Auteurs de l’ouvrage Le monde change... et vous ? Clés et enjeux du développement relationnel dont nous avons parlé ici et là, Jacques Ferber et Véronique Guérin ont écrit un article intitulé Passer de l’opposition à l’apposition ou comment intégrer ce qui semble contradictoire où ils analysent le changement épistémologique qui est au cœur de la culture intégrale.
Après avoir posé les bases épistémologiques d’une culture intégrale fondée sur la primauté de la relation, les auteurs étudient comment dépasser les oppositions corps/esprit, objectivité/subjectivité, individu/groupe pour retrouver la relation de complémentarité entre ces polarités perçues comme contradictoires par la pensée analytique moderne. C’est en reliant ce que notre esprit analytique avait séparé que nous nous sentons participer à une totalité organique inscrite elle-même dans ce grand processus de développement que constitue la vie. Dans notre dernier billet, nous avons proposé le début de cet article dont voici, ci-joint, la fin.
Passer de l’opposition à l’apposition ou comment intégrer ce qui semble contradictoire. (Suite) Jacques Ferber. Véronique Guérin.
Dépasser la dualité subjectif-objectif
Le deuxième axe tourne autour de l’opposition entre les approches subjective et objective, entre l’expérience intérieure, et l’expérimentation observable, caractéristique de la démarche scientifique. Ces deux visions ont du mal à s’accorder et se rejettent souvent mutuellement.
Les sciences tentent de réduire l’intériorité à une pure matérialité où le sujet n’est qu’un cerveau dont on observe la structure et le fonctionnement, et d’une manière plus générale, l’approche rationnelle cherche à distinguer le vrai du faux et à appréhender le fonctionnement du monde en s’en extrayant le plus possible et, dans ce cadre, la subjectivité est perçue comme un obstacle.
A l’inverse, une conception purement subjective, basée sur l’expérience et le ressenti, tend à placer sur un même plan toutes les interprétations du monde (« je ressens ceci, tu ressens cela, à chacun sa vérité ») au risque d’aller vers un pluralisme relativiste dans lequel plus rien de « solide » n’existe, où l’on rejette toute vérité globale en refusant de confronter l’adéquation de ses croyances avec un raisonnement ou des faits.
Le dépassement de cette dualité entre subjectivité et objectivité passe, d’après nous, par l’intégration de deux processus : d’une part, la mise à l’épreuve de nos idées et modèles du monde par l’expérimentation pratique, d’autre part, l’interaction avec autrui, productrice d’un espace intersubjectif, permettant à la fois de construire et de stabiliser nos représentations sur le monde et sur les autres.
Naturellement nous nous vivons comme entourés d’objets et de situations dont la nature paraît aller de soi, alors qu’elle résulte généralement d’un construit, d’une interaction entre un vécu intérieur et quelque chose qui se trouve extérieur à nous.
Cette intersubjectivité prend en compte le fait que nous nous pensions comme faisant partie d’un monde constitué d’objets, mais également que nous vivions cela depuis notre propre point de vue et que nous créons collectivement ces points de vues. Par exemple, un morceau de musique peut être analysé objectivement par sa structure vibratoire. On peut aussi décrire les activations neuronales qui s’effectuent lors de son écoute. Dans les deux cas, il s’agit d’un point de vue objectif : sur la chose d’abord (la musique) et sur l’individu ensuite (la structure neuronale). Mais cette analyse ne permet pas de décrire et donc de transmettre l’expérience intérieure et le plaisir que l’on peut avoir à écouter un tel morceau.
Maintenant supposons que l’on veuille communiquer cette expérience d’écoute de la musique à quelqu’un de sourd. Si l’on utilise le langage habituel des musiciens ou des mélomanes, on ne pourra pas se faire comprendre d’un sourd de naissance, c’est-à-dire de quelqu’un qui n’a pas vécu ce type d’expérience. Il va falloir essayer d’utiliser un langage approchant, un langage que les sourds pourront comprendre même s’il ne correspond pas directement à l’expérience qu’un bien-entendant peut avoir à l’écoute d’une musique. On parlera alors en termes analogiques, en utilisant des métaphores et des images comme celles qui portent sur la lumière et la couleur.
