vendredi 27 juin 2014

Intuition et Complexité


Le problème n'est plus d'être à droite ou à gauche, le problème est d'être en avant, c'est-à-dire engagé dans la percée inouïe du nouveau paradigme. Marc Halévy 


Dans notre avant-dernier billet, nous présentions les travaux passionnants de Marc Halévy - à la fois physicien de la complexité et philosophe de la spiritualité - qui annonce une véritable « révolution noétique » née du « passage de la sociosphère à la noosphère sur les passerelles de l'évolutionnisme et de la complexité » Au cœur de cette révolution noétique, la notion de complexité est à prendre ici dans son étymologie « cum-plectere » qui signifie « ce qui est tissé ensemble » dans un entrelacement (plexus). 

Le nouveau paradigme de la complexité voit effectivement l'univers comme un tissu de processus et d’interrelations assorties de propriétés émergentes qui se manifestent à travers des formes évolutives de plus en plus intégrées. Ce paradigme est holiste : il inspire une pensée qui ne fonctionne plus seulement en termes d’analyse réductionniste et de séparation abstraite mais en termes de relations dynamiques et d’ensembles intégrés. Cette irréductibilité du Réel nécessite un nouveau mode de connaissance qui intègre et dépasse la pensée symbolique des traditions liée au cerveau droit et la pensée analytique de la modernité liée au cerveau gauche. 

Parce que cette dernière convient mal à une complexité nécessitant des méthodologies holistiques et analogiques, l’intuition fait son grand retour dans l’épistémologie après en avoir été chassée par le rationalisme abstrait comme « irrationnelle ». Le recours à l’intuition est une condition fondamentale pour l’émergence d’une pensée « transrationnelle » seule à même de rendre compte des processus dynamiques qui sont au cœur de la complexité. 

Pour mieux saisir les enjeux fondamentaux du nouveau paradigme, nous proposons ci-dessous un texte de Marc Halévy intitulé Histoires de la complexité où l’auteur propose de manière synthétique une histoire de la complexité à la fois dans la nature humaine et dans la nature physique. Nous proposerons ensuite un court extrait d’un texte passionnant intitulé Implications philosophiques et spirituelles des sciences de la complexité où Marc Halévy évoque le rôle fondamental de l’intuition dans ce nouveau paradigme. 

Histoires de la Complexité. Marc Halévy

L'émergence du concept de Complexité et des sciences du Complexe est probablement le fait le plus essentiel au cœur de la grande mutation que nous vivons aujourd'hui. Elle a deux histoires … 

Histoire de la complexité dans la Culture humaine

L'homme a probablement toujours ressenti le monde qui l'entoure comme un problème difficile, incompréhensible, imprévisible. Dangers et menaces. Opportunités et chances. Survivre. Et pour survivre, se représenter le monde alentour et inventer les moyens d'en maîtriser, autant que faire se peut, les impacts favorables ou défavorables sur l'humaine condition. Maîtriser la complexité du monde a toujours été un souci humain essentiel. Souci de survie d'abord, souci de bonne vie ensuite. Souci moteur décliné en trois vagues successives. 

La première vague, la plus ancienne, affronte la complexité par les trois M de Mystère, Magie, Mythologie. Cette première vague sera dominante jusqu'au XVème siècle. Elle est alors remplacée par la seconde vague, celle des trois R de Religions, Rationalisme, Réductionnisme. Cette deuxième vague meurt sous nos yeux contemporains. Une troisième vague est en train de monter pour porter la culture humaine sur les trois S de Spiritualité, Systémique, Synergie


Cette troisième phase de la Connaissance intègre et dépasse les deux précédentes : celle des rites, symboles et visions du cerveau droit, celle des modèles, concepts et analyses du cerveau gauche. La complexité a enfin émergé comme fait reconnu, après avoir été respectivement exorcisée, puis niée. L'exorcisme magique rassure parfois, mais ne résout rien. Le simplisme rationaliste résout parfois, mais ignore presque tout et, surtout, l'essentiel. La porte s'entrouvre, aujourd'hui, sur un champ (chant) nouveau qui appelle de nouveaux outils, de nouvelles méthodes, de nouveaux concepts afin d'assumer pleinement cette complexité réelle et native du monde dont l'homme sait, à présent, qu'il fait totalement partie intégrante. 

L'homme fut d'abord victime-parasite du monde. Il fut ensuite spectateur-prédateur du monde. Il devient acteur-créateur dans le monde. L'heure est à l'aveu définitif : la complexité du Réel n'est réductible ni aux mythes et rites trop naïfs de la Magie blanche ou noire, ni aux schèmes et concepts trop pauvres de la Raison raisonnante. La complexité du Réel est irréductible. Et cette irréductibilité même fonde un nouveau départ, une nouvelle approche, un nouveau niveau de Connaissance : un saut de Connaissance

Histoire de la complexité dans la Nature physique

L'histoire de la Nature n'est que l'histoire de la complexification, de la montée en complexité. Cette histoire passe toujours par les mêmes étapes. A un niveau de complexité donné, les entités qui le peuplent, se rencontrent au gré de leur quête d'individuation et d'intégration. Des complémentarités et des antagonismes apparaissent. Des interactions se développent. Elles deviennent parfois récurrentes et stables sous forme d'interrelations. Ces interrelations se combinent en architectures plus ou moins durables qui intègrent, en un sur-système de niveau supérieur, les entités initiales. Ces sur-systèmes, parce qu'ils s'organisent à partir d'interrelations nouvelles, font émerger des propriétés radicalement nouvelles qui leur permettent d'inventer de nouveaux modes d'interactions. Et ainsi de suite, ad libitum … 

De la bouillie énergétique initiale, du magma lumineux, incandescent et vibrionnant originel, naissent des figures d'interférence et de résonance dont certaines configurations sont miraculeusement stables : les premiers grains de matières sont nés et avec eux cette propriété émergente qu'est la masse qui permet à ces granules d'interagir gravitationnellement entre elles. Le processus cosmique peut se mettre en marche et inventer le monde comme un peintre invente sa toile. 


