lundi 29 mars 2010

Ken Wilber, Philosophe du Tout (2)



Ce billet est la suite du précédent Ken Wilber, Philosophe du Tout (1)


Ken Wilber, Philosophe du Tout par Carter Phipps

Seconde Partie

A 57 ans, Ken Wilber est plus prolifique et productif que jamais. Une édition de ses œuvres complètes, livres et essais, vient d’être publiée, mettant ainsi en évidence l’important travail produit en trois décades par cet homme de sagesse et de synthèse. Il vient de terminer le deuxième volume d’une Kosmos Trilogy où sont présentées et clarifiées les idées-clés de sa philosophie. Intitulé Sex, Ecology, Sprituality le premier volume de cette trilogie a été publié en 1995. Intitulé provisoirement Karma Kosmic and Creativity, le second volume devait être publié en 2007. Le titre provisoire du troisième volume, partiellement écrit, est God, Sex and Gender.

Entre ces traités de fond, Wilber a écrit d’autres textes et ouvrages sur des domaines spécifiques comme Integral Psychology (2000), sur les questions de la culture contemporaine comme Boomeritis (2002) et The Many Faces of Terrorism ainsi que le populaire Une brève histoire de tout (1996), traduit en Français aux éditions de Mortagne, qui tient lieu de version abrégée, plus accessible, de sa trilogie.

S’inspirant de la tradition athénienne, Wilber a aussi créé sa propre académie, Integral Institute, un groupe de réflexion de haut niveau et un institut de formation diffusant et appliquant la théorie intégrale à divers domaines de connaissances. La pensée de Wilber a toujours été trop ample et hors catégorie pour être facilement acceptée par l'environnement à la fois plus conservateur et plus spécialisé du monde académique traditionnel. Aussi a t’il, à ses débuts, présenté directement ses idées au grand public et aux lecteurs cultivés.

Mais tout grand succès populaire est accompagné de grandes opportunités. Le succès de Wilber est à l’origine de sa notoriété et de la consécration d’une oeuvre dont l’auteur a pu être qualifié d’« Einstein de la conscience ». Ceci lui a permis de dépasser son statut de philosophe indépendant en établissant des relations avec des individus intégrés dans les sphères institutionnelles du gouvernement, des affaires et de l’enseignement supérieur.

La dynamique de ce réseau s’est exprimé d’une manière spectaculaire avec la création de Integral University lancée récemment sur Internet sous la forme d’une « communauté éducative » (devenue depuis Integral Life). Avec le soutien de l’Institut Intégral et sous la direction vigilante de Wilber, Integral Life s’est donné pour but de devenir une université à la fois originale et agréée officiellement. Dans son réseau global, elle rassemble des érudits, des théoriciens, des pratiquants, des soutiens, des correspondants qui travaillent dans une collaboration rigoureuse afin de poursuivre le développement et l’expansion de la théorie intégrale dans une vingtaine de disciplines différentes.

Au beau milieu de toute cette activité, le modèle intégral poursuit son propre développement. En fait, un des aspects les plus marquants de cette approche est sa capacité à évoluer au cours des ans, au fur et à mesure où elle incorpore à sa matrice théorique, dans un rythme soutenu, des théories, des idées et des connaissances hétérogènes. La théorie intégrale n’est pas un nouveau champ, autonome, de connaissance. Appliquée à quelque domaine de connaissance que ce soit, la théorie intégrale vaut pour sa capacité à inclure dans un vaste contexte synthétique des vérités partielles en agissant comme une sorte de « passoire épistémologique et ontologique », filtrant ainsi toute hypothèse dépassée sur la nature de la réalité.
Ce faisant, elle réorganise radicalement les propositions faites dans un domaine spécifique à la lumière d’une vision du monde plus compréhensive et inclusive. Progressivement, de l’écologie à l’anthropologie, en passant par l’art, la politique, l’économie, la loi, la science, la psychologie et la spiritualité, elle fait tout son possible pour embrasser les principaux aspects de la connaissance humaine dans une « étreinte » intégrale.