On utilise la même démarche analogique, lorsqu’un vocabulaire est trop pauvre dans un domaine. L’œnologue, par exemple, lorsqu’il utilise le terme de ‘robe’, de ‘cuisse’, de ‘rondeur’, de ‘vigueur’ d’un vin et autres termes merveilleux essaye de communiquer ce qu’il ressent. Si l’on n’a jamais bu de vin, ces termes paraîtrons pour le moins abscons, et on se dira, mais de quoi parlent ils ? Mais si l’on est œnologue soi-même, le discours d’un autre œnologue est très parlant. Il y a alors création d’un espace intersubjectif, un espace qui n’est pas celui de l’objectivité, mais celui de la mise en commun de ressentis véhiculés par le langage ou d’autres formes de communication.
Rien ne dit que les expériences personnelles que nous faisons, vous et moi, sont les mêmes, que le parfum du vin, le goût de l’orange, l’écoute d’une musique produisent des ressentis semblables. Mais ils sont suffisamment proches pour que nous puissions partager des représentations, des idées, des ressentis, c’est-à-dire pour que nous puissions communiquer, nous mettre d’accord, pour que nous puissions disposer d’un « nous ». Et cet espace intersubjectif, bien que non strictement objectif – on ne parle pas ici de la structure chimique du vin – est suffisamment rigoureux pour que l’on puisse l’enseigner, le développer, et montrer des différences d’expertises dans ce domaine. Il n’est pas simplement le lieu de « croyances », mais le résultat de cette double interaction avec le monde d’une part (il y a bien du vin) et avec les autres d’autre part.
Intégrer individuel et collectif
Ce troisième axe aborde les interactions entre la dimension individuelle et collective. On oppose souvent ces deux perspectives alors qu’elles s’influencent mutuellement via deux processus : l’immergence et l’émergence.
L’immergence est l’imprégnation qu’une culture ou qu’une société exerce sur un individu, le fait qu’une personne s’approprie des représentations et attitudes du groupe auquel elle appartient. Cette immergence devient, lorsque ces représentations et attitudes sont incorporées dans chacun, ce que Bourdieu appelle l’habitus.
L’émergence est le processus inverse par lequel une « forme collective » est produite par l’interaction entre ses membres. Par exemple, la formation d’une file de fourmis transportant de la nourriture : chaque fourmi se contente de déposer des phéromones lorsqu’elle rapporte de la nourriture et les autres fourmis s’empressent de suivre ce chemin d’odeurs pour remonter jusqu’à la source de la nourriture. Sans coordination globale, la file émerge simplement des interactions entre fourmis qui renforcent la présence de ce « chemin d’odeurs » tant qu’il y a de la nourriture à rapporter au nid.
Dans les sociétés humaines, l’émergence s’exprime par l’apparition de nouvelles technologies qui induisent de nouveaux usages et favorisent la construction de nouvelles structures sociales, conduisant en retour à de nouveaux besoins technologiques, dans des boucles sans fin. Par exemple, l’apparition d’Internet à la fin des années quatre-vingt dix, avec le courrier électronique et les pages web interconnectées, a permis dans un premier temps à des personnes de communiquer facilement de petits textes, de se transmettre des documents électroniques et d’avoir accès à des informations. Mais ce développement a pris une telle ampleur, que ceux qui n’avaient accès à Internet ont été rejetés de tout un ensemble de réseaux sociaux.
De ce fait, la plupart des occidentaux se sont équipés, ce qui a permis, en retour, un développement de masse de sites de discussions (forums), d’univers virtuels (Second Life, World of Warcraft), de lieux de rencontres et de socialisation (Facebook, Meetic, MySpace), et de places d’échange et de vente d’objets (Ebay). Tout cela a fait émerger, surtout chez les jeunes, de nouvelles pratiques, de nouveaux habitus… lesquels engendrent de nouveaux besoins : il faut pouvoir être connectés 24h sur 24 et une panne d’Internet est vécue aujourd’hui comme une panne d’électricité dans les années soixante-dix. De ce fait les équipements permettant d’être connectés en permanence (Wifi, téléphonie 3G) se sont développés entraînant l’apparition de nouveaux terminaux intégrant téléphonie et web, comme le très branché iPhone d’Apple, qui, à leur tour, ouvrent la porte à de nouveaux usages et de nouveaux besoins.