Les granules massiques se combinent et donnent des structures plus ou moins stables que le scientisme appellera "particules élémentaires" (électrons, protons, neutrons et tous les autres) alors qu'elles ne sont ni particulaires, ni élémentaires. Avec ces "particules" émergent de nouvelles propriétés (la charge électrique et la "charge" nucléaire) et de nouveaux modes d'interaction (les forces électromagnétiques et nucléaires fortes et faibles). 

Au gré de leurs rencontres, ces "particules" s'agglomèrent en architectures de plus en plus complexes : noyaux, atomes et molécules. Avec les molécules émergent les propriétés chimiques et leurs nouveaux modes d'interaction électrostatiques ou covalentes. La Matière est née

Ces atomes et molécules, à leur tour, s'associent de diverses manières. Dans les fluides, elles s'accrochent les unes aux autres par des forces de viscosité : nuages, huile, rivière, lave, … Dans les solides, elles développent de somptueux édifices cristallins selon des maillages fort divers. Mais, à ce niveau, un nouveau type d'organisation, improbable mais miraculeusement riche, va émerger : la cellule vivante capable d'auto-reproduction et d'association symbiotique. 

La Vie est née

A partir de cette miraculeuse cellule, toute l'arborescence des organismes vivants va pouvoir se déployer avec ses trois branches faîtières : les arbres, les insectes et les vertébrés. Et tous ces organismes, pour survivre au mieux, inventeront de nouveaux modes d'interactions entre eux : sélection naturelle, symbiose, commensalité, mutuellisme, coopération, bref tous les mécanismes de l'écologie terrestre. Le Vivant est né

Certaines des espèces vivantes vont aller plus loin et inventer des architectures sociales qui vont fédérer les individus afin d'optimiser leur survie collective. Forêts. Fourmilières, termitières, ruches. Meutes, clans, tribus, royaumes, états. Pour l'homme, cela se passa il y a 6.000 ans. La Société est née. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Parmi les sociétés humaines émerge déjà une nouvelle étape de la complexification cosmique : l'étape noétique (du grec "noos" : esprit, intelligence), c'est-à-dire l'émergence de systèmes immatériels, vastes architectures d'informations et de connaissances, d'inventions et de mémoires


Nous vivons cette émergence aujourd'hui … celle de la naissance des espaces culturels souchés sur l'espace naturel, celle des champs immatériels souchés sur le champ matériel, celle des architectures cognitives souchées sur l'architecture sociale. Et de ces sur-systèmes cognitifs et créatifs, émergent déjà des propriétés nouvelles et des modes d'interactions nouveaux, insoupçonnés parce qu'insoupçonnables il y a seulement quelques décennies … 

Impact du saut de complexité contemporain

Nous vivons donc, aujourd'hui, l'émergence d'un nouvel échelon sur l'échelle de la complexité. Un échelon supérieur, plus complexe encore que tous ceux qui l'ont précédé dans la longue histoire du cosmos en perpétuelle complexification : celui prédit par Teilhard de Chardin sous le nom de noosphère vient se superposer aux lithosphère, biosphère et sociosphère antérieures. Mais en même temps, nous vivons l'émergence d'un nouveau paradigme, radicalement autre : celui de la Complexité elle-même au-delà de la Magie et de la Raison. La concomitance de ces deux ruptures n'est probablement pas fortuite. 

Ce saut, cette émergence neuve, cette révolution paradigmatique rendent singulièrement dérisoires et provinciales les chamailleries politiciennes de la "sociosphère" : le problème n'est plus d'être à droite ou à gauche, le problème est d'être en avant, c'est-à-dire engagé dans la percée inouïe du nouveau paradigme et des nouveaux univers immatériels de la connaissance et de l'imaginaire. L'homme, en tant qu'homme, devient singulièrement périphérique et futile : il n'est plus que vecteur de Pensée. Révolution néo-copernicienne : l'homme n'est plus le centre du monde ! 

Comme la Vie avait infiniment dépassé la Matière, comme la Société a infiniment dépassé les Individus, la Noosphère dépassera infiniment la Sociosphère dont elle se nourrit (comme les atomes se nourrissent de particules, les molécules d'atomes, les cellules de molécules, les organismes de cellules, etc …). Le problème n'est plus le "comment vivre ensemble ?" (pure intendance sans intérêt), mais bien "comment servir l'émergence des nouveaux mo(n)des de la Pensée ?" 

L’intuitivité 

Dans un texte intitulé Implications philosophiques et spirituelles des sciences de la complexité, Marc Lévy évoque le rôle fondamental de l’intuition dans l’émergence du paradigme de la complexité : "La raison raisonnante est un outil fabuleux, mais elle a une faiblesse intrinsèque : elle est analytique et convient donc mal à l'approche des processus complexes qui requièrent des méthodologies holistiques, téléologiques et analogiques. Le grand Henri Poincaré, peu suspect d'irrationalité, disait déjà : " C'est avec la logique que nous prouvons et avec l'intuition que nous trouvons." 

