Nos rêves ne rentrent pas dans leurs urnes. Les indignés
Voilà qu’un ami lecteur du Journal Intégral me traite, non sans humour, de « devin » parce que j’aurai anticipé le mouvement des Indignés qui touche l’Espagne, la Grèce et d’autres pays européens dont la France, en écrivant, début Avril, deux billets intitulés Le Printemps du Nouveau Monde.
A cet ami lecteur, je répondrai par cette phrase de Joseph de Maistre : « Ne croyez pas que je sois prophète, je suis tout simplement un homme qui tire les conséquences naturelles des faits qu’il voit. » Et ce que je vois – notamment grâce aux lunettes théoriques d’une vision intégrale – ce sont mille et un signes d’une mutation profonde des mentalités qui s’exprime à travers quantité d’initiatives novatrices.
Si, début Avril, j’ai effectivement parlé d’un Printemps du Nouveau Monde en anticipant les évènements qui se produisent actuellement, c’est parce que j’étais surpris par l'extraordinaire synchronicité entre des initiatives diverses et multiples qui se déroulaient ce printemps et qui, toutes, allaient dans le sens d’une refondation du lien social et du vivre-ensemble dans le contexte d'une crise systémique de civilisation. Manifestement quelque chose se passait : un même courant, à la fois intense et subtil, vibrait dans l’air du temps et s'exprimait à travers de nombreux phénomènes.
Et si les « devins » n’étaient pas – tout simplement – des individus dont l’intuition et la sensibilité participent de manière intime aux mouvements profonds de la conscience collective, eux-mêmes dictés par la dynamique de l’évolution ? Les évènements leur apparaissent tout naturellement comme une manifestation de cette dynamique évolutive qu'ils perçoivent au plus profond d'eux comme un élan à la fois vital et créateur. Dans ses Lettres à un jeune poète, Rainer Maria Rilke écrit justement : " Le futur est en nous bien avant qu'il n'arrive."
Le sens de l’histoire
La perspective intégrale est évolutionniste. Pour elle, l’histoire humaine a un sens et ce sens s’inscrit dans la continuité d’une évolution qui, à travers une lente montée en complexité durant des milliards d’années, a cheminé de la matière à la vie et de la vie à la conscience. L’histoire humaine peut donc s’interpréter comme l’expression d’une dynamique évolutive qui se manifeste au cours du temps à travers une série de formes – sociales, culturelles, cognitives – de plus en plus en plus complexes et intégrées.
Ce qui faisait dire à Hegel que l'histoire est la manifestation de l'Esprit. Cette conception est celle des penseurs évolutionnistes, de Teilhard de Chardin à Ken Wilber en passant par Sri Aurobindo et Jean Gebser, pour lesquels l'histoire est l'expression immanente d'un Esprit transcendant qui se dévoile progressivement à travers le développement de la conscience dans le temps.
Le sens de l’histoire est donc à la fois orientation et signification, voie et vision. Le flux diachronique de la temporalité détermine l’organisation synchronique des médiations culturelles. Ces médiations permettent de faire société en définissant les rapports symboliques entre le monde de l’intention – l’intériorité – et celui de la perception – l’extériorité. A chaque nouveau stade évolutif, l’intersubjectivité s’exprime à travers des médiations culturelles de plus en plus complexes et intégrés. C’est pourquoi le passage à une nouvelle étape du développement historique détermine toujours une nouvelle « vision du monde ».
Ce sont des avant-gardes « évolutionnaires », inspirées par l’Esprit du temps, qui révèlent les formes de pensée, de sensibilité et de lien social à travers lesquelles s’exprime cette nouvelle « vision du monde ». En tant que dynamique évolutive, le mouvement de l'histoire est cette création de l'homme par l'homme, animée par le souffle d'un idéal qui l'inspire et le libère des anciens modèles devenus limitations insoutenables par le jeu négatif de l'entropie et par celui, positif, du développement. Et c'est pourquoi Hegel dit de l’Histoire Universelle qu’elle est le progrès dans la conscience de la liberté.
