Dans le contexte particulier qui est celui du Printemps du Nouveau Monde dont nous nous sommes fait ici l’écho, la création officielle du parti Politique Intégrale Suisse à Berne, le Samedi 7 mai, est l’expression emblématique d’une nouvelle culture politique.
Dans notre dernier billet, Ken Wilber analysait ce que pourrait être une politique intégrale. A partir de l’exemple de Politique Intégrale Suisse, nous poursuivrons cette analyse en cherchant à mieux comprendre comment un parti politique peut traduire ce nouveau stade de l’évolution culturelle qu’est la « vision intégrale » à travers de nouvelles formes d’organisation sociale...
Un athanor multiculturel
Souvent considérée comme la plus ancienne démocratie du monde, la Suisse est ce pays de sept millions d’habitant où plusieurs langues et cultures – allemande, française et italienne – se côtoient et se métissent pour donner naissance à des œuvres singulières. Né à Genève, Jean Jacques Rousseau (1712-1778) écrit en 1762 « Du Contrat Social » où il pose les bases conceptuelles des démocraties modernes.
Encore très largement méconnu en France, Jean Gebser (1905-1973) a, lui aussi, un rôle de précurseur pour la période post-moderne dans laquelle nous sommes entrés. Ce grand théoricien de l’évolution culturelle a écrit la majeure partie de son œuvre à Berne où aura lieu la création officielle de Politique Intégrale. En 1953, il identifia ainsi les divers stades de l'évolution culturelle : archaïque-instinctif, magique-égocentrique, mythique-traditionnel, mental-rationnel, intégral. Ken Wilber repris cette classification en distinguant deux niveaux dans le stade évolutif qualifié d'intégral par Gebser : le stade pluraliste-post-moderne et le stade intégral proprement dit.
Autre grand penseur suisse, de culture francophone, Jean Piaget (1896-1980) est le pionnier de la psychologie du développement et de ce qu’il nomme « l’épistémologie génétique ». Ses recherches sur les divers stades du développement cognitif de l’enfant ont profondément inspiré les penseurs « intégralistes ».
Une longue tradition
La dimension multiculturelle propre à la Suisse rend ses habitants particulièrement sensibles à toutes les démarches permettant de mieux comprendre les interactions entre les cultures. Rien d’étonnant donc à ce que ce soit dans cet athanor multiculturel qu’une alchimie particulière ait permis la création du premier parti politique inspiré par une vision intégrale. Via la Suisse allemande, la culture allemande a une grande influence dans la création de ce parti.
Les cultures germaniques et anglo-saxonnes ont ceci en commun qu’elles ont tendance à percevoir l'expérience humaine comme l'expression vécue et concrète d'une force dynamique. Et ceci alors que les cultures latines, d’origine romaine et judéo-chrétienne, sont plus focalisées sur la définition conceptuelle de formes abstraites.
Des mystiques rhénans à Goethe, de Hölderlin à Novalis, de Hegel à Rudolf Steiner en passant par Fichte et Schelling, la pensée allemande est l’héritière d’une longue tradition visionnaire – à la fois mystique, romantique et idéaliste – qui conçoit la culture comme l’expression d’une dynamique – celle de la vie et de l’Esprit – et la société comme l’expression organique de cette culture.
C’est cette tradition que le génie de Nietzsche a interprété sous la forme d’une philosophie vitaliste qui est le maillon d’une chaîne reliant la Volonté de Schopenhauer à la Libido de Freud. C’est cette tradition que le nazisme a perverti au service d’une idéologie criminelle à la fois raciale et ethnique.
Un mouvement intégral
En analysant la dérive criminelle du nazisme, en questionnant les limites du vitalisme nietzschéen et celles du réductionnisme freudien qui en est l’avatar, la nouvelle génération allemande a peu à peu retrouvé les sources visionnaires qui sont au cœur d’une tradition culturelle profondément intuitive. Ce faisant, elle perçoit dans la pensée intégrale la formulation d’une approche globale et dynamique propre à cette tradition, mais adaptée au temps post-moderne d’une « société fluide » de l’information et de l’interconnexion.
