jeudi 27 septembre 2018

L'Effondrement qui vient


L’effondrement est l’horizon de notre génération, c’est le début de son avenir. Pablo Servigne 


Dans notre dernier billet intitulé Qu’est-ce que le Capitalocène? nous évoquions notamment la façon dont la démission spectaculaire de Nicolas Hulot a jeté une lumière crue sur l’accroissement d'un désastre écologique diagnostiqué par la communauté scientifique et ressenti d’une manière de plus en plus aigüe par une population qui perçoit ses nombreux effets aussi bien dans sa vie quotidienne que dans l’actualité internationale. Suite à cette démission, deux cent personnalités ont lancé dans le journal Le Monde un appel intitulé "Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité" dans lequel il est écrit : « Au rythme actuel, dans quelques décennies, il ne restera presque plus rien. Les humains et la plupart des espèces vivantes sont en situation critique. Il est trop tard pour que rien ne se soit passé : l’effondrement est en cours. » 

Parler d’effondrement il y a quelques années, comme nous l’avions fait en 2013 dans une série de billets intitulée Effondrement et Refondation, c'etait passer soit pour un aimable fantaisiste, soit pour un dangereux catastrophiste. Peu importe, nous avons l’habitude, c'est sans doute le lot commun des pionniers. Mais aujourd’hui l’idée commence à se diffuser et Edouard Philippe, le premier ministre, a parlé à plusieurs reprises dans ses discours du livre majeur de Jared Diamond, Effondrement, évoqué dans le premier billet de notre série. Vous aurez un aperçu des discours du premier ministre dans cette vidéo de Clément Monfort. D'où un constat assez effrayant : on peut évoquer l'effondrement (de manière intellectuelle ) sans que cela modifie d’un iota une pensée technocratique et un modèle économique qui sont à l’origine même de ce processus destructeur et qui l'amplifie . 

Pour envisager de manière lucide l’effondrement en cours, il faut éviter ces pièges que sont le déni, les préjugés conformistes et la peur. Cela nécessite de transformer notre vision du monde, notre modèle de civilisation et d’inventer de nouveaux récits qui nous libèrent de l’imaginaire techno-capitaliste à l’origine de ce désastre. C’est dans cette perspective que nous vous proposons ci-dessous un article d’Yves Cochet paru l’été dernier dans Libération et intitulé "De la fin d’un monde à la renaissance en 2050". Dans cet article, l’ancien ministre de l’environnement de Lionel Jospin imagine les trente-trois prochaines années sur Terre comme la période la plus bouleversante jamais vécue par l’humanité en si peu de temps. Une période qui comporte trois étapes successives : la fin du monde tel que nous le connaissons (2020-2030), l’intervalle de survie (2030-2040), le début d’une renaissance (2040-2050). 

En écho à cet article et en complément de celui-ci, nous proposons l’entretien donné par Yves Cochet à Clément Monfort, un réalisateur qui propose une web-série passionnante sur l’effondrement qui vient et sur cette science de l’effondrement qu’est la collapsologie (de l’anglais to collapse : s’effondrer). Dans cette vidéo postée en Décembre 2017, Yves Cochet reprend la prospective des trente prochaines années évoquée dans son article et annonce, avec quelques mois d’avance, la démission inéluctable de Nicolas Hulot comme la conséquence de la totale impuissance des ministres de l’écologie dans nos sociétés techno-capitalistes. 

Nous ne croyons pas ce que nous savons 

Évoqué dans notre dernier billet, le concept de Capitalocène permet d’analyser et de mieux comprendre les processus destructeurs et auto-destructeurs à l’origine de cet effondrement. Cette compréhension intellectuelle est une étape nécessaire qui permet de se défaire d’un certain nombre d’illusions pour envisager les meilleures stratégies de résilience possibles. Cependant, une telle compréhension est loin d’être suffisante car selon la célèbre formule de Jean-Pierre Dupuy, auteur de Pour un catastrophisme éclairé : "Nous ne croyons pas ce que nous savons". N’est-ce pas monsieur le premier ministre ? Si vous croyiez ce que vous savez, vous changeriez immédiatement de politique ou bien vous démissionneriez comme l’a fait Nicolas Hulot devant la contradiction fondamentale entre l’urgence écologique et les logiques proprement délirantes de la techno-croissance capitaliste.