L'intuitivité, au côté de la rationalité, entre à présent par la grande porte dans l'épistémologie scientifique. Mais que sait-on, au juste, sur cette intuition ? L'intuitivité est la capacité à développer et à exploiter valablement son intuition, ses intuitions. Les phénomènes d'intuition se redécouvrent peu à peu. La tyrannie rationaliste et scientiste avait interdit jusqu'au mot. Le tabou se lève, à présent. Il y a des gens intuitifs qui perçoivent la réalité par d'autres canaux que leur cinq sens classiques, des gens qui ont développé un sixième sens, voire un septième ou un huitième ou plus.


Sixième sens, intuition féminine : être en prise directe avec la réalité, la sentir, la ressentir... Non plus raisonner, mais résonner. Être en phase avec le réel. Le ressentir. Vibrer avec lui. Point n'est besoin d'hurler au mysticisme. Nous avons tous connu des intuitions flagrantes. Nous avons tous expérimenté cette mystérieuse coïncidence mentale au moins une fois. Ressentir une présence. Avoir une prémonition. Pressentir un imprévu. etc ... Ressentir une antipathie ou une sympathie au premier regard avec un inconnu, première impression qui est souvent la bonne, dit-on (ce que nous confirmons). On ne sait pas pourquoi, ni comment, mais on sait. 

Depuis que le tabou a commencé à se lever, l'intuition est étudiée non plus comme un phénomène de foire, mais comme une réelle faculté humaine, objectivable et expérimentable. Nous n'en sommes qu'aux balbutiements, mais la récolte promet d'être fructueuse. Une chose, déjà, est claire : l'intuitivité, comme la créativité et la visualité (capacité à visualiser anticipativement les détails d'une action ou d'un événement ou d'un processus), se cultive, se muscle, s'exerce. 

Le "Transrationnel"

On naît tous un peu intuitif, mais seuls ceux qui travaillent leur intuition peuvent réellement prétendre en tirer quelque chose de valable. Ressentir les signaux faibles du milieu ambiant et développer une hypersensibilité en élargissant notre niveau de conscience, est une chose, tout à fait sérieuse et probable. Deviner le prochain numéro lors du tirage du loto en est une autre, tout à fait crétine et imbécile, totalement étrangère aux concepts d'intuitivité et d'intuition. Il suffit de se laisser surfer sur la toile pour voir combien le mot et le concept "intuition" attire les charlatans et les gogos. Il faut, dès lors, être prudent et bien comprendre que l'intuition n'est ni divination, ni mancie, ni magie. Il s'agit de pallier les carences de la raison mais pas de sombrer dans l'irrationnel. Peut-être faudrait-il parler de "transrationnel" ou de "méta-rationnel". 

Les mots-clés en matière d'intuitivité sont "signaux faibles", "hypersensibilité" et "niveau de conscience". Les millénaires techniques de méditation extrême-orientale nous éclairent en ce sens. L'entrée en résonance profonde avec le monde environnant est une réalité psychique largement démontrée et mesurée à partir d'électroencéphalogrammes de moines tibétains, par exemple, qui parviennent, volontairement et consciemment, à contrôler leurs ondes alpha et, ainsi, à atteindre des niveaux de conscience parfois vécus sous l'effet de drogues psychédéliques. 

Nos sens "normaux" ne sont sensibles qu'à des signaux grossiers, volumineux, physico-chimiques ; mais notre environnement émet quantités d'autres signaux, plus subtils, plus faibles, plus ténus mais au moins aussi "parlant" à qui sait les entendre. Ces signaux énergétiques faibles peuvent être captés et interprétés au moyen d'une petite antenne spéciale : l'intuitivité. Mais il faut, pour cela, que cette petite antenne soit convenablement activée : c'est l'hypersensibilité. Une fois capté, le signal faible doit encore être interprété dans une conscience élargie susceptible de le recevoir et de le com-prendre (de le prendre avec soi)."

Ressources

Noétique. Expertise et prospective dans le monde réel. Le Blog de Marc Halévy

Histoires de la Complexité. Marc Halévy

Implications philosophiques et spirituelles des sciences de la complexité. Marc Halévy 

Voir notre sélection de textes dans le blog de Marc Halévy au paragraphe Ressources de notre avant-dernier billet : Une Révolution Noétique

Dans Le Journal Intégral : Experts et Visionnaires (2) Intégrer la complexité 

Quatre billets d’une sérié intitulée La Voie de l’Intuition : La Voie de l’Intuition (1), La Métanoïa (2), La Voix de l’évolution (3), Raison et Intuition (4).

Quatre billets d'une série intitulée Les Trois Yeux de la Connaissance : Les Trois Yeux de la Connaissance (1) Une écologie de l'Esprit (2) La Confusion Pré/Trans (3)

mardi 17 juin 2014

Si tu rencontres Rimbaud, tue-le !


Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes. Arthur Rimbaud


Tuer le Bouddha

Une des plus étranges injonctions du bouddhisme zen est : « Si tu rencontres le Bouddha, tue le ! ». Pourquoi donc cette exhortation des héritiers d’une sagesse millénaire à tuer le Bouddha, son fondateur ? Les freudiens y verraient l’expression orientale de cette scène primitive qu’est le meurtre du père. Une fois de plus, leur réduction de la métaphysique à la psychologie, de la psychologie à l’inconscient et de l’inconscient à la mémoire phylogénétique d’une scène primitive, les conduiraient à une impasse. 