Je m’étonne que l’on puisse encore s’étonner de l’émergence d’un mouvement comme celui des Indignés qui ne fait somme toute qu’interpréter l’air du temps correspondant au nouveau stade évolutif abordé par une partie de l’humanité. Un air du temps auquel sont sourds les tenants du pouvoir institutionnel, emprisonnés qu’ils sont dans un modèle complètement dépassé, devenu inadapté, auquel ils s’accrochent comme les naufragés à leur radeau.
Une mystérieuse synchronicité
Pour justifier son propos, mon ami lecteur a extrait quelques citations tirées des billets du Journal Intégral du 8 et du 13 Avril qui apparaissent effectivement prémonitoires au vu des mouvements actuels qui mobilisent la jeunesse européenne.
Vendredi 8 Avril. Le Printemps du Nouveau Monde (1)
" C'est le printemps !... Une saison durant laquelle auront lieu, telle une floraison inespérée, une série d’évènements et de rencontres qui, toutes, visent à une refondation du lien social sur la base d’une vision à la fois éthique, culturelle, spirituelle. Regardez, écoutez, sentez : dans le mystère des aurores, un nouveau monde est en train d’éclore...
Un regard superficiel verrait dans cette efflorescence printanière un pur hasard ou une simple coïncidence. Un regard plus profond percevrait cette synchronicité comme l’expression systémique d’un nouvel air du temps qui pourrait s’exprimer de la manière suivante : on ne pourra remettre l’homme au cœur de nos sociétés défigurées par l’individualisme et l’utilitarisme, le machinisme et le productivisme, sans retrouver au cœur de notre humanité les dimensions fondamentales du sens, de l’éthique et de la solidarité."
Mercredi 13 Avril. Le Printemps du Nouveau Monde (2)
« Si des personnalités visionnaires et des minorités créatrices sont les acteurs et les vecteurs de l’évolution sociale et culturelle c’est que leur intuition et leur créativité traduisent la dynamique évolutive à travers des formes nouvelles de sensibilité et de pensée. Ce n’est donc pas un hasard de les voir participer, mus par une mystérieuse synchronicité, à cet immense chantier qui est celui d’une refondation du lien social et du monde commun.
La même sève créatrice s’exprime à travers la diversité de ces initiatives printanières : autant de notes singulières de ce nouvel air du temps dont les acteurs de l’évolution sont les interprètes. Derrière la singularité de leur expression, ces acteurs doivent prendre conscience qu’ils jouent tous la même pièce en participant ensemble à un profond courant de régénération dans lequel se reconnaissent des couches de plus en larges de la population, notamment parmi les jeunes générations...
Ouvrons les yeux et les cœurs, tendons nos oreilles et nos antennes intuitives pour être à l’écoute de ce nouvel « air du temps » qui enchante le printemps. Pendant que les médias occupe les esprits et les distrait de l'essentiel en surfant de manière sensationnelle et émotionnelle à la surface des évènements, un nouveau monde est en train de s'esquisser, de manière discrète, presque secrète. Ce monde ressemble à notre futur si nous avons la force, l’inspiration et le courage de l’imaginer ensemble sans céder aux sirènes morbides de la haine et du désespoir. »
Une insurrection des consciences
Le mouvement de contestation qui traverse l’Europe s’enracine notamment dans le malaise et mal-être d’une jeunesse qui possède un haut niveau de formation mais qui se sent privé d’avenir et d’expression dans le système politique et économique actuel. Les nouvelles générations ne se reconnaissent pas dans ces sociétés où une oligarchie financière née de la mondialisation impose ses intérêts au détriment de la population en général et des plus fragiles en particulier.
Ceux qui participent à cette mobilisation en Espagne réclament la mise en place d’un système plus égalitaire avec moins de chômage pour les uns et de privilèges pour les autres, une modification de la loi électorale favorisant l’émergence de nouveaux partis qui fassent écho à leur préoccupation et l’intensification de la lutte contre la corruption au profit de la transparence.