Il existe en effet un fossé profond entre nos perceptions des faits et notre compréhension de ceux-ci dans la mesure où cette compréhension est filtrée par un imaginaire, une sensibilité et des représentations qui expriment la vision du monde dont nous avons hérité et à travers laquelle nous interprétons notre expérience. Aux faits établis, nous préférerons  nos croyances car nous ne voyons pas le monde tel qu’il est mais tel que nous sommes, c’est-à-dire tel que notre histoire personnelle et collective nous a construit. Si nous percevons des faits non conformes à notre imaginaire, nous déformons ces faits afin qu'ils correspondent à nos croyances. C'est ainsi que nous pouvons savoir intellectuellement que l’effondrement va advenir mais nous ne parvenons pas à y croire vraiment en mettant notre vie individuelle et collective en cohérence avec cette connaissance, empêchés que nous sommes par le conformisme de pensée, la peur et le déni.

L’esprit dans lequel nous abordons la thématique de l’effondrement implique donc un certain nombre de refus. Nous refusons le déni de tous ceux qui continuent à vivre comme avant sans se soucier des cris d'alarmes lancés par des lanceurs d'alerte de plus en plus nombreux. Fascinés par leur nombril, ces dénégateurs imaginent que le progrès technique trouvera des solutions adéquates en utilisant le type de conscience et de méthodes qui sont précisément à l’origine de ce désastre. Nous refusons aussi le conformisme de pensée qui prendrait pour éternel le paradigme abstrait de la modernité qui s'est progressivement transformé au cours des deux derniers siècles en hégémonie de la rationalité instrumentale. Nous refusons enfin le catastrophisme véhiculé par les marchands de peur qui instrumentalisent la perspective de l’effondrement dans des buts idéologiques ou commerciaux. 

Collapsologie 


Parce qu’il est la conséquence d’une vision du monde propre à la modernité occidentale, "l’effondrement qui vient" témoigne de l’impérieuse nécessité d’un saut évolutif où le dépassement du capitalisme doit s’accompagner d’une profonde mutation culturelle (au-delà de la rationalité abstraite) comme d’un développement psycho-spirituel (au-delà de l’égo). La compréhension, l'observation et l'étude de ce saut évolutif constituent le cœur de ce blog. A la fois intégral et radical, ce saut évolutif doit mener de l’économie à l’écosophie c’est-à-dire d’une domination abstraite de l’homme sur son environnement à une participation sensible et concrète de l’homme à son milieu évolutif qui est à la fois et simultanément naturel, social et culturel. A la perspective de l’effondrement doit donc correspondre l’émergence d’un autre modèle et d’un autre imaginaire véhiculés par un récit qui doit devenir le mythe fondateur de la Cosmodernité

C’est dans cet esprit que nous avions proposé en 2013 notre série intitulée Effondrement et Refondation où nous évoquions les nouveaux modes de vie et de sensibilité, d’imaginaire et de pensée qui participent à cette émergence à travers les groupes humains qui l’incarnent : transitionneurs et convivialistes, décroissants et survivalistes, évolutionnaires et créatifs culturels. Les lecteurs intéressés par la thématique de l’effondrement trouveront dans cette série de nombreux éléments d’information et de réflexion.

Cinq ans plus tard, alors que la dynamique de l’effondrement s’accélère, de nouvelles formes de réflexions se développent autour de thèmes comme la collapsologie, le capitalocène, la critique de la valeur, la décroissance, l'antispécisme, la vision intégrale ou autour d'une pensée écologique qui s'exprime à travers une grande diversité: écosocialisme, écosophie, écologie intérieure, éco-psychologie, écologie intégrale, ou écoféminisme. Toutes ces réflexions nous offrent une série d'outils pour approfondir et développer une approche intégrale de l'effondrement et pour observer l'émergence d'une nouvelle vision du monde, synchrone à celui-ci. Une telle réflexion est indispensable pour échapper au réductionnisme technocratique et à ses solutions parcellaires totalement superficielles et illusoires, car on ne résoudra jamais un problème avec les modes de pensées qui l'ont généré.