Ces processus d’émergence ont toujours existé, mais du fait de l’accroissement du développement technologique, ils sont plus visibles. De ce fait, les sociétés évoluent aussi bien de façon structurelle que culturelle ce qui ensuite, par immergence, transforme les mentalités et donc chacun d’entre nous. Ainsi, le développement du téléphone mobile permet de s’organiser au dernier moment : de ce fait, on tend à ne plus anticiper les problèmes et tout un ensemble de pratiques de coordination fondées sur la planification et la promesse (« je serais demain à midi à tel endroit ») tendent à disparaître au profit d’usages fondés sur la réactivité immédiate (« on s’appelle demain matin pour confirmer»), ce qui conduit à faire évoluer notre vision du monde (passage d’une vision du monde orientée sur la planification à une vision orientée sur la réaction immédiate aux événements).
S’intégrer dans le processus de développement de la Vie
Lorsqu’on travaille à transformer les oppositions en complémentarités qui s’articulent et se nourrissent mutuellement, la dynamique entre corps et esprit, subjectif et objectif ou encore individuel et collectif devient plus fluide. En portant son attention sur les relations plus que sur les entités, on est plus sensible à leur état et, en conséquence, on détecte mieux les tensions et les conflits qui révèlent une problématique et invitent au changement.
Dans ce cadre, de nouvelles formes d’enseignement transdisciplinaire, éveillant le sens de la complexité du réel, pourraient aider à développer la compréhension, le dépassement et l’intégration de ces oppositions.
D’autre part, pour mieux comprendre ces interactions, des outils conceptuels existent sous la forme, par exemple, d’environnements de simulation. On les retrouve tout particulièrement dans les simulateurs informatiques, et notamment les « serious games », ces programmes informatiques professionnels qui utilisent les techniques du jeu vidéo afin d’apprendre à agir dans une situation complexe.
D’autre part, les techniques de mise en situation, et tout particulièrement celles issues du théâtre-forum, permettent d’appréhender concrètement les tensions et conflits issus des différences de représentations individuelles et collectives et de passer de l’opposition à l’intégration des contraires. Par exemple, des conflits qui opposent les enseignants et les parents sont joués mettent en scène des personnages qui pensent différemment l’éducation. Leurs représentations du monde semblent s’opposer dans un dialogue de sourds, voire un duel violent et sans issue. En invitant les spectateurs à remplacer les personnages pour explorer différentes manières d’exprimer leur point de vue et d’écouter celui des autres, les positions se décrispent. Les oppositions se fluidifient, facilitant l’émergence de solutions enrichies de la diversité des regards de chacun.
Il s’agit ainsi de passer de la pensée à la conscience : prendre conscience de ce qui relie notre corps et notre esprit, dépasser, tout en l’intégrant, le monde objectif de la science et le monde symbolique et subjectif de la psychologie des profondeurs, percevoir ce qui fait notre singularité mais également en quoi nous sommes reliés les uns aux autres, et en quoi le sens que nous donnons aux choses et aux événements résulte nécessairement d’une intersubjectivité.
Nous naissons, vivons et mourrons, et ce que nous faisons dans notre vie terrestre est à la fois essentiel – car sans l’être et l’action de chacun, l’humanité n’existerait pas – et en même temps un peu dérisoire, car le monde se porte très bien sans chacun de nous en particulier. En d’autres termes, en regardant avec clarté ce que nous savons de la vie, nous pouvons, à notre mesure, prendre nos responsabilités vis à vis du monde et de l’humanité, tout en sachant que nous ne sommes qu’un petit élément dans la dynamique de l’univers.
