lundi 17 décembre 2012

Printemps de l'Education


L'élève n'est pas un vase qu'on remplit mais un feu qu'on allume. Montaigne


Cet hiver en France, dans le domaine de l’éducation, la mise en scène d’une énième réforme institutionnelle - rebaptisée « refondation » -  reprend, tout en les dépoussiérant un peu, les anciens décors et les acteurs fatigués, les schémas dépassés et les recettes surannées qui, tous, font preuve chaque jour de leur inefficacité parce qu’ils ne sont plus adaptés à l’évolution des mentalités, des sensibilités et des comportements.

Le roi est nu mais la pièce tragi-comique continue devant des spectateurs distraits, souvent démotivés et parfois désespérés, incapables qu'ils sont de s’identifier au spectacle donné par une institution sclérosée qui n’a plus l'idéal et la  force de se réinventer. Mais, qu’on se le dise : l’Hiver annonce toujours le Printemps. Ce printemps de l’éducation est celui des graines de changement qui, mues par la dynamique de l’évolution culturelle, sont  à l’origine d’un foisonnement d’initiatives novatrices.

Printemps de l’éducation est un collectif qui regroupe tous ceux qui, devant la faillite de l’institution, s’impliquent dans un vaste mouvement visant au renouveau de l’éducation. Un renouveau fondé sur des approches éducatives globales et transdisciplinaires qui mettent au cœur de leur démarche l’enfant en tant qu'Etre à part entière. Un renouveau éducatif qui est une étape indispensable à l’émergence d’une autre société, plus humaine, plus solidaire et plus soucieuse du développement global des individus comme de leur milieu de vie.  

La troisième rupture anthropologique

Dans les précédents billets, nous nous sommes fait l’écho des  réflexions et des analyses menées par des penseurs inspirés qui font tous, de manière consensuelle, le constat d’une mutation fondamentale vécue depuis plusieurs décennies par les jeunes générations.  Une mutation si profonde que certains, comme le philosophe Michel Serres, n’hésite pas à la qualifier d’anthropologique. Selon lui : «  La mutation en cours n'est pas tout à fait comparable à celle qui nous a fait passer à la station debout. Reste que, après l'invention de l'écriture et celle de l'imprimerie, il s'agit de la troisième rupture anthropologique de l'histoire de la personne humaine ». (Le Point)

Ces ruptures anthropologiques correspondent chaque fois à une transformation couplée de la transmission d’une part et de la technologie de l’autre : « L'évolution historique du couple support-message est une bonne variable de la fonction d'enseignement. Du coup, la pédagogie changea au moins trois fois : avec l'écriture, les Grecs inventèrent la Paideia ; à la suite de l'imprimerie, les traités de pédagogie pullulèrent. Aujourd'hui ? » (Petite Poucette).

Aujourd’hui ? Tout est à refaire et à repenser : tel est le défi immense et motivant auquel nous devons faire face. La prise de conscience d’un phénomène d’une telle profondeur historique, anthropologique et culturelle rend risible ou tragique - selon les tempéraments - toutes les réformes cosmétiques qui visent à faire du nouveau avec de l’ancien.

Une intelligence inventive


La refondation de l’éducation est un élément essentiel d’une vision globale qui doit inspirer un projet de civilisation portée par cette nouvelle humanité qu’incarne la figure de la “Petite Poucette" crée par Michel Serre. Cet enfant d’Internet au pouce agile a, grâce à son ordinateur, "une mémoire plus puissante que la nôtre, une imagination garnie d'icônes par millions, une raison aussi, puisqu'autant de logiciels peuvent résoudre cent problèmes que n'eussions pas résolus seuls". Cette évolution technologique aboutit à une révolution à la fois cognitive et épistémologique : « Aujourd'hui, on n'a pas le cerveau vide, on a le cerveau libre. Nous pouvons nous concentrer sur l'intelligence inventive. »

Cette intelligence inventive est une « intelligence connective », à la fois sensible, intuitive et collective. Intelligence sensible qui grâce à une diversité cognitive, se nourrit de la participation intime de la subjectivité à son milieu de vie. Intelligence intuitive qui perçoit de manière intégrale c'est-à-dire globale, systémique et dynamique, ce que la raison analytique perçoit de manière segmentée, disciplinaire et statique. Intelligence collective, enfin, qui sait utiliser la synergie des consciences pour faire émerger des solutions et des visions qui dépasse la somme des individus en présence.

