur ceux qui ont créés les problèmes pour les résoudre. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés ne peuvent être résolus au niveau et avec la façon de penser qui les a engendrés.»» Sortir des ornières de la pensée technocratique c'est effectuer le saut évolutif et qualitatif qui permet de dépasser les limitations d'une logique rationnelle/mécanique pour accéder à la globalité d'une vision relationnelle/organique. La logique analytique sépare abstraitement chaque ensemble en une diversité d’éléments pour les réorganiser selon l’ordre mécanique d’une rationalité instrumentale tandis que la pensée organique participe d'une vision globale qui perçoit les ensembles et les dynamiques qui les constituent et les animent. Un tel saut paradigmatique correspond au passage de l’économie à l’écosophie.
Ken Wilber et la Théorie du Tout
« Née au début des années 80, puis progressivement développée au cours des années 90, la rumeur d’une théorie du Tout commença à courir dans le monde de la physique : un modèle qui se proposerait d’unir toutes les lois connues de l’univers dans une théorie globale, qui pourrait expliquer littéralement tous les aspects de l’existence. Certains allèrent jusqu’à murmurer que la main même de Dieu allait pouvoir être aperçue dans ses formules. D’autres annoncèrent que le voile venait d’être levé sur le visage du Mystère ultime. La Réponse finale était à portée de main, entendit-on ailleurs.
Connue sous le nom de Théorie des cordes (ou plus exactement, Théorie M), sa promesse est de parvenir à unifier tous les modèles connus de la physique – de l’électromagnétisme aux forces nucléaires en passant par la gravité – en un super-modèle universel. Les unités fondamentales de ce super-modèle sont connues sous le nom de « cordes », ou objets vibrants unidimensionnels, et à partir des différentes « notes » jouées par ces cordes fondamentales, il est possible de dériver chaque particule et chaque force connue dans le cosmos.
La Théorie M (la lettre M peut notamment être interprétée comme l’initiale de matrice, membrane, mystère, ou mère comme dans la « mère de toutes les théories »), est sans aucun doute un modèle prometteur et stimulant, et si elle s’avérait scientifiquement valide – elle doit encore recueillir une rigoureuse approbation expérimentale – elle serait effectivement une des découvertes scientifiques les plus importantes de tous les temps…
Une approche réductionniste
La Théorie M a certainement amené les intellectuels à réfléchir et à penser différemment. Quelles seraient les implications d’une théorie qui expliquerait tout ? Et qu’est-ce qu’on entend par « tout », d’ailleurs ? Est-ce que cette nouvelle théorie dans le domaine des sciences physiques allait permettre d’expliquer la signification de la poésie ? Ou le fonctionnement de l’économie ? Cette nouvelle physique serait-elle en mesure d’expliquer les mouvements des écosystèmes, les dynamiques de l’histoire ou encore les raisons pour lesquelles la tragédie des guerres humaines se perpétue inlassablement ?
À l’intérieur des quarks, dit-on, il y a des cordes vibrantes, et ces cordes sont les unités fondamentales de tout. Eh bien, si c’est le cas, c’est un tout étrange, pâle, anémique, étranger à la richesse du monde qui chaque jour s’offre à nous. Les cordes sont indubitablement une partie importante, fondamentale du vaste monde, mais peut-être pas aussi prédominante qu’on semble le dire.
Vous et moi savons déjà que les cordes, si tant est qu’elles existent, sont seulement une fraction infime du tableau d’ensemble, et nous le savons à chaque fois que nous regardons autour de nous, que nous écoutons la musique de Bach, que nous faisons l’amour, que nous nous immobilisons au son du fracas déchirant du tonnerre, que nous nous laissons inonder d’un coucher de soleil, que nous contemplons un monde resplendissant qui semble bel et bien constitué d’autre chose que simplement de microscopiques élastiques unidimensionnels…
Le Kosmos
Les anciens Grecs avaient ce mot magnifique, Kosmos, pour décrire le Tout de l’existence aux multiples facettes, qui embrassait les sphères physiques, émotionnelles, mentales et spirituelles. La réalité ultime n’était pas seulement le cosmos, la dimension physique, mais le Kosmos, avec ses dimensions physiques, émotionnelles, mentales et spirituelles. Pas simplement la matière, inerte et insensible, mais la Totalité vivante de la matière, du corps, du mental, de l’âme et de l’Esprit.
