mercredi 5 mars 2014

Le Monde de Ken Wilber


La question n’est pas de chercher à savoir qui a tort, mais plutôt de voir s’ils n’auraient pas tous un peu raison, car l’univers est si grand qu’il y a suffisamment de place pour Freud et Bouddha. Ken Wilber 


Nous vous proposons ci-dessous un article où Alain Moenaert présente de manière concise et synthétique les principaux concepts de la philosophie intégrale de Ken Wilber. Ce texte est un bon complément du précédent où Jacques Ferber expliquait de manière plus spécifique le modèle AQAL du même Wilber. En évoquant quelques-uns des grands principes qui sous-tendent la philosophie intégrale, Alain Moenaert propose une sensibilisation à la fois claire, précise et utile de cette démarche (r)évolutionnaire. 

Alain Moenaert, un expert de la modélisation 

Alain Moenaert est psychologue, titulaire du certificat européen de psychothérapie et formateur certifié en PNL. Fondateur et co-dirigeant pendant vingt ans de l’Institut Ressources, leader francophone de la formation à la Programmation Neuro-Linguisitque, il est un des experts reconnu de ce domaine et a développé ses formations en Europe francophone. 

La modélisation est une démarche de la PNL qui permet d'observer les comportements de réussite, d'en déterminer les conditions de succès et de les reproduire au mieux. Fort de cette expérience, Alain Moenaert a modélisé les personnes ayant des guérisons exceptionnelles depuis une vingtaine d’années. Il est l’auteur de Les douze étapes de la guérison. Modélisation de guérisons exceptionnelles (Editions Le Souffle D'or). Fruit d'une étude pratique portant sur deux cent dix patients ayant accompli des guérisons remarquables, ce livre décrit le processus que l'auteur a trouvé comme constante chez ces personnes. 

Fort de son expérience et de son expertise dans le domaine de la modélisation, Alain Moenaert a pu mesurer l’originalité et la profondeur de l’approche intégrale de Ken Wilber. Il en restitue dans le texte ci-dessous les points principaux. 

Le Monde de Ken Wilber par Alain Moenaert 

Ken Wilber a été salué comme un des plus grands penseurs de ce siècle, « Einstein de la conscience, Darwin du transpersonnel, Platon moderne ». Au travers de 16 livres publiés à ce jour, véritable œuvre monumentale, Ken Wilber dessine une synthèse extraordinaire englobant l’ensemble de la connaissance de la psychologie occidentale et orientale, de la philosophie, de la biologie et de la physique, de la politique… 

Fasciné par l’aventure de la conscience, il propose un modèle global du chemin d’évolution qui englobe et transcende nos conceptions actuelles. Son livre « Sex, Ecology, Spirituality : The Spirit of Evolution » a été reconnu comme un des livres les plus importants jamais publié par des gens d’horizons extrêmement variés tels que David Böhm, Al Gore, Huston Smith, Michael Murphy, Daniel Golleman ou Larry Dossey. 


Il est hélas encore quasi-inconnu dans le monde francophone, faute de traduction en français. Il nous fournit une synthèse structurelle cohérente qui met en évidence les grandes tendances à l’œuvre dans le développement du vivant, qu’il s’agisse du développement des organismes mono-cellulaires jusqu’à l’homme moderne, de la conscience depuis le niveau fusionnel archaïque jusqu’aux niveaux de développement transpersonnels cartographiés par les mystiques de différentes traditions, du développement des sociétés au travers des siècles depuis les hordes dont la subsistance est basée sur la chasse et la cueillette jusqu’aux sociétés post-industrielles… 

Wilber propose une série de distinctions et de concepts clés qui nous permettent d’éclaircir les liens et différences existant entre chacune de ces approches et nous aide à relier l’ensemble de nos connaissances et de notre expérience en un tout cohérent, structuré et ordonné dynamiquement. Plus important encore, il nous permet de nous resituer dans un mouvement de développement beaucoup plus vaste, nous aidant à répondre aux grandes questions : où sommes-nous, qui sommes-nous, où allons-nous, quel est le sens de tout cela ?…et de commencer à percevoir un sens au-delà du chaos apparent. 

