dimanche 22 avril 2012

La Transition Culturelle


L’histoire humaine n’est qu’un effort incessant d’invention et la perpétuelle évolution est une perpétuelle création. Jean Jaurès


A travers le déni collectif auquel elle a donné lieu, la campagne présidentielle qui s’achève en France aura montré l’impuissance et démontré l’impasse d’un modèle agonisant. Une société interconnectée, en mouvement permanent, composée de citoyens éduqués et informés, sensibles à l’éthique et à la justice sociale, ne peut et ne veut plus se reconnaître dans le langage, la pensée et les solutions des « élites » au pouvoir.

Un gouffre s’installe entre celles-ci et le peuple qui, de manière plus ou moins consciente, perçoit le modèle dominant comme tout à fait inadapté au saut évolutif et créatif indispensable pour relever les défis d’une crise systémique. Annoncé depuis des décennies par nombre de penseurs visionnaires,
un changement de paradigme est au cœur d’une « transition culturelle » qui doit trans-former ce modèle dominant.

En marge des institutions, un profond courant de régénération composé de « créatifs culturels » crée les bases à la fois théoriques et pratiques de cette transition Fondé sur le rationalisme abstrait, l’ancien paradigme doit se métamorphoser pour permettre l’intégration de la raison et de l’intuition au sein d’une intelligence connective, à la fois intuitive sur le plan personnel et collective sur le plan social.

Parce qu’elle conditionne la transformation socio-économique comme la transition écologique - c'est-à-dire, en fin de compte, la survie de l’espèce - la transition culturelle surgit donc au cœur du débat en ce début du vingt et unième siècle, comme la question sociale s’est imposée à la fin du dix-neuvième siècle et la question écologique durant la seconde partie du vingtième siècle.


Le Grand Déni


Les campagnes électorales sont des rendez-vous au cours desquels se cristallise, s’exprime et se révèle cette conscience collective qu’est une nation. Elles sont l’occasion de mieux comprendre les dynamiques qui animent cette conscience collective en décryptant les évènements, les signes et les formes à travers lesquels se manifestent ces forces évolutives ou régressives.

Les observateurs français et étrangers sont unanimes : la campagne présidentielle de 2012 a été fondée toute entière sur le déni des crises - économiques et financières, écologiques, et sociales, morales et culturelles - auxquels nous sommes confrontés collectivement. Tout se passe comme si la France était une île déconnectée des enjeux planétaires et chaque français une entité autonome, indépendante de tout appartenance collective.

Dans Le Monde, Dominique Simonnet analyse ainsi cet autisme hexagonal : « Alors que la mondialisation bouleverse tous les secteurs d'activité, que les révolutions du Moyen-Orient interpellent nos démocraties, que les défis environnementaux majeurs réclament une sagesse internationale (jusque-là introuvable), on fait en France comme si on vivait entre soi, derrière la ligne Maginot de nos vieilles certitudes. Rien d'étonnant que, dans ce contexte, les considérations écologiques, globales, soient aussi négligées que les enjeux de politique étrangère ».

De nombreuses études l’ont mesuré : tétanisés par la peur face à une mondialisation qui rend leur vision du monde obsolète, les français vivent une dépression qui tend à les recroqueviller sur leurs intérêts égoïstes, catégoriels et corporatistes. « N'oublions pas que la France est l'un des pays qui a le plus de difficultés à entrer de plain pied dans la globalisation » analyse Pascal Perrineau, directeur du CEVIPOF, le Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris.