On ne peut donc plus éduquer « Petite Poucette » comme on éduqua ses parents. C’est bien ce qu’ont compris, face aux dénis et aux échecs dramatiques de l’institution, tous ceux qui résistent au formatage d’une éducation utilitariste, destinée à fournir les  producteurs et les consommateurs indispensables au développement du Marché.

Dans son ouvrage Ces écoles qui rendent les enfants heureux : expériences et méthodes pour éduquer à la Joie, Antonella Verdiani décrit de nombreuses initiatives qui visent à développer cette intelligence inventive évoquée par Michel Serres. Docteur en science de l’éducation, et  auteur du blog Eduquer à la joie, Antoniella Verdiani a travaillé durant plus de dix huit ans à l'UNESCO, où elle était responsable des questions d'éducation.

Actuellement consultante et formatrice, elle est la fondatrice du collectif Printemps de l'éducation, constitué de représentants de la société civile en France et à l'étranger et qui a pour objectif l'organisation de rencontres entre les acteurs du changement en matière d'éducation. Nous proposons ci-dessous une présentation de cette association comme expression emblématique des réflexions et des pratiques novatrices dans le domaine de l’éducation.

Printemps de l’éducation


L'alliance PRINTEMPS DE L'ÉDUCATION est née de rencontres entre enseignants, éducateurs, parents, grands-parents, mais aussi enfants, ainsi que représentants d'associations, d'organisations, d'entreprises, de collectivités partageant un même constat, une même envie et une même vision.

Il s'agit d'une nouvelle association d'intérêt général, indépendante, à but non lucratif, non politique, non confessionnelle, créée en mai 2012. Son conseil d’administration et son équipe sont composées de personnalités liées au changement de l'éducation.

Le constat

Des problèmes de plus en plus préoccupants s'accumulent (échec scolaire, difficulté d'insertion dans la vie professionnelle, perte de sens, sentiment croissant d'impuissance des enseignants et des éducateurs au sens le plus large, violence à l'école, etc.) sans qu'aucune réforme ambitieuse et innovante ne soit vraiment à la hauteur des enjeux. Repenser, réinventer l'éducation sont donc pour nous des priorités absolues.

L'envie

Nous souhaitons construire une nouvelle société plus humaniste, plus coopérative, plus solidaire, véritablement orientée vers le vivre mieux tout en renforçant l'intérêt général, la démocratie, la multiplicité des savoirs et de l'information, l'égalité des chances et la diversité culturelle.

Or, pour nous, le renouveau de la société passe nécessairement par un renouveau de l'éducation. Mais pas n'importe quelle éducation !

Notre vision de l'éducation est que c'est l'enfant en tant qu'Etre à part entière, et ses intérêts, qui doivent être au cœur de celle-ci. Elle doit lui permettre de devenir acteur conscient, créateur, responsable et autonome face à son avenir, de s'épanouir individuellement et collectivement, et apprendre à être en paix avec soi-même, avec les autres et avec son environnement.

