mardi 7 octobre 2014

L'Illusion de la Science


La crainte, voilà en effet le sentiment fondamental et héréditaire de l'être humain. Une telle longue et vieille crainte qui s'est enfin affinée, spiritualisée, aujourd'hui il me semble qu'elle se nomme : science. Nietzsche 
  
Rupert Sheldrake

Dans notre dernier billet, nous évoquions le troisième Forum international de l’évolution de conscience qui aura lieu à Paris le 18 Octobre avec des intervenants prestigieux parmi lesquels le biochimiste Rupert Sheldrake, mondialement connu pour sa théorie des champs morphogénétiques. En 2012, Rupert Sheldrake a publié un nouvel ouvrage intitulé The Science Delusion (L’Illusion de la Science) traduit en français sous le titre Réenchanter la science.

Dans cet ouvrage qui a fait l’effet d’une véritable bombe dans les pays anglo-saxons, l’auteur démontre que les « vérités objectives » sur lesquelles s’appuie la science moderne reposent in fine sur des actes de foi, érigés en dogmes irréfutables : l’idée que l’univers est une grande machine sans âme, que notre réalité n’est que physique et que la matière est inerte, que la nature et les constantes de l’univers sont fixes, que le libre arbitre est une illusion, que la conscience est le produit du cerveau…

Sheldrake examine l’un après l’autre ces dogmes pour les remettre en question, démontrant brillamment que la science, libérée de ce carcan, serait plus libre et plus intéressante, à même d’offrir une compréhension plus profonde. Selon lui : « Il y a un conflit au cœur de la science. D’un côté, elle repose sur une méthode de recherche basée sur la raison, la preuve, et l’investigation collective, et de l’autre, elle est fondée sur un système de croyances. Malheureusement, ce consensus existant sur la réalité des choses en est venu à inhiber et restreindre la recherche libre qui est l’essence même de l’effort scientifique ». 

Dans la vidéo de la conférence TEDx que nous vous proposons ci-dessous, Rupert Sheldrake, dénonce dix dogmes qui freinent l’émergence d’une nouvelle vision du monde, plus inclusive et plus complexe. Cette conférence a crée une telle controverse qu’elle a été retirée du site des conférence TEDx avant d’être finalement remise en ligne. Une telle censure témoigne justement de la dérive évoquée par Sheldrake qui empêche la connaissance de progresser en remettant en cause les croyances sous-jacentes qui la fondent. 

Du réductionnisme à la complexité 

L’évolution de la conscience et de la culture passe par ces sauts qualitatifs qualifiés de changement de paradigme au cours desquels la vision du monde habituelle est dépassée pour devenir une partie d’une nouvelle vision du monde, plus complexe et plus englobante. Dans La structure des révolutions scientifiques, Thomas Kuhn montre que la science n’évolue pas par une simple accumulation des connaissances mais par des sauts paradigmatiques qui font émerger une nouvelle vision du monde au sein de la communauté scientifique. 

Initié par Descartes et Newton, le paradigme mécaniste et réductionniste qui fut au cœur de la modernité scientifique est totalement remis en question depuis une cinquantaine d’années au profit d’un nouveau paradigme fondée sur les idées de complexité et d’émergence, d’interdépendance et de globalité. Ce changement de paradigme correspond au passage de l'ère industrielle à l'ère informationnelle. Dans un entretien accordé au magazine Clés et intitulé Intégrer la complexité est la clé du progrès, le biologiste et prospectiviste Joël de Rosnay dit ceci : « La complexité est la grande révolution scientifique de notre temps. Commencée il y a un demi-siècle, elle connaît depuis vingt ans une forte accélération. Désormais, les chercheurs, quelle que soit leur discipline, évoluent d’une vision analytique et séquentielle vers une vision systémique et intégrative.» 

