mardi 22 septembre 2020

Incitations (11) Contentez-Vous !


La vie, ce n’est pas attendre que l’orage passe, c’est apprendre à danser sous la pluie. Sénèque 


Dans ce billet, comme nous le faisons régulièrement dans la série intitulée "Incitations", nous proposerons, sous forme d'aphorismes et de fragments écrits au fil des jours, des éléments de réflexion et d’intuition qui font écho aux thèmes développés par ailleurs, de manière plus systématique, dans Le Journal Intégral. 

De par leurs concisions, aphorismes et fragments synthétisent la pensée et formalisent l’intuition en éveillant chez le lecteur une résonance intérieure qui peut mobiliser sa conscience et fertiliser son imaginaire. Inspirées par l'esprit du temps, ces "Incitations" nous invitent donc à la méditation, à la réflexion... et à l’action. 

Il y a dix ans le petit livre de Stéphane Hessel intitulé "Indignez-vous" est devenu un phénomène d’édition puisqu’en un an cet opuscule a été traduit en 34 langues et vendu à 4 millions d'exemplaires. Pour Stéphane Hessel, l’engagement et l’indignation représentent les ferments de l’ "esprit de résistance" face aux politiques néo-libérales qui creusent les inégalités et détruisent le lien social. Dix ans après, le monde a changé. Il doit faire face aux risques d’effondrement qui se manifestent à travers de nombreuses crises dont la crise sanitaire actuelle, expression d'une folie productiviste qui conduit à la destruction des écosystèmes naturels. 
 
Parce-que l’indignation est très insuffisante si elle n'est pas sous-tendue par une vision novatrice et parce que la résignation est inacceptable à une époque où la survie de notre espèce est menacée, l'engagement - toujours nécessaire - prend une forme nouvelle qui pourrait s'exprimer à travers un nouveau mot d’ordre : " Contentez-vous ! ". Ce mot d'ordre salutaire est le vecteur d'une éthique de la plénitude dans un monde en voie d'effondrement.
 
Contentez-vous !
 
Se contenter c’est savoir se contenir 
grâce à une maîtrise des limites 
qui conduit au contentement.  

Ce nouveau mot d’ordre exprime bien le lien organique entre conscience, maîtrise et plénitude : 
1 - La conscience perçue comme processus de contention et de concentration de l’énergie intérieure (se contenir) 
2 - La maîtrise des limites qui permettent ce processus de contention (se contenter
3 - La sensation de plénitude qui résulte de cette maîtrise à travers le contentement (être content). 

Pour être content de vivre, 
il faut savoir à la fois 
se contenir et se contenter. 

La conscience structure les données issues des perceptions et des sensations, des émotions et des représentations. Parce qu'elle est porteuse de sens, une telle structure permet de  contenir et de concentrer la force vitale d’extériorisation, de prédation et d’expansion infinie propre à l'instinct, aux désirs et à l’avidité de l’égo.

Cette contention et cette concentration opérées par la conscience permettent de centraliser l’énergie vitale et de la canaliser vers une dimension supérieure en transmuant progressivement la puissance de vie en présence d’esprit à travers l'ouverture du cœur et l'éveil intérieur.
 
 
Paradoxe : 
c'est seulement en maîtrisant ses limites 
que l'on peut dépasser ses limitations. 
 
La maîtrise des limites permet l'émergence et la perdurance d'une intégrité qui devient la référence à partir de laquelle on peut transcender conditionnements et préjugés.

Comment être content de vivre dans un monde en décomposition comme le nôtre si on n'exerce pas cette force de contention et de concentration qui permet de garder son intégrité face aux forces d’extériorisation qui ne cessent de projeter l’individu hors de lui-même ?

Dans un monde en voie d’effondrement, ces forces d’extériorisation sont celles de l’atomisation sociale et du totalitarisme marchand à l’origine d’un individualisme narcissique qui transgresse à son profit toutes formes de limites. A quoi il faut ajouter une pensée en miettes, incapable de vision globale, qui conduit à la perte du sens et de tous les repères symboliques. 

Face à ces forces d’extériorisation, la contention et la concentration de la conscience peuvent s'expérimenter à travers la méditation dans le champ de la conscience (subjectivité), par les médiations symboliques dans le champ de la culture (intersubjectivité) et via une intelligence collective dans le champ de l'organisation socio-économique (structures objectives). 

Si on est incapable de se donner à soi-même ses propres limites en maîtrisant son champ d’extériorisation par un acte de conscience, alors des limitations s’imposent de l’extérieur et font irruption, parfois de manière violente, pour freiner et stopper cette extériorisation délirante. 

Quand on ne sait plus 
ni se contenir ni se contenter, 
le confinement s'impose comme le seul horizon.

Comme la prison est le devenir des délinquants et des criminels qui ne respectent pas les lois de la société, le confinement est le devenir de tous ceux qui transgressent les lois naturelles de la vie en se heurtant aux limites imposées par celles-ci.
 
Il est évident que le confinement sanitaire n'est qu'une des multiples expressions d'une limitation qui s'impose par la force et dans la souffrance à tous ceux qui n'ont pas exercé la maîtrise de leurs limites. 
 
