jeudi 4 juin 2020

Les Deux Couronnes


Le temps est venu d'appréhender l'ensemble des crises écologiques, climatiques, sociales, économiques et sanitaires comme une seule et même crise : une crise de l'excès. Nicolas Hulot


En mémoire de Daniel C.
cet amoureux des livres
qui vient de nous quitter
pour rejoindre la grande
Bibliothèque des Dieux.

Ce billet s'inscrit dans la continuité des trois précédents et forme avec eux un ensemble qui pourrait s'intituler modestement "La Tétralogie du Covid." Ce texte doit être interprété dans le contexte d'une réflexion menée depuis dix ans dans Le Journal Intégral. Le mieux serait de lire ces quatre billets dans cet ordre pour suivre la progression de notre réflexion concernant la "pandémie" actuelle : L'économie ou la vie - L’Art de la Conversion - Autodestruction ou développement intégral.

Comme un junkie
dans une crise d'angoisse
court chez son dealer 
après une tentative de sevrage.

Comme un poivrot
retourne au bistrot 
après une énième cure 
de désintox.

Après un confinement généralisé
nous retournons 
à nos anciennes addictions
sans s'être réveillés
de ce cauchemar climatisé 
où se déroulent nos vies de drogués
à l'économie et à ses catégories :
  production et consommation
technique  et croissance
travail et divertissement.

Le déconfinement fut marqué 
par les processions marchandes 
devant les magasins 
où des foules en liesse 
venaient adorer 
Sainte Zara
et Saint MacDo
en priant ensemble
 Saint Pour Cent de Remise. 

Effrayées par une liberté
qu'elles ont côtoyé de si près, 
les foules regagnent
les magasins, transports,
ateliers, bureaux, usines 
comme les poules, 
- effrayées par le renard -
regagnent leur poulailler.

Elles avaient le choix entre
L'Economie ou la Vie.
C'est l'économie
qui les a choisi.

Sans nous en apercevoir, 
nous vivons le temps 
du retour à l’anormal, 
où nous abandonnons
en toute bonne conscience, 
- tels des chiens dans la forêt -
les bonnes résolutions,
les idéaux et les projets
que nous avions envisagés
pour le "monde d'après".

Toutes ces visions d'avenir
inspirées par la peur
et la proximité
de la mort
voilà qu'elles
 s'évanouissent
dans un lâche soulagement
comme les promesses de sobriété
d'un alcoolique devant le zinc.

Comme l'avait prédit
Michel Houellebecq,
le "monde d'après"
est devenu pire
que le "monde d'avant".

Si nous n'osons pas
nous émanciper
 du système
qui nous aliène,
il se régénère,
alimenté par l'énergie
que nous avons mobilisé
pour tenter de nous en libérer
sans succès.

Comme les liens
se resserrent
sur le corps de celui
qui cherche
à s'en délivrer.

Comme on s'enfonce
dans les sables mouvants
en se débattant
pour s'en dégager.

Comme l'addiction revient,
toujours plus forte
après une période
de sevrage.

Il faut les voir
les toxicos de l'économie
confinés dans leurs certitudes,
fiers de leur servitude
portée comme un drapeau,
défilant  devant
le troupeau
de leurs habitudes.
 
C'est ainsi qu'ils reprennent
leur vie de somnambules 
pour regagner le terrier 
qui leur sert d’existence.

Totalement
dépendants
d'un système
qui les infantilise,
ils croient 
inventer le récit
de leur propre vie
alors qu'il ne font
que répéter le rôle
que ce système
leur a appris.

Quiconque possède encore 
une once de sensibilité 
non annexée
sur le cours de la marchandise, 
ne peut qu’être révulsé 
par le spectacle de ces hamsters
- à la fois anxieux et conformes -
qui ne cessent de faire tourner 
la roue de l’économie 
jusqu’à épuisement 
de leur force intérieure. 


Cette roue est au centre 
d’une mécanique
où tous les rouages 
de l'exploitation, 
de l'aliénation 
et du divertissement
s’engrènent
les uns dans les autres 
dans une précision d’horloger 
broyant au passage 
toute singularité, 
toute élan spirituel 
et toute trace d’humanité.

Marx définissait
la valeur marchande
comme un
 "sujet automate"
 parce qu'elle vide
toute expérience concrète
de sa substance vivante
en imposant
le fétichisme 
de la marchandise
à travers
cet équivalent général,
abstrait et universel
qu'est l'argent. 

"Nous n’y pouvons rien"
marmonne le chœur
laborieux des hamsters. 