Il est évident que ceux qui s'intéressent au saut évolutif vécu actuellement par l'humanité ne peuvent faire l'impasse sur cette révolution scientifique qui correspond à l'émergence d'une nouvelle vision du monde dans l'ensemble des cultures occidentales. Nous avons déjà abordé ce saut paradigmatique vers la complexité dans plusieurs billets auxquels pourront se référer les lecteurs intéressés. Le passage d’un paradigme à un autre, d’une ancienne à une nouvelle vision du monde, ne se fait jamais sans heurts dans la mesure où il bouscule habitudes, conformismes et préjugés. L’émergence d’un nouveau paradigme nécessite de remettre en question les croyances qui fondent l’ancien. C’est ce que fait avec brio Rupert Shledrake quand il évoque dans Réenchanter la science l’idéologie matérialiste qui sous-tend le modèle mécaniste et réductionniste qui fut au cœur de la modernité scientifique. 

Un système de croyance 

Selon Rupert Sheldrake : « L’illusion de la science est la croyance selon laquelle la science comprend déjà par principe la nature de la réalité et que seuls les détails restent à compléter. Cette croyance est très répandue dans notre société. C’est le système de croyance de ceux qui disent : « Je ne crois pas en Dieu, je crois en la Science ». C’est un système de croyances qui s’est étendu au monde entier. Mais au cœur de la science, il y a un conflit entre la science en tant que méthode d’investigation, fondée sur la raison, les preuves, les hypothèses et l’investigation collective et la science en tant que système de croyances ou vision du monde. 

Malheureusement la vision du monde de la science en est venue à inhiber et limiter la libre investigation qui est la force vive de la démarche scientifique. Depuis la fin du 19ème siècle, la science a été menée par un système de croyances ou vision du monde, essentiellement matérialiste. Un matérialisme philosophique. Les sciences sont maintenant les filiales qui appartiennent à la vision matérialiste du monde. Je pense que quand nous sortirons de ce système, les sciences seront régénérées ! » 

Dans son livre comme dans la vidéo ci-dessous, Rupert Shkedrake analyse dix dogmes qui sont au cœur de la vision du monde par défaut de la plupart des personnes éduquées dans le monde. « C’est en contestant tous ces dogmes dit-il que de nouvelles formes de recherche, de nouvelles possibilités s’ouvrent, car ils retardent l’avancée de la science depuis longtemps. Il y aura une nouvelle floraison, une renaissance de la science. Je crois complètement en l’importance de la science. J’ai passé ma vie de chercheur à l’étudier. C’est toute ma carrière. Mais je pense que si l’on va au-delà de ces dogmes, la science pourra de nouveau se régénérer et redevenir intéressante. Elle pourra ainsi contribuer à l'affirmation de la vie… » 



Voici, ci-dessous, une retranscription de deux extraits de cette conférence. Dans le premier, Rupert Shledrake liste les dix dogmes de la croyance scientifique dominante qui sont remis en question. Dans le second, il évoque ses propres recherches sur la résonance morphique qui montre l’importance de la mémoire collective dans la nature en contestant l’idée que les constantes de l’univers sont fixes.

Les dix dogmes de la croyance scientifique 

" Dans mon livre « l’illusion de la science », je prends les dix dogmes ou suppositions de la science et les reformule en questions. L’idée est de voir si elles tiennent toujours à partir du moment où on les regarde avec un œil scientifique. Aucune d’entre elle ne tient vraiment ! Ce que je vais faire dans un premier temps, c’est de vous expliquer ces 10 dogmes. 

D’une manière générale ces 10 dogmes, qui sont la vision du monde par défaut de la plupart des personnes éduquées dans le monde sont fondées sur l'idée première que la nature est mécanique et qu’elle fonctionne comme une machine. L’univers est comme une machine, les animaux ou les plantes sont comme des machines, nous sommes tous comme des machines. En réalité, nous sommes tous des machines, nous sommes tous comme des robots « patauds » comme le dit Richard Dawkins, avec un cerveau qui est un ordinateur génétiquement programmé. 

En deuxième lieu la matière est dénuée de conscience et l’univers entier est dénué de conscience. Il n’y a aucune conscience dans les étoiles, les galaxies, les planètes ou chez les animaux et les plantes et il n’y en aurait aucune en nous, non plus. Donc, une grande partie de la philosophie de l’esprit, au cours des cent dernières années a voulu démontrer que nous n’avons aucune conscience du tout. 