A ce moment nous pouvons nous ouvrir à l’ineffable et contempler globalement ce que notre esprit analytique a du mal à appréhender, afin de nous fondre, tout en étant acteur, dans ce grand processus de développement que constitue la Vie.
Après avoir posé les bases épistémologiques d’une culture intégrale fondée sur la primauté de la relation, les auteurs étudient comment dépasser les oppositions corps/esprit, objectivité/subjectivité, individu/groupe pour retrouver la relation de complémentarité entre ces polarités perçues comme contradictoires par la pensée analytique moderne. C’est en reliant ce que notre esprit analytique avait séparé que nous nous sentons participer à une totalité organique inscrite elle-même dans ce grand processus de développement que constitue la vie. Dans notre dernier billet, nous avons proposé le début de cet article dont voici, ci-joint, la fin.
Passer de l’opposition à l’apposition ou comment intégrer ce qui semble contradictoire. (Suite) Jacques Ferber. Véronique Guérin.
Dépasser la dualité subjectif-objectif
Le deuxième axe tourne autour de l’opposition entre les approches subjective et objective, entre l’expérience intérieure, et l’expérimentation observable, caractéristique de la démarche scientifique. Ces deux visions ont du mal à s’accorder et se rejettent souvent mutuellement.
Les sciences tentent de réduire l’intériorité à une pure matérialité où le sujet n’est qu’un cerveau dont on observe la structure et le fonctionnement, et d’une manière plus générale, l’approche rationnelle cherche à distinguer le vrai du faux et à appréhender le fonctionnement du monde en s’en extrayant le plus possible et, dans ce cadre, la subjectivité est perçue comme un obstacle.
A l’inverse, une conception purement subjective, basée sur l’expérience et le ressenti, tend à placer sur un même plan toutes les interprétations du monde (« je ressens ceci, tu ressens cela, à chacun sa vérité ») au risque d’aller vers un pluralisme relativiste dans lequel plus rien de « solide » n’existe, où l’on rejette toute vérité globale en refusant de confronter l’adéquation de ses croyances avec un raisonnement ou des faits.
Le dépassement de cette dualité entre subjectivité et objectivité passe, d’après nous, par l’intégration de deux processus : d’une part, la mise à l’épreuve de nos idées et modèles du monde par l’expérimentation pratique, d’autre part, l’interaction avec autrui, productrice d’un espace intersubjectif, permettant à la fois de construire et de stabiliser nos représentations sur le monde et sur les autres.
Naturellement nous nous vivons comme entourés d’objets et de situations dont la nature paraît aller de soi, alors qu’elle résulte généralement d’un construit, d’une interaction entre un vécu intérieur et quelque chose qui se trouve extérieur à nous.
Cette intersubjectivité prend en compte le fait que nous nous pensions comme faisant partie d’un monde constitué d’objets, mais également que nous vivions cela depuis notre propre point de vue et que nous créons collectivement ces points de vues. Par exemple, un morceau de musique peut être analysé objectivement par sa structure vibratoire. On peut aussi décrire les activations neuronales qui s’effectuent lors de son écoute. Dans les deux cas, il s’agit d’un point de vue objectif : sur la chose d’abord (la musique) et sur l’individu ensuite (la structure neuronale). Mais cette analyse ne permet pas de décrire et donc de transmettre l’expérience intérieure et le plaisir que l’on peut avoir à écouter un tel morceau.
Maintenant supposons que l’on veuille communiquer cette expérience d’écoute de la musique à quelqu’un de sourd. Si l’on utilise le langage habituel des musiciens ou des mélomanes, on ne pourra pas se faire comprendre d’un sourd de naissance, c’est-à-dire de quelqu’un qui n’a pas vécu ce type d’expérience. Il va falloir essayer d’utiliser un langage approchant, un langage que les sourds pourront comprendre même s’il ne correspond pas directement à l’expérience qu’un bien-entendant peut avoir à l’écoute d’une musique. On parlera alors en termes analogiques, en utilisant des métaphores et des images comme celles qui portent sur la lumière et la couleur.