Au-delà d’un programme de revendications factuelles propre à toute mobilisation, cette véritable insurrection des consciences fait écho aux révolutions tunisiennes et égyptiennes tout en suscitant des résonances dans nombre de pays européens. Parce qu'elle est diachronique, la perspective évolutionniste permet une lecture à la fois synchronique, systémique et symbolique de ces évènements.
Une intelligence connective
Si, en Europe, les acteurs de ce mouvement se nomment eux-mêmes Les Indignés, c’est en référence au livre de Stéphane Essel : Indignez-vous ! Face à la crise systémique qui touche les sociétés occidentales, face aux réactions populistes et régressives qu'elle suscite, Stéphane Essel rappelle dans cet ouvrage les valeurs fondamentales à défendre et promouvoir, notamment celles proclamées par le Conseil national de la résistance, dans son programme de 1944 comme celles exprimées dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948.
Cette référence à la dignité et aux valeurs fondatrices de la démocratie illustre la dynamique profonde qui anime ce mouvement, celle d’une révolution éthique qui refuse la réduction de l’être humain au statut de marchandise. Les slogans des Indignés expriment toutes ce refus : « Nous avons des valeurs, pas des intérêts. Nous avons besoin d’une révolution éthique. Vous ne nous représentez pas. Nous ne sommes pas contre le système, le système est contre nous. Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiques et des banquiers. Si vous ne nous laisser pas rêver, nous ne vous laisserons pas dormir. Prends la place. Ce que nous vivons, ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie ! Ce n’est pas un indice de bonne santé que d’être bien adapté à une société malade. »
Ce n’est pas un hasard si ce mouvement s'inspire d’une culture participative propre aux réseaux sociaux dont elle est issue. La « société fluide » de l’information et de l’interconnexion est à l’origine de cette culture participative qui fonde un nouveau lien social à partir de l’intelligence collective et de l’intersubjectivité. Si le mouvement des Indignés demande de ne pas arborer les signes d’une appartenance partisane, syndicale ou associative, c'est pour faciliter la dynamique d'une « intelligence connective » où chaque subjectivité participe d’un collectif en évolution.
Une refondation démocratique
Le mouvement des Indignés participe d'une refondation démocratique née du refus de voir des organisations dicter les lois abstraites d'une hiérarchie souvent sclérosée, parfois corrompue. C'est à la dynamique intersubjective de l'intelligence connective de promouvoir une organisation qui évolue sans cesse pour s'adapter à un contexte en perpétuel transformation. Les Indignés se réclament d’une démocratie participative qui équilibrent les nécessaires médiations politiques par l’élaboration collective et créative au sein d’un réseau intersubjectif.
Au cœur de cette véritable "culture connective" se trouve donc la reconnaissance d’une intersubjectivité qui s'exprime et se reconnaît à travers une éthique c'est à dire un monde des valeurs communes. Paradoxalement, les technologies de l'interconnexion font surgir tout naturellement une relation intersubjective et un éthos communautaire qui furent au coeur des sagesses traditionnelles.
Le monde de l’éthique comme celui de la connectivité sont des mondes du Commun où le Je participe intimement et intuitivement d’un Nous qui le transcende et lui donne sens. Le mouvement des indignés, comme celui du printemps arabe qui l’a précédé, sont les manifestations d’une nouveau lien social fondé sur une « connethique » où s’intègrent une éthique communautaire et une technologie de la connexion.
Participation et Représentation
Cette « connethique » ne peut se reconnaître dans la culture représentative qui fonde les partis traditionnels et qui renvoie à une modernité technocratique où prévaut la représentation abstraite. Alors que la culture participative s’inscrit dans une épistémologie relationnelle fondée sur l’implication de la subjectivité au sein d’un réseau intersubjectif, la culture représentative s’inscrit dans une épistémologie rationnelle fondée sur une visée abstraite qui prend ses distances avec le monde pour mieux l’expliquer.
A de nombreuses reprises, notamment ici, nous avons analysé ce changement de paradigme qui est celui du passage d’une représentation abstraite - liée à la modernité industrielle - à la participation concrète de la subjectivité aux divers milieux naturels, sociaux et culturels où elle évolue. Propre à la société interconnectée de l’information, cette participation de la subjectivité relève d’une intelligence sensible et créatrice. Elle s’inscrit dans une épistémologie intégrative qui dépasse et inclut l’épistémologie abstraite et distinctive de la modernité.
