Lorsqu’une œuvre semble en avance sur son époque, c’est simplement que son époque est en retard sur elle. Jean Cocteau
Chaque billet du Journal Intégral est la pièce d’un puzzle qui dessine, entre intuitions créatrices et réflexions critiques, la vision intégrale d’un homme réunifié dans un Kosmos réenchanté. Les résumés des articles présentés dans cette Table des Matières permettront aux lecteurs de reconstituer ce puzzle en allant se référer à telle ou telle pièce afin de mieux comprendre et intégrer les autres.
1. Demandez le programme !... 2. Une philosophie du Tout. 3. La Petite Princesse. 4. Evolutions. 5. Evolutions (fin). 6. Post-Matérialisme. 7. Penser la nouvelle civilisation.
Table des Matières 2011
8. L’ère des créateurs 9. Développement intégral des hommes et des organisations 10. Une nouvelle culture politique
Un nouveau stade de l’esprit humain
Table des Matières (11) du 19/05/11 au 22/07/11
Dans une conférence de 1932, le poète Roger-Gilbert Lecomte, animateur de la revue Le Grand Jeu écrit : « L'édification d'un nouvel ordre social ou économique ne doit pas faire perdre de vue l'importance de l'édification parallèle d'une nouvelle culture, d'un nouveau stade de l'esprit humain ».
A travers leur quête d’un « nouveau stade de l’esprit humain » fondé sur la synthèse de la raison et de l’intuition, les protagonistes du Grand Jeu annonçaient les mouvements d’avant-gardes du vingtième siècle dont Roger-Gilbert Lecomte avait théorisé le rôle visionnaire : « Au dessus de l'époque même, bien que coexistant avec elle, certains esprits font déjà partie de l'époque suivante, celle qui n'est pas encore mais devient.»
Il existe aujourd’hui un déphasage profond entre les « élites » au pouvoir et les générations montantes inspirées par de nouvelles formes de pensée et de sensibilité qui correspondent à ce nouveau stade de l’esprit humain annoncé dès les années vingt par les poètes du Grand Jeu.
Dans ce billet, nous analysons le processus de "décivilisation" qui touche les sociétés occidentales et annonce - telle une mort initiatique - le passage vers un nouveau stade évolutif. Ce processus de décivilisation est la conséquence d'une démesure qui advient quand le désir humain n'est plus canalisé par une référence éthique ou métaphysique.
Dans nos sociétés de consommation, le désir est déconnecté de toute intention transcendante qui pourrait le transfigurer, comme la pulsion l'est du désir qui fait accéder l’humain à la fonction symbolique.
Un certain nombre d’auteurs ont analysé les liens systémiques entre ces trois régimes de domination que sont l’idéologie néo-libérale sur le plan économique, l’oligarchie sur le plan politique et la perversion sur le plan psychique.
En déniant l’altérité fondatrice au profit d’un fantasme de toute puissance infantile, l’hubris contemporaine pervertit aussi bien l’économie psychique au cœur de la subjectivité que les méditations culturelles et politiques au cœur de l’organisation socio-économique.
En écrivant, début Avril, deux billets intitulés Le Printemps du nouveau Monde, j’anticipais le mouvement des Indignés qui toucha à partir de l’Espagne, de nombreux pays. Ce mouvement s'inspire d’une culture participative propre aux réseaux sociaux dont elle est issue. La « société fluide » de l’information et de l’interconnexion est à l’origine de cette culture participative qui fonde un nouveau lien social à partir de l’intersubjectivité et de l’intelligence collective.
Le mouvement des Indignés refuse le pouvoir abstrait des hiérarchies pyramidales. C'est à « l'intelligence connective » de promouvoir une organisation qui évolue sans cesse pour s'adapter à un contexte en perpétuel transformation. Cette démocratie participative équilibre les nécessaires médiations politiques par l’élaboration collective et créatrice au sein d’un réseau intersubjectif. Paradoxalement, les technologies de l'interconnexion font surgir tout naturellement une relation intersubjective et un ethos communautaire qui furent au cœur des sociétés traditionnelles.
Traduit en dix sept langues, Grâce et courage, sous-titré Spiritualité et guérison dans la vie et la mort de Treya Killam Wilber, est le livre par lequel Ken Wilber s’est fait connaître du grand public américain et une des meilleures introductions à sa pensée. Il y présente ses recherches dans le contexte d’un récit émouvant, celui de l’histoire d’amour vécue avec sa femme Treya, depuis leur rencontre jusqu’à la mort de celle-ci, cinq ans plus tard, des suites d’un cancer du sein qui fut détecté un mois seulement avant leur mariage.