Loin d’être un fantaisiste ou un illuminé prêchant l’apocalypse, Yves Cochet, docteur en mathématiques, ancien député écologiste et ancien ministre de l'Environnement, est un "collapsologue" c’est-à-dire un praticien de cette science nouvelle qu’est la science de l’effondrement : la collapsologie. Auteurs d'un ouvrage intitulé "Comment tout peut s'effondrer", salué unanimement pas la critique et les lecteurs, Pablo Servigne et Raphaël Stevens définissent la collapsologie comme "l'exercice transdisciplinaire d'étude de l'effondrement de notre civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder, en s'appuyant sur les modes cognitifs que sont la raison et l'intuition et sur des travaux scientifiques reconnus." 

Yves Cochet qui a écrit la préface de cet ouvrage est le président de l’Institut Momentum, un laboratoire d’idées sur la transition post-pétrolière, post-nucléaire et post-carbonique,  Lieu convivial de recherche, l’Institut Momentum produit des diagnostics, des analyses, des scénarios et des propositions originales sur les stratégies de transition et de résilience tout en œuvrant à l’élaboration d’un nouvel imaginaire social. Le site de l’Institut Momentum est une mine d’informations pour tous ceux qui cherchent à alimenter leur réflexion sur l’effondrement qui vient et sur les stratégies de résilience pour y faire face. 

Les trente-trois prochaines années sur Terre. Yves Cochet 

Article publié dans Libération le 23 août 2017 sous le titre ”De la fin d’un monde à la renaissance en 2050”. 


Il y a trente-trois ans naissait Les Verts, première organisation unifiée de l’écologie politique en France. Jusqu’à aujourd’hui, les représentants de ce parti, puis ceux de son successeur EELV, ont rempli presque tous les types de mandats aux fonctions électives des institutions républicaines. Pour rien, à peu de choses près. Sous l’angle écologique de l’état géo-bio-physique de la France – de l’Europe et du monde – avouons que l’état de santé de ces territoires ne cesse de se dégrader par rapport à celui de 1984, comme le montrent à l’envie les rapports successifs du GIEC, du PNUE, du Programme Géosphère-Biosphère et autres publications internationales. 

Sous l’angle social et démocratique, le constat est du même ordre : creusement des inégalités, accroissement de la xénophobie, raidissement des régimes politiques. Initialement munis d’une immense générosité intellectuelle et porteurs de la seule alternative nouvelle à la vieille gauche et à la vieille droite, les écologistes politiques ont aujourd’hui presque tout perdu, même leurs sièges. Ils apparaissent périmés, faute d’être présents au réel. Celui-ci a beaucoup changé depuis trente-trois ans, particulièrement par le passage du point de bascule vers un effondrement global systémique inévitable. 

Jadis, inspirés par le rapport Meadows ou les écrits de Bernard Charbonneau, René Dumont et André Gorz, nous connaissions les principales causes de la dégradation de la vie sur Terre et aurions pu, à cette époque et à l’échelle internationale, réorienter les politiques publiques vers la soutenabilité. Mais il est impossible d’imposer une économie de guerre avant la guerre. Aujourd’hui, il est trop tard, l’effondrement est imminent.

Bien que la prudence politique invite à rester dans le flou, et que la mode intellectuelle soit celle de l’incertitude quant à l’avenir, j’estime au contraire que les trente-trois prochaines années sur Terre sont déjà écrites, grosso modo, et que l’honnêteté est de risquer un calendrier approximatif. La période 2020 – 2050 sera la plus bouleversante qu’aura jamais vécue l’humanité en si peu de temps. À quelques années près, elle se composera de trois étapes successives : la fin du monde tel que nous le connaissons (2020-2030), l’intervalle de survie (2030-2040), le début d’une renaissance (2040-2050). 

Les trois étapes de l'effondrement

L'effondrement économique prévu en 1972 par le rapport de Denis Meadows sur les limites de la croissance

L’effondrement de la première étape est possible dès 2020, probable en 2025, certain vers 2030. Une telle affirmation s’appuie sur de nombreuses publications scientifiques que l’on peut réunir sous la bannière de l’Anthropocène, compris au sens de rupture au sein du système-Terre, caractérisée par le dépassement irrépressible et irréversible de certains seuils géo-bio-physiques globaux. Ces ruptures sont désormais imparables, le système-Terre se comportant comme un automate qu’aucune force humaine ne peut contrôler. La croyance générale dans le système libéral-productiviste renforce ce pronostic. La prégnance anthropique de cette croyance est si invasive qu’aucun assemblage alternatif de croyances ne parviendra à la remplacer, sauf après l’événement exceptionnel que sera l’effondrement mondial dû au triple crunch énergétique, climatique, alimentaire. La décroissance est notre destin. 