Tous Quadrants, Tous Niveaux...

Introduite en 1995 dans Sex, Ecology, Spirituality une des principales intuitions de Wilber, celles des Quatre Quadrants, illustre de manière exemplaire son modèle d’intégration. Wilber a élaboré sa théorie des Quatre Quadrants à partir des perspectives réelles qui sont celle à travers lesquelles nous percevons le monde autour de nous - JE : la première personne, TU : la seconde et IL : la troisième. Ces quadrants proposent un point de vue à partir duquel on peut pratiquement tout examiner. Ce modèle ne provient pas d’une illumination soudaine ou d’une inspiration divine. Il doit plus à la détermination de l’auteur qu’à la grâce. Décidé à comprendre comment les différents systèmes de connaissance fonctionnent ensemble, Wilber a passé des années à essayer de saisir la relation existant entre les diverses disciplines et champs d’étude. Mais il lui semblait que chaque école de pensée avait sa propre façon d’organiser la réalité, sa propre façon de classer les connaissances et de les hiérarchiser.

Dans sa quête d’un modèle global, Wilber s’est battu pour trouver une organisation cohérente dans laquelle ces systèmes très divergents puissent s’intégrer : « À un moment donné, j'avais plus de deux cent systèmes hiérarchiques inscrits sur des blocs dispersés un peu partout sur le sol pour essayer de comprendre comment les faire cadrer ensemble. . . Il y avait là des hiérarchies linguistiques, des hiérarchies contextuelles, des hiérarchies spirituelles. Il y avait des stades de développement dans le domaine de la phonétique, des systèmes stellaires, des visions culturelles du monde, des systèmes auto-reproductifs, des modes technologiques, des structures économiques, des évolutions phylogénétiques, et des réalisations dans le domaine de la surconscience... Et tous refusaient de s’accorder les uns avec les autres... Vers la fin de cette période de trois ans, tout a commencé à s’éclaircir. Il m’est rapidement devenu évident que les diverses hiérarchies s’inscrivaient dans quatre classifications majeures (que j’ai appelées les quatre quadrants) ; que certaines hiérarchies se référaient à l’individu, d’autres au collectif ; que certaines se rapportaient à des réalités externes, et d’autres à des réalités internes, mais que toutes s’accordaient parfaitement les unes aux autres. »

Le reste appartient à l’histoire ! Le modèle des Quatre Quadrants est peut-être l’idée la plus célèbre de Wilber. Et non sans raisons. Il suggère que presque tout peut être observé à partir de ces quatre perspectives fondamentales : la perspective intérieure et extérieure de l'individu d’une part et de l’autre la perspective intérieure et extérieure du collectif. Vous voulez savoir pourquoi la science et la religion ont des difficultés à trouver des points communs ? Pourquoi le marxisme a échoué ? Pourquoi les recherches en neuro-science concernant Dieu sont malencontreuses ? Pourquoi le tournant linguistique de la philosophie du vingtième siècle a été si important ? Tout est là, dans ces quatre quadrants, à la fois si simples et si profonds. On peut imaginer un futur où ce modèle de réalité fera partie de l’instruction offerte aux étudiants tout comme en fait partie aujourd’hui le tableau de classification périodique des éléments.

Et les Quatre Quadrants ne sont qu’un début. Un autre concept-clé qui a fait la notoriété de Wilber au cours de ces dernières années, c’est la reconnaissance d’un consensus entre des courants de pensée très divers au sujet du développement humain. Ce consensus conduit à penser que le développement individuel et, jusqu’à un certain point, culturel, passe par des niveaux spécifiques ou stades de conscience. On connaît les stades de la pensée cognitive chez le psychologue Jean Piaget, les stades du développement moral chez Lawrence Kohlgerg et chez Carol Gilligan, une pionnière des études sur les femmes, les stades du développement culturel chez le philosophe Jean Gebser et ceux du développement spirituel chez Sri Aurobindo, les stades de la Spirale Dynamique, représentés par diverses couleurs, issus du travail de Clare Graves auquel ont collaboré notamment Don Beck et Christopher Cowan. Et l’on pourrait rajouter d’autres domaines !