Une formulation plus explicite de cette maxime nous permet de mieux en saisir la signification : « Si tu rencontres le Bouddha vivant, alors tue le, car le Bouddha ne se trouve qu’à l’intérieur de toi-même ». Pour le bouddhisme zen comme pour toute forme authentique de spiritualité, l’expérience intérieure est centrale. "Tuer le Bouddha" c’est traverser le monde abstrait des représentations, croyances et préjugés pour se ressourcer à la perception de l’instant présent. 

Quand elle ne procède pas, comme l'icône, d'une intention épiphanique, la représentation du sacré est le plus souvent une profanation qui nous éloigne du foyer intense et lumineux de l’expérience intérieure. "Tuer le Bouddha" c’est se libérer de la lettre mortifère pour retrouver le jaillissement créateur de l’esprit. C’est découvrir la puissance créatrice de la présence d’esprit en déconstruisant la représentation qui l’occultait. C’est reconnaître que la séparation est une illusion en reconnectant la conscience à sa nature véritable qui n’est pas mentale mais non-duelle.

Je est un Autre

Aujourd’hui dans la France contemporaine, ce n’est pas Bouddha qu’il faut tuer mais Arthur Rimbaud dont la culture officielle a fait un éveillé moderne. Car si on vénère Rimbaud le Voyant, figure embaumée dans les cimetières nécrophiles de la scolarité, c’est pour mieux ignorer tous ceux qui vivent aujourd’hui de leur vision comme la lumière vit de sa flamme. 

L’inspiration crée d’abord des marginaux car c’est dans les marges qu’une civilisation inqualifiable doit être corrigée. Ces marginaux centraux montrent la voix qui résonne en écho sur le fil du temps.

" Arthur Rimbaud jaillit en 1871 d'un monde à l'agonie qui ignore son agonie et se mystifie, car il s'obstine à parer son crépuscule des teintes de l'aube de l'âge d'or. Le progrès matériel déjà agit comme brouillard et comme auxiliaire du monstrueux bélier qui va, quarante ans plus tard, entreprendre la destruction des tours orgueilleuses de la civilisation d'occident.  " René Char

Si on se prosterne autant devant le tombeau de Rimbaud, c’est pour mieux tuer en soi l’Irréductible dont le fantôme hante ceux qui en sont réduits à n’être qu’eux-mêmes. Vite une statue afin de mieux faire taire une voix aussi salutaire !... C’est ce que pensent secrètement ceux qui honorent l’insurrection des consciences pour mieux l’étouffer. 

« Je est un Autre » disait-il. « Cet Autre c’est nous-même » lui répondent-il en s’appropriant le mystère pour mieux conjurer l’ennui d’une vie disqualifiée. Ils ne peuvent supporter le rire éclatant du Poète qui fait apparaître leur vie de cadavre et de caveau pour ce qu’elle est : l’errance hallucinée d’une conscience, abstraite du jeu créateur de l’esprit. Derrière leur autonomie illusoire : le fantasme d’une toute puissance infantile.

La Poésie n’est affaire ni de chaisières culturelles, ni de fonctionnaires déguisés en universitaires, ni de commerçants travestis en éditeurs. C’est l’affaire d’une rencontre fondamentale entre un homme et son âme. Une manière vivante et vécue de participer à l’expérience spirituelle qui fonde toute vérité humaine. Une façon de ne se référer à rien d’autre qu’à l’intuition profonde liant organiquement l’être humain à son milieu d’évolution, ce milieu à tout l’univers et l’univers visible à l’Unité indivisible qui le fonde.

Un conformisme abject

Si tu rencontres Rimbaud, tue-le !... C’est le cri sans frontière de tous ceux qui, engagés dans la voix de leur vérité intime, ne peuvent supporter cette forme de servitude volontaire qui consiste à se plier devant l’illusion.

Tue-le car ils en ont fait l’idole d’une transgression aussi conformiste que confortable, le symbole de la subversion subventionné, une figure académique de la marginalité. Et ce, alors même que la révolte existentielle du poète s’érigeait contre ceux-là mêmes qui aujourd’hui le sanctifient : les gens de pouvoir, les installés, les positivistes, les assis, les médiocres, les endormis, les établis… tous ceux qui sont plus à l’écoute de leurs ambitions et de leurs intérêts que des Voix et des Visions intérieures susceptibles de les transcender. 

Effrayés par tout rayonnement spirituel, ces vampires sucent le sens des créateurs en réduisant leur puissance visionnaire et subversive à un conformisme abject. Une conspiration des asphyxiés contre toute forme de souffle créateur.

Ils donnent envie de vomir pour régurgiter le poison qui leur sert de bonne conscience. Mais ce monde manque de foie. Il ne saurait produire les torrents de bile nécessaires pour noyer cette engeance de mort-vivants qui ont condamné la postérité du poète à n’être plus que l’ombre du chant solaire qui l’inspirait. 

Antonin Artaud
Le rôle des professeurs n'a-t'il pas été de tout temps d'étouffer sous le poids de leur abstraction le cri vital et organique des prophètes ? N'est-ce pas Antonin Artaud ? : "Toutes nos idées sur la vie sont à reprendre à une époque où plus rien n'adhère à la vie. Et cette pénible scission est cause que les choses se vengent, et la poésie qui n'est plus en nous et que nous ne parvenons plus à retrouver dans les choses ressort, tout à coup, par le mauvais côté des choses; et jamais on aura vu tant de crimes dont la bizarrerie gratuite ne s'explique que par notre impuissance à posséder la vie."