Ce que les sciences humaines objectivent et mesurent, l’intuition de l’artiste le ressent et l’exprime à la manière dont l'écrivain et chanteur Yves Simon dresse un portait saisissant de cette France dépressive : « Les Français ne se sont jamais sentis aussi seuls, divisés, isolés face à l'adversité, ils ne s'aiment pas, ont peur de l'autre, de l’avenir, ne croient plus en un destin estimable ni encore moins en leur pays. Dans une France dépressive, certains, au faîte du désespoir, se suicident sur leur lieu de travail. Le comble, ce peuple ardent, auteur des plus nobles avancées sociales et d'une Révolution, se retrouve aux dernières places des nations du monde qui espèrent en elles ». (Le Monde)

Une réalité virtuelle


Viande hallal, permis de conduire, cannabis, horaires des piscines : tout fût bon pour éviter de parler des problèmes qui fâchent c'est-à-dire ceux qui permettent d’évoluer si on les considère comme des défis en osant leur faire face. Faute de pouvoir changer la réalité ou de s’y adapter, on s’en invente alors une autre, virtuelle, fondée sur une prétendue exception française qui n’est rien d’autre que le masque d’une dépression hexagonale. Les psychiatres le savent : le déni accompagne toujours une forme d’hallucination qui le renforce et le justifie. Ce qui est vrai des individus l’est aussi des sociétés.

Comme l’écrit F.O Giesbert dans Le Point : « C'est l'une des première leçons, proprement hallucinante, de cette campagne électorale : les Français ne demandent pas aux candidats ce qu'ils peuvent faire pour sortir le pays du fossé dans lequel il est tombé. Au contraire, ils leur posent à peu près tous la même question : "Que pouvez-vous faire pour moi ?" Outre que leur attente révèle une perte totale d'esprit collectif, elle montre aussi que notre pays a perdu le sens des réalités. Qu'il ne croit plus guère en lui-même, désintéressé qu'il est de son destin. Qu'il vit désormais dans un monde virtuel ».

Cette forme d’hallucination collective vise à compenser une absence totale de vision et de réflexion prospective. Pour François Fressoz du Monde : C'est la campagne des petits maux et des petits mots. Il y en aura pour tout le monde et c'est tant mieux tant flotte sur la campagne un parfum de désenchantement. Mais tous les efforts faits n'enlèveront rien au fait que cette campagne pêche par défaut de vision et absence de mobilisation collective. Il y a la crise mais pas de dynamique électorale pour la surmonter. C'est la campagne de l'impuissance politique ».

Rien ne sera plus comme avant

Et pourtant des voix s’élèvent - à droite comme à gauche de l’échiquier politique - pour sortir le pays de ce déni collectif en affirmant la nécessité d’inventer un modèle correspondant au monde radicalement nouveau dans lequel nous entrons. Selon Michel Rocard « Le capitalisme est entré dans une crise profonde, aucun retour à la normal n'est envisageable, rien ne sera plus comme avant... Nous sommes partis pour des années de croissance faible et peut-être même de récession. Il faut le dire clairement et essayer de penser un monde qui sera radicalement nouveau... Nous avons oublié d'être radicaux dans nos manières de pensée ». (Le Monde)

Même diagnostic pour Dominique de Villepin : « Je pars d'une analyse simple: la crise n'est pas une parenthèse. Depuis des mois je le répète: rien ne sera plus comme avant. Ce n'est pas à coup d'expédients et de promesses que nous allons nous en sortir. Les défis à relever sont tellement difficiles qu'ils appellent des changements profonds dans nos structures ». (Le Monde)

François Bayrou est sans doute, parmi les candidats, celui qui a parlé avec le plus de vérité de la situation actuelle et de sa gravité. Résultat : il a plongé dans les profondeurs des sondages d’opinion. Tous ces lanceurs d’alerte prêchent dans le désert du déni. Mais, aussi lucides soient-ils, ces membres de l’élite institutionnelle s’inscrivent toujours dans la même logique et le même niveau de conscience que le système qu’ils cherchent à réformer. C’est une erreur.

Un changement de conscience


S’ils sont reconnus par le système c’est que le système se reconnaît en eux et s'il se reconnaît en eux c'est qu'ils utilisent ses codes dominants. Ils leur manquent cette profondeur visionnaire qui remet en perspective et en mouvement un système de références et un champ de conscience en le trans-formant dans un niveau plus complexe et intégré.