Pris dans leur ensemble, ces structures offrent à l'esprit intégral un puissant message. Elles suggèrent que la conscience humaine se développe d’une manière très spécifique en suivant des étapes très spécifiques. Et l’on peut observer ces stades, ou niveaux de conscience, non seulement au niveau du développement psychologique de l'individu, depuis la petite enfance jusqu’à l’âge adulte, mais aussi dans le développement de la culture humaine, sur des millénaires.

On peut même observer l’activité de ces différents niveaux de développement aujourd'hui dans le monde, pour le meilleur et pour le pire, dans le prétendu conflit de civilisations aussi bien que dans les aléas de la politique internationale. Wilber a été l’un des premiers à souligner les remarquables similitudes entre ces divers systèmes de développement en commençant à préciser leur interrelations et à appliquer ce type de modèle dans divers domaines de la connaissance.

Le modèle des « stades de conscience » de Wilber indique, dissimulé dans les méandres de l’histoire humaine, un processus global de développement qui est la trajectoire subtile de son évolution. Là encore, il présente une cartographie à la fois simple et puissante qui ne réduit ni ne dénie la complexité de la nature humaine mais plutôt en clarifie aussi bien les structures que les dynamiques fondamentales. Bien entendu, l’efficacité d’un modèle réside dans le fait qu’il donne du sens à notre propre expérience du monde. Et c’est là que la philosophie intégrale de Wilber est lumineuse.

Une fois que l’on commence à voir la réalité à travers la perspective des Quatre Quadrants et la vie humaine comme un processus de développement continu, progressant en spirale vers des sommets d’évolution toujours plus élevés à travers divers stades spécifiques et identifiés, d’une complexité et d’une conscience toujours plus grandes - chaque nouveau niveau transcendant et incluant les niveaux précédents - on peut se demander comment on n’a jamais pu concevoir la vie autrement !...

Ces deux concepts - quadrants et niveaux évolutifs - sont justes les briques à partir desquelles Wilber a minutieusement développé son modèle intégral selon un approche qualifié « Tous Quadrants, Tous Niveaux » (AQUAL)*. Ils représentent la structure fondamentale de sa « théorie du tout » et le fondement d’une philosophie qu’il nomme aujourd’hui son « système d’exploitation intégral ». Avec les nouvelles contributions au modèle intégral articulées dans Integral Spirituality, ces concepts représentent le cinquième stade majeur du développement de son œuvre.

*AQUAL (pour All Quadrants, All Levels) est un terme de Wilber qui signifiait à l’origine « tous quadrants, tous niveaux ». Mais depuis il a été étendu à une perspective plus complète comprenant : tous quadrants, tous niveaux, toutes lignes (de développement), tous états (de conscience), et tous types (de conscience). )

Emerson a écrit : « Dans l’œuvre de chaque génie nous reconnaissons nos propres pensées : celles que nous avons rejetées. Elles reviennent ainsi à nous avec une étrangère majesté ». L’œuvre de Wilber ne fait pas exception. Ce qui caractérise sa théorie, d’une manière assez unique, c’est qu’elle explique le monde d'une manière qui semble à la fois totalement nouvelle et familière. Son analyse paraît si claire et si évidente, après ses explications. Il transforme en conceptions vos perceptions personnelles les plus profondes. C’est la fonction des grandes théories que de révéler « ce que vous savez déjà mais que vous ne savez pas que le vous savez » comme le dit le critique des médias Thomas de Zengotita. Et maintenant, en retournant dans le domaine qui a été à l’origine de son combat philosophique pour défendre le beau, le bon et le vrai, il a focalisé son puissant objectif intégral sur le vaste et ancien paysage de la religion et de la spiritualité.
(A suivre... )

dimanche 28 mars 2010

Ken Wilber, Philosophe du Tout (1)


