Suite à la parution d’un livre de Ken Wilber intitulé Integral Sprituality, le magazine américain EnlightenmentNext a publié dans son édition de Juin 2006 un numéro consacré principalement à l'œuvre de Wilber et aux divers sujets explorés dans son livre. Nous avons diffusé sur ce blog la traduction française d’un article de Carter Phipps sur Ken Wilber, publié dans ce numéro et intitulé Le philosophe du Tout.
Le magazine EnlightenmentNext a été crée par Andrew Cohen, un enseignant spirituel qui transmet la vision de qu’il nomme l’éveil évolutif : un éveil spirituel qui s’effectue dans la perspective d’une évolution cosmique de quinze milliards d’années. Chaque numéro d’EnlightenmentNext est l’occasion d’un dialogue passionnant entre Andrew Cohen et son ami Ken Wilber. Dans cette série de dialogues intitulés Le sage et l’érudit, ils abordent de nombreux thèmes concernant la spiritualité, la culture et la société dans une perspective à la fois intégrale et évolutionniste. On peut lire nombre de ces dialogues, soit en anglais sur le site d'EnlightenmentNext, soit en français dans le magazine et sur le site d'Eveil et Evolution, la version française du magazine américain. En Juin 2006, dans EnlignthnementNext, Cohen et Wilber ont un long entretien sur le dernier livre de celui-ci, Integral Spirituality, ainsi sur les divers thèmes qui y sont traités : la post-métaphyique et la post-modernité, la différence entre stades et états de conscience, le rôle actuel des religions, les trois visages de l’Esprit, l’Ombre etc...
Je remercie ici l’équipe d’Eveil et Evolution qui m’a donné l’autorisation de diffuser ici cet entretien encore inédit en français qui permet aux lecteurs francophones de se familiariser avec les développement récents du travail de Ken Wilber dont certains - le mythe du donné, la post-métaphysique intégrale - nous apparaissent comme fondamentaux dans la perspective d'une culture intégrale. Nous publierons donc en plusieurs parties la traduction de ce long entretien dont on peut lire ici l'original.
Pour tous ceux qui s’intéressent à l’œuvre de Wilber, nous renvoyons à nos billets sur le livre de Franck Visser qui vient de paraître : Ken Wilber, la pensée comme passion.
Post-métaphysique intégrale et Mythe du Donné
Andrew Cohen : Aujourd’hui, nous allons parler de votre nouveau et brillant chef d’oeuvre Spiritualité Intégrale, que je viens juste de terminer. Votre livre commence par l’affirmation que la métaphysique des grandes traditions spirituelles n’a pas été seulement « dénigrée » par les suspects habituels – les matérialistes scientifiques modernes – mais plus encore par la révolution postmoderne et ce, à cause de l’incapacité des traditions à faire face au défi posé par la vision des grands philosophes de la postmodernité. Et comme vous le dites d’une manière audacieuse : « Rien de passionnant n’a encore émergé pour remplacer ces traditions. »
C’est le thème fondamental du livre : expliquer le plus clairement possible pourquoi les traditions n’ont jamais pu résister à la critique postmoderne et, en même temps, reconsidérer la religion et la spiritualité de façon à éviter les pièges d’une métaphysique dépassée. Ce sujet fut, bien sûr au centre de la plupart de nos discussions ces dernières années, mais Integral Spirituality a eu un impact énorme sur moi dans la mesure où cet ouvrage permet d’analyser avec encore plus profondeur la situation critique dans laquelle se trouve la spiritualité.
Ken Wilber : Oui. Je crois que la véritable catastrophe du monde moderne et postmoderne vient du fait que la spiritualité - la spiritualité supérieure - a été, comme vous le dites, tuée non seulement par une science et un paradigme newtonien/cartésien qui lui était défavorable mais par les sciences humaines elles-mêmes. La spiritualité mystique a, dans sa totalité, été rejetée par les sciences humaines parce qu’elle était enfermée dans des systèmes métaphysiques dépassés. Et, plus encore, parce qu’étant « monologique* » la spiritualité mystique ne comprenait pas ce que les penseurs de la post-modernité appellent « le mythe du donné ».
*( Monologique est un terme de la philosophie post-moderne qui réfère à toute forme de logique ou de connaissance qui ne sont pas fondées sur un dialogue humain ou sur l’intersubjectivité ou sur la dimension culturelle en général. Le mysticisme et les sciences ont été accusé d’être monologique dans la mesure où ils estiment qu’une simple observation seule peut délivrer une information valide sur la réalité sans que soit prise en compte la façon dont les contextes culturels forment les perceptions individuelles.)