Ceci explique pourquoi, depuis deux décennies, la pensé intégrale – via les travaux de Ken Wilber et de Jean Gebser – suscitent un grand intérêt et rencontrent un profond écho en Allemagne et, via la Suisse allemande, en Suisse. C’est ainsi qu’un mouvement intégral s’est développé en Allemagne et en Suisse à partir de plusieurs réseaux qui ont organisé en 2008 à St Arbogast (Autriche) un Congrès pour une Politique Intégrale afin de définir et d’approfondir la nouvelle culture politique née d’une approche intégrale. Un second congrès sera organisé en 2012 avec des actions similaires dans d’autres pays européens.
Ce mouvement intégral s’interroge sur la façon de traduire la dynamique de rénovation culturelle propre à la « vision intégrale » en formes novatrices d’organisation sociale. La réflexion d’un groupe de travail chargé de concilier la vision intégrale des participants avec la notion de parti est à l’origine du texte suivant, disponible sur le site de Politique Intégrale, et intitulé : Pourquoi un parti ?
Pourquoi un parti ? Politique Intégrale Suisse
Parti et « intégral » sont en contradiction ! C’est ce qu’on entend parfois parmi les sympathisants de PI (Politique Intégrale) : lorsqu’on a une approche « intégrale » pourquoi justement vouloir créer un parti ? L’idée de parti implique une séparation - être une partie - alors qu’« intégral » veut plutôt relier et conserver une vision d’ensemble Les partis se battent les uns contre les autres et utilisent souvent des tons durs qui n’ont rien d’intégral.
Nous ne sommes qu’une partie
La perception, la pensée et la conscience intégrales ne constituent qu’une partie de l’éventail des opinions de la société. Parmi toutes les « visions du monde », la vision intégrale n’en est qu’une parmi d’autres et est encore très marginale. C’est pourquoi il est justifié de nous considérer comme une partie de l’éventail des visions du monde. Cette partie, ce parti va toutefois considérer les problèmes de manière intégrale et apporter des solutions à caractère intégral. PI ne peut et n'a pas le droit de parler au nom de tout le monde même si elle est prête, si possible sans préjugés, à considérer tous les avis et perspectives. PI va en outre se donner la peine, dans sa communication, de pratiquer un style politique basé sur le respect, l’attention et la collaboration constructive.
Partie d’un mouvement
PI est une partie d’un large mouvement intégral, une vague philosophico-historique qui représente une nouvelle forme de conscience. PI est son bras ou son aspect politique. L’époque mentale-rationnelle qui s’imposa vers la fin du Moyen-Âge amena la démocratie et avec elle, les partis politiques traditionnels. Le mode de pensée pluraliste-holistique qui s’épanouit dans les années soixante, donna naissance aux mouvements écologistes, pacifistes et tiers-mondistes (68tars, flower-power, les verts). La conscience intégrale a maintenant besoin d’un bras politique intégral.
Le développement de la conscience intégrale est l'oeuvre de nombreux acteurs. Des personnalités telles qu’Einstein, Picasso, Sri Aurobindo, Jean Gebser, Ken Wilber, Susanne Cook-Greuter, Jane Loevinger et Don Beck, pour n’en citer que quelques unes, ont fait office de pionniers. Le mot « intégral » qui signifie plus que „total“ ou „holistique“ (voir les "Fondements de la politique intégrale" chapitres 1 et 2) a probablement été introduit par Gebser vers 1948.
D’autres acteurs tels que clubs, réseaux, associations, forums, instituts, universités diffusent cette nouvelle conscience et continuent à développer cette pensée. Certains centres de formation et leurs enseignants ont également grandement contribué par leur travail au développement de conscience des êtres humains. Tout ceci fait que des citoyens et des citoyennes peuvent et veulent maintenant s’engager de manière intégrale.