La seconde étape, dans les prochaines années trente, sera la plus pénible au vu de l’abaissement brusque de la population mondiale (épidémies, famines, guerres), de la déplétion des ressources énergétiques et alimentaires, de la perte des infrastructures (y aura-t-il de l’électricité en Île-de-France en 2035?), et de la faillite des gouvernements. Ce sera une période de survie précaire et malheureuse de l’humanité, au cours de laquelle le principal des ressources nécessaires proviendra de certains restes de la civilisation thermo-industrielle, un peu de la même façon que, après 1348 en Europe et pendant des décennies, les survivants de la peste noire purent bénéficier, si l’on peut dire, des ressources non consommées par la moitié de la population qui mourut en cinq ans. 

Nous omettrons les descriptions atroces des rapports humains violents consécutifs à la cessation de tout service public et de toute autorité politique, partout dans le monde. Certains groupes de personnes auront eu la possibilité de s’établir près d’une source d’eau et de stocker quelques conserves alimentaires et médicamenteuses pour le moyen terme, en attendant de réapprendre les savoir-faire élémentaires de reconstruction d’une civilisation authentiquement humaine. 

Sans doute peut-on espérer que s’ensuive, autour des années cinquante de ce siècle, une troisième étape de renaissance au cours de laquelle les groupes humains les plus résilients, désormais privés des reliques matérielles du passé, retrouvent tout à la fois les techniques initiales propres à la sustentation de la vie et de nouvelles formes de gouvernance interne et de politique extérieure susceptibles de garantir une assez longue stabilité structurelle, indispensable à tout processus de civilisation. 

Eviter la catastrophe


Ce type de sentences aussi brèves qu’un slogan peuvent entraîner une sensation de malaise chez le lecteur qui viendrait à se demander si la présente tribune n’est pas l’œuvre d’un psychopathe extrémiste qui se vautre dans la noirceur et le désespoir. Au contraire, débarrassés d’enjeux de pouvoir et de recherche d’effets, nous ne cessons d’agir pour tenter d’éviter la catastrophe et nous nous estimons trop rationnels pour être fascinés par la perspective de l’effondrement. Nous ne sommes pas pessimistes ou dépressifs, nous examinons les choses le plus froidement possible, nous croyons toujours à la politique. Les extrémistes qui s’ignorent se trouvent plutôt du côté de la pensée dominante – de la religion dominante – basé sur la croyance que l’innovation technologique et un retour de la croissance résoudront les problèmes actuels

Si notre prospective est la plus rationnelle et la plus probable, reste à en convaincre les militants d’EELV, les Français et tous nos frères et sœurs en humanité. Un invariant cognitif de la psychologie sociale empêche que ceci soit possible en temps voulu. Cependant, les orientations politiques déduites de cette analyse deviennent relativement faciles à décrire : minimiser les souffrances et le nombre de morts pendant les décennies à venir en proposant dès aujourd’hui un projet de décroissance rapide de l’empreinte écologique des pays riches, genre localisme biorégional basse-tech, pour la moitié survivante de l’humanité dans les années quarante. Autrement dit, profiter de la disponibilité terminale des énergies puissantes et des métaux d’aujourd’hui pour forger les quelques outils, ustensiles et engins simples de demain (les années trente), avant que ces énergies et ces métaux ne soient plus accessibles. 