"C'est ainsi que le monde
 tourne depuis toujours
et rien ne pourra le changer.
Il faut suivre le mouvement
sous peine d'être distancés."

De tout temps et en tous lieux,
la résignation chante et marche 
en cadences infernales 
l’éternel refrain du mouvement
pour ne pas avoir à changer.

L’inertie est abyssale, 
c’est d’ailleurs à cela 
qu’on la reconnaît. 
A cet appel du vide 
où se dissolvent 
toutes formes de conscience, 
d'exigence et d’intensité. 

Produire pour consommer 
et consommer pour produire. 

Travailler
pour acheter une voiture 
qui permet d’aller au travail.

On perd sa vie
à la gagner
avant de se divertir
à en perdre la tête.

Quand la vie
 n'a plus de sens
on vend la sienne
- ce qui l'en reste -
contre un salaire de misère.

Et malheur à celui qui
ne trouve pas preneur !

Condamné
à être absent
aux noces barbares
de la marchandise
et du spectacle.

Les hamsters
 croient avancer 
sur le droit chemin
du progrès 
alors même
qu’ils tournent en rond
dans un cercle vicieux.

Le premier
des cercles de l'enfer
 initie la spirale infernale 
d'une dynamique régressive 
qui conduit
de manière inéluctable 
à l’effondrement.

Effondrement
psychique et moral,
culturel et spirituel.

Effondrement
écologique et social,
économique et financier.

Même s’ils l’ignorent encore,
les hamsters
sont déjà morts,
tels des zombies
faisant semblant de vivre 
pour ne pas avoir à faire 
le deuil de leur humanité.


Le consumérisme 
porte bien son nom 
puisque consommer
sans autre but
que de faire tourner
 la roue de l'économie
 c'est consumer
toutes les ressources 
de notre milieu d’évolution
jusqu'à leur épuisement total.

Tout était déjà écrit
mais plus personne
ne savait lire.

Depuis longtemps
les mots avaient déserté
l'horizon du sens

Qui donc
a vu dans la pandémie 
un signe des temps 
destiné à nous alerter 
sur ce qui nous attend 
si nous attendons trop 
pour relever la tête 
en direction de l'essentiel ? 

Qui donc
a su véritablement 
saisir l’occasion 
offerte par le virus
couronné
pour prendre
une distance sociale
avec cet engrenage infernal
afin de ceindre la couronne
d'une souveraineté retrouvée ?


Qui donc
a su profiter 
de ce moment particulier
pour maîtriser cet
qui remet à l’endroit 
un monde marchand 
cul par-dessus tête ? 

Pour observer
sa propre existence 
d'un regard profond
et bienveillant.

Pour accueillir
en soi
une présence
irréductible. 

Pour se fondre
dans le silence
qui nappait
le cœur des villes
d'une innocence retrouvée.

Pour entretenir
avec sa vie 
une complicité
amoureuse.

Quelques-uns
 ont eu
la force et le courage
de s'extraire de la roue
où les hamsters
sont condamnés
à la course au profit.

 Ces destinées
singulières et inspirées
vont à contre-courant.

 Elles forgent
dans l'épreuve
la force de résister.
 
L'expérience
sensible et partagée
 du confinement
leur a permis
de comprendre
 la terrifiante absurdité
d'une vie asservie
à l'économie.

Dans la simplicité
d’une évidence retrouvée,
elles sont sorties
du cercle bestial 
où les vivants sont sacrifiés
sur l'autel
du fétichisme marchand.

Elles ont découvert un secret :
la véritable pandémie
c'est l'économie
et la "valeur" est
un virus mortel
dont l'abstraction détruit
ces organismes
vivants et fragiles
que sont
les communautés humaines
et leurs écosystèmes.

On reconnaît
ces sages
au bandeau
qu'ils portent sur la tête
comme une couronne,
symbole
d'une souveraineté
 inaliénable.

Dans la tradition indienne,
Sahasrara,
le "Chakra Couronne",
au-dessus du crâne
et au-delà de l'égo,
ouvre sur l'immensité.


Dans la Table d’émeraude
d'Hermès Trismégiste,
il est écrit :
"Ce qui est en bas 
est comme 
ce qui est en haut 
et ce qui est en haut 
est comme 
ce qui est en bas
pour l'accomplissement 
des merveilles 
d'une chose unique."

Ainsi
entrent en résonance
la couronne virale
(Corona Virus)
messagère
de l'infiniment petit
et la couronne vibrale
(Chakra Coronal)
qui ouvre sur
 l'infiniment grand.