Or, on sait, notamment depuis Einstein que "Les problèmes auxquels nous sommes confrontés ne peuvent être résolus au niveau et avec la façon de pensée qui les a engendrés." Et c’est justement ce changement de conscience qui doit être aujourd’hui au cœur de la réflexion politique parce qu’il conditionne toutes les autres dimensions, économiques et sociales, écologiques et géopolitiques.

On parle de transition énergétique pour évoquer l’adaptation de nos sociétés à la fin programmée des énergies fossiles. Il faudra désormais parler de "transition culturelle" pour évoquer le changement de modèle, indispensable pour aborder cette crise systémique comme un défi plutôt que de la fuir dans le déni. Un changement aussi fondamental ne peut être le produit de l’institution dans la mesure où il participe d'une dynamique instituante qui obéit à d’autres codes et d'autres niveaux de conscience, à la fois inimaginables et imperceptibles pour la pensée dominante.

Un modèle alternatif

Il fut un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître où l’écologie politique fut porteuse d’un modèle alternatif en rupture avec la pensée dominante. Inspiré par les valeurs de la contre culture dans les années soixante, l’écologie politique fut, à ses origines, un projet radical et global qui participait à une nouvelle vision du monde fondée sur le refus du productivisme et de l’économisme ainsi que sur la promotion d’un art de vivre en harmonie avec un milieu naturel, social et culturel.

Calomniés et caricaturés des décennies durant, avant d’être reconnus pour leur lucidité, voilà longtemps que les écologistes nous disent avec justesse que rien ne sera plus comme avant : les contraintes climatiques et environnementales rendent indispensable un nouveau modèle de société. Et pourtant, par manque de profondeur et de vision, les Verts n’ont pas su traduire cette promesse des origines : ils voulaient changer le monde et le monde les a transformés parce qu'ils n'ont pas su ou osé mettre la transition culturelle au coeur de leur logiciel.

En privilégiant souvent un point de vue gestionnaire, pseudo-réaliste, au détriment d’une vision globale et radicale, une bureaucratie et une technocratie vertes ont ainsi émergé, prises au piège dans le filet du paradigme dominant, pour servir d’alibi réformiste et de supplément d’âme à un système qui a bien compris qu’il fallait, selon les mots de Lampedusa dans Le Guépard « que tout bouge pour que rien ne bouge ». L’idéologie du développement durable – cet oxymore – a permis de repeindre en vert la cupidité de l’oligarchie capitaliste.

Un aveuglement collectif

C’est malheureusement une constante dans l’histoire que de voir un mouvement politique s’éloigner de son inspiration d’origine et parfois la trahir au profit de calculs électoraux, de tactiques politiciennes et d’ambitions personnelles. Les Verts se sont rendus inaudibles durant cette campagne en caricaturant puis en rejetant Nicolas Hulot, un médiateur populaire dont la réflexion a évolué et s’est complexifiée au contact de divers penseurs visionnaires, héritiers contemporains des pionniers de l’écologie politique.

Loin de la caricature de marionnette médiatique, agent secret des multinationales, à laquel l’ont identifié un majorité des Verts, Hulot sait qu’à une crise systémique, il faut répondre par une pensée globale qui nécessite un véritable saut de conscience. Il l’a souvent dit et écrit en faisant référence à des penseurs comme Edgar Morin, Pierre Rabhi, Patrick Viveret ou Jean-Baptiste de Foucauld, autant de penseurs du nouveau paradigme dont nous avons évoqué les travaux dans Le Journal Intégral.

Mais une telle approche visionnaire, nuancée et inspirée, n’a pas sa place dans les jeux du cirque politicien où l’on préfère les combats de gladiateurs à la profondeur d’une vision et à la longévité d’un engagement. Le rejet de Nicolas Hulot par une majorité des Verts est un symptôme, parmi d’autres, de ce qu’il faut bien nommé un aveuglement collectif. Espérons, sans trop y croire, que l’échec aux présidentielles permettra à l’écologie politique de se refonder autour d’un discours moins gestionnaire et plus visionnaire c'est-à-dire plus conforme à ses origines contre culturelles.