Un exemple entre mille : arrêter au plus tôt la fabrication de voitures (thermiques ou électriques) pour confectionner des foultitudes d’attelages robustes susceptibles d’être tractés par des chevaux, ainsi que des millions de vélos qui peuvent durer longtemps si l’on stocke et entretient bien les parties métalliques et caoutchouteuses. Sans surprise, notre perspective générale ne semble pas encore partagée par la majorité des écologistes qui tiennent leurs Journées d’été européennes à Dunkerque. Ainsi, la plénière finale du samedi 26 août est-elle en partie consacrée à la relance de « croissance industrielle » en Europe. Un élan vers le pire. (fin de l’article) 

D'Homo Sapiens à Holo Sapiens 

Il faut toujours garder un esprit critique pour éviter l’état de sidération généré par le récit d'une catastrophe à venir. C'est ainsi qu'on peut ne pas prendre pour argent comptant tous les éléments du scenario imaginé par Yves Cochet. Le mérite de ce récit est avant tout d’opérer une prise de conscience en imaginant de manière concrète les perspectives abstraites dessinées par une avalanche de chiffres et de statistiques. On sait depuis Pierre Dac que  "Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir." Dans un livre intitulé Pétrole Apocalypse et publié en 2005, Yves Cochet avait annoncé pour cause de Pic pétrolier une série d’évènements qui devaient se dérouler dans la décennie 2010 et qui n’ont pas encore eu lieu, tels la fin de la grande distribution, de l’industrie automobile ou des avions low cost.

Mais il ne faut pas jeter bébé avec l'eau du bain. Si on ne sait jamais précisément ce que nous réserve le futur, prédire l’avenir c’est prendre le risque de se tromper sur des faits particuliers tout en ayant raison sur les perspectives générales et les grandes tendances envisagées. Il faut absolument prendre ce risque pour imaginer un futur crédible qui traduit les tendances statistiques et les connaissances scientifiques en images vivantes et en réalité sensible. Ce futur de l’effondrement n’a rien à voir avec le meilleur des mondes – radieux, capitaliste, technologique, numérique, transhumaniste, spatial – imaginé par le système dominant et ses relais médiatiques pour éviter que nous nous réveillions de l’hypnose consumériste et productiviste. 

Le véritable clivage des prochaines années n’est pas celui qui oppose gauche et droite, progressistes et conservateurs mais évolutionnaires et transhumanistes. Le principe qui guide les évolutionnaires est celui du développement de la vie et de l’être humain dans leur milieu d’évolution. Un développement qui suppose le respect des limites naturelles, sociales et symboliques face à l'hubris techno-capitaliste. La démesure qui anime le projet d'illimitation du courant transhumaniste considère au contraire la vie, l’être humain ou la nature comme des moyens à utiliser et à exploiter au service d’une abstraction totalitaire qui peut être celle de la techno-science ou de la valeur marchande. 

En nous remettant les pieds sur terre, les informations et l'imaginaire véhiculés par la collapsologie permettent d’y prendre appui pour effectuer le saut évolutif radical qui conduit de l’homo sapiens à ce que Jean-François Noubel nomme l’Holo sapiens. Holos en grec c'est la totalité. Holo Sapiens c'est l'homme qui se développe en totalité pour communiquer avec cette totalité qu'est son milieu d'évolution. Ce développement intégral de l'être humain s'effectue selon une spirale évolutive, à travers des stades successifs de complexité croissante où l'individu intègre, à chaque étape de son développement, les éléments d’un milieu à la fois naturel et cosmique, social et culturel, affectif et relationnel, symbolique et spirituel.

En castrant l'homme de sa relation intime à ces divers milieux évolutifs, le fétichisme de l'abstraction prive les individus d'une altérité et les empêche de se développer en intégrant des éléments de cette altérité pour évoluer vers un stade de plus grande complexité. Les individus sont alors aspirés par la spirale infernale d'un courant  entropique qui, via un processus de désintégration progressif, conduit à une forme régression anthropologique analysée dans un récent billet. Cette régression à des stades archaïques du développement humain tend à libérer des fantasmes de toute puissance qui s'expriment notamment à travers une hubris capitaliste fondée sur la transgression de toutes les limites, écologiques et symboliques, comme dans une forme - transhumaniste - de délire technologique.

Yves Cochet, ministre et collapsologue. 


Dans l’entretien ci-dessus, Yves Cochet reprend, en la détaillant, la vision prospective des trente prochaines années évoquée dans son article pour Libération. L’effondrement lui apparaît inéluctable parce que le déni est général : fondés sur le fétichisme de la croissance économique et du progrès technologique, le modèle dominant nous empêche très majoritairement de saisir l'urgence de la situation et la nécessité d'une transformation radicale de nos modes de vie et de pensée, d'autant plus que nos facultés cognitives ne sont sans doute pas adaptées pour appréhender la perspective à long terme d'une telle catastrophe, totalement inédite pour l’espèce humaine. Le paradoxe fondamental de la collapsologie est le suivant : l’effondrement arrivera justement parce que nous croyons majoritairement qu’il ne peut pas arriver. Et ce déni ne prendra fin qu’avec l’irruption violente du réel ainsi défini par le célèbre psychanalyste Jacques Lacan : « Le réel c’est quand on en prend plein la gueule ». 