Cette impuissance à posséder la vie noie toutes traces de transcendance sous les eaux glacées du calcul égoïste. N'est-ce pas Jacques Ellul ? : « Si le christianisme est admis et honoré dans le monde, c’est qu’il n’est plus le christianisme. » Ils ont tué le Christ une seconde fois sous le poids d’une institution au service du pouvoir et d’un dogme au service de l’institution. Comme le Christ chassait les marchands du temple, le Poète chasse les idoles pour révérer les icônes. Les idoles enferment l’infini de l’esprit dans la prison des formes alors que l’icône épiphanise la forme pour dévoiler la force spirituelle où elle s’origine.

Devenir Voyant


Si tu rencontres Rimbaud, tue-le !... Le Voyant est devenu l’image publicitaire d’une condition inhumaine et brûler cette image, c’est rendre sa liberté posthume à une puissance visionnaire qui ne peut se vendre ni s’acheter. C'est suivre de manière radicale la fameuse injonction des Surréalistes : " Vous qui ne voyez pas, pensez à ceux qui voient ".

Si tu rencontres Rimbaud, tue-le !... Et fuis loin de tous ceux qui trahissent la vie de l’esprit pour la lettre morte alors même que la Poésie doit incarner, au cœur de nos existences, l'intense mémoire de notre immensité. En cheminant sur les voies aventureuses de l’inouï et celles, inventives, de l’inédit, l’intuition guide cette vie intégrale que le poète incarne dans un souffle inspiré. Si tu as l’occasion de croiser un de ces visionnaires, évite donc de le tuer. Suis-le discrètement, à distance, sans l’importuner avec des questions inutiles. Son pas sera ta réponse.

Comment le reconnaître ? Par sa mauvaise réputation. Comme le dit Gide : " Dans un monde où chacun triche, c'est l'homme vrai qui fait figure de charlatan". Et René Char d'enfoncer le clou : "Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience." Les asphyxiés confondent les charlatans dans lesquels ils reconnaissent leur propre vice et les enchanteurs qui suivent les chemins inexplorés de l’évidence, là où se rassemblent ceux qui ressemblent à l’élan infini qui les anime. Dans le monde inversé où nous vivons, celui qui gagne perd l'essentiel alors que celui qui perd gagne : exerçant sa force à résister, il transforme son intention créatrice en intensité existentielle.

Être voyant c’est regarder le monde avec les yeux de l’innocence et de l’insolence qui sont ceux de l’esprit créateur. Parce qu’il participe à la dynamique créatrice de la vie-esprit, le créateur subvertit les conformismes pour inventer de nouvelles formes à travers laquelle se reconnait la conscience collective en évolution.

" Les fous, les marginaux, les rebelles, les anticonformistes, les dissidents... Tous ceux qui voient les choses différemment, qui ne respectent pas les règles. Vous pouvez les admirer ou les désapprouver, les glorifier ou les dénigrer. Mais vous ne pouvez pas les ignorer. Car ils changent les choses. Ils inventent, ils imaginent, ils explorent. Ils créent, ils inspirent. Ils font avancer l'humanité. Là où certains ne voit que folie, nous voyons du génie. Car seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu'ils peuvent changer le monde y parviennent." Jack Kerouak. Sur la route


vendredi 6 juin 2014

Une Révolution Noétique


L'homme n'est plus le centre du monde : il est désormais au service de son évolution. Marc Halévy 


Dans le billet précédent nous évoquions les dernières élections européennes comme un signe des temps qui exprime une mutation de l’esprit européen. Si ces élections ont mis à jour un conflit entre ethnocentrisme identitaire et libéralisme technocratique, elles ont aussi permis de comprendre que ce conflit apparent recouvrait en fait une profonde solidarité systémique entre ces deux discours : la position ethnocentrique apparaît comme le retour du refoulé identitaire propre à un libéralisme technocratique totalement abstrait et désincarné. 

On ne peut se libérer du champ idéologique dominant borné par ces deux polarités, abstraite et tribale, qu’à travers un saut de complexité permettant une synthèse supérieure de ces deux pôles. Ce paradigme émergent était au cœur de la première European Integral Conférence qui vient de se tenir en Mai à Budapest. Hors de la sphère intégrale, d’autres penseurs observent l’émergence de ce nouveau paradigme à partir de leur propre perspective. C’est le cas, par exemple, de Marc Halévy, homme de synthèse au parcours original, à la fois physicien de la complexité et philosophe de la spiritualité, qui évoque quant à lui une véritable révolution noétique :

« L'homme n'est plus le centre du monde : il est désormais au service de son évolution. La révolution noétique signe la fin de la vision "moderne" et anthropocentrique du monde et impose un changement radical de regard où l'esprit, l'intelligence et la connaissance prennent le pas sur l'économique et le politique... Le problème n'est plus d'être à gauche ou à droite, le problème est d'être en avant, c'est à dire engagé dans la percée inouïe du nouveau paradigme. » 

Cosa mentale 

Confessons-le !... Il peut être réjouissant d’assister au spectacle des commentateurs médiatiques qui interprètent les résultats des dernières élections européennes à partir d’un modèle totalement dépassé. Comme si, au temps des Lumières, des aristocrates cherchaient à interpréter les mouvements populaires à partir de leur « vision du monde » traditionnelle sans se rendre compte que l’esprit du temps était en train de changer et que ces mouvements exprimaient ce changement. 