Le point aveugle

Ces constats nous amène à penser que le point aveugle de toutes les réflexions politiques actuelles c’est le nécessaire changement culturel et personnel qui doit inspirer et accompagner transition écologique et transformation socio-économique. La classe politique, gauche et droite confondues, fait comme si on pouvait transformer l’organisation sociale sans faire évoluer en même temps les mentalités. Comme si un nouveau modèle de société pouvait émerger des anciennes formes de pensée et de sensibilité complètement dépassées !... Comme si des branches mortes pouvaient éclore des fleurs éclatantes !...

Or ce qui apparaît évident dans une perspective intégrale c’est que l’organisation sociale est l’expression et le reflet d’une "vision du monde" qui inspire les représentations culturelles. Au fur et à mesure où cette "vision du monde" évolue en complexité à travers des stades successifs, l’organisation sociale se transforme avec elle et rétroagit sur elle en la faisant évoluer. Ce qui freine la transition écologique comme la transformation sociale, ce sont les modèles profondément inadaptés au saut évolutif et créatif indispensable pour relever les défis d’une crise systémique.

La transition culturelle c'est la modification des modèles dominants par la participation des individus comme des sociétés à la dynamique créatrice de l’évolution culturelle. Comme l'écrivait Jean Jaurès, inspiré par son ami Bergson, grand penseur de l'évolution : " L'histoire humaine n'est qu'un effort incessant d'invention et la perpétuelle évolution est un perpétuelle création".

Cette transition est annoncée depuis plus d’un siècle par une série de penseurs et d’avant-gardes visionnaires dont nous avons esquissé à plusieurs reprises la généalogie, notamment ici et . Modélisée et expérimentée par des pionniers au sein du vaste courant des « créatifs culturels », la transition culturelle c’est la participation à une métanoïa collective évoquée ici.

Une politique intégrale

La transition culturelle, c’est la conversion d’un rationalisme abstrait, fondé sur le déni de l’intuition, à une intelligence intuitive qui associe et intège les ressources de l’intuition et celles de la raison, cette dernière mettant ses capacités formelles et structurales au service des facultés créatrices et visionnaires de l’esprit. Au développement de cette intelligence intuitive sur le plan individuel correspond sur le plan social le développement d’une intelligence collective qui naît de la synergie créatrice entre des individus libérés des limites du mental et des fascinations de l’ego.

La transition culturelle c’est d’abord l’initiation aux modèles permettant de comprendre et de participer à la dynamique créatrice de la vie/esprit qui préside à l’évolution des mentalités individuelles et collectives. C’est ensuite, l’occasion de donner à sa vie un sens plus profond en accédant à des ressources cognitives, créatrices, et spirituelles développées dans toutes les grandes cultures traditionnelles mais ignorées ou caricaturées par la culture intellectuelle et abstraite de notre modernité.

En réaction à l’exploitation capitaliste, la question sociale s’est posée à la fin du dix-neuvième siècle pour s’imposer au cours du vingtième siècle. En réaction à la destruction des ressources naturelles, la question écologique s’est posée au milieu du vingtième siècle pour s’imposer à la fin de celui-ci par l'urgence du changement climatique. Voilà quelques décennies que des pionniers posent la question d’une transition culturelle qui conditionne la transformation socio-économique comme la transition écologique.

Et c'est parce que de la survie de l’espèce dépend en fin de compte de la transition culturelle que, dans les années et dans les décennies qui viennent, elle s'imposera de manière centrale en refondant la pensée politique. Cette refondation correspond à l’émergence d’une « politique intégrale » dont nous nous sommes fait l’écho dans le Journal Intégral, comme nous avons consacré nombre de billets à la dynamique de l’évolution culturelle et aux modèles développés par la théorie intégrale à ce sujet. J’encourage les lecteurs à s’y référer pour mieux en comprendre le sens de cette transition culturelle.