Dans cette vidéo postée en Décembre 2017, Yves Cochet évoque la totale impuissance des ministres de l’écologie condamnés à des mesurettes totalement inadaptées aux enjeux du désastre (14’30) comme il imagine, neuf mois avant qu’elle n’advienne, le discours fait par Nicolas Hulot suite à sa démission. Ce discours de démission (18’23) imaginé par Yves Cochet est un appel à la société civile, assez proche dans son esprit des propos tenus par Hulot des mois plus tard au micro de France Inter. Cette forme de prescience dont fait preuve ici Yves Cochet devrait retenir notre attention quant à son analyse et à sa description de l’effondrement qui vient. 

Ressources 

Les trente-trois prochaines années sur Terre  Yves Cochet. Institut Momentum

Site de l’institut Momemtum  L'Anthropocène et ses issues

Next Web-série documentaire de grande qualité réalisée par Clément Monfort : dix vidéos sur l’effondrement et la collapsologie réalisées par Clément Monfort. A voir, à méditer, à diffuser et à soutenir.

Grand entretien avec Yves Cochet Dans cet entretien accordé en 2013 au site des Humanités Environnementales, Yves Cochet présente sa vision de l'Anthropocène : décroissance, effondrement, nouvel imaginaire. 50' 

Le plus grand défi de l'histoire de l'humanité  Appel de 200 personnalités dans Le Monde. Vidéo de l'astrophysicien Aurélien Barreau, promoteur de cet appel, sur l'urgence écologique (3'). Intervention synthétique d'Aurélien Barreau sur l'urgence écologique et le nouveau pacte avec le vivant lors du Climax festival 2018 (12'34"). A voir pour l'intensité, l'inspiration et la précision du discours même si l'on peut contester certaines analyses.


Comment tout peut s'effondrer Petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes. Pablo Servigne, Raphael Stevens. Préface de Yves Cochet. éd. Seuil

Effondrement Cinq interviews passionnantes avec des spécialistes du sujet : Pablo Servigne, Philippe Bihouix, Jean-Marc Jancovici, Vincent Mignerot, Etienne Chouard. Chaîne Thinkerview

Pourquoi le drame écologique mobilise-t-il si peu?  Émilie Massemin Reporterre. 6/0918 

Comment rendre crédible la catastrophe écologique? France Culture avec Yves Cochet, Dominique Bourg, Jade Lindgaard.

Pourquoi tout va s'effondrer  Une vidéo de 14' à voir sur la chaîne You Tube Le 4ème Singe

2 degrés avant la fin du monde    Un film de 1h20 à voir sur la chaîne You Tube Datagueule. 1h20

Une série de vidéos consacrées aux diverses interventions ayant eu lieu lors d'un atelier sur le thème de l’effondrement durant l’université d’été solidaire et rebelle des mouvements sociaux et citoyens à Grenoble (du 22 au 26 août 2018). Interventions de Geneviève Azam, Pablo Servigne, Christophe Bonneuil, Jane Lingaard, Corine Morel-Darieux etc...

Adrastia Le comité Adrastia a pour objectif d'anticiper et préparer le déclin de nos sociétés de façon honnête, digne et responsable. Beaucoup de vidéos à ce sujet sur sa chaîne You Tube ici.

A quoi bon penser à l’heure du grand collapse  Paul Jorion éd. Fayard

Decoll Le Decoll (Département de collapsologie générale et appliquée) est un lieu de rencontres et d'échanges scientifiques pour les collapsologues français et pour tous ceux qui s'intéressent à ce thème. De nombreuses informations et beaucoup de liens utiles.

