dimanche 17 octobre 2010

Post-matérialisme (1) Capitalisme, piège existentiel

Nous avons consacré trois billets au livre fondateur de Christian Arnsperger : Ethique de l’existence post-capitaliste. En appliquant la théorie intégrale au champ économique, Arnsperger permet de comprendre les sources spirituelles de l’aliénation propre au système capitaliste qui - autant qu'un mode de production - est une culture répondant à nos angoisses existentielles en terme de consommation et d'appropriation.

Le site Ploutopia propose un certain nombre de réflexions et de textes intéressants fondés sur l’idée qu’il ne peut y avoir de solution aux grands défis de l'humanité (pétrole, eau, famines, biodiversité, érosion, climat...) sans un changement de paradigme et une totale remise en question tant au niveau individuel que collectif (mode de vie, économie, progrès…).

L'auteur de ce site propose une lecture du livre de Christian Arnsperger qui permet de mieux comprendre en quoi le capitalisme est un piège existentiel et comment il est possible de se libérer de ce piège par une vision intégrale qui prend en compte l’être humain dans sa totalité évolutive. Cette vision intégrale peut inspirer un "militantisme existentiel" qui vise à inscrire individus et collectivités dans une dynamique évolutive concernant tous les aspects, individuels et collectifs, intérieurs et extérieures, de la nature humaine.
Par rapport au modèle des Quatre Quadrants de Ken Wilber - illustré ci-dessus - ce que l’auteur de l’article nomme Conscience correspond au Quadrant Supérieur Gauche, Chair au Quadrant supérieur Droit, Culture au Quadrant Inférieur Gauche et Système au Quadrant Inférieur Droit.


Le Capitalisme, piège existentiel. Première partie.

Le dernier livre de Christian ARNSPERGER (Ethique de l’existence post-capitaliste) fournit un formidable outil de lecture des rapports de l’homme au monde. Cet outil est en fait celui des «quatre quadrants» ou «vision intégrale» proposée par le philosophe nord-américain Ken Wilber.


Les quatre quadrants de lecture de Ken WILBER

Le rapport des hommes au monde peut être subdivisé en 4 parties distinctes dont les axes verticaux sont l’intériorité et l’extériorité et les axes horizontaux sont l’individualité et la collectivité. Les 4 parties sont respectivement la conscience et la « chair » pour le volet individuel, la culture et le système pour le volet collectif. En lecture verticale, et de manière caricaturale, celui qui ne privilégie que l’intérieur est un mystique, religieux, abstrait alors que celui qui ne privilégie que l’extérieur est un positiviste, cartésien, matérialiste.

Nombre de critiques ou d’analyses du monde parlent souvent du Quadrant Système, parfois du Quadrant Culture mais très peu des quadrants Conscience et Chair. Ce qui se dégage de ce simple tableau à 4 entrées est une clé de lecture complète, holistique (« compréhensive » au sens anglo-saxon, c’est-à-dire faisant intervenir une connaissance globale, voire ontologique) de l’ensemble des rapports humains entre eux (culture), avec eux (conscience), entre les choses (système) et avec les choses (chair). Par ailleurs, outre cette lecture plane, il ne faut pas perdre de vue la lecture tridimensionnelle permettant à ce tableau de s’élever dans l’espace à mesure que le niveau de conscience collectif évolue.

Cette clé de lecture permet en effet de poser les bonnes questions et de trouver les bonnes réponses lorsque nous sommes confrontés à un problème. L’analyse du capitalisme à travers cette fenêtre s’avère particulièrement révélatrice. Révélatrice des origines, des boucles récursives auto-amplificatrices et de la force des blocages.

D’un point de vue systémique, nous pouvons en effet constater que tout mouvement contestataire s’inscrit toujours au sein de ce système et raisonne toujours à l’intérieur de ce système : revendication salariales, baisse des prix, emploi, croissance, etc. C’est le cas des mouvements contestataires altermondialistes, marxistes ou syndicaux. Le système est auto-référencé.

De même, d’un point de vue culturel, tous nos actes sont posés selon le moule dominant. Pas moyen de faire autrement sans être taxé d’écolo, bobo, soixante-huitard, voir même de Cro-Magnon. Toute pensée divergente de la doxa dominante est aussitôt vue comme une dérive, une hérésie. On se sent exclu, rejeté, jugé et marginalisé. Il est alors particulièrement difficile de se tailler « une place au soleil » dans ce monde et ce système qui est le nôtre et que nous promouvons tous consciemment ou à notre insu.