Eveil et Evolution Andrew Cohen est un enseignant spirituel américain qui transmet la vision originale de l'éveil évolutif, un éveil spirituel qui, au 21ème siècle, s’effectue dans le contexte d’une évolution cosmique de quatorze milliards d'années. N'hésitant pas à remettre en cause l'individualisme qui caractérise la plupart des approches spirituelles contemporaines, Cohen propose une vision novatrice qui transcende la narcissisme ambiant de la post-modernité en éveillant chez l’individu un énergie créatrice à travers laquelle il participe à l'évolution de la conscience et de la culture.
Autour d’une question centrale : "Qu'est-ce que l'éveil et qu’est-ce que cela signifie pour le monde d'aujourd'hui ? » il fonde en 1991 un magazine qui fait écho à ses recherches : What Is Enligthenment ? Ce magazine a changé de nom récemment pour devenir EnligthentNext, du nom du réseau international constitué par tous ceux qui suivent ses recherches et ses enseignements dans de nombreux pays.
Tout au long de ces années, Cohen et son équipe de journalistes ont donc rencontré mystiques et matérialistes, physiciens et philosophes, militants, artistes ou athlètes avec la volonté de créer un forum de dialogue, d’enquête et de réflexion sur le sens de la vie humaine à notre époque. Eveil et Evolution est la version française de EnlightenNext. A travers les sept numéros déjà parus, ce magazine, à la fois philosophique, culturel et spirituel est la vecteur francophone d’une culture intégrale qui propose des perspectives nouvelles dans de nombreux domaines : la pensée et la science, l’art et l'environnement, la politique et l’économie.
L’équipe d’Eveil et Evolution privilégie actuellement une diffusion sur internet. C’est en ce sens que le site d’EnlightenNext France propose une médiathèque où l’on peut trouver, entre autre, les articles parus dans Eveil et Evolution, lisibles en ligne ou téléchargeables. Dans ce cadre, des articles nouveaux sont proposés aux lecteurs chaque mois. Une occasion à ne pas manquer pour tous ceux qui s’intéressent à la culture intégrale et à son développement.
Andrew Cohen est un ami de Ken Wilber, le pionnier de la théorie intégrale. Le premier se définit plutôt comme un guide spirituel et le second comme un érudit. Leurs dialogues font l’objet d’articles passionnants lisibles en français sur le site d'Eveil et Evolution et en anglais sur celui d'EnlightenmentNext. Suite à la parution du nouveau livre de Wilber, Integral Spirituality, l’équipe de What is enlightenment ? a publié dans son édition de Juin 2006 un numéro consacré principalement à Wilber et à son œuvre.
Dans ce numéro, Carter Phipps dressait le portrait de Ken Wilber en Philosophe du Tout. Ayant travaillé à la traduction française de cet article, j’ai demandé à l’équipe d’Eveil et Evolution l’autorisation de diffuser dans Le Journal Intégral cet article encore inédit en français qui permet aux lecteurs francophones de se familiariser avec le travail de Ken Wilber et son évolution récente. Nous publions donc en trois parties la traduction de cet article dont on peut lire ici l’original en anglais. Pour tous ceux qui s’intéressent à l’œuvre de Wilber, nous renvoyons à notre billet sur le livre de Franck Visser qui vient de paraître : Ken Wilber, la pensée comme passion.
Le Philosophe du Tout par Carter Phipps. Première Partie
Vous ne le verrez pas dialoguer avec des leaders internationaux sur CNN. Vous ne le verrez pas non plus papoter avec des politiciens à Davos. Vous ne le verrez pas interviewé par Guillaume Durand ou Patrick Poivre d’Arvor dans les magazines télévisés. Vous pouvez même être un citoyen cultivé et informé du monde occidental sans jamais avoir entendu parler de lui. Mais attention, ne vous y trompez pas, Ken Wilber est important. Sa recherche et ses idées - ce qu’il appelle « la philosophie intégrale » - ont, peu à peu, une influence sur ce que des centaines de milliers, voire des millions, de gens pensent du monde où ils vivent.