Cohen : J’ai trouvé votre explication du mythe du donné extrêmement puissante et parlante. Nous pourrions peut-être débuter notre discussion d’aujourd’hui par ce sujet.
Wilber : Le mythe du donné est l’un des thèmes principaux du livre. C’est la croyance que le monde tel qu’il apparaît dans ma conscience, tel qu’il m’est donné, est en quelque sorte essentiellement, fondamentalement réel, et que par conséquent, je peux baser ma vision du monde sur tout ce qui se présente à ma conscience. Par exemple, si je vois un rocher devant moi, je prends cela pour le réel. Si je ressens de la colère, je prends cela pour le réel. Mais la question est la suivante : ce que notre conscience nous communique est produit dans des contextes culturels et divers autres contextes qui sont à l’origine d’une interprétation et d’une construction de nos perceptions avant même que celles-ci n’atteignent notre conscience. Donc ce que nous appelons réel ou ce que nous pensons être donné est en fait construit – et fait partie intégrante d’une vision du monde.
Cohen : Le fait que notre monde soit plus construit par nous qu’existant en tant qu’entité objectivement réelle et statique est une révélation toute récente. C’est la découverte la plus saisissante : très peu de choses nous sont réellement données et la façon dont nous percevons tout est un processus créateur et co-créateur. Comme vous l’avez si clairement indiqué dans Integral Spirituality, ces structures perceptives profondes se créent dans la conscience de manière intersubjective, lentement, sur des milliers et des milliers d’années. Quand on commence à réaliser à quel point le processus d’interprétation est profondément conditionné, on ressent à la fois de l’excitation et de la frayeur.
Cela nous fait prendre conscience avec force du mécanisme à l’œuvre dans notre propre subjectivité et peut donc permettre à ce processus de devenir l’objet d’une prise de conscience plutôt qu’une expérience subjective inconsciente. Bien que pensant avoir déjà compris ceci, j’avais l’impression de sentir sans cesse l’herbe coupée sous mes pieds, simplement à cause de cette habitude profondément enracinée par laquelle on s’approprie ces « données » qui déterminent tant nos expériences. Je ne peux vous dire combien de fois j’ai eu le tournis à la lecture du manuscrit, je me sentais à la fois grisé, déséquilibré et profondément inspiré.
Wilber : Ce qui est intéressant dans tout ceci est que l’on peut avoir une forme d’illumination, voire même un satori, en comprenant ce simple point : comme l’ont fait remarquer Emmanuel Kant et tant d’autres parmi les théoriciens modernes et postmodernes nos perceptions sont des conceptions ; ce que nous voyons réellement est construit dans une certaine mesure. Ce n’est pas juste une construction sociale, une fabrication de notre conscience culturelle – cette conclusion est trop extrême et malheureusement trop de penseurs postmodernes en restent là. Mais pratiquement tous les philosophes, des modernes aux postmodernes sont d’accord sur le fait que ce que nous voyons est pour partie, une construction.
Quand il s’agit d’expérience spirituelle, on le voit très clairement. Si vous regardez par exemple les expériences spirituelles des saints et des sages éveillés occidentaux, vous trouvez beaucoup d’histoires d’êtres angéliques, d’êtres de lumière mais vous ne trouverez pas de sage ou de saint en occident décrivant une entité avec dix mille bras. Et pourtant, l’expérience semble tout à fait courante au Tibet. Il est probable que les Tibétains voient la déesse Avalokitesvara aux dix mille bras apparaître tout le temps dans leurs rêves et qu’ils pensent que c’est la forme réelle de Dieu. C’est la forme de Dieu au Tibet mais pas en Allemagne.
Cohen : A moins que l’Allemand ne soit un fervent disciple du bouddhisme tibétain !
Wilber : En effet ! Ces expériences spirituelles sont effectivement authentiques, mais elles sont culturellement façonnées. Et si quelqu’un, partant de son expérience spirituelle dit « c’est la vérité universelle » il ment. Cette expérience est culturellement créée et modelée, bien que celui qui la vit ne s’en rende pas compte. Il est par conséquent, piégé dans une version du mythe du donné. Un scientifique vit la même chose. Si un matérialiste scientifique dit « tout ce que je vois dans le monde sensori-moteur est réel parce que c’est ce qui est réellement donné », lui aussi piégé. Ce n’est pas donné ; c’est construit. A chaque fois que nous présumons que ce qui est donné à un état, un stade, une structure ou un niveau de notre propre conscience est réel, nous sommes pris dans le mythe du donné.