Le Kosmos ! Voilà une authentique théorie de tout ! Mais nous autres pauvres modernes avons réduit le Kosmos au cosmos, nous avons bradé la matière + le corps + le mental + l’âme + l’Esprit pour la matière seulement, et dans ce monde terne et plat du matérialisme scientifique, nous avons fini par croire qu’une théorie unifiant la totalité de la dimension physique était effectivement une théorie du tout... La nouvelle physique, nous dit-on, nous donne accès à l’intelligence de Dieu. Peut-être, mais alors seulement lorsque Dieu songe à un tas de sable.
Sans aucunement chercher à nier l’importance d’une physique unifiée, il nous faut aussi nous poser ces questions : pouvons-nous avoir une théorie, non seulement du cosmos, mais du Kosmos ? Peut-on envisager une véritable Théorie de Tout ? Est-ce seulement raisonnable de se poser la question ? Et par où commencer ?
Une « vision intégrale », une authentique Théorie de Tout, tente d’inclure la matière, le corps, le mental, l’âme et l’Esprit tels qu’ils se manifestent dans l’individu, la culture et la nature. C’est une vision qui se veut exhaustive, équilibrée et inclusive. Une théorie qui, par conséquent, embrasse la science, l’art et la morale ; qui inclut équitablement aussi bien la physique que la spiritualité, la biologie que l’esthétique, la sociologie que la prière contemplative ; qui se manifeste à travers une politique intégrale, une médecine intégrale, un commerce intégral, une spiritualité intégrale...»
Serge Carfantan et la Théorie du Tout
Dans sa présentation de son dernier ouvrage "Connaissance de la Totalité" sur le site Philosophie et Spiritualité dont il est le créateur, Serge Carfantan s’interroge lui aussi sur ce que pourrait être une "Théorie du tout" : « L’appellation "Théorie du tout" est entrée dans la littérature scientifique en 1986 par le biais de la revue scientifique Nature. Entré presque en force il faut le dire tant l’expression a été tournée en dérision. Témoin Stanislas Lem qui se servait de cette expression pour se moquer des théories farfelues d’une sorte de professeur Tournesol qui apparaissait dans ses romans. L'expression « théorie du tout » est même présentée parfois de manière ironique chez certains chercheurs qui travaillent sur la théorie des cordes, théorie qui a pourtant la faveur du public comme modèle d’une future « théorie du tout ».
Toutefois, la raison est ailleurs. Nous savons qu’une théorie physique n’a de valeur que lorsqu’elle est soumise à des tests capables de la mettre à l’épreuve, et même comme le disait Popper éventuellement de la « falsifier ». Rien de tout cela avec la théorie des cordes. On n’a encore trouvé aucun moyen expérimental de la tester. Elle est donc pour l’instant en l’état une élégante spéculation mathématique, mais rien de plus. Conséquence : personne ne sait ce qu’il en sortira et si finalement la « théorie du tout », la « théorie M » ne vont pas déboucher sur… rien du tout !
D’où l’autodérision sur l’expression « théorie du tout » qui rejoint les reproches que l’on peut faire à une théorie qui succombe aux généralisations hâtives. C’est chose bien connue dans le monde des philosophes, il ne manque pas de doctrines que l’on a généralisées en dehors de leur champ d’application pour tenter de tout expliquer. Dans les années 68, la transformation d’une doctrine en idéologie était monnaie courante. Le marxisme a été utilisé pour tout expliquer. Idem pour le freudisme ou encore pour le structuralisme.
A l’époque on pouvait presque caser du Freud ou du Marx pour expliquer quasiment n’importe quoi : pourquoi pas la lutte des classes entre les espèces et entre les gènes ? Pourquoi pas la libido des molécules ou la sexualité des trous noirs tant qu’on y est ? Lassé de cet orgueil à prétendre posséder LA théorie qui devrait tout expliquer (en jetant aux orties toutes les autres), on a fini par se méfier des théories « totalisantes » qui n’étaient que des ambitions totalitaires de l’intellect. Alors pourquoi s’y remettre une fois de plus dans ce livre ?