Enfin les distinctions et opérateurs proposés nous permettent de déterminer l’étape suivante dans un cycle de développement, et ce, que nous nous occupions d’un individu, d’une entreprise ou d’une société au sens large. Voyons quelques-uns des concepts clés de Wilber : 

La Philosophia Perennis

Dans toutes les grandes traditions du monde, tant occidentales qu’orientales, il existe une structure profonde sous-jacente commune qui émerge par-delà les différences de surface, même si les cultures, mythologies, déités semblent très diverses au premier coup d’œil. 


Dans toutes les grandes traditions, le monde est conçu comme « grand vivant », sans solutions de continuité entre la matière inanimée, le monde du vivant, de l’âme et du divin. Il s’agit d’un monde ordonné et stable qui reflète les lois divines, auxquelles les hommes se soumettent. 

Tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, ainsi dans le monde chrétien les 7 hiérarchies angéliques, les sept notes de la gamme musicale, les 7 ouvertures dans la tête, etc. sont toutes des manifestations d’un principe immanent qui relie l’ensemble de l’univers. Les niveaux de conscience sont des reflets d’ordre de manifestation de l’univers Contester une loi de l’univers comme le fit Galilée était vécu dans ce monde pré-moderne comme un blasphème autant qu’un acte de terrorisme social. 

La rupture de la modernité 

Avec l’apparition de la pensée moderne et sa démarche scientifique, la connaissance obtenue par observation provoqua une rupture de la grande chaîne des êtres. Les travaux de Copernic, Galilée, Kepler, Newton, Kelvin et Bacon sur la physiosphère, les systèmes planétaires et la genèse du cosmos divorcèrent du vivant quant à son devenir temporel. En effet, selon la 2ème loi de la thermodynamique, la flèche de temps de la matière (un système ne revient jamais en arrière) conduit vers une involution irrémédiable (entropie). La biosphère quant à elle manifeste également une flèche de temps mais avec un processus d’évolution mis en évidence par Darwin. 

Les mythes fondateurs du monde chrétien ne résistèrent pas longtemps à l’analyse scientifique dont les tenants les plus sectaires en profitèrent pour rejeter tout idée d’esprit transcendant. Le bébé était parti avec l’eau du bain ; la vérité serait dès à présent réductionniste ou ne serait pas.

L’unité du monde de la connaissance vola en éclat et laissa quatre domaines séparés : 
- Le monde du « Cela », royaume du naturalisme matérialiste objectif, de la science physique, 
- Le “Je” royaume de la perception subjective, du sens de l’esthétique, de la psychologie, 
- Le “Nous”, royaume des relations sociales, de l’éthique, de la sociologie, de la politique, 
- Le “Cela qui n’a pas de nom” royaume de la transcendance, de l’esprit, de la théologie. 

La connaissance du vivant oscillant de manière schizophrénique entre matérialisme réductionniste et élévationisme vitaliste.

 Le Défi post-moderne 

Wilber se fait l’avocat d’une nouvelle synthèse qui relie les distinctions apportées par la modernité et l’esprit scientifique, ce qu’il appelle la splendeur de la modernité, avec la sagesse millénaire des grandes traditions de la connaissance. Il ne s’agit que d’un moment dans l’histoire, un mouvement dialectique. 

Tout est en évolution : les 4 quadrants co-évolutifs 

Wilber met en évidence des principes d’évolution qui sont à l’œuvre dans tous les domaines d’existence et que partage le Cela, le Je, le Nous et le Cela qui n’a pas de nom. Ces quatre grands domaines co-évoluent avec des liens d’interdépendance mais non de similarité. 

Il faut en effet une certaine complexité de la structure biologique pour qu’apparaisse la conscience – il faut attendre l’apparition du néo-cortex pour qu’apparaisse la conscience auto-réflexive. Les développements technologiques déterminent également de nouvelles organisations de sociétés, ce qui à son tour influe sur la vision du monde et le sens de la communauté, etc. 