On utilise la même démarche analogique, lorsqu’un vocabulaire est trop pauvre dans un domaine. L’œnologue, par exemple, lorsqu’il utilise le terme de ‘robe’, de ‘cuisse’, de ‘rondeur’, de ‘vigueur’ d’un vin et autres termes merveilleux essaye de communiquer ce qu’il ressent. Si l’on n’a jamais bu de vin, ces termes paraîtrons pour le moins abscons, et on se dira, mais de quoi parlent ils ? Mais si l’on est œnologue soi-même, le discours d’un autre œnologue est très parlant. Il y a alors création d’un espace intersubjectif, un espace qui n’est pas celui de l’objectivité, mais celui de la mise en commun de ressentis véhiculés par le langage ou d’autres formes de communication.
Rien ne dit que les expériences personnelles que nous faisons, vous et moi, sont les mêmes, que le parfum du vin, le goût de l’orange, l’écoute d’une musique produisent des ressentis semblables. Mais ils sont suffisamment proches pour que nous puissions partager des représentations, des idées, des ressentis, c’est-à-dire pour que nous puissions communiquer, nous mettre d’accord, pour que nous puissions disposer d’un « nous ». Et cet espace intersubjectif, bien que non strictement objectif – on ne parle pas ici de la structure chimique du vin – est suffisamment rigoureux pour que l’on puisse l’enseigner, le développer, et montrer des différences d’expertises dans ce domaine. Il n’est pas simplement le lieu de « croyances », mais le résultat de cette double interaction avec le monde d’une part (il y a bien du vin) et avec les autres d’autre part.
Intégrer individuel et collectif
Ce troisième axe aborde les interactions entre la dimension individuelle et collective. On oppose souvent ces deux perspectives alors qu’elles s’influencent mutuellement via deux processus : l’immergence et l’émergence.
L’immergence est l’imprégnation qu’une culture ou qu’une société exerce sur un individu, le fait qu’une personne s’approprie des représentations et attitudes du groupe auquel elle appartient. Cette immergence devient, lorsque ces représentations et attitudes sont incorporées dans chacun, ce que Bourdieu appelle l’habitus.
L’émergence est le processus inverse par lequel une « forme collective » est produite par l’interaction entre ses membres. Par exemple, la formation d’une file de fourmis transportant de la nourriture : chaque fourmi se contente de déposer des phéromones lorsqu’elle rapporte de la nourriture et les autres fourmis s’empressent de suivre ce chemin d’odeurs pour remonter jusqu’à la source de la nourriture. Sans coordination globale, la file émerge simplement des interactions entre fourmis qui renforcent la présence de ce « chemin d’odeurs » tant qu’il y a de la nourriture à rapporter au nid.
Dans les sociétés humaines, l’émergence s’exprime par l’apparition de nouvelles technologies qui induisent de nouveaux usages et favorisent la construction de nouvelles structures sociales, conduisant en retour à de nouveaux besoins technologiques, dans des boucles sans fin. Par exemple, l’apparition d’Internet à la fin des années quatre-vingt dix, avec le courrier électronique et les pages web interconnectées, a permis dans un premier temps à des personnes de communiquer facilement de petits textes, de se transmettre des documents électroniques et d’avoir accès à des informations. Mais ce développement a pris une telle ampleur, que ceux qui n’avaient accès à Internet ont été rejetés de tout un ensemble de réseaux sociaux.
De ce fait, la plupart des occidentaux se sont équipés, ce qui a permis, en retour, un développement de masse de sites de discussions (forums), d’univers virtuels (Second Life, World of Warcraft), de lieux de rencontres et de socialisation (Facebook, Meetic, MySpace), et de places d’échange et de vente d’objets (Ebay). Tout cela a fait émerger, surtout chez les jeunes, de nouvelles pratiques, de nouveaux habitus… lesquels engendrent de nouveaux besoins : il faut pouvoir être connectés 24h sur 24 et une panne d’Internet est vécue aujourd’hui comme une panne d’électricité dans les années soixante-dix. De ce fait les équipements permettant d’être connectés en permanence (Wifi, téléphonie 3G) se sont développés entraînant l’apparition de nouveaux terminaux intégrant téléphonie et web, comme le très branché iPhone d’Apple, qui, à leur tour, ouvrent la porte à de nouveaux usages et de nouveaux besoins.