Depuis la publication de son premier livre, The Spectrum of Consciousness en 1977, l’œuvre de Wilber n’a cessé d’ébranler progressivement les fondations philosophiques de notre époque postmoderne en mettant à jour sa confusion et ses contradictions. Les nouveaux modèles et cartes de la réalité qu’il propose et articule entre eux préfigurent ce que sera la culture du futur. Si la postmodernité peut-être définie, selon la fameuse expression de Lyotard comme « l’incrédulité à l’égard des méta-récits », alors la théorie intégrale de Wilber en est la parfaite antidote.
Avec des livres intitulés « Une Brève Histoire de Tout » et « A Theory of Everything », Wilber a voulu créer une sorte de Saint Graal des grands récits, une structure permettant l’intégration de toutes les catégories de la connaissance humaine. Quel autre philosophe pourrait rassembler aussi aisément l’essentiel de la religion, de l’art, de la morale, de l’économie, de la psychologie et des sciences majeures en une théorie unique ? Quand Wilber utilise le mot « intégral », il sait ce que cela signifie. Wilber n’est pas le fondateur de ce domaine de recherche, encore embryonnaire, qui est celui de la philosophie intégrale. Un titre qui reviendrait sans doute au sage indien Sri Aurobindo ou au philosophe Jean Gebser. Certains iront même jusqu’à y voir l’héritage d’Hegel, bien que l’idéaliste allemand n’ait jamais utilisé d’une manière spécifique le mot « intégral ». Mais Wilber est le représentant actuel du « monde intégral ». Son oeuvre synthétise en une théorie intégrale, unifiée et cohérente, toute une collection d’idées éparses proposées par une poignée de visionnaires.
A l’origine d’un mouvement de pensée important, cette oeuvre puissante propose un ensemble de notions fondatrices sur notre réalité. Son influence commence à se faire sentir y compris dans les sphères dirigeantes comme en témoigne une référence récente de Bill Clinton à l'œuvre de Wilber lors d’une conférence à Davos au cours de laquelle il mentionne l’approche intégrale comme un prisme puissant au travers duquel on peut comprendre notre monde en pleine globalisation et y participer. L’attrait de la théorie intégrale tient à sa dimension de synthèse et de compréhension, à sa capacité de restructurer la complexité du savoir humain en une organisation à la fois cohérente et pratique.
Wilber est le principal responsable de la notoriété de cette théorie. Son esprit à la fois brillant et synthétique lui permet d’être aussi à l’aise avec la psychologie jungienne qu’il l’est avec les épistémés de Foucault, avec le difficile problème des sciences cognitives ou la nature du Vide dans le bouddhisme Vajrayana. Et il écrit sur ces sujets de manière à être compris de tous comme un éducateur amenant le public à contempler des perspectives à la fois radicalement nouvelles et plutôt sophistiquées.
Wilber a débuté sa carrière en explorant les liens entre psychologie et traditions spirituelles orientales, et en intégrant de manière audacieuse ces perspectives différentes dans un « spectre de la conscience » exhaustif, véritable cartographie du développement psychologique et spirituel de l’être humain, depuis la naissance jusqu’à l’illumination bouddhique. Cette synthèse, assez radicale pour l’époque, lui a valu un succès d’autant plus grand qu’elle a largement inspiré le domaine de la psychologie transpersonnelle (domaine avec lequel il a pris ses distances depuis). C’est ainsi qu’il est apparu comme le véritable porte-parole des profondes intuitions véhiculées par les grandes traditions mystiques tant orientales qu’occidentales.