Comprenne qui pourra
et pourra celui qui  a vécu
la crise sanitaire 
comme
une crise salutaire.

Et sa vie
ne sera plus
jamais la même
car il a appris à faire 
clairement la différence
entre aliénation et libération. 

Être aliéné 
c’est devenir étranger 
à soi-même.

Se libérer
c’est se considérer
soi-même 
comme un étranger 
pour aller à la rencontre 
de cet Autre
que l'on est
dans la présence
à la fois essentielle
et fondamentale
de la non-dualité.

(Chakra Coronal)

Ensemble, 
ces destinées singulières
 inventent un autre possible 
dans l'énergie conviviale 
d’un imaginaire connecté
à l'évolution créatrice.

Loin,
très loin
de cette compétition
mortifère
 où chacun
cherche à devenir 
l’employé du Moi
 au lieu de se mettre 
au service du Soi 
qui le transcende.

La pandémie virale
nous a appris 
à respecter
une distanciation physique. 

Pour endiguer
la pandémie vibrale
des illusions
toutes les formes de spiritualité
nous enseignent
le geste barrière le plus efficace  :
la distanciation métaphysique 
avec cette conscience de séparation 
que l'on nomme l’ego. 

Cet au-delà de l'égo 
est un lieu sacré
où se réinvente 
 l'art des limites.

C'est à partir de ce lieu
que se révèle
la continuité 
organique et systémique
entre l'économie et l'égomanie.

On ne peut sortir
du cercle infernal
 de l'économie
qu'en dépassant
 l'identification à l'égo
à travers
une expérience
spirituelle.

Seuls,
ceux qui ont entrepris
ce voyage initiatique
pourront transformer
les sociétés marchandes
en communautés vivantes
sous le sceau
d'une abondante sobriété.

Dans le prochain stade
 du développement humain
ces communautés
deviendront
des lieux communs
où seront célébrées
 les noces alchimiques
de la présence et du mystère.
.

Ressources 

Un certain nombre de concepts proposés dans ce texte comme la "valeur", la "sortie de l'économie", l'égomanie, le "fétichisme de la marchandise", la "spirale infernale" et d'autres font référence à un ensemble d'intuitions, d'analyses et de réflexions proposées dans Le Journal Intégral depuis dix ans.

Par exemple : Critique de la valeur - Le Fétichisme de la Marchandise - Sortir de l'économie - Vers une Synthèse évolutionnaire - Un projet éditorial -

On peut se référer aux cinq sommaires où sont répertoriés tous les billets parus dans le Journal Intégral de 2000 à 2010 : Sommaire1 (2010)  et suivants.

Le couronnement de Charles Esenstien. Traduction de Marianne Souliez

4 commentaires:

  1. Je croyais que j'avais déjà laissé un commentaire, mais non...
    j'ai lu plusieurs fois ton texte-poème...et il est magnifique.
    Merci.

    Oui, beaucoup reprennent le chemin d'avant, la consommation et ses pièges...
    Mais pas tous, pas tous...
    De plus en plus de gens s'éveillent...mais cela reste peu visible,
    car non relayé par les médias (évidemment).

    Je suis bien d'accord avec toi : l'Economie nous écrase et nous aliène...
    Mais pour moi, tout au fond, il y a un autre ennemi,
    bien plus puissant et bien plus ravageur encore...que celui-ci.

    Pour moi, le premier "ennemi", celui qui détruit tout,
    c'est le Mensonge.

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  2. Et si ce Mensonge n’était rien d’autre que le songe d’une conscience qui, en s’identifiant au mental abstrait, perd connaissance ? Seul l’ouverture de la conscience à la présence non-duelle permet de s'éveiller de ce songe qu’est le mental :-)

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  4. Il me semble, qu'il y a, certes, le mensonge qu'on se fait à soi-même,
    mais il y a aussi le "Monde de Mensonge" dans lequel on nous enferme sciemment,
    les deux se renforçant l'un l'autre, bien sûr.

    "Men"-"Songe" : le songe d'une humanité (men=hommes),
    qui n'a jamais été autorisée à voir la réalité derrière l'illusion ?

    Dans notre quête de "Vérité" avec un grand V, quelle est la place du "mental abstrait" ?
    Je dirais que c'est celle d'un outil...(auquel il vaut mieux ne pas s'identifier),
    mais qu'il ne convient pas de jeter non plus...au risque de "perdre connaissance"...

    La Connaissance, le Coeur et le Courage, triade indispensable pour traverser la Crise... :-)

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