- Dans le même esprit, lire deux passionants billets de Serge Durand sur son blog Foudre évolutive :

mercredi 11 avril 2012

La Voie de l'Intuition (3) La Voix de l'Evolution

On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux. Antoine de Saint-Exupéry

Ce billet s’inscrit dans une série intitulée La Voie de l’Intuition. Mieux vaut avoir lu les billets précédents pour saisir la cohérence du propos et la continuité d’une réflexion qui se déploie à travers ces différents textes.

Là où la raison passe par une médiation intellectuelle, l’intuition est immédiate : elle est une connexion directe à une source de connaissance qui transcende le raisonnement abstrait.

Ce fil d’Ariane est indispensable pour ne pas se perdre dans le labyrinthe d’une vie trop souvent aliénée par les réflexes intellectuels, l’inertie du conformisme et la dispersion des désirs, autant d'obstacles empêchant l'expression d'une singularité créatrice.

Cette voix de l’âme nous guide, à travers une série de stades évolutifs, sur la voie de l’individuation à la découverte de ce que nous sommes réellement.

Un filtre réductionniste

Saturée par un rationalisme abstrait qui nous conduit à une impasse de civilisation, portée par un courant post-matérialiste qui aspire à de nouvelles valeurs, notre culture contemporaine redécouvre depuis quelques années l’intuition et ses pouvoirs. Elle le fait le plus souvent de manière superficielle, à travers le filtre réductionniste et matérialiste qui fut celui de l’ancien paradigme.

C’est ainsi que d’aucuns définissent l’intuition comme une simple réaction instinctive et/ou émotionnelle, d’autres comme une faculté psy - synonyme de médiumnité -, certains comme une ressource utile au développement personnel, d’autres comme un « enjeu stratégique » pour les entreprises et d’autres encore comme une expression fondamentale de la créativité humaine.

Dans le contexte des neurosciences, elle est analysée comme une faculté cognitive. Roland Jouvent, professeur de psychiatrie et directeur du centre Émotion du CNRS à la Salpêtrière à Paris, la définit ainsi : « « La capacité intuitive consiste à percevoir des éléments contextuels et à les agencer de manière adaptative pour trouver une solution nouvelle dans un programme préétabli ou dans une situation répétitive ». ( Le cerveau magicien)

Si toutes ces approches et toutes ces définitions - et elles sont nombreuses - ont leur part de vérité, il ne faut réduire l’intuition à aucune d’entre elles. L’ancien paradigme - à la fois réductionniste et analytique, objectiviste et matérialiste - interdit de penser la dimension systémique et dynamique qui lie ces différents phénomènes et s’exprime à travers eux.

Une "vision intégrale" prend en compte la diversité de ces phénomènes et perçoit la continuité systémique qui les relie. C'est ainsi que transparaît l’unité profonde qui les sous-tend et les implique. Ces phénomènes corporels, émotionnels, cérébraux, mentaux, créatifs et spirituels apparaissent dès lors comme autant d'expressions d’une même présence subtile, profonde et dynamique, qui les transcende.

Un sujet d’interrogation

Par définition, l’intuition est indéfinissable. En enfermant le mystère dans une définition, en fixant une dynamique dans une forme spécifique, en expliquant ce qui est du domaine d’une implication subjective, on réduit l’ineffable à un discours et l’immédiateté de l’intuition à une médiation intellectuelle qui ne peut que la trahir, impuissante qu’elle est à s'en saisir de manière abstraite.

Irréductible à toute approche conceptuelle, l’intuition n’est pas un objet d’analyse mais un sujet d’interrogation et d’émerveillement, une invitée surprise qui ouvre la conscience sur de nouveaux horizons, une expérience intime qui tisse un lien secret entre l’homme et l’essentiel.

Seule la phénoménologie de l’expérience intuitive permet de décrire la façon dont la dynamique de l’intuition se manifeste à notre subjectivité à tel ou tel moment. Plus on essaie d’aborder l’intuition de manière intellectuelle et plus elle s’enfuit. Plus le mental lâche prise pour accueillir, en pleine conscience, une présence irréductible et plus l’intuition se dévoile dans sa vérité profonde : celle d’un « regard intérieur » (in-tueri) qui nous guide sur la voie évolutive de l’individuation.