Selon lui, ces traditions sont la source de connaissances que toute théorie « intégrale » authentique se doit d’inclure. Sa recherche répondait aussi à une exigence intime et une passion profonde dans la mesure où Wilber, lui-même, est un pratiquant spirituel dont l’expérience emprunte plusieurs voies, notamment celles du Zen et du Bouddhisme Tibétain. Il s’est donné le nom de « pandit », terme sanscrit correspondant à l’enseignant érudit qui défend le vrai dharma* contre tous ceux qui voudrait le pervertir. Ce plaidoyer permanent lui vaut d’être apprécié et respecté par beaucoup de gens, y compris par les rédacteurs de ce magazine, qui pensent qu’un discours religieux et spirituel conséquent est essentiel aussi bien pour la santé de la culture contemporaine que pour son évolution.
* ( Le terme Dharma est un mot Sanskrit signifiant loi naturelle, ou réalité. Utilisé dans le cadre de la religion et de la spiritualité, il décrit une façon d’être se conformant à la loi universelle ou à la nature essentielle des choses.)
Bien entendu, le fait pour Wilber de mettre la spiritualité au cœur de sa construction philosophique n’a pas attiré la sympathie d’une intelligentsia occidentale profondément sceptique. Dès le début, il savait que sa propre philosophie irait à l'encontre des courants intellectuels dominants : « Une chose était très claire pour moi alors que je me battais avec difficulté pour savoir comment procéder dans un climat intellectuel acharné à déconstruire tout ce qui croisait son chemin: je devais retourner en arrière et tout reprendre depuis le début pour tenter de créer le vocabulaire d’une philosophie plus constructive. Au-delà d’un pluralisme relativiste, il existe un « intégralisme » universel. Par conséquent, j’ai voulu ébaucher une philosophie qui soit celle de cet « intégralisme » universel.
En d’autre terme, j’ai cherché une philosophie universelle, une philosophie intégrale qui réunirait de façon plausible ces divers contextes du pluralisme que sont la science, la morale, l’esthétique, la philosophie aussi bien oriental qu’occidentale, ainsi que les grandes traditions de Sagesse. Pas au niveau des détails, ce qui est impossible, mais à celui des orientations générales : une façon de suggérer que réellement le monde est un, indivisible, complet et relié à lui-même à travers tous ses aspects ; une philosophie holistique, pour un Kosmos holistique ; une philosophie à la fois universelle et intégrale.
»
Avec la parution durant l’automne 2006 de son vingt-troisième livre « Integral Spirituality» Wilber a mis fin à quatre ans d’absence dans le monde de l’édition américaine. Cet ouvrage se propose d’apporter un éclairage à la fois brillant et novateur sur le rôle et l’importance de la spiritualité et de la religion dans le monde moderne et postmoderne. La finesse du volume est trompeuse tant sa lecture est roborative. Wilber nous livre des clés pour comprendre les principaux dilemmes auxquels les traditions religieuses sont confrontées de nos jours : leur influence déclinante, leurs débats continuels avec la science, leur lutte contre les différentes formes d’extrémisme, etc...
L’auteur tente de ressusciter les intuitions-clés des religions en dépassant les structures des croyances mythiques, à la fois désuètes et dépassées, communes à nombre de traditions. Il examine les problèmes auxquels doivent faire face les chercheurs spirituels postmodernes : le rôle de la thérapie, les limitations de la méditation, la diversité des démarches et des formes d’illumination, la pluralité des interprétations de Dieu aussi bien que les challenges que doit affronter le Bouddhisme américain. Même si la notoriété de Wilber est déjà fermement établie au sein d’une certain « culture spirituelle », dans le domaine de la psychologie transpersonnelle, et parmi tous ceux que l’on nomme les « Créatifs Culturels », Integral Spirituality est une œuvre qui devrait le faire connaître par un plus grand public. En utilisant toute la richesse du modèle intégral pour comprendre l’un des domaines les plus complexes et importants de la vie humaine, Wilber pourrait attirer l’attention du plus grand des critiques : l’histoire.