Prisonnier de leur modèle abstrait, nombre d'observateurs réduisent à un simple mouvement social et à des revendications générationnelles ce qui relève d’une évolution éthique et culturelle inspirée par l’émergence d’une nouvelle « vision du monde ». Comme Mai 68 exprimait une revendication libertaire dans une société corseté, le mouvement des Indignés exprime l'exigence éthique d'un monde commun dans une société déchirée. Hier un souffle de liberté, aujourd'hui un besoin vital de solidarité.
Parce que les nouvelles générations ne peuvent absolument pas se reconnaître dans des formes abstraites devenues obsolètes et inadaptées, le mouvement des Indignés manifeste une dynamique de régénération que l’on retrouve à travers de nombreuses initiatives et qui ne s'identifie pas à tel ou tel phénomène. Rien ne pourra arrêter cette dynamique puisqu'elle est cette histoire en marche dont chaque pas crée l'évènement c'est à dire une autre manière d'interpréter notre expérience.
S’il existe un Printemps du Nouveau Monde c’est bien celui d’une nouvelle forme de conscience en train d’éclore. Dans le billet du 8 Avril, j’écrivais ceci : « Une intuition encore plus profonde distinguerait dans ce nouvel air du temps l’émergence d’une nouvelle « vision du monde » annoncée depuis plusieurs décennies par nombre de penseurs inspirés. Fondé sur les notions de relation et d'évolution, un paradigme intégral est amené à dépasser – tout en l’incluant – l’ancien paradigme réductionniste de la modernité fondé sur la distinction et l’abstraction... Selon le niveau de complexité et de profondeur à travers lequel il interprète les phénomènes sociaux et culturels, chacun donc verra dans cette efflorescence printanière, un hasard, un nouvel air du temps ou l’émergence d’une nouvelle "vision du monde". »
Voilà qu’un ami lecteur du Journal Intégral me traite, non sans humour, de « devin » parce que j’aurai anticipé le mouvement des Indignés qui touche l’Espagne, la Grèce et d’autres pays européens dont la France, en écrivant, début Avril, deux billets intitulés Le Printemps du Nouveau Monde.
A cet ami lecteur, je répondrai par cette phrase de Joseph de Maistre : « Ne croyez pas que je sois prophète, je suis tout simplement un homme qui tire les conséquences naturelles des faits qu’il voit. » Et ce que je vois – notamment grâce aux lunettes théoriques d’une vision intégrale – ce sont mille et un signes d’une mutation profonde des mentalités qui s’exprime à travers quantité d’initiatives novatrices.
Si, début Avril, j’ai effectivement parlé d’un Printemps du Nouveau Monde en anticipant les évènements qui se produisent actuellement, c’est parce que j’étais surpris par l'extraordinaire synchronicité entre des initiatives diverses et multiples qui se déroulaient ce printemps et qui, toutes, allaient dans le sens d’une refondation du lien social et du vivre-ensemble dans le contexte d'une crise systémique de civilisation. Manifestement quelque chose se passait : un même courant, à la fois intense et subtil, vibrait dans l’air du temps et s'exprimait à travers de nombreux phénomènes.
Et si les « devins » n’étaient pas – tout simplement – des individus dont l’intuition et la sensibilité participent de manière intime aux mouvements profonds de la conscience collective, eux-mêmes dictés par la dynamique de l’évolution ? Les évènements leur apparaissent tout naturellement comme une manifestation de cette dynamique évolutive qu'ils perçoivent au plus profond d'eux comme un élan à la fois vital et créateur. Dans ses Lettres à un jeune poète, Rainer Maria Rilke écrit justement : " Le futur est en nous bien avant qu'il n'arrive."