Yves Cochet à propos de son livre Pétrole Apocalypse. Un extrait de l’émission de Thierry Ardisson, Tout le monde en parle du 17/09/05. (15’) 


Dans Le Journal Intégral 


Effondrement et Refondation (1) Réagir à l’effondrement (2) Les Transitionneurs (3) Les Convivialistes (4) Les Créatifs culturels (5) Catastrophe ou métamorphose (6) La cosmodernité (7)

Les billets sélectionnés sous le libellé Écosophie, Sortir de l'économie et Critique de la valeur

3 commentaires:

  1. Merci pour ce constat éclairé et très détaillé...
    J'ai publié en août une série d'articles allant dans le même sens...
    https://lefildariane1234.blogspot.com/2018/08/

    Si l'on veut enfin être efficaces face à la situation réelle de notre planète,
    il va falloir sortir des "mesurettes" sans envergure et du déni généralisé.
    Espérons que la démission de Nicolas Hulot réveille quelques consciences...

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    1. Chère Licorne, J’ai lu avec attention les billets que vous avez proposés en Aout sur le thème de l’effondrement écologique. On y trouve nombre d’informations intéressantes, notamment sur les points de bascules, ces seuils critiques - positifs ou négatifs - qui peuvent déclencher des dynamiques irréversibles. Je conseille aux lecteurs intéressés par ce thème de lire les billets dont vous avez mis le lien dans votre commentaire. Non seulement il faut sortir des « mesurettes » et du déni mais il faut une véritable « conversion » des consciences qui passe par un changement de paradigme correspondant à l’émergence d’une nouvelle vision du monde fondée sur l’accession à un nouveau stade évolutif. Merci à vous de participer à cette conversion des consciences à travers les blogs où vous transmettez des informations indispensables à cette prise de conscience individuelle et collective.

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  2. Je viens de lire ton article avec du retard et merci une fois encore Olivier - ...! ton travail me réjouit, même si ce n’est pas le cas des perspectives que tu popularises.

    La question clef est celle de comment amener cette conscience dans la vie de chacun (la notre en premier) sachant qu’il est plus simple d’être dans le déni que d’ouvrir les yeux, le coeur et l’esprit à la situation. ou comme tu l'écris : ""Nous ne croyons pas ce que nous savons"

    Et de ce point de vue le travail d’éducation populaire que tu fais, s'il est magnifique n'est qu'une premier pas.


    La lecture de ton article résonne avec un très bon livre de Charles Eisenstein quivient juste de paraitre- « Climate, an other story » (qui est malheureusement en anglais) Il a publié aussi un bel essai sur le sujet (que google translation saurait sans doute traduire ..)

    https://charleseisenstein.net/essays/initiation-into-a-living-planet/

    Il offre une perspective intéressante : la manière dont on cherche à agir pour éviter l’effondrement ou dont on met en avant le réchauffement climatique procède de la même conscience que celle qui a provoqué le problème initial (en se battant sur des chiffres, sur de l’abstrait, en se déconnectant de la vie, en étant dans une démarche « problème -> solution » et "eux" contre "nous" .. par exemple)

    Une petite touche de couleur et d’espoir par rapport à ton article, le mouvement « je veux des coquelicots » lancé par un collectif auquel appartient une proche amie prend de l’ampleur https://nousvoulonsdescoquelicots.org

    et https://nousvoulonsdescoquelicots.org/2018/10/06/un-message-apres-les-rassemblements-du-5-octobre/

    Cela peut sembler un peut futile du point de vue de la perspective de l'effondrement attendus (car au bout du compte, nous n'aurons plus alors de problème de pesticide !)

    Mais ce qui est intéressant et qui peut rendre leur action très efficace c’est précisément qu'elle s’axe sur un tout petit coin du problème - la lutte contre les pesticides sur lequel il est assez facile de rallier des gens (personne ne veut des pesticides à part l’industrie agro et (certains, mais pas tous) agriculteurs. … De mon point de vue, c’est un premier geste qui amène prendre position à se manifester publiquement (l’idée de la cocarde en forme de coquelicot que l’on porte est super) et s’inscrit dans la logique que Cialdini dans son livre sur la manipulation appelle « le pied dans la porte »
    http://www.toupie.org/Textes/Manipulation_au_quotidien.htm#engrenage

    Et parmi ceux qui auront fait ce premier pas, il sera plus facile de progresser vers une prise de conscience plus large de la réalité de l'effondrement et sur une véritable "conversion" existentielle .. pour appeler autrement le changement de paradigme que tu appelles de tes voeux.


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