(A suivre... )

mardi 9 mars 2010

Incitations (1)


Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. Camus


L’incitation est le langage mystérieux et vibrant de l’Intention. Sous formes d’aphorismes, de maximes ou de fragments, ces incitations sont des citations inspirées à l’auteur par l’esprit du temps pour l’inciter, avec ses lecteurs, à la méditation, à la réflexion... et à l’action. 

Seules les lèvres salées qui ont traversé le désert connaissent les mille et une saveurs sucrées des fruits de l'oasis. 

Ce qui me détourne de l'Esprit, me distrait de ce que je suis en m'éloignant des autres. 

Les sociétés en déclin sont des mondes en italique où celui qui reste droit apparaît comme une exception suspecte à éliminer. 

La vie est cet art divinatoire qui consiste à interpréter l'Esprit à travers une forme.

La bêtise réduit la connaissance à son pré-carré et le bonheur à l’herbe qu’elle broute. 

L'effort est la médiation humaine entre la force de l'esprit et la forme à travers laquelle il se manifeste. 

Œil pour œil 


Chaque humain possède deux yeux : l’introspection et l’observation. Il peut suivre deux voix. Celle, extérieure, du voyeur ou celle, intérieure, du visionnaire. 

Notre civilisation : un progrès matériel qui, par défaut de sensibilité et par défaite de la pensée, remplace tout projet spirituel. 

Quand la vision, créatrice et unificatrice, est absente, ne reste que la division de la rationalité instrumentale. Ivre de son pouvoir, elle se fait tyrannique en se transformant en rationalisme sectaire. 

Les technocrates sont des borgnes devenus les rois d’une société dont un œil est aveuglé par la puissance technologique et l’autre par l’intérêt économique. Mais, en fait, c’est la Nuit qui règne au royaume des aveugles. Les borgnocrates ne sont que ses hommes de paille. Un souffle d’esprit les emporte. Une étincelle suffit à les aveugler. Aucune société n’est fondée sur une machine à calculer. 

Si les Lumières de la raison sont éclairantes, celle du rationalisme sont aveuglantes. En faisant fuir les ombres qui nous hantent, elles nous empêchent de les intégrer. En nous coiffant d'une abstraction, elles nous éloignent d'une communion avec notre essence intime. 

L’Art de la décontraction 


La spiritualité est cet art de la décontraction qui permet de se concentrer sur l’essentiel pour transcender un mental pétri de contractions et de contradictions. 

Ce que les chrétiens appellent le péché ou la chute - et d’autres la déconnexion - n’est rien d’autre que cette crispation du mental qui, en se contractant, coupe la conscience du flux créateur et transcendant de l’Esprit. 

La contradiction est la conséquence logique d'une contraction mentale qui résulte d'une visée instrumentale permettant au corps de s'adapter à son environnement. 

Décontracter le mental pour se connecter à l'Esprit, et la contradiction apparente se dissout pour laisser place à une tension énergétique et créatrice entre deux pôles complémentaires. 

L’identité est une contraction du mental qui s’identifie au temps. Mais la quête crispée de l’identité ne fait que traduire la tension transcendante vers l’identique - le Même - c'est-à-dire l’Esprit, situé hors du temps. 

L’Esprit, ce sans papier, est un SDF : Sans Définition Fixe. L’accueillir met toujours notre identité en danger. En nous déstabilisant, il nous fait évoluer. 

L’identité est cette définition qui, en nous libérant de la multiplicité, nous coupe de l’unité infinie de l’Esprit.

Notre peur de la mort est à la mesure de l’identification à notre corps. 

La mort ? L’âme hors du corps. 

Tout phénomène de transe repose sur un double phénomène d'absorption et d'abstraction. Absorption de l'attention dans un objet. Abstraction du contexte ambiant. L'expérience spirituelle est cette transe inspirée dans laquelle la conscience absorbée par l'Esprit qui la fonde et l'inspire, s'abstrait de son contexte matériel habituel.