Le sens de l’histoire
La perspective intégrale est évolutionniste. Pour elle, l’histoire humaine a un sens et ce sens s’inscrit dans la continuité d’une évolution qui, à travers une lente montée en complexité durant des milliards d’années, a cheminé de la matière à la vie et de la vie à la conscience. L’histoire humaine peut donc s’interpréter comme l’expression d’une dynamique évolutive qui se manifeste au cours du temps à travers une série de formes – sociales, culturelles, cognitives – de plus en plus en plus complexes et intégrées.
Ce qui faisait dire à Hegel que l'histoire est la manifestation de l'Esprit. Cette conception est celle des penseurs évolutionnistes, de Teilhard de Chardin à Ken Wilber en passant par Sri Aurobindo et Jean Gebser, pour lesquels l'histoire est l'expression immanente d'un Esprit transcendant qui se dévoile progressivement à travers le développement de la conscience dans le temps.
Le sens de l’histoire est donc à la fois orientation et signification, voie et vision. Le flux diachronique de la temporalité détermine l’organisation synchronique des médiations culturelles. Ces médiations permettent de faire société en définissant les rapports symboliques entre le monde de l’intention – l’intériorité – et celui de la perception – l’extériorité. A chaque nouveau stade évolutif, l’intersubjectivité s’exprime à travers des médiations culturelles de plus en plus complexes et intégrés. C’est pourquoi le passage à une nouvelle étape du développement historique détermine toujours une nouvelle « vision du monde ».
Ce sont des avant-gardes « évolutionnaires », inspirées par l’Esprit du temps, qui révèlent les formes de pensée, de sensibilité et de lien social à travers lesquelles s’exprime cette nouvelle « vision du monde ». En tant que dynamique évolutive, le mouvement de l'histoire est cette création de l'homme par l'homme, animée par le souffle d'un idéal qui l'inspire et le libère des anciens modèles devenus limitations insoutenables par le jeu négatif de l'entropie et par celui, positif, du développement. Et c'est pourquoi Hegel dit de l’Histoire Universelle qu’elle est le progrès dans la conscience de la liberté.
Je m’étonne que l’on puisse encore s’étonner de l’émergence d’un mouvement comme celui des Indignés qui ne fait somme toute qu’interpréter l’air du temps correspondant au nouveau stade évolutif abordé par une partie de l’humanité. Un air du temps auquel sont sourds les tenants du pouvoir institutionnel, emprisonnés qu’ils sont dans un modèle complètement dépassé, devenu inadapté, auquel ils s’accrochent comme les naufragés à leur radeau.
Une mystérieuse synchronicité
Pour justifier son propos, mon ami lecteur a extrait quelques citations tirées des billets du Journal Intégral du 8 et du 13 Avril qui apparaissent effectivement prémonitoires au vu des mouvements actuels qui mobilisent la jeunesse européenne.
Vendredi 8 Avril. Le Printemps du Nouveau Monde (1)
" C'est le printemps !... Une saison durant laquelle auront lieu, telle une floraison inespérée, une série d’évènements et de rencontres qui, toutes, visent à une refondation du lien social sur la base d’une vision à la fois éthique, culturelle, spirituelle. Regardez, écoutez, sentez : dans le mystère des aurores, un nouveau monde est en train d’éclore...
Un regard superficiel verrait dans cette efflorescence printanière un pur hasard ou une simple coïncidence. Un regard plus profond percevrait cette synchronicité comme l’expression systémique d’un nouvel air du temps qui pourrait s’exprimer de la manière suivante : on ne pourra remettre l’homme au cœur de nos sociétés défigurées par l’individualisme et l’utilitarisme, le machinisme et le productivisme, sans retrouver au cœur de notre humanité les dimensions fondamentales du sens, de l’éthique et de la solidarité."
Mercredi 13 Avril. Le Printemps du Nouveau Monde (2)
« Si des personnalités visionnaires et des minorités créatrices sont les acteurs et les vecteurs de l’évolution sociale et culturelle c’est que leur intuition et leur créativité traduisent la dynamique évolutive à travers des formes nouvelles de sensibilité et de pensée. Ce n’est donc pas un hasard de les voir participer, mus par une mystérieuse synchronicité, à cet immense chantier qui est celui d’une refondation du lien social et du monde commun.