Cohen : Il est intéressant de souligner que j’ai fondé le magazine EnlightnementNext qui nous permet d’avoir actuellement cette discussion, parce que, jeune enseignant, je plongeais dans ce que je considère maintenant être de multiples formes du mythe du donné qui provoquaient en moi énormément de confusion. J’étais un jeune juif américain enseignant l’éveil oriental dans un contexte postmoderne occidental, ce qui me mettait dans une situation inhabituelle et stimulante. Donc, je remarquai que beaucoup d’occidentaux qui s’étaient tournés vers des voies orientales, semblaient adopter aveuglément des croyances superstitieuses pré-modernes et un bagage métaphysique qui n’avaient plus de sens dans un contexte postmoderne. En fait, je trouvais que beaucoup des « vérités absolues » affirmées par mes propres enseignants orientaux se révélaient être de simples interprétations d’un autre âge et d’une autre culture.
Wilber : Exactement. Le yogi tibétain assis dans sa grotte pense qu’il contemple des vérités intemporelles, des vérités qui conviennent à tout le monde, alors qu’un bon nombre d’entre elles ne sont en réalité, que des formes tibétaines.
Cohen : La naissance de cette prise de conscience est ce qui m’a poussé à poser la question « Qu’est-ce que l’éveil ? » J’ai commencé par remettre en question les interprétations traditionnelles de l’expérience spirituelle, puis plus tard cela s’est transformé en une recherche permanente de ce que pourrait être, pour parler ton langage, une interprétation post-traditionnelle et post-métaphysique des aperçus spirituels les plus profonds. Sur quoi se fonderait une religion du futur ? Ce que j’ai toujours trouvé est ceci : bien que l’essence ou la base d’une connaissance éveillée soit l’expérience profonde de la vacuité, ou du fondement de l’être, ce que nous découvrons dans des états de conscience supérieurs c’est que, nous autres humains sommes, semble-t-il, foncièrement terrifiés par ce fondement sans fond lui-même. Autant nous croyons nous intéresser vraiment à cette vacuité ou à ce point zéro, autant ce qui nous sécurise assez souvent, c’est de nous cramponner aux constructions culturelles ou aux cadres métaphysiques qui s’emparent de cette révélation.
Wilber : C’est vrai.
Cohen : Pour illustrer ce propos, voici une expérience que j’ai vécue l’an dernier au Danemark en allant rendre visite à un merveilleux swami indien – un vieil homme charmant, entouré de nombreux étudiants affectueux et dévoués. Nous avons donné un enseignement ensemble et j’ai eu ensuite une conversation sur la nature de Dieu avec l’un de ses proches disciples. J’expliquai que, vu d’un contexte évolutif, qui et ce qu’était Dieu ne pouvait plus être considéré comme figé : dans une perspective de développement, Dieu évoluait aussi, tout comme nous. C’était un moment unique car cet homme affichait jusque-là une expression aimante et angélique, et à mesure que je parlais, j’ai vu son visage littéralement s’affaisser – il devint apeuré, terrifié, même un peu en colère. Soudainement, il se leva et sortit. C’était un individu qui avait apparemment expérimenté des états de conscience supérieurs et qui avait par conséquent une confiance profonde dans la dimension absolue de la vie. Pourtant, il se sentait menacé au niveau existentiel le plus profond par la suggestion que sa notion figée de Dieu n’était peut-être pas donnée du tout.
Wilber : C’est un problème très courant. Il vient du fait que les grandes traditions métaphysiques de l’orient et de l’occident – le soufisme, le bouddhisme, le néo-confucianisme, le christianisme, le taoïsme – ont toutes été créées à une époque où le stade de développement moyen était ce que nous appelons mythique ou pré-moderne. On utilisait ces systèmes métaphysiques et mythiques pour interpréter les états de conscience supérieurs. Nous savons maintenant que ces systèmes sont dépassés. Ils proposaient de bonnes interprétations à l’époque mais qui sont devenues de mauvaises interprétations aujourd’hui en ce qui concerne les états spirituels authentiques du monde moderne et postmoderne.
Cohen : Parce que nous en savons beaucoup plus maintenant sur la manière d’interpréter nos expériences.
Wilber : Exactement. Le monde de la forme a changé, et le monde de la modernité comme celui de la post-modernité ont apporté des progrès cruciaux dans la façon de comprendre le monde manifesté. Donc, le défi pour les jeunes hommes et les jeunes femmes d’aujourd’hui est de s’engager dans la création d’une spiritualité post-métaphysique qui comprend le mythe du donné ainsi que les exigences de la modernité et de la post modernité.
Cohen : C’est très excitant et c’est un vrai défi. C’est une chose que d’être capable de saisir la notion du mythe du donné à un niveau cognitif et c’en est une autre que de pouvoir être en accord avec ses profondes implications – émotionnelles, psychologiques et spirituelles : cela demande une dose importante de liberté authentique et de conscience éveillée. On ne peut pas se contenter de s’accrocher trop fermement à n’importe quelle notion fondamentale sur la nature ou sur la structure de la réalité.