Fondées sur un mouvement perpétuel, nos sociétés de l’information et de l’interconnexion sont devenues, selon certains observateurs, des « sociétés liquides ». Parce qu’elle est visionnaire, l’intuition permet de fixer un cap dans ce changement permanent. Parce qu’elle participe elle-même d’un flux vital et créateur, l’intuition est un gouvernail qui permet de s’adapter au changement et même de l’anticiper. C’est pour cela que l’on peut dire de l’intuition qu’elle est - en nous - la voix subtile de l’évolution.

L’éveil de l’être intérieur

Rares sont ceux qui, échappant au réductionnisme et à l’utilitarisme ambiant, osent aborder l’intuition dans toute sa profondeur et sa complexité. Judee Gee est de ceux-là. Pour elle : « L’intuition ouvre la porte de la vérité, des immenses mystères de l’existence, et des non moins immenses mystères de l’être humain ».

Depuis de nombreuses années, en France et ailleurs, Judee Gee dirige des ateliers et des formations sur le thème de la conscience incluant le développement de l’intuition, la relation consciente, la psychologie transpersonnelle et la respiration consciente. Auteur de Comment développer votre intuition. L’éveil de votre être intérieur, Judee Gee présente ainsi son ouvrage :

« Nous sommes tous intuitifs de naissance, mais notre intuition, endormie par nos fonctions rationnelles et étouffée par la foule de nos nécessités quotidiennes, reste un don qui sommeille en chacun de nous, attendant d’être éveillé. Une fois libérée, l’intuition peut alors, par le dépôt d’âme dont elle est le gardien, déverser ses bienfaits dans notre vie, nous pousser à prendre des risques vitaux, nous changer, voire nous révéler à nous-même comme à autrui, puis nous permettre d’aider les autres en leur rendant audible leur propre voix intérieure. C’est pourquoi elle est un élixir inépuisable pour une vraie transformation en profondeur... Alors, cette petite voix intérieure qui a toujours raison nous guide — contre adversités, errances et égarements — vers l’évolution de notre être véritable ».

C’est notamment parce que Judee Gee se réfère de manière explicite à une approche intégrale de l’être humain que nous avons eu envie de partager un extrait de cet ouvrage où l’auteur décrit le rôle évolutif de l’intuition.

L’intuition : invitation à la communication. Judee Gee

L’intuition, notre capacité à percevoir la vérité et à recevoir intérieurement une connaissance directe, est une capacité innée qui nous est bien utile pour diriger notre route à travers les innombrables défis de notre vie quotidienne. Elle nous aide à discerner ce qui est réellement en train de se produire, ce qui est réellement en train de se manifester, et ce qui est véritablement essentiel dans l’expression, à chaque instant, des événements et des interactions dont nous faisons l’expérience.

Du fait que l’intuition est rapide et qu’elle agit à un niveau de conscience quasi subliminal, nous devons être très attentifs pour enregistrer les impressions que nous recevons. Très souvent, l’incessant bavardage de notre mental rationnel – auquel se rajoute l’irrésistible attraction de nos désirs personnels – pollue notre champ de perception consciente et nous amène à une interprétation erronée des événements.

Les conclusions que nous en tirons et les actions qui en résultent vont peut-être nous aider à obtenir ce que nous pensons que nous voulons. Mais sans la capacité de discernement de la perception claire, de la compréhension et de la connaissance immédiate que notre intuition nous donne, nous allons rarement créer des résultats qui soient vraiment justes pour nous.

La sagesse de l’essentiel

En tant que voix de notre âme, l’intuition a un but premier : nous permettre de nous connecter à notre essence et de vivre notre vie en accord avec la sagesse de cette essence. Dans ce but, l’intuition ne va pas seulement nous indiquer la nature véritable des choses et leur signification dans notre vie. Elle va aussi nous montrer le lien intrinsèque qui existe entre nous-mêmes et le monde complexe et multidimensionnel avec lequel nous sommes constamment en interaction.