La même sève créatrice s’exprime à travers la diversité de ces initiatives printanières : autant de notes singulières de ce nouvel air du temps dont les acteurs de l’évolution sont les interprètes. Derrière la singularité de leur expression, ces acteurs doivent prendre conscience qu’ils jouent tous la même pièce en participant ensemble à un profond courant de régénération dans lequel se reconnaissent des couches de plus en larges de la population, notamment parmi les jeunes générations...
Ouvrons les yeux et les cœurs, tendons nos oreilles et nos antennes intuitives pour être à l’écoute de ce nouvel « air du temps » qui enchante le printemps. Pendant que les médias occupe les esprits et les distrait de l'essentiel en surfant de manière sensationnelle et émotionnelle à la surface des évènements, un nouveau monde est en train de s'esquisser, de manière discrète, presque secrète. Ce monde ressemble à notre futur si nous avons la force, l’inspiration et le courage de l’imaginer ensemble sans céder aux sirènes morbides de la haine et du désespoir. »
Une insurrection des consciences
Le mouvement de contestation qui traverse l’Europe s’enracine notamment dans le malaise et mal-être d’une jeunesse qui possède un haut niveau de formation mais qui se sent privé d’avenir et d’expression dans le système politique et économique actuel. Les nouvelles générations ne se reconnaissent pas dans ces sociétés où une oligarchie financière née de la mondialisation impose ses intérêts au détriment de la population en général et des plus fragiles en particulier.
Ceux qui participent à cette mobilisation en Espagne réclament la mise en place d’un système plus égalitaire avec moins de chômage pour les uns et de privilèges pour les autres, une modification de la loi électorale favorisant l’émergence de nouveaux partis qui fassent écho à leur préoccupation et l’intensification de la lutte contre la corruption au profit de la transparence.
Au-delà d’un programme de revendications factuelles propre à toute mobilisation, cette véritable insurrection des consciences fait écho aux révolutions tunisiennes et égyptiennes tout en suscitant des résonances dans nombre de pays européens. Parce qu'elle est diachronique, la perspective évolutionniste permet une lecture à la fois synchronique, systémique et symbolique de ces évènements.
Une intelligence connective
Si, en Europe, les acteurs de ce mouvement se nomment eux-mêmes Les Indignés, c’est en référence au livre de Stéphane Essel : Indignez-vous ! Face à la crise systémique qui touche les sociétés occidentales, face aux réactions populistes et régressives qu'elle suscite, Stéphane Essel rappelle dans cet ouvrage les valeurs fondamentales à défendre et promouvoir, notamment celles proclamées par le Conseil national de la résistance, dans son programme de 1944 comme celles exprimées dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948.
Cette référence à la dignité et aux valeurs fondatrices de la démocratie illustre la dynamique profonde qui anime ce mouvement, celle d’une révolution éthique qui refuse la réduction de l’être humain au statut de marchandise. Les slogans des Indignés expriment toutes ce refus : « Nous avons des valeurs, pas des intérêts. Nous avons besoin d’une révolution éthique. Vous ne nous représentez pas. Nous ne sommes pas contre le système, le système est contre nous. Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiques et des banquiers. Si vous ne nous laisser pas rêver, nous ne vous laisserons pas dormir. Prends la place. Ce que nous vivons, ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie ! Ce n’est pas un indice de bonne santé que d’être bien adapté à une société malade. »
Ce n’est pas un hasard si ce mouvement s'inspire d’une culture participative propre aux réseaux sociaux dont elle est issue. La « société fluide » de l’information et de l’interconnexion est à l’origine de cette culture participative qui fonde un nouveau lien social à partir de l’intelligence collective et de l’intersubjectivité. Si le mouvement des Indignés demande de ne pas arborer les signes d’une appartenance partisane, syndicale ou associative, c'est pour faciliter la dynamique d'une « intelligence connective » où chaque subjectivité participe d’un collectif en évolution.