Il faut développer une pensée congruente avec l’esprit du temps pour décrypter la marche du monde et le sens des évènements. A force de scruter à la loupe les résultats électoraux, à force de les analyser à partir d’une grille d’interprétation réductrice - économique et politique - on perd la bonne distance, celle d’une vision à la fois globale et historique, seule à même de déterminer la dynamique profonde du changement socio-culturel qui se traduit aussi dans le domaine politique. Bien documentée par la théorie intégrale, la dynamique de l’évolution culturelle permet de mieux comprendre cette mutation des mentalités.

Comme l’explique Michel Maffesoli, sociologue inspiré de la post-modernité : « À l’encontre d’un lieu commun hérité du XIXe siècle faisant de l’infrastructure économique le fondement de toutes choses, il est de plus en plus évident que c’est l’immatériel qui conditionne le lien social. Et donc permet sa survie ou son déclin. N’est-ce point ainsi que l’on peut comprendre la remarque de Milan Kundera : « Il en est des amours comme des empires ; que cesse l’idée sur laquelle ils reposent et ils s’effondrent avec elle »? 

Mais il est des moments où cette «idée» perd sa force et sa vigueur spécifiques. Des sociologues, tel P. Sorokin, ont ainsi parlé de « saturation». Par usure, par fatigue, par lassitude aussi, l’idée ne peut plus exercer sa fonction agrégative. Tel un aimant ayant perdu sa faculté d’attraction, il ne lui reste plus, dès lors, qu’une rémanence de peu d’importance qui, avant que naisse un autre champ magnétique, perdure tant bien que mal ; plutôt mal que bien. 

Il s’agit là de l’indubitable symptôme de toutes les périodes de décadence. Voilà ce qu’est la crise : un moment où n’ayant plus conscience de ce que l’on est, on n’a plus confiance en ce que l’on est. La crise étant un jugement («crisis») porté par ce qui naît sur ce qui est en train de disparaître. La crise est dans nos têtes ! Pour paraphraser Léonard de Vinci, c’est une « cosa mentale », une chose travaillant l’esprit collectif. » (Les nouveaux bien pensants) 

Comprendre le devenir

Marc Halévy

Pour appréhender cette "cosa mentale" mieux vaut sortir du marigot conformiste des médias - agents intéressés des positions dominantes - pour aller à la rencontre de penseurs intempestifs et visionnaires, seuls à même de proposer une interprétation à la fois profonde, cohérente et inspirée des mutations actuelles. Physicien de la complexité et philosophe de la spiritualité, Marc Halévy est de ceux-là. 

Enracinée dans la physique des systèmes et des processus complexes, sa réflexion transcende et complète celle-ci par une métaphysique moniste et holiste pour aboutir à une passionnante pensée du devenir, dans la lignée philosophique de Spinoza, Nietzsche, Bergson ou Teilhard de Chardin. Depuis trente-cinq ans, Marc Halévy élabore des théories, modèles et méthodes pour les processus complexes et les applique aux systèmes socioéconomiques humains, notamment dans le cadre de ses activités de prospective. En publiant une quarantaine de livres et des centaines d'articles, il mène simultanément ses trois activités de chercheur, de philosophe et de prospectiviste avec pour fil rouge : la compréhension du Devenir.

Inspiré notamment par la lecture d’un Nietzsche qui, bien loin de son image caricaturale et stéréotypée, apparaît à la fois spiritualiste, moniste et évolutionnaire (le surhomme), Marc Halévy pratique une philosophie au marteau qui déconstruit les idoles idéalistes de la tradition comme celles, matérialistes, de la modernité pour mieux explorer les voies novatrices d'une révolution noétique. Remettant en question avec vigueur des évidences qui ne sont que le produit d'une idéologie dominante et dépassée, une telle déconstruction déstabilise : elle pousse à s’interroger sur ses propres convictions pour juger si celles-ci ne sont pas tout simplement des conformismes de pensée dont il faut se libérer pour participer de manière créative au paradigme émergent. Qu'on soit en accord ou en désaccord avec lui, le rôle d'un penseur authentique est aussi de nous aider à penser contre nous-même pour évoluer. Le Manifeste pour l'ère nouvelle ci-dessous donnera une idée de la méthode et du style à la fois jubilatoire et décoiffant de Marc Halévy.

Manifeste pour l’ère nouvelle. Marc Halévy 

« L'idée de Progrès est un échec. Un pari perdu. Cette idée fut au centre de l'ère moderne comme celle de Salut fut le cœur de l'ère médiévale. Pendant un demi millénaire, elle fut déclinée successivement en humanisme, rationalisme, libéralisme, égalitarisme, scientisme, socialisme, démocratisme, droit-de-l'hommisme, humanitarisme : toujours le même rêve. Toujours la même impasse. Moins de misère n'implique pas plus de bonheur : la réplétion matérielle a induit une effroyable déréliction spirituelle. "L'homme ne vit pas que de pain." Ni de jeux. L'homme, aujourd'hui, ne vit plus, il ne fait que survivre ou paraître. 