Ces processus d’émergence ont toujours existé, mais du fait de l’accroissement du développement technologique, ils sont plus visibles. De ce fait, les sociétés évoluent aussi bien de façon structurelle que culturelle ce qui ensuite, par immergence, transforme les mentalités et donc chacun d’entre nous. Ainsi, le développement du téléphone mobile permet de s’organiser au dernier moment : de ce fait, on tend à ne plus anticiper les problèmes et tout un ensemble de pratiques de coordination fondées sur la planification et la promesse (« je serais demain à midi à tel endroit ») tendent à disparaître au profit d’usages fondés sur la réactivité immédiate (« on s’appelle demain matin pour confirmer»), ce qui conduit à faire évoluer notre vision du monde (passage d’une vision du monde orientée sur la planification à une vision orientée sur la réaction immédiate aux événements).
S’intégrer dans le processus de développement de la Vie
Lorsqu’on travaille à transformer les oppositions en complémentarités qui s’articulent et se nourrissent mutuellement, la dynamique entre corps et esprit, subjectif et objectif ou encore individuel et collectif devient plus fluide. En portant son attention sur les relations plus que sur les entités, on est plus sensible à leur état et, en conséquence, on détecte mieux les tensions et les conflits qui révèlent une problématique et invitent au changement.
Dans ce cadre, de nouvelles formes d’enseignement transdisciplinaire, éveillant le sens de la complexité du réel, pourraient aider à développer la compréhension, le dépassement et l’intégration de ces oppositions.
D’autre part, pour mieux comprendre ces interactions, des outils conceptuels existent sous la forme, par exemple, d’environnements de simulation. On les retrouve tout particulièrement dans les simulateurs informatiques, et notamment les « serious games », ces programmes informatiques professionnels qui utilisent les techniques du jeu vidéo afin d’apprendre à agir dans une situation complexe.
D’autre part, les techniques de mise en situation, et tout particulièrement celles issues du théâtre-forum, permettent d’appréhender concrètement les tensions et conflits issus des différences de représentations individuelles et collectives et de passer de l’opposition à l’intégration des contraires. Par exemple, des conflits qui opposent les enseignants et les parents sont joués mettent en scène des personnages qui pensent différemment l’éducation. Leurs représentations du monde semblent s’opposer dans un dialogue de sourds, voire un duel violent et sans issue. En invitant les spectateurs à remplacer les personnages pour explorer différentes manières d’exprimer leur point de vue et d’écouter celui des autres, les positions se décrispent. Les oppositions se fluidifient, facilitant l’émergence de solutions enrichies de la diversité des regards de chacun.
Il s’agit ainsi de passer de la pensée à la conscience : prendre conscience de ce qui relie notre corps et notre esprit, dépasser, tout en l’intégrant, le monde objectif de la science et le monde symbolique et subjectif de la psychologie des profondeurs, percevoir ce qui fait notre singularité mais également en quoi nous sommes reliés les uns aux autres, et en quoi le sens que nous donnons aux choses et aux événements résulte nécessairement d’une intersubjectivité.
Nous naissons, vivons et mourrons, et ce que nous faisons dans notre vie terrestre est à la fois essentiel – car sans l’être et l’action de chacun, l’humanité n’existerait pas – et en même temps un peu dérisoire, car le monde se porte très bien sans chacun de nous en particulier. En d’autres termes, en regardant avec clarté ce que nous savons de la vie, nous pouvons, à notre mesure, prendre nos responsabilités vis à vis du monde et de l’humanité, tout en sachant que nous ne sommes qu’un petit élément dans la dynamique de l’univers.
A ce moment nous pouvons nous ouvrir à l’ineffable et contempler globalement ce que notre esprit analytique a du mal à appréhender, afin de nous fondre, tout en étant acteur, dans ce grand processus de développement que constitue la Vie.