 
Plus on entre en soi, plus la conscience s’approfondit 
et plus s’amplifie un sentiment d’unité et d’harmonie. 

Rien de plus régressif que le développement personnel s’il n’est pas une étape sur une voie spirituelle. 

La spiritualité pourrait être universellement définie comme dépassement de l’égoïsme. Elle ne peut intégrer le développement personnel que si elle le dépasse dans une forme d’évolution transpersonnelle qui mène à un éveil impersonnel. 

C’est bien parce qu’elle nous échappe toujours que la vérité nous libère. 

La pornographie (qui montre) est à l’érotisme (qui voile), 
ce que la science (qui démontre) est la poésie (qui dévoile). 

Dans Eros, il y a oser. 
 
Le poète est celui qui ose sortir des habitudes mentales pour retrouver le souffle organique et originel de l’inspiration, seul à même de dévoiler la réalité pour faire apparaître le Réel dont elle est la manifestation. C’est ainsi que la réalité se réenchante en se révélant comme épiphanie du Réel (irréductible à nos perceptions) que l'on nomme, selon les traditions, Mystère, Vacuité, Ouverture ou Esprit. 

La matière est l’ombre portée d’un mystère 
qui est la matrice de tous les possibles. 

Il est des vies prisonnières des évidences et d’autres qui se conjuguent intuitivement au mystère qui les anime. Messagère de ce mystère, la parole hermétique du poète subvertit toute explication intellectuelle au profit d’une implication sensible et d’une intuition synthétique. 

Pour qu'il soit inspirant, un aphorisme doit être le vecteur d’une polysémie qui interroge le lecteur. En se posant la question « Qu’est-ce que l’auteur a bien voulu dire ? » le lecteur passif se transforme alors en herméneute et en interprète actif, participant ainsi, à travers le filtre de sa subjectivité, à l’inspiration créatrice de l’auteur. 

Pas de poésie sans vision 
et pas de vision sans contemplation. 
 
Voyant, Méditant et Poète, 
tels sont les trois attributs de l’homme reconnecté. 

Le méditant ne fait rien d’autre que suivre un entraînement spirituel au même titre que l’athlète suit de manière rigoureuse un entraînement physique. Là où l’athlète cherche la performance, le méditant, en ne cherchant rien, s'ouvre à la totalité. Il fait l’expérience d’une présence d’esprit vécue à travers une perception immédiate quand l’intellectuel crée des représentations mentales fondées sur des médiations conceptuelles. 

L’image 
est un langage symbolique 
de l’intuition 
comme le concept 
est celui
- logique et abstrait -
des médiations intellectuelles.

Alors que nous vivons, depuis cinquante ans, un changement de paradigme, le nouveau paradigme qui s’impose aujourd’hui est celui - dynamique - d'un changement qui remet en mouvement une pensée figée dans les rigueurs, les rigidités et les frigidités de l’abstraction. 
 
Au cœur de ce changement : la reconnaissance d'un processus de développement - à la fois humain, naturel et cosmique - animé par la dynamique évolutionnaire de la vie/esprit.

Parce qu’elle permet l’émergence d’une plus grande complexité, cette dynamique évolutionnaire apparait comme la matrice d’un saut qualitatif vers un nouveau stade de développement, porteur d'une vision novatrice dont notre époque en crise a tant besoin. 


Tout développement est un dévoilement. 
 
La dynamique du développement humain
est à l'origine d'un sauf évolutif
vers une plus grande complexité
qui remet  en question 
nos anciennes façons 
de vivre et de penser.
 
Loin d'être 
une certitude, 
ce saut évolutif 
est une possibilité.
 
Nous ne pourrons vivre ce saut évolutif que si une partie de l'humanité s'y engage en transcendant le paradigme abstrait de la séparation qui fût au cœur de la modernité pour accéder au paradigme concret de l'intégration qui fonde la Cosmodernité à partir d'une approche globale, à la fois dynamique et organique.
 
Le monde tourne autour des inventeurs de valeurs nouvelles : - il tourne invisiblement. Mais autour des comédiens se tournent et le peuple et la gloire : ainsi "va le monde". Nietzsche
 
Si tout développement est un dévoilement c'est que l'accès à un nouveau stade évolutif - fondé sur une plus grande complexité - dévoile les dynamiques (séparatrices) qui l'entravaient et les logiques (abstraites) qui lui résistaient.
 
C’est dans ce mouvement de développement/dévoilement qu’apparaît de nos jours une critique intégrale capable de mettre à jour les diverses formes de fétichisme, propres à notre époque, qui font système et qui doivent être dépassés. : fétichisme de l’égo au niveau psycho-spirituel, fétichisme de l’abstraction dans le champ de la culture et fétichisme de la marchandise dans le champ social. 

Le capitalisme sauvage, quel pléonasme !... La sauvagerie est au cœur même du capitalisme dans la mesure où celui-ci est fondé sur la destruction de la vie et de la sensibilité concrètes par l'hégémonie de cette abstraction qu’est la valeur marchande. 
 