Nous voulons donc plus particulièrement promouvoir les approches éducatives globales et transdisciplinaires dans lesquelles :

- L'enfant est à la fois enseigné et enseignant,
- Son désir, sa joie d'apprendre sont sans cesse stimulés,
- Ses rythmes de vie et d'apprentissage sont respectés,
- Son épanouissement personnel est encouragé sur tous les plans (physique, émotionnel, social, éthique, multiculturel, écologique, santé, artistique, cognitif),
- Sa connaissance de lui-même et son savoir-être sont développés au même titre que les savoir-faire et les savoirs,
- Sa relation aux autres est privilégiée à travers le lien entre les générations, le travail en groupe, l'apprentissage de la coopération,
- Son lien avec la nature et le vivant est préservé et cultivé,
- Son apprentissage de la citoyenneté, de la démocratie, de la santé, de l'alimentation, de l'environnement, de la solidarité, du développement durable sont accompagnés,
- Sa maîtrise des outils de communication est assurée...

Les approches éducatives que nous encourageons - qui ne sont plus seulement le monopole de l'école mais bien une mission collective impliquant l'ensemble de la société et de ses acteurs - doivent permettre de lutter contre l'échec scolaire et de prendre en compte les spécificités des nouvelles générations tout autant que des enfants en situation de handicap.

Groupes de parents, réseaux associatifs, collectifs, écoles, porteurs de projets éducatifs divers, élus, organisateurs de conférences et de rencontres, etc., nombreux sont ceux qui œuvrent déjà pour ce «renouveau de l'éducation» dont nous venons de décrire les grandes orientations. Cependant, nous constatons trop souvent que ces initiateurs se sentent isolés et fragiles face au système actuel, qu'ils se connaissent peu, que l'énergie et les informations sont trop dispersées.

C'est pour rompre cet isolement, pour relier tous ces acteurs entre eux, pour encourager les transmissions d'expériences et leur démultiplication que nous avons créé le Printemps de l'éducation, alliance indépendante, apolitique, non confessionnelle.

Les objectifs

Les objectifs du mouvement sont les suivants :

- Identifier les acteurs du « renouveau » éducatif, les pratiques innovantes et les recherches les plus significatives en la matière ;
- Encourager la transmission des pratiques existantes et la mise en œuvre d'expériences éducatives nouvelles ;
- Animer un réseau destiné à relier les acteurs, favoriser les échanges autour de cette nouvelle conscience et ces savoir-faire, activer toutes les intelligences collectives et susciter des coopérations éducatives ;
- Rassembler le plus grand nombre pour devenir un acteur significatif du renouveau éducatif capable de mener une action politique.

Les actions

Pour ce faire nous comptons mettre en place des actions aussi diverses que :
- Organiser des rencontres Printemps de l'éducation,
- Initier des campagnes de communication et informer les médias, participer à des salons,
- Représenter les acteurs du mouvement auprès des pouvoirs publics et nourrir les politiques éducatives,
- Organiser des ateliers de formation pour les enfants, les parents et les enseignants,
- Publier des livres et coproduire des documentaires,
- Créer une plate-forme web de ressources, d'actualités média et de réseau social,
- Créer des commissions de travail thématiques,
- Animer des comités locaux dans toute la France,
- Mettre en place des collaborations internationales,
- Soutenir les recherches, les expériences innovantes et la création d'écoles,
... et écouter les rêves des enfants !

De l’ego à l’âme

En complément aux réflexions menées par le collectif Printemps de l’éducation et dans la continuité de celles-ci, j’aimerai faire partager aux lecteurs du Journal Intégral, le commentaire de Serge Durand à notre avant-dernier billet intitulé L’éducation à l’ère des créateurs. Co-auteur de l’indispensable Guide de la spiritualité qui propose une vision asssez complète de la mutation intellectuelle, culturelle et spirituelle en train d’advenir, Serge Durand nous fait part d'une réflexion inspirée de son expérience de professeur, de philosophe et de chercheur spirituel :

" J'adhère à l'évidence qu’un monde vivant pousse en ce moment même aux milieux des décombres du vieux monde dominé encore, quoi qu'il en pense, par la bestialité. Plus le temps passe, plus je sais que je vois ce Monde nouveau si et seulement j'y participe. L'évidence de l'horreur du vieux monde fait partie des ruines. C'est même une impression de grisaille interne dépressive qui participe de l'auto-destruction du vieux monde. Le monde nouveau n'est vu qu'à partir d'une certitude de Joie sans objet qui accueille une force créatrice et transformatrice.