Tes idées sur une spiritualité post-métaphysique ont eu un impact puissant sur moi et sur la façon dont je conçois les raisons pour lesquelles j’enseigne l’éveil au début du 21ème siècle. Pour être précis, je me sens sans cesse poussé par l’idée que les stades ou les niveaux supérieurs ne préexistent pas, c’est à dire qu’ils ne sont pas « donnés » mais qu’ils sont littéralement créés par des individus courageux qui s’aventurent en territoire nouveau, inconnu, quittant les « sillons cosmiques» que d’autres suivent, et ces structures ou ces stades nouveaux finissent par devenir réels. Le fait que le futur n’existe à proprement parler pas encore, y compris aux niveaux métaphysiques les plus subtils, est un défi pour nos notions spirituelles ou religieuses les plus fondamentales, mais si nous y sommes prêts, il peut être la source d’une promesse et d’une inspiration énormes.
Wilber : Je suis absolument d’accord avec le fait que ce mouvement vers un monde de spiritualité post métaphysique est la grande aventure palpitante que nous avons à envisager.
Cohen : Potentiellement, je crois que le plus saisissant pour le soi postmoderne est la découverte que nous sommes littéralement en train de créer le futur, ce qui d’un point de vue post métaphysique veut dire que nous ne sommes pas séparés du principe créateur ou de l’impulsion divine elle-même : Dieu évolue comme nous évoluons.
Wilber : Je le crois aussi.
Cohen : Comme je l’ai dit au disciple du swami danois, Dieu n’est pas déjà totalement formé, assis sur un nuage en train d’attendre qu’un jour peut-être nous L’approchions !
Wilber : (rires)
Cohen : Cet instant-là est virtuellement le summum du possible, en supposant que l’on tende vers lui, de tout notre être, pour atteindre le futur. Il n’existe rien derrière si ce n’est une dynamique interne qui nous conduit vers une direction inéluctable.
Wilber : On dit qu’Albert Einstein, quand il réfléchissait à la relativité, a réalisé l’expérience mentale suivante. Il s’est posé une question : si on enfourchait un fin rayon de lumière et que l’on tenait un miroir devant soi, pourrait-on se voir ? Et la réponse est non. Si rien ne voyage plus vite que la lumière, la lumière ne peut pas arriver au miroir pour renvoyer notre reflet, donc on ne verrait rien. C’est une bonne image pour expliquer la pointe de l’évolution. Il n’y a rien à voir dans le futur. Nous le créons à mesure que nous y allons. Et ça fait très peur de regarder dans le miroir et de ne rien y voir...
Cohen : ... et c’est complètement, absolument passionnant.
(A suivre...)
écrit par Ônajor
RépondreSupprimerLa changement planétaire ne peut s’effectuer que par le changement complet de notre manière de penser c’est à dire en pensant avec autre chose que notre cerveau
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Savoir que quelque chose peut être créée à partir de rien est une chose et créer quelque chose à partir de rien en est une autre
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La cristallisation n’est possible que s’il y a quelque chose à cristalliser
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Si vous voulez l’amour vous aurez en même temps la liberté et si vous avez la liberté quel besoin est il des lois?
Ne croyez pas ceux qui vous disent que les lois sont nécessaire à une harmonie sociale ou pour que nous puissions vivre tous ensemble. Même l’amour n’est pas une loi
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Pourquoi la déclaration des droits de l’homme ne comporte t il pas le mot amour ou le verbe aimer? Parce que l’amour entraîne avec lui un syndrome de liberté que les pouvoir en place ne veulent surtout pas mettre en pratique
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L’amour c’est ce qui n’existe pas encore dans quelque chose qui existe déjà
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L’amour est dans l’être humain comme l’éternité est dans l’infini
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La pensée c’est le microscope et le macroscope de la vie et l’amour est l’union des deux
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Bouddha c’est l’intelligence qui aperçoit les premiers rayons du divin. Christ c’est l’amour qui aperçoit les premiers rayons du divin. Mahomet c’est le corps qui aperçoit les premiers rayons du divin et vous vous êtes le divin
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Comment aimer? En donnant de l’amour dans le silence des pensées, en donnant de l’amour sans écouter ses pensées, en donnant de l’amour sans s’habiller de pensées, en découvrant dans nous ce qui empêche l’amour de briller et sans oublier que ce qui empêche l’amour de briller est différent pour chacun d’entre nous, donc, a chacun d’entre nous de le découvrir et surtout n’écoutez pas ceux qui vous emmènent sur des faux chemin car le seul vrai chemin est le votre