En fait il y a 4 grands domaines qui co-évoluent selon qu’on les classe suivant un axe individuel-collectif et un axe intérieur-extérieur. 


Ces quatre grands domaines possèdent des critères de validation différents - le vrai, le beau, le juste et le fonctionnel - et il est important de ne pas utiliser abusivement les critères de validation d’un domaine en l’appliquant indûment à un autre domaine. Ainsi, si je peux observer un cerveau en le découpant en tranches, en restant un observateur neutre extérieur et connaître ainsi sa dimension extérieure, je ne peux savoir ce que pense ce même cerveau qu’en rentrant en relation avec la personne, si je veux découvrir sa dimension intérieure. 

Profondeur et étendue : principe holarchique 

Les systèmes complexes sont hiérarchisés : par exemple des atomes font des molécules, celles-ci s’assemblent en cellules qui elles-mêmes s’assemblent en tissus, systèmes, etc… Ce développement se fait selon deux axes : Etendue et Profondeur

Plus d’individus du même type augmente l’étendue : plus de cellules pour pouvoir fabriquer un tissu. L’émergence d’un niveau (de complexité) supérieur – l’organe par rapport aux tissus – augmente la profondeur. 

Wilber met en évidence que le développement consiste en une augmentation de la profondeur. La conscience est une fonction de la profondeur croissante de la hiérarchie que Wilber appelle une holarchie

Dans un développement holarchique, chaque niveau émergeant transcende les niveaux existant jusqu’alors et présente de nouvelles caractéristiques qui ne peuvent se déduire des précédents niveaux. Le tout est plus que la somme des parties


En même temps, dans une holarchie fonctionnelle, chaque nouveau niveau inclut tous les précédents. Qu’il s’agisse du développement biologique, psychologique, social, politique ou spirituel, tous impliquent un mouvement de transcendance et d’inclusion croissant. 

Wilber met en évidence 20 caractéristiques fondamentales du développement que nous ne détaillerons pas ici. Citons uniquement un principe téléologique : le développement futur semblerait déjà pré-programmé, comme un potentiel non encore manifesté, non encore allumé. D’une certaine manière, un futur point Oméga tire le développement comme un attracteur. 

Confusion Pré / Trans 

Lorsque Wilber applique ses principes au développement de la psyché humaine, il met en évidence que toutes les approches et tous les auteurs font une distinction entre un stade pré-personnel (fusionnel, indifférencié) et un stade personnel (avec l’apparition de la conscience du moi). Ces stades sont découpés en plus ou moins de sous-étapes selon les auteurs. 

Certains auteurs parmi les plus récents en Occident et de très nombreux autres dans les grandes traditions orientales continuent le chemin de développement au-delà de l’ego mature où s’arrête classiquement la psychologie occidentale, et ce en cartographiant des stades de développement ultérieurs de type transpersonnel. 

Wilber met en évidence que nombre d’esprits occidentaux ont confondu les stades pré-personnel et transpersonnel. Freud, pour n’en citer qu’un, assimilait l’aspiration transcendante à une nostalgie régressive fusionnelle. En alignant systématiquement les constantes des enseignements traditionnels, Wilber cartographie le chemin au-delà de l’ego, et plaide pour une véritable approche scientifique du développement spirituel. 

Pour une science de l’esprit 

L’approche scientifique est classiquement fondée sur 4 critères :

1. Une injonction : pour constater un phénomène, vous devez construire une expérience d’un certain type

2. Une expérience directe qui permet de recueillir des données ; c’est la partie expérimentale

3. Un partage et une confrontation de mes résultats avec la communauté des chercheurs de ma discipline

4. Des critères qui permettent de déterminer la validité ou la fausseté d’une hypothèse

Wilber nous invite à appliquer ces critères à la vie spirituelle (à ne pas confondre avec le discours mythologique archaïques des églises.) Cela signifie que pour appréhender certaines réalités spirituelles – tel le samadhi - vous ne pouvez pas vous contenter d’observer de l’extérieur de manière intellectuelle dissociée. Vous devez développer une pratique spécifique : par exemple une technique de méditation. C’est l’injonction de la science de l’esprit. 