Rien d'étonnant donc que la sauvagerie capitaliste 
conduise à l'ensauvagement des relations humaines.
 
Né de la rencontre entre un narcissisme prédateur sur le plan individuel et un processus de déliaison et d'atomisation sociales sur le plan collectif, cet ensauvagement a pour conséquence un climat de violence et de paranoïa profondément anxiogène.

Si le capitalisme apparaît de manière superficielle comme une forme d’économie, il est avant toute chose une économie des rapports sociaux fondée sur la médiation totalitaire de l’échange marchand. Cette médiation de la marchandise au cœur des rapports sociaux aliène et détruit aussi bien les relations naturelles et immédiates de don/contre-don que les médiations symboliques régissant toute vie communautaire. 

Comme la bêtise crasse aime à se parer des habits du bon sens, la sauvagerie se donne toujours des airs apostoliques de mission humanitaire. C’est ainsi que le capitalisme prend le masque féminin de l’économie pour ravager les milieux humains et naturels. Ne soyons pas dupes et osons soulever les jupes de l’économie pour découvrir les attributs virilistes, patriarcaux et dominateurs, d’un capitalisme dont la sauvagerie peut-être résumée dans les termes suivants : "L’infâme est l’avenir de l’homme."

Un système de domination se reconnaît aux diverses formes de persécution, de censure et d’ostracisme qu’il fait subir à ses opposants. Si cette violence répressive empêche les opposants de s’exprimer, elle s'accompagne d'une violence symbolique, bien plus perverse, qui conduit les dominés à réagir et à penser dans les catégories du système dont ils sont les victimes. 

C’est ainsi que nombre de mouvements dits "anti-capitalistes" ne se rendent pas compte qu’en contestant ce système à travers le langage dominant de l’économie, ils renforcent en fait l’emprise dont ils cherchent à se libérer. 
 

Quand chaque individu est soumis 
à un emploi du temps, 
le temps lui-même devient 
un employé de l’économie. 
 
Prenez donc votre temps 
avant qu’il ne vous prenne 
pour un simple rouage 
d’une machine inhumaine.

Prendre son temps 
c'est l'arracher à l'abstraction 
d'une mesure quantitative
pour en faire 
une offrande de qualité
 à la présence d'esprit
dont il provient.
 
Prendre son temps
c'est s'immerger dans
 le flux sensible
d'une durée concrète
dont la source est 
une présence à la fois
poétique et spirituelle.

Le temps est devenu un champ de bataille politique où la rentabilité abstraite de l’économie tend à anéantir l’expérience sensible de la durée vécue au sein d’une communauté concrète à travers une mémoire et une culture partagée. 

Libérer le temps de l’emprise économique pour retrouver la profondeur poétique et spirituelle de l'instant présent, telle est la lutte que chacun doit mener quotidiennement, dans chacune de ses actions et de ses pensées, sous peine d’être enrôlés de manière inconsciente dans l’armée des ombres au service du fétiche marchand. 

D’une crise sanitaire qui a pris la forme d’un confinement planétaire, nous devons tirer une synthèse en forme de leçon : si nous ne maîtrisons pas notre puissance d’extériorisation par un sens des limites, celles-ci nous seront imposées dans la contrainte et la souffrance par la régulation des lois immémoriales de la vie/esprit. 
 
Dans le champ social, la décroissance pourrait être un premier pas dans la quête de limites salutaires. Initiée à partir d'une critique intégrale, la "sortie de l'économie" serait un second pas qui devrait être accompagné d'un troisième pas : l'entrée dans l'écosophie. Cette sagesse concrète naît de la participation sensible et intuitive à un milieu multidimensionnel, à la fois humain, naturel et spirituel.

Retrouver aujourd'hui le sens des limites
c’est se libérer de l’alliance perverse 
entre l’égomanie sur le plan personnel 
et l’économie sur le plan collectif.
 
Autre leçon paradoxale à tirer de l’expérience d'un confinement planétaire : ce qui est bon pour l’homme est généralement mauvais pour l’économie. Par exemple le silence, l’introspection, la contemplation, la sobriété, la modération, la patience, la mesure, la gratuité, la générosité, la bienveillance, la solidarité, la fantaisie, le temps libre, la poésie. 
 
Plus que jamais, 
la pandémie
nous conduit à opérer 
un choix crucial :
L'Economie ou la Vie ?
 
Ressources
 
Dans le Journal Intégral
 
 
Lire les billets sélectionnés sous les libellés Incitations et Sortir de l'économie
 
A l'occasion des dix ans du Journal Intégral, nous avons consacré en début d'année cinq billets qui détaille le sommaire des billets diffusés dans le Journal Intégral. Sommaire (1) 2010... et suivants. 
 
 
 

1 commentaire:

  1. "La vie, ce n’est pas attendre que l’orage passe, c’est apprendre à danser sous la pluie." Sénèque

    J'en suis tellement convaincue...
    que c'est une phrase qui est affichée chez moi (et depuis des années)...:-)

    Merci pour ce bel article !

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