Donc si la matière est dénuée de conscience alors les lois de la nature sont fixes : c’est le troisième dogme. Les lois de la nature sont les mêmes maintenant, qu’elles l’étaient au début du big-bang et elles le resteront toujours. Non seulement les lois, mais les constantes de la nature sont fixes C’est la raison pour laquelle on les appelle des constantes. 

Quatrième dogme : La quantité totale de la matière et d’énergie resteront toujours la même. Elle ne change jamais en termes de quantité totale, sauf au moment du big-bang, quand tout est apparu de nulle part, en un seul instant. 

Cinquième dogme : La nature est dénuée de but. Il n’y a aucun but à la nature entière et le processus d’évolution est dénué de but ou de direction. 

Sixième dogme : L’hérédité biologique est matérielle. Tout ce que l’on hérite se trouve dans nos gènes ou dans les modifications épigénétiques de nos gènes ou dans un héritage cytoplasmique. Tout cela étant matériel. 

Septième dogme : Les souvenirs sont stockés dans notre cerveau, en tant que traces matérielles. Tout ce dont on se souvient demeure dans notre cerveau dans des terminaisons nerveuses modifiées, des protéines phosphore. Personne ne sait comment ça marche, mais cependant presque toutes les personnes du monde scientifique pensent que ça doit se trouver dans le cerveau. 

Huitième dogme : Notre esprit est dans notre tête. Toute notre conscience est l’activité de notre cerveau, rien de plus ! 

Neuvième dogme : Les phénomènes paranormaux tels que la télépathie sont impossibles. Nos pensées et nos intentions ne peuvent avoir aucun effet à distance, parce que notre esprit est dans notre tête. Donc toutes les preuves apparentes sont illusoires. Les gens pensent que ces choses existent mais c’est juste parce qu’ils n’y connaissent rien en statistiques ou se laissent duper par des coïncidences ou alors entretiennent un espoir. 

Dixième dogme : La médecine mécaniste est la seule qui marche vraiment. C’est pour cela que les gouvernements ne financent que les recherches en médecine mécaniste et ne s’intéresse pas aux médecines complémentaires et alternatives. Ces médecines-là ne peuvent pas marcher parce qu’elles ne sont pas mécaniques. Elles peuvent sembler marcher mais c’est parce que l’état des personnes se serait de toute façon amélioré. Ou alors s’est dû à l’effet placebo. La seule médecine qui marche vraiment est la médecine mécaniste ! Tout cela est la vision du monde par défaut, de presque toutes les personnes éduquées à travers le monde. C’est le fondement du système éducatif, de la sécurité sociale, du Conseil des recherches médicales, des gouvernements et c’est juste la vision du monde par défauts des personnes éduquées. Je pense que chacun de ces dogmes est très, très contestable et quand on les observe, ils ne tiennent pas ! "

La résonance morphique 


"... Je vais parler de l’idée selon laquelle les lois de la nature sont fixes. Cette idée est un vestige d’une idée plus ancienne, d’avant les années 1960 et l’arrivée de la théorie du big bang. On pensait que tout l’univers était éternel, gouverné par des lois mathématiques éternelles. Après l’arrivée de la théorie du big bang cette supposition perdura malgré le fait que le big bang révéla un univers qui est radicalement évolutif, datant de 14 milliards d’années, en développement et refroidissement constant, qui a augmenté, s’est développé et a évolué durant ces 14 milliards d’années et avec l’apparition de nouvelles structures et modèles. 

Mais l’idée est que toutes les lois de la nature étaient complètement fixes au moment du big bang, comme un code Napoléonien cosmique. Comme le disait mon ami Terence Mc Kenna, la science moderne est fondée sur le principe suivant : « Donnez-nous un seul miracle gratuit et nous vous expliquerons le reste ! » Et le miracle gratuit est l’apparition de toute la matière et de toute l’énergie dans l’univers et toutes les lois qui le gouvernent, à partir de rien et en un seul instant. Mais dans un univers en évolution, pourquoi les lois elles-mêmes n’évolueraient-elle pas ? 