La Carte et le Territoire
Premier point : nous assumons pleinement ici les analyses de Ken Wilber. Théorie en grec, comme darshana en sanskrit, cela veut dire « point de vue ». Il faut rester très modeste sur la valeur de n’importe laquelle de nos théories et garder en mémoire qu’aussi sophistiquée qu’elle soit, une théorie n’est rien d’autre qu’une carte, pas le territoire. Une carte c’est très utile pour se repérer, pour suivre des chemins, mais c’est très médiocre par rapport à la complexité du Réel.
Comme dit Wilber prendre la théorie pour la réalité, c’est comme aller au restaurant pour manger le menu. A cette modestie il faut en ajouter une autre, celle qui consiste à ne pas prétendre balayer d’un revers de main toute théorie concurrente. Il faut plutôt saisir chacune d’elle dans le bénéfice qu’elle apporte à notre compréhension, dans le niveau de réalité qu’elle décrit. A cet égard donc une théorie du Tout serait donc synthétique. Donc pas d’exclusivité, ni de rejet de toute approche sérieuse et méthodique.
Second point : une esquisse, ce n’est pas le portrait définitif, ce sont des coups de crayons bien tracés qui laisse deviner un visage ou un paysage. C’est très suggestif, mais il n’y a pas tout le détail ; surtout c’est déjà assez ressemblant quand il s’agit d’essayer de rendre le modèle. Le modèle en question dans une théorie du Tout, c’est la Totalité elle-même et il se trouve que celle-ci est très ordonnée. Si donc il était possible de rassembler l’inspiration de quelques coups de pinceaux venus d’horizons différents sur une même toile, le résultat pourrait devenir très intéressant et même stimulant.
Nous avons donc pris le parti de rassembler ici plusieurs études, c’est au lecteur à la fin de dire si le tableau est réussi. Le terme esquisse est donc choisi à dessein, ce travail ne constitue pas en lui-même une nouvelle théorie du Tout, il est avant tout philosophique, il propose de faire se rejoindre une série de découvertes et d’apports dans un seul ouvrage qui reste très ouvert. Le texte est volontairement limité. Il y a beaucoup d’aspects qui ne sont pas abordés et qui auraient pu y être inclus. La réception de ce livre décidera s’il faut lui donner une suite.»
Ressources
Connaissance de la Totalité. Pourquoi l’univers fonctionne comme une totalité vivante. Serge Carfantan, éditions Almora
Dans la rubrique Ressources du dernier billet intitulé Connaissance de la Totalité (1), on trouvera de nombreux liens concernant les ouvrages de Serge Carfantan et de Ken Wilber.
Une Théorie de Tout Ken Wilber éd. Almora
Une Théorie de Tout Ken Wilber éd. Almora
Les Mots et les Choses Michel Foucault
La Structure des révolutions scientifiques Thomas Kuhn
La pensée complexe Edgar Morin
La Nouvelle Avant-garde Ouvrage collectif passionnant sur l’émergence d'une approche intégrale dirigé par Carine Dartiguepeyrou
La Théorie du Tout Comment la physique peut expliquer l'univers. Les Dossiers de la Recherche
La Théorie du Tout Comment la physique peut expliquer l'univers. Les Dossiers de la Recherche
Dans Le Journal Intégral :
Une Théorie de Tout (Ken Wilber) - Ken Wilber, philosophe du Tout (3 billets) - Les trois yeux de la connaissance - Introductions à la Vision Intégrale
Sur le passage de l’économie à l’écosophie : Ecosophie : une sagesse commune - Civilisation, Décadence, Ecosophie.
Sur le passage de l’économie à l’écosophie : Ecosophie : une sagesse commune - Civilisation, Décadence, Ecosophie.
Pour des informations sur les thèmes traités dans " Connaissance de la Totalité", voir les billets liés aux libellés Épistémologie, Théorie Intégrale et Ken Wilber.
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