Un deuxième point me saute aux yeux : l'éducation n'est plus une sortie (ducere) hors de soi (e-) mais une initiation à soi c'est-à-dire une intégration de puissance de pensées, d'émotions (voire de sentiments) ou encore de capacités physiques répondant aux besoin d'une âme.

La société du vieux monde ne connaît que des egos manipulables par leurs désirs égocentriques puisque foncièrement mimétiques et qui donc suscitent de la concurrence. Même la bonne conscience de ce vieux monde a cette mécanique. La société du vieux monde ignore tout de l'âme.

L'éducation véritable consiste certainement à permettre à une âme de ne pas se perdre dans les mécaniques des pensées, des désirs et des pulsions. La spiritualité contemporaine avec la non-dualité nous donne d'échapper peu à peu à la mécanique. Mais quid du mouvement de transformation du monde ? L'ego n'est que le visage défiguré de notre âme quand, pire malheur, il n'en est pas la tombe où elle se tient étouffée dans le silence.

L’éducation de demain

Sri Aurobindo

L'éducation authentique est au service d'un principe d'individualisation. Celui qui aime ses enfants ou le prof qui se soucie de ses élèves travaille pour leur proposer ce qui leur facilitera de devenir ce qu'ils sont : il leur donne de quoi s'individualiser. Ceci commande même la manière dont parfois on peut leur introduire une manière de voir, par exemple la non dualité : une boîte d'outils ou une sensibilité poétique pour ne pas se faire engrener dans la mécanique.

Plus on s'approche du continent perdu de l'âme, plus on peut aider les plus jeunes âmes à se trouver au cœur de l'humanité. Il ne s'agit pas d'une manière de penser mais d'une aspiration au cœur de la conscience pure. C'est un monde paradoxal où la plénitude de la conscience se découvre un besoin d'être, une soif de conscience encore plus ample.

Le monde de l'âme, le monde psychique vraiment libre du monde psychologique qui ne trouvera jamais de solution en lui-même, est une dimension spirituelle que l'éducation de demain devra sans aucun doute découvrir si elle veut s'accomplir.

Pour l'instant à ma connaissance la tentative qu'est L'école du progrès telle qu'elle a été développée autour de Mère et Sri Aurobindo reste l'une des rares après certainement l'Académie platonicienne à souligner le rôle central de l'âme (principe d'individualisation au cœur de la conscience pure) qui donnerait tout son sens à une éducation de la pensée, de l'intelligence émotionnelle et de la maîtrise d'un corps en vue ensuite de lui offrir la capacité d'une évolution de la conscience par delà les limites de la conscience ordinaire humaine".

A lire

Sur le site consacré à l'oeuvre de Gabriel Monod-Herzen, on trouvera en ligne le livre de Gabriel Monod-Herzen et de Jacqueline Bénézech intitulé L’école du libre progrès de l’Ashram de Sri Aurobindo à Pondichéry évoquée ci-dessus par Serge Durand. Dans cet ouvrage, les auteurs présentent les éléments fondamentaux d’une éducation intégrale inspirée par Sri Aurobindo. On trouvera aussi en ligne sur ce site, le livre passionnant que Gabriel Monod-Herzen a consacré à Sri Aurobindo : la seule étude de ce genre qui ait été revue et corrigée par Sri Aurobindo lui-même.

Antonella Verdiani, l’initiatrice du Printemps de l’éducation, a mené sa recherche de doctorat, dans le cadre de l’université Paris 8, sur l’éducation intégrale à Auroville.

L’éducation à la Joie : un exemple dans les écoles d’Auroville (Inde) par l’éducation intégrale.
Résumé de la thèse de doctorat sous la direction du professeur René Barbier

Eduquer à la Joie. Un article d'Antonella Verdiani. L'Harmattan

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