Après tout, les lois des hommes évoluent ! L’idée des lois de la nature est fondée sur une métaphore des lois des hommes. C’est une métaphore très anthropocentrique qui veut quel seuls les hommes ont des lois et même plus, seules les sociétés civilisées ont des lois. Comme le dit C.S Lewis « Dire qu’une pierre tombe à terre parce qu’elle obéit à une loi fait d’elle un homme et même plus un citoyen ! » C’est une métaphore dont nous avons tellement l’habitude que nous oublions qu’il s’agit d’une métaphore. 

Dans un univers en évolution, je pense qu’il serait plus approprié de parler d’habitudes. Je pense que les habitudes de la nature évoluent et que les régularités de la nature sont essentiellement habituelles. Ceci est une idée développée au début du XXIème siècle par le philosophe C.S Peirce. C’est une idée que d’autres philosophes ont entretenues et c’est une idée que j’ai moi-même développée en hypothèse scientifique : l’hypothèse de la résonance morphique 

Selon cette hypothèse, tout ce qui existe dans la nature a une mémoire collective. La résonance intervient sur le fondement de la similarité. Quand un embryon de jeune girafe grandit dans le ventre de sa mère, il se connecte à la résonance morphique des girafes avant lui ; il s’appuie sur cette mémoire collective. Il grandit comme une girafe et se comporte comme une girafe, du fait qu’il s’appuie sur cette mémoire collective. Il doit avoir les bons gènes pour faire les bonnes protéines. Mais je pense que l’idée des gènes est grossièrement surfaite. Les gènes interviennent au niveau des protéines que l’organisme peut fabriquer, pas au niveau de la forme ou du comportement. Chaque espèce à une sorte de mémoire collective, même les cristaux. 

Cette théorie prédit que si on fabrique un nouveau type de cristal pour la première fois, la première fois qu’on le fabrique, il n’aura aucune habitude préexistante. Mais une fois qu’on le fabrique, alors la prochaine fois qu’on le fabrique, il aura une influence des premiers cristaux sur les seconds partout dans le monde. Grâce à la résonance morphique la cristallisation se fera un peu plus facilement. A la troisième tentative il y aura une influence des premiers et des seconds cristaux. En réalité il y a des preuves tangibles que de nouveaux groupes se cristallisent partout dans le monde plus facilement … 

Cette théorie prédit également que si l’on dresse des animaux à apprendre un nouveau tour comme, par exemple, des rats à Londres apprennent un nouveau tour, alors tous les rats dans le monde de la même espèce, devraient apprendre des tours plus vite, car des rats l’on fait ici. Cela est surprenant mais il y a des indications que les choses se passent de cette manière. Voilà donc mon hypothèse de la résonance morphique, en quelques mots : Tout dépend d’habitudes évolutives et non pas d’une série de lois fixes !..."

Ressources 

Troisième Forum international de l’évolution de la conscience Le Forum affichant déjà complet depuis la mi-septembre, les organisateurs ont décidé, devant l'ampleur de la demande de le diffuser EN DIRECT sur la web radio : Radio Évolutionnaire. S’inscrire ici.




La nature ressuscite sous nos pas Article de Patrice Van Eersel. Magazine Clés

Rupert Sheldrake, un hérétique des temps modernes ?  Revue Acropolis.
 
Rupert Shledrake, le biologiste de l'âme. Gaumond. Site Agoravox

Le paradigme de la complexité. Serge Carfantan. Philosophie et spiritualité

1 commentaire:

  1. Une seule remarque: parmi les 10 "dogmes", Sheldrake remet en cause le principe de conservation de l'énergie. A la lecture, il apparaît clairement que le biologiste ne connaît pas le théorème de Noether qui assoit ce principe sur l'invariance par translation dans le temps. S'il veut le démolir, qu'il apporte donc une réfutation plausible. A moins qu'il veuille critiquer le principe de parcimonie? Là ça devient rien moins que mégalo.

    RépondreSupprimer