La perception intuitive nous aide à comprendre comment les nombreuses facettes de notre personnalité jouent avec le monde, comment elles contribuent aux événements innombrables que nous provoquons. Grâce aux prises de conscience que nous faisons, nous gagnons en liberté par rapport à nos comportements inconscients et compulsifs, en grande partie responsables de nos souffrances. Au fur et à mesure que nous grandissons intérieurement, notre perception du monde qui nous entoure s’élargit.

Notre vision approfondie nous montre alors que cette lutte que nous avons menée pour notre libération, en nous bagarrant avec nous-même, est clairement reflétée par notre entourage. Les symptômes de peur, de méfiance et d’isolement abondent. Beaucoup de personnes sont bloquées par la peur et leur position par défaut est une position de défense, puis de résistance. Nous avons besoin de courage pour baisser la garde, pour embrasser le monde et lui permettre de nous atteindre. L’ouverture du cœur est un choix, le choix par excellence pour cheminer vers la complétude.

Pour que l’intuition puisse vraiment fonctionner, nous devons être disposés à devenir vulnérables et à être vus et sentis dans notre vérité par les personnes de notre entourage. Nous devons placer notre confiance dans la sagesse de notre cœur et dans la bonté du monde, puis de façon systématique transformer toutes les croyances précédemment inconscientes ayant pu nous faire penser autrement.

L’interconnexion entre toutes choses

Quand nous nous engageons sur la voie du développement de notre intuition, nos sensations intérieures s’ouvrent et nous devenons capable de sentir, d’entendre et de voir à un niveau plus subtil. Nous découvrons un monde qui est plus que disposé à nous ouvrir ses mystères. Lorsque nous apprenons à observer, à recevoir, à écouter et à entendre, nos relations deviennent plus véritablement interactives et révèlent leur potentiel comme source réelle de nourriture pour le cœur et l’âme.

Du fait que notre sentiment trompeur d’isolement diminue et que nous acquerrons la compréhension sensorielle de l’interconnexion entre toutes choses, notre esprit fait un bond quantique du moi conscience (soi défensif) au nous conscience (soi supérieur), et les résultats de nos actions s’orientent vers un bien-être collectif.

Ayant l’intégrité comme principale priorité, nous sommes mieux équipés pour répondre véritablement, avec sagesse et justesse, aux demandes du moment. Une réponse juste produit un effet signifiant. Cela crée de la clarté, du calme, et un sentiment de sécurité tangible.

Quand nous honorons notre intuition, nous créons un monde plus sûr, à la fois pour nous et pour les autres. En procédant de la sorte, nous devenons un membre apprécié de la collectivité à laquelle nous appartenons, et à partir de là, rassuré au sujet de notre place et de notre valeur, notre horizon s’élargit.

Retour au Tout

L’existence nous confie de plus en plus de choses à propos de ses mystères et nous apprenons à accepter les paradoxes, les contradictions et les oppositions. N’étant plus dérangés par les paradoxes, nous allons plutôt nous en émerveiller. Quand notre vision s’ouvre, elle s’approfondit aussi. Nous voyons comment le monde est un lieu de polarités, où chaque aspect peut avoir sa place ainsi que son expression.

En tant que participant à cette expression de tout ce qui est, nous réalisons que l’existence soutient aussi le projet de totalité et d’intégrité. Nous faisons partie du voyage de guérison, du retour au Tout. Nous sommes conscients que tous ces drames et ces désespoirs occasionnels nous offrent en fait un périple qui n’a pas de prix.

Si nous acceptons et honorons tout ce qui est, si nous voyageons en direction du centre de nous-même, notre monde intérieur s’épanouit et nous rencontrons d’immenses espaces lumineux où être, tout simplement. Dans ces espaces, règnent silence et paix, amour et communion.