Au cœur de l'idée de Progrès, il y a une erreur absolue : celle de croire que l'évolution de la Vie est un processus collectif et logique alors qu'elle est toujours marginale et erratique, sélective et imprévisible. Par l'idée de Progrès, l'homme a cru se rendre maître de la Nature et de sa nature : il n'a fait que les saccager, que les appauvrir, que les laminer

Le Salut médiéval était une fuite vers le haut. Le Progrès moderniste est une fuite vers l'avant. L'heure est venue de ne plus fuir et de vivre la vie dans le réel de chaque ici-et-maintenant, sans plus de rêves infantiles pompeusement appelés "idéaux". Le bonheur de chaque homme n'est qu'en lui et nulle part ailleurs. Il n'y a pas d'ailleurs

Une subversion et une conversion

Edgar Morin et Marc Halévy

L'ère qui s'ouvre sera une ère adulte : celle de l'Intériorité. Celle de l'accomplissement de soi, à l'intérieur de soi, seul avec soi, par et pour l'accomplissement de la Vie et de l'Esprit en soi. Il n'y a ni Salut ultérieur, ni Progrès extérieur. La Vie se vit de l'intérieur. La révolution noétique instaure le paradigme de l'Intériorité par la spiritualité, la connaissance et l'immatériel. Elle advient malgré les institutions traditionalistes et modernistes toutes nourries d'extériorité et d'idéalisme respectivement religieux (le vieux paradigme du Salut) et idéologiques (le moderne paradigme du Progrès). 

Elle superpose aux hiérarchies sociétales (académiques, économiques et politiques), devenues obsolètes et marginales, un vaste et dense tissu de réseaux protéiformes où s'accomplira la "vraie vie". Le monde noétique ne s'établit pas "contre" le monde moderne mais au-delà de lui : il ne s'agit pas de renverser ses structures de pouvoir, mais de les dépasser en les vidant de toute substance et de tout crédit. 

La révolution noétique appelle à la fois une subversion et une conversion : subversion de la modernité et conversion à l'intériorité. Subversion de la modernité en hâtant sa déliquescence par le refus de la consommation et du spectacle, par la désobéissance civile pacifique, par la sape de toutes ses croyances. Conversion à l'intériorité en pratiquant obstinément l'eudémonisme intime, le détachement de toute extériorité (religieuse, politique, sociale) et l'accomplissement de soi ». 

L’Age de la Connaissance 

Si la démarche synthétique de Marc Halévy est enracinée dans les sciences de la complexité, la philosophie intégrale a pour origine l'étude des traditions contemplatives et des modèles développementaux aussi bien dans les domaines psychiques et spirituels que cognitifs et culturels. La science de la matière d'un côté et la connaissance de l'esprit de l'autre sont donc les sources respectives de ces approches globales qui - à partir de leur méthodologie spécifique - aboutissent toutes les deux à une perspective évolutionnaire, une pensée holiste et une spiritualité panenthéiste (non-duelle). Si une étude comparative reste à faire entre ces perspectives noétiques et intégrales pour dresser le bilan de leurs similitudes et de leurs contradictions, leur convergence doit être explorée et approfondie pour enrichir et préciser les contours du paradigme émergent.

Marc Halévy propose une vision approfondie de cette révolution noétique dans un ouvrage intitulé : L'Age de la Connaissance. Principe et Réflexions sur la révolution noétique au 21ème siècle : « Le XXème siècle marque la fin d'un cycle, celui de la "modernité" qu'avait accouché, non sans douleurs, le Moyen-Âge finissant. La pensée classique qui avait culminé dans le scientisme et le rationalisme du XIXème siècle, reposait sur une vision du monde cartésienne : tout ce qui est et vit, au-delà des apparences chaotiques et compliquées, peut toujours se ramener à des interactions entre briques simples et immuables, selon des lois universelles et immuables

Les sciences – et les pratiques politiques, sociales et managériales - du XXème siècle ont largement démontré qu'il n'y a rien d'immuable parce que tout évolue, qu'il n'y a rien de simple parce que tout est complexe (c'est-à-dire, précisément, non réductible à des "simples") et qu'il n'y a rien d'universel parce que tout est unique. Cette découverte récente de l'évolutionnisme généralisé (dont la théorie du big-bang) et de la complexité généralisée (dont la mécanique quantique et les sciences de la vie) a bouleversé tous les référentiels. 

La Noosphère 

De plus, le développement rapide des technologies de l'information et des télécommunications (TIC) a permis à la pensée et aux idées de se libérer des contraintes matérielles lourdes d'antan et, ce faisant, a suscité l'émergence de ce qu'après Pierre Teilhard de Chardin on peut appeler la noosphère : ce monde des idées autonomes qui, tel un arbre, s'enracine dans la sociosphère humaine, commence à s'épanouir pour remettre le monde en marche et bâtir une humanité surpassée.

La noosphère, à l'instar de la biosphère qui la porte, est un vaste organisme vivant qui se construit et évolue, qui connaît des règles de sélection et des modes d'association. Ceux-ci restent encore largement à explorer … Les idées germent, se propagent et prolifèrent, s'associent, se combattent et s'amalgament tout comme les organismes vivants. Elles diffèrent d'eux en ceci : elles sont immatérielles. 


Ce passage de la sociosphère à la noosphère sur les passerelles de l'évolutionnisme et de la complexité, c'est précisément la Révolution Noétique. Elle inaugure l'âge noétique qui devient sous nos yeux, notamment avec les créatifs culturels, la référence de base du monde de demain. Elle induit cette "société de la connaissance et de l'information" dont on parle de plus en plus dans les médias comme dans le traité européen de Lisbonne. 