Puis, lorsque vous aurez développé une pratique régulière, il est important de comparer vos résultats expérimentaux avec la communauté de vos pairs – à savoir ceux qui pratiquent les mêmes techniques de méditation. Enfin, il peut être utile de recourir à l’enseignement et à l’expérience d’un expert pour faire le tri entre les expériences authentiques et celles qui nous illusionnent. C’est la fonction d’un maître dans une tradition authentique. 

A la lumière de ces distinctions, il est évident que la plupart des critiques « scientifiques » de la spiritualité sont entachées d’un vice méthodologique. Ceux qui concluent à l’inexistence du phénomène sans avoir développé une pratique rigoureuse font preuve du même obscurantisme que les inquisiteurs qui refusaient la rotation de la Terre autour du soleil sans se donner la peine de regarder dans un télescope. 

Développer une pratique multi-dimensionnelle 

Wilber nous invite à distinguer différentes dimensions de notre évolution : Physique, Émotionnelle, Mentale, Relationnelle, Psychique, Spirituelle, Etc…Ces dimensions n’étant par ailleurs aucunement rigidement gravées dans le bronze. Elles n’ont pour but que de déterminer de manière personnelle et individualisée le type de pratique pour chacun des niveaux de notre être. 

Ainsi, mon corps physique a probablement besoin d’exercice, d’oxygénation, d’une diète spécifique. Mon corps émotionnel peut éventuellement avoir besoin d’un travail thérapeutique régressif pour désensibiliser des traumatismes affectifs anciens. Mon mental peut utilement utiliser des stratégies de développement PNL, être stimulé par la lecture du présent article. Mon corps psychique a besoin de calme et d’attention aux signaux discrets de mon âme. Et mon développement spirituel passe par l’établissement d’une base régulière de méditation correspondant au niveau de mon développement actuel….. Et équilibrer en nous le Beau, le Juste et le Vrai.

Ressources 

De nombreuses références concernant l’œuvre de Ken Wilber ont été proposées dans la partie Ressources à la fin du précédent billet : L’approche intégrale de Ken Wilber

L’approche intégrale vu par Métaphorm

Dans le billet intitulé Les concepts de la théorie intégrale sont présentés les concepts majeurs de cette pensée avec, pour chacun d’entre eux, un lien sur des pages du blog Integral WorldFrank Visser les analyse de manière plus précise. 

Site Philosophie et Spiritualité. Deux articles passionnants sur Ken Wilber viennent de paraître : Les Trois Yeux de la Connaissance. Pré-personnel et Transpersonnel

le Site d'Alain Moenaert : Passage

Alain Moenaert est l’auteur de Les douze étapes de la guérison. Modélisation de guérisons exceptionnelles (Editions Le Souffle d'or). Cet ouvrage est composé de douze chapitres relatant les grandes étapes que l'on retrouve à chaque fois. Pour chacun d'entre eux, des exemples concrets ainsi que des pistes de solutions guidant pas à pas au travers de ce processus : 

1. Accepter le diagnostic; 2. Refuser le pronostic; 3. Recadrer la catastrophe en chance de ma vie; 4. Devenir la personne la plus importante de mon univers; 5. Prendre la responsabilité de la création du problème; 6. Construire la détermination; 7. Découvrir le message fonction du symptôme; 8. Nettoyer le passé des traumas et croyances limitantes; 9. Développer un Présent Continuellement satisfaisant; 10. Construire un futur sans tensions; 11. Se sentir relié, développer une pratique spirituelle; 12. Vivre sa vie 

Face à un diagnostic fatal, ces personnes ont réussi à retourner la situation et à guérir : il y a des leçons à en tirer ! Alain Moenaert vise à rendre aux « victimes d’un sort injuste » la capacité d’agir concrètement sur leur sort et de devenir auteur de la transformation qui conduit de la maladie à la santé.

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