L’auteur définit ainsi son projet : « Entretissées à la narration, se trouvent des explications sur les grandes traditions de sagesse (du christianisme, à l’hindouisme au bouddhisme), sur la nature de la méditation, sur la relation entre psychothérapie et spiritualité, et sur la nature de la santé et de la guérison. En effet, l’objet principal de ce livre est de fournir une introduction accessible à ces questions précisément. »
Dans une excellente recension, La Lettre du Crocodile écrit à propos de Grâce et Courage : « Il n’est pas possible de saisir toutes les dimensions de l’œuvre philosophique immense de Ken Wilber en faisant l’impasse sur ce livre saisissant, sur la manière dont l’un et l’autre, comme individus et comme couple, ont su franchir les frontières pour atteindre les rives de l’esprit infini. »
Dans cet extrait de Grâce et courage, Ken Wilber lit à sa femme Treya, souffrant d’un cancer du sein, l'exercice du Témoin qui peut se révéler très utile pour tous ceux qui, noyés dans le flux dissolvant du quotidien, cherchent à retrouver l'essentiel en répondant à la question : "Qui suis-je ?"
« "Lis-moi l’exercice du Témoin dans No Boudary, s’il te plaît", me demanda Treya sur les coups de 18h. Il s’agissait d’un livre que j’avais écrit plusieurs années auparavant ; l’exercice du Témoin était un condensé de différentes méthodes que les grands mystiques du monde entier ont utilisé pour dépasser le corps et l’esprit et trouver en leur place le Témoin. J’avais adapté cette version-là de Roberto Assagioli, fondateur de la psychosynthèse, mais c’est une technique classique d’auto-investigation : l’investigation promordiale autour de la question : « Qui-suis-je ? » - rendu célèbre, peut-être, par Sri Ramana Maharshi. »
"J’ai un corps, mais je ne suis pas mon corps. Je peux voir et sentir mon corps, et ce qui peut être vu et senti n’est pas Cela-qui-voit. Mon corps peut être fatigué ou excité, malade ou sain, lourd ou léger, anxieux ou bien calme, mais cela n’a rien à voir avec mon être intérieur, avec le Témoin. J’ai un corps, mais je ne suis pas mon corps…. "
Quelques citations de Jean Cocteau, poète visionnaire, et une vidéo sur celui-ci.
L'avenir n'appartient à personne. Il n'y a pas de précurseurs, il n'existe que des retardataires. J.C
Les critiques jugent les œuvres et ne savent pas qu’ils sont jugés par elles. J.C
Sous formes d’aphorismes ou de fragments, ces incitations sont des citations inspirées à l’auteur par l’esprit du temps pour l’inciter, avec ses lecteurs, à la méditation, à la réflexion... et à l’action.
Le visible s’organise autour de l’invisible comme le corps autour du souffle qui l’anime...
Qui parle de supplément d’âme ? Comme si l’âme était un supplément dans le menu de nos vies !... Alors que notre corps est le complément d’objet direct de ce Verbe qui nous fonde et nous constitue.
Deux types d'écrivains. Celui qui cherche à avoir le dernier mot et celui qui participe poétiquement à la vibration première. Le premier est cet homme de lettre qui obtient les prix littéraires. Le second est cet homme de l'être au service de l'Esprit.
A l'Aube des Temps de l'Aube
Quand la Source écoutait la Source
Quand l'Œil regardait l'Œil
Quand la Science Intérieure s'incarnait dans le silence
Quand l'Air était encore habité par la promesse du Souffle
Quand l'Unité donnait son nom à tout, Autre part n'existait pas encore…
Nous avons consacré deux billets à la traduction française du livre de Frank Visser : Ken Wilber, la pensée comme passion, édité en Novembre 2009 par les éditions Almora (ici et là). Dans l’avant-propos écrit pour cet ouvrage, Ken Wilber rend compte de manière vivante, parfois avec humour et poésie, de l’esprit qui guide sa quête et anime son travail.
« Le terme intégral signifie complet, inclusif, n'écartant pas, embrassant. Les approches intégrales dans n'importe quel domaine s'efforcent d'être exactement cela : elles incluent autant de perspectives, de modèles, et de méthodologies que possible dans une vue cohérente du sujet. D'une certaine façon, les approches intégrales sont des "méta-paradigmes" ou des manières de réunir un nombre de paradigmes séparés déjà existants en un réseau d'approches mutuellement enrichissantes..»
De plus en plus de pédagogues sont conscients du fait que le profond malaise de l’institution scolaire n’est qu’un des éléments d’une crise de civilisation qui est cause et conséquence d'un changement de paradigme. Les formes instituées de la pédagogie ne correspondent plus à l’évolution de la société, de la connaissance et des élèves.
C’est pourquoi, prenant acte de l’obsolescence et de la désuétude de cette pédagogie institutionnelle comme des souffrances et du malaise qu’elle génère, un courant instituant invente des formes pédagogiques inspirées par la dynamique d’une régénération culturelle. De même que, pour définir leurs avancées épistémologiques, Gaston Bachelard parlait du « nouvel esprit scientifique » et Gilbert Durand du « nouvel esprit anthropologique», il faudrait parler d’un « nouvel esprit pédagogique » qui irrigue toutes ces initiatives novatrices.