La révolution noétique et l'émergence de la noosphère fournissent une vocation nouvelle, un sens nouveau, un projet colossal à notre humanité aujourd'hui encore repliée sur elle-même, aujourd'hui encore prisonnière de son hédonisme matérialiste, stérile et saccageur de vie. Cette révolution noétique impacte toutes les dimensions de la vie et de la culture humaines. 

De nouvelles pistes

La sociosphère était centrée sur le débat entre politique et économique. Ce débat est dépassé : l'économique et le politique deviennent singulièrement périphériques et se cantonnent à devenir l'intendance de l'humanité créatrice de sens. La carte d'identité, symbole de l'appartenance forcée à l'Etat-nation, devient une simple carte de crédit ou de membre d'un service d'un club public local. Le travail, naguère devoir moral ou civique, ou mal nécessaire du gagne-pain, devient processus d'accomplissement personnel. 

Les vraies appartenances, les vraies activités sont ailleurs. Les valeurs masculines et viriles d'hier, celle du héros triomphant, du guerrier combattant, du compétiteur courant contre la montre pour des chimères, s'effondrent. Les valeurs féminines émergent : coopération et convergence, durée et durabilité, amour et respect, gratuité et générosité, inclusion et spiritualité. 

La pensée noétique se propose de dépasser la pensée cartésienne classique, de réhabiliter les autres voies de connaissance que la seule raison raisonnante. Loin de tous les absolus et de tous les idéaux au sens platoniciens, elle expérimente d'autres pistes au mieux-vivre en meilleure harmonie avec le monde, la nature et les autres. D'autres langages émergent peu à peu - et bien d'autres restent à inventer … - pour soutenir cette pensée large, globale, englobante et holistique : les langages symboliques et métaphoriques forgent déjà d'autres méthodologies de recherche et de création

Une métaphysique du devenir 


La pensée complexe dépasse tous les bastions de la pensée réductionniste et simpliste. Mais que l'on ne se leurre pas : la révolution noétique, le passage de la sociosphère à la noosphère, le passage de la société industrielle capitaliste à la société de la connaissance et de l'information, ne se feront pas sans douleurs, sans résistances, sans obstacles. Des chantiers énormes doivent être ouverts d'urgence : recherche, éducation, santé, politique, économie, éthique, écologie, consommation, infrastructures. La sociosphère humaine si fermée, si prédatrice doit d'urgence s'ouvrir "en grand" : vers la biosphère qui la nourrit et qu'elle épuise, vers la noosphère qui la justifie et qu'elle néglige. 

La révolution noétique est donc à la fois une révolution naturaliste et écologique et une révolution cognitive et créatrice. En arrière-plan de la révolution noétique, se placent deux racines qui la nourrissent. La première est scientifique : c'est le domaine de la systémique qui étudie la complexité sous tous ses aspects et où l'on retrouve des noms comme Prigogine, Sheldrake, Laszlo, Capra, Bohm, Thom, Mandelbrot, Trinh Xuan Thuan, etc … 

La seconde est métaphysique : c'est le domaine du monisme holistique qui pense l'unité foncière de ce qui existe au sein d'une métaphysique du Devenir contre les classiques métaphysiques de l'Être, et où brillent les nom d'Héraclite d'Ephèse, de Maître Eckart, de Pascal, de Nietzsche, de Bergson, de Teilhard de Chardin, ainsi que les spiritualités taoïstes, hindouiste, kabbalistique, soufie et zen. 

La révolution noétique est en marche. Il ne reste que le choix entre la subir ou la promouvoir … ! » 

Ressources

Noétique. Expertise et prospective dans le monde réel. Dans ce site-source qui peut alimenter la réflexion et l’action, Marc Halévy propose une somme rare et qualitative d’informations, de réflexions et de synthèse concernant la Noétique, les Sciences de la complexité, la Philosophie, la Spiritualité, la Prospective ou l’Anthropologie. A lire  avec appétit et sans modération.

Chaque mois, Marc Halévy propose la lecture de son Journal philosophique et spirituel intitulé De l'Etre au Devenir. Pour partager un chemin d'idées, de réflexions, de pensées, les dix tomes du journal de Marc Halévy – De l’Etre au Devenir – peuvent être téléchargés gratuitement ici

Parmi les très nombreux articles disponibles sur le site de Marc Halévy, nous avons lu et apprécié plus particulièrement : Manifeste pour l’ère nouvelle. Les mutants noétiques. L'après-modernité. Manifeste pour une grande mutation mondiale. L'idéologie marchande. Urgence mondiale: la fin d'un monde est imminente ! Pour une humanité adulte. Quatre vertus vers la simplicité. Histoire de Complexité. Nietzsche : l'homme, l'œuvre et les idées. Une histoire de la philosophie.

Livres de Marc Halévy

L'Age de la connaissance. Principes et réflexions sur la révolution noétique au 21 ème siècle.

Prospective 2015/2025 : l'après-modernité.      Simplicité et Minimalisme.

Ni hasard, ni nécessité. Physique et métaphysique de l'intention. Préface d'Edgar Morin

Le Principe Frugalité. Une autre croissance pour vivre autrement.

Le Journal Intégral. Dans Les Trois Yeux de la Connaissance (2) Une écologie de l’Esprit, nous proposions une réflexion sur la noodiversité qui est à la noosphère ce que la biodiversité est à la biosphère.