Le capitalisme : une réponse aux angoisse existentielles

Mais tout cela est de la diatribe bien connue. Attardons plutôt à la cause première. A cette pulsion profonde qui parvient à faire passer un régime plutôt qu’un autre à travers les siècles malgré les innombrables luttes et contestations. Grâce à certains choix idéologiques, le capitalisme est en effet parvenu à bien mieux s’imposer que le communisme qui s’est quelque peu égaré sur certains points.
Certains disent que le communisme est le système de l’homme tel qu’il devrait être alors que le capitalisme est le système de l’homme tel qu’il est. Quel est cet homme ? Cette fameuse « nature humaine » que d’aucuns brandissent avec force pour justifier leurs actes ou leur apathie ?

Ce qui différencie fondamentalement l’homme de la nature, ce sont ces questions existentielles : Qui suis-je ? D’où vins-je ? Où vais-je ? Ces questions existentielles en soulèvent rapidement d’autres centrées sur la peur : peur de manquer (de biens mais aussi d’affection), peur du vide (affectif ou charnel), peur de souffrir, peur de mourir.
La religion qui tente d’apporter des réponses à ces questions semble avoir complètement cédé la place au capitalisme. Le capitalisme est devenu notre religion séculière. Religion au sens étiologique : qui cherche les causes profondes et qui donc calme, apaise et cherche à apporter des réponses à nos peurs et angoisses existentielles.

Le religieux profond, spirituel et existentiel, est aujourd’hui porté aux gémonies par un capitalisme culturel qui a envahi nos vies jusque dans les moindres recoins. Stigmatisé et instrumentalisé, le religieux profond s’est institutionnalisé. L’église s’est convertie au capitalisme.
A l'inverse de Marx, lorsqu'à propos des religions ou de spiritualités il parle d'opium du peuple, je pense que la force du capitalisme réside précisément dans une profonde et perverse aliénation spirituelle. Mine de rien, l’air de rien, subrepticement, le capitalisme apporte des réponses à nos angoisses les plus fortes. Alors, on consomme, on produit, on cherche à gagner plus, on s’abruti au travail, on joue des coudes avec des œillères.


Les six axiomes capitalistes

L’idéologie capitaliste
tire sa source dans nos peurs les plus profondes et donc dans le culte de l’ego, dans la pensée libérale : la liberté individuelle au service du bien commun. C’est de cette pensée et de la pensée protestante que sont nés les six grands axiomes capitalistes :

1) Croissance. « Croissez et multipliez-vous ». Nécessité salutaire d’un effort collectif face à l’adversité de la Nature. Une Nature à dompter par la croissance, la production et le progrès. C’est la pensée des grands économistes classiques tels que Malthus, Ricardo et Smith. C'est également un pilier central de la pensée Marxiste.

2) Travail. « L’oisiveté est mère de tout les vices ». Pensée typiquement protestante, qui voit dans le travail un véritable accomplissement de Dieu et le salut de son âme. « Travaillez bonnes gens, et vous serez sauvés ». Du Moyen-âge à la renaissance, d’avilissant, le travail gagne ses titres de noblesses pour devenir salutaire. C'est aussi un pilier de la pensée marxiste.

3) Efficacité-Concurrence. « Produire plus pour gagner plus » sic. « Manger ou être mangé ». Nécessité de se battre pour survivre. Travailler comme une bête de somme, le plus rapidement et le plus efficacement possible, le tout afin de satisfaire aux deux premières exigences citées ci-dessus.

4) Innovation. « Parce que vous le valez bien ». Selon William BAUMOL, les trois grands piliers du capitalisme sont la croissance, la productivité et la concurrence. Mais ces trois piliers ont besoin d’un ingrédient supplémentaire essentiel appelé culture d’entreprenariat. La nécessité d’avoir de doux penseurs de l’école FRIEDMAN qui voient dans l’innovation par le profit et sa maximisation le but suprême de la vie.

5) Propriété. « Mon, Ton, Son, Ma, Ta, Sa, Mes, Tes, Ses ». Certaines tribus primitives ne connaîtraient pas l’usage des pronoms possessifs. Pour nous, occidentaux capitalistes, ils sont la justification de tous nos efforts (travail, croissance, efficacité, concurrence, productivité) et ils sont une forme d’aboutissement à nos angoisses existentielles. L’acquisition d’une propriété, de biens et de services forment une sorte coque de protection à ces angoisses.

6) Consommation. « The American Way of Life is Not Negotiable » sic. Le plus révélateur ici est ce fameux appel de Bush à la consommation peu de temps après les événements du 11 septembre. C’est aussi la grande crainte de la crise économique et financière. C’est à la fois le point faible et le point fort de l’économie capitaliste.

On constate combien ces 6 axiomes sont profondément ancrés dans des axiomes existentiels profond. Tous, touchent à la peur de manquer, de mourir, de se retrouver seul ou envahi par les autres. Notons aussi que les deux premiers axiomes à la base des autres sont aussi ceux de l’idéologie marxiste.

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