Une refondation démocratique
Le mouvement des Indignés participe d'une refondation démocratique née du refus de voir des organisations dicter les lois abstraites d'une hiérarchie souvent sclérosée, parfois corrompue. C'est à la dynamique intersubjective de l'intelligence connective de promouvoir une organisation qui évolue sans cesse pour s'adapter à un contexte en perpétuel transformation. Les Indignés se réclament d’une démocratie participative qui équilibrent les nécessaires médiations politiques par l’élaboration collective et créative au sein d’un réseau intersubjectif.
Au cœur de cette véritable "culture connective" se trouve donc la reconnaissance d’une intersubjectivité qui s'exprime et se reconnaît à travers une éthique c'est à dire un monde des valeurs communes. Paradoxalement, les technologies de l'interconnexion font surgir tout naturellement une relation intersubjective et un éthos communautaire qui furent au coeur des sagesses traditionnelles.
Le monde de l’éthique comme celui de la connectivité sont des mondes du Commun où le Je participe intimement et intuitivement d’un Nous qui le transcende et lui donne sens. Le mouvement des indignés, comme celui du printemps arabe qui l’a précédé, sont les manifestations d’une nouveau lien social fondé sur une « connethique » où s’intègrent une éthique communautaire et une technologie de la connexion.
Participation et Représentation
Cette « connethique » ne peut se reconnaître dans la culture représentative qui fonde les partis traditionnels et qui renvoie à une modernité technocratique où prévaut la représentation abstraite. Alors que la culture participative s’inscrit dans une épistémologie relationnelle fondée sur l’implication de la subjectivité au sein d’un réseau intersubjectif, la culture représentative s’inscrit dans une épistémologie rationnelle fondée sur une visée abstraite qui prend ses distances avec le monde pour mieux l’expliquer.
A de nombreuses reprises, notamment ici, nous avons analysé ce changement de paradigme qui est celui du passage d’une représentation abstraite - liée à la modernité industrielle - à la participation concrète de la subjectivité aux divers milieux naturels, sociaux et culturels où elle évolue. Propre à la société interconnectée de l’information, cette participation de la subjectivité relève d’une intelligence sensible et créatrice. Elle s’inscrit dans une épistémologie intégrative qui dépasse et inclut l’épistémologie abstraite et distinctive de la modernité.
Prisonnier de leur modèle abstrait, nombre d'observateurs réduisent à un simple mouvement social et à des revendications générationnelles ce qui relève d’une évolution éthique et culturelle inspirée par l’émergence d’une nouvelle « vision du monde ». Comme Mai 68 exprimait une revendication libertaire dans une société corseté, le mouvement des Indignés exprime l'exigence éthique d'un monde commun dans une société déchirée. Hier un souffle de liberté, aujourd'hui un besoin vital de solidarité.
Parce que les nouvelles générations ne peuvent absolument pas se reconnaître dans des formes abstraites devenues obsolètes et inadaptées, le mouvement des Indignés manifeste une dynamique de régénération que l’on retrouve à travers de nombreuses initiatives et qui ne s'identifie pas à tel ou tel phénomène. Rien ne pourra arrêter cette dynamique puisqu'elle est cette histoire en marche dont chaque pas crée l'évènement c'est à dire une autre manière d'interpréter notre expérience.
S’il existe un Printemps du Nouveau Monde c’est bien celui d’une nouvelle forme de conscience en train d’éclore. Dans le billet du 8 Avril, j’écrivais ceci : « Une intuition encore plus profonde distinguerait dans ce nouvel air du temps l’émergence d’une nouvelle « vision du monde » annoncée depuis plusieurs décennies par nombre de penseurs inspirés. Fondé sur les notions de relation et d'évolution, un paradigme intégral est amené à dépasser – tout en l’incluant – l’ancien paradigme réductionniste de la modernité fondé sur la distinction et l’abstraction... Selon le niveau de complexité et de profondeur à travers lequel il interprète les phénomènes sociaux et culturels, chacun donc verra dans cette efflorescence printanière, un hasard, un nouvel air du temps ou l’émergence d’une nouvelle "vision du monde". »
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