L’envie de prendre ses responsabilités
Les personnes sur le chemin de la conscience intégrale ont besoin de moyens sociaux et politiques pour pouvoir construire une société intégrale. Elles adaptent tout d’abord leur style de vie individuel à cette nouvelle conscience puis ressentent qu’elles ont l’envie ou la responsabilité d'élargir leur engagement dans un cadre plus collectif. Les forums intégraux qui se sont créés par exemple en Allemagne et en Suisse permettent d'approfondir le « chemin vers l’intérieur ».
Mais pour le moment, il n’existe aucun instrument politique proposant de nouvelles structures sociales inspirées de la vision intégrale. Nous reconnaissons donc que la mise en pratique de celle-ci concerne l’individu (sa vie privée, sa famille et son travail), puis s’étend aux domaines de l’éducation, la santé, l’habitat, l’urbanisation, les transports, l’économie, les finances, les entreprises, etc. Le développement de ces aspects sociétaux est du ressort de PI.
PI se définit comme l’aspect politique, comme une partie d’un large mouvement intégral. Elle regroupe les personnes qui veulent prendre des responsabilités d’agir de manière intégrale au-delà du cercle familial. Cette action vers l’extérieur stimulera en même temps la maturation intérieure des concernés.
A partir de cette réflexion sur le rôle d’un parti inspiré par une vision intégrale, les membres de Politique Intégrale propose un texte synthétique où sont définis les principes et les orientations qui définissent une politique intégrale
Que signifie une Politique Intégrale ? Politique Intégrale Suisse
Pour une conscience nouvelle et globale du monde. Pour un mode de vie empreint d’empathie. Pour une économie au service de la vie.
Une politique intégrale se fonde sur une vision de l'homme qui prend en compte de manière équivalente toutes les dimensions de l’Etre, physique, émotionnelle, rationnelle et spirituelle.
Une politique intégrale vise le bien-être de l'individu et de tous les êtres humains dans le respect de la biosphère.
Une politique intégrale s'engage en faveur d'un nouvel ordre économique, où la liberté de pensée et d'entreprise s'articule avec la justice sociale et la viabilité écologique.
Une politique intégrale embrasse les orientations politiques de la droite à la gauche pour autant qu’elles se mettent au service de la vie.
Une politique intégrale reconnaît la dimension spirituelle et intuitive comme donnant sens au quotidien de l’être humain.
Une politique intégrale signifie une attitude humaine respectueuse et ouverte, elle recherche des synergies entre les positions politiques contradictoires.
Une politique intégrale soutient un système d’éducation qui cultive les compétences émotionnelles et développe l'expression créative et artistique au même titre que les facultés physiques et intellectuelles.
Politique Intégrale se différencie, entre autres, des positions gauche-droite traditionnelles parce qu’elle ne vise pas à avoir raison en cherchant à imposer une position ou une perspective particulière qui serait seule valable, mais à chercher une vision la plus inclusive possible des choses. Cela exige authenticité et empathie. La question n’est pas: qui a raison? Mais: que devons-nous prendre en considération pour trouver des solutions intégrales, autrement dit qui tiennent compte de tous les aspects des problèmes à résoudre, le plus souvent fort complexes.
Vous êtes à votre place dans l'association Politique Intégrale …
… Si pour vous l'accumulation de biens matériels ne représente pas la chose la plus importante dans la vie.
… Si pour vous les besoins émotionnels et spirituels sont tout aussi importants que les besoins physiques et intellectuels.
… Si pour vous la femme et l’homme, les principes féminin et masculin, sont parfaitement équivalents dans la société.
… Si vous êtes convaincu/e que l'éducation, la disponibilité au changement et l’ouverture de la conscience contribuent à un monde meilleur.
… Si pour vous les vues communes au service de la vie sont au-dessus des opinions politiques divergentes.
…Si pour vous la conscience du lien fondamental entre tout ce qui est constitue une bonne base pour une politique visionnaire, respectueuse et durable.