Inspiré de ce nouvel esprit pédagogique, René Barbier pose les prémisses d’une éducation transversale : « L’éducation transversale est une approche de la complexité d’un rapport aux savoirs, aux savoir-faire et aux savoir-être, qui n’excluerait plus les dimensions spirituelles, méditatives de l’être humain, tout en acceptant le regard des disciplines scientifiques comme des réflexions philosophiques et artistiques. »
Parmi les initiatives inspirées par le « Nouvel esprit pédagogique » figurent les activités du Ciret – Centre International de Recherches et Etudes Transdisciplinaires – qui regroupe des chercheurs autour du thème de la transdisciplinarité. Dans un article de la revue du Ciret, Jean Biès esquissait avec culture, sensibilité et profondeur, les bases d’une éducation transdisciplinaire fondée une anthropologie ternaire prenant en compte l’être humain dans sa totalité corps/âme/esprit.
« L'éducation transdisciplinaire est, au sein de l'Ecole et de l'Université, la réhabilitation adaptée d'une anthropologie tripartite, d'une écologie spirituelle, d'une psychologie-psychosophie, d'une métaphysique universelle, et de leurs applications pratiques respectives. L'anthropologie ternaire envisage l'être humain dans sa totalité de "corps" - physique et mental -, d' "âme" et d'"esprit". C'est elle que l'éducation qui nous intéresse reprend à son compte, en ne se contentant pas de réduire l'hypertrophie cérébrale, mais en rendant aux plans corporels, psychique et pneumatique leur dignité perdue. Elle est de nature holistique…
L'éducation transdisciplinaire abat les cloisons entre les frontières du savoir, et, selon l'heureuse formule de Basarab Nicolescu, en pratique la "transgression jubilatoire". Elle tend à l'acquisition d'une transculture rapprochant les domaines littéraires et scientifiques sous l'égide de ces intelligences complètes que furent Pascal, alliant esprits de finesse et de géométrie, Goethe menant de front poèmes et expériences chimiques, ou Bachelard explorant l'imaginaire sans se départir de la rationalité, pour créer le "nouvel esprit scientifique". »
S’interrogeant sur ce que devrait être une éducation correspondant aux mutations du monde moderne, la Commission internationale sur l éducation pour le vingt et unième siècle rattachée à l'UNESCO et présidée par Jacques Delors, a défini les quatre piliers de l’éducation : apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble et apprendre à être.
Dans un article intitulé Vers une éducation transdisciplinaire, Basarab Nicolescu relie ces quatre types d’éducation sous le signe de la transdisciplinarité : « Une éducation viable ne peut être qu'une éducation intégrale de l'homme, selon la formulation si juste du poète René Daumal. Une éducation qui s'adresse à la totalité ouverte de l'être humain et non pas à une seule de ses composantes.
L'éducation actuelle privilégie l'intelligence de l'homme, par rapport à sa sensibilité et à son corps, ce qui a été certainement nécessaire à une époque donnée, pour permettre l'explosion du savoir. Mais cette préférence, si elle continue, va nous entraîner dans la logique folle de l'efficacité pour l'efficacité qui ne peut aboutir qu'à notre autodestruction. »
Le nouvel esprit épistémologique s’émancipe du réductionnisme dominant pour inventer de nouvelles formes de connaissance fondées sur l’intégration entre raison distinctive et intuition sensible. La Pensée Complexe d’Edgar Morin, la Transdisciplinarité de Basarab Nicolescu, la Raison Sensible de Michel Maffesoli, l’Approche transversale de René Barbier ou la Vision intégrale de Ken Wilber sont autant variations inspirées par une épistémologie intégrative qui allie, à partir d’une « raison ouverte », les ressources cognitives de l’implication subjective et celles de l’explication rationnelle.
La Charte de la transdisciplinarité énonce certains des principes animant ce « nouveau stade de l’esprit humain » qui s'exprime et se décline à travers les sphères culturelles, épistémologiques et pédagogiques. Rédigée par Lima de Freitas, Edgar Morin et Basarab Nicolescu, la charte de la transdisciplinarité a été adoptée au Premier Congrès Mondial de la Transdisciplinarité au Portugal, du 2 au 6 novembre 1994.
Article 1 : Toute tentative de réduire l'être humain à une définition et de le dissoudre dans des structures formelles, quelles qu'elles soient, est incompatible avec la vision transdisciplinaire.
Article 2 : La reconnaissance de l'existence de différents niveaux de réalité, régis par des logiques différentes, est inhérente à l'attitude transdisciplinaire. Toute tentative de réduire la réalité à un seul niveau régi par une seule logique ne se situe pas dans le champ de la transdisciplinarité.
Article 2 : La reconnaissance de l'existence de différents niveaux de réalité, régis par des logiques différentes, est inhérente à l'attitude transdisciplinaire. Toute tentative de réduire la réalité à un seul niveau régi par une seule logique ne se situe pas dans le champ de la transdisciplinarité.