Notre intuition nous ramène à la maison, à la source de nous-même, à notre essence, à notre véritable état d’être. Dans cet état, nous trouvons la complétude, l’unité et la joie profonde d’être de retour au foyer. Et quand nous nous établissons dans l’équanimité de cet état intérieur, nous découvrons, à notre plus grande joie, qu’il est également reflété dans notre monde extérieur.

Ce texte de Judee Gee peut être lu ici sur le site de La Voie de la Conscience. Judee Gee vit dans le Sud de la France. Elle co-anime de façon régulière des programmes conçus par l’École de la Voie de la Conscience et dirige des ateliers dans différents autres pays du monde.
Comment développer votre intuition : l'éveil de votre être intérieur est un guide pratique dans lequel l’auteure nous délivre une expérience personnelle de plus de vingt années d’enseignement et de séminaires au cours desquels elle a mis au point les méthodes les plus efficaces pour se reconnecter avec son intuition et l’utiliser utilement et concrètement. Elle nous apprend à l’éveiller, la canaliser et la structurer grâce à des rituels, des exercices d’alchimie intérieure et des techniques de méditation, à la relier aux principes universels de circulation énergétique.

mardi 3 avril 2012

La Voie de l'Intuition (2) La Métanoïa


Nous ne sommes pas des êtres humains en recherche d’une expérience spirituelle, nous sommes des êtres spirituels vivant l’expérience humaine. Pierre Teilhard de Chardin

Ce billet est le second volet d'une réflexion initiée dans le précédent.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir cette icône de la science qu'est Albert Einstein - le plus grand savant du vingtième siècle - faire l’apologie de l’intuition et de l’imagination en mettant en question l’hégémonie d’une rationalité abstraite fondée sur le déni de la subjectivité. Une hégémonie qui réduit la conscience humaine à l’intellect en la coupant ainsi d’une participation intuitive au flux créateur de la vie/esprit.

C’est bien parce qu’il était le grand visionnaire dont nous avons parlé ici qu’Einstein fut aussi un grand savant appelant de ses vœux « une nouvelle façon de pensée qui est essentielle si l'humanité veut vivre ». Fondée sur l’intelligence intuitive, cette nouvelle forme de pensée intègre l’intuition holiste et la raison instrumentale pour accéder à ce que les poètes du Grand Jeu nommait « une synthèse de l’esprit humain». L'émergence de cette nouvelle forme de pensée est le produit d'une conversion radicale de la conscience nommée "métanoïa" par les anciens.


Un processus de déshumanisation

Durant le dix-neuvième siècle et la première moitié du vingtième siècle, les avant-gardes intellectuelles et artistiques ont constaté la domination sans partage de la raison abstraite en contestant le processus de déshumanisation auquel elle conduit.

S’il existe une continuité entre le romantisme, la phénoménologie, le vitalisme nietzschéen, la pensée évolutionniste d’un Bergson, les avant-gardes artistiques - de Dada aux Situationnistes en passant par les Surréalistes et le Grand Jeu - c’est la même résistance au rationalisme mais aussi une affirmation de la vie, de la subjectivité et des valeurs qualitatives dont celui-ci est la négation.

En s’inscrivant dans cette généalogie, la contre-culture des années soixante a initié une profonde « ré/orientation » culturelle c'est-à-dire un retour aux sources d’un orient intérieur qui s'est manifesté par un engouement pour les pensées et les pratiques traditionnelles fondées sur l'intuition holiste. En déconstruisant la domination technocratique au fil des décennies, un profond courant de rénovation culturelle a redécouvert le rôle essentiel de l’intuition. C’est ainsi qu’a émergé un nouveau paradigme fondé sur l’intégration entre la dynamique sensible de l’intuition et l’abstraction formelle de la raison.

Une conversion radicale

Pour retrouver la richesse cognitive de l’intuition dans une culture abstraite fondée sur le dévaluation de la subjectivité, il faut effectuer une véritable conversion, c'est-à-dire remettre à l’endroit ce qui est à l’envers. Cette conversion nécessite de passer d’une rationalité instrumentale qui dénie l’intuition à une intelligence intuitive qui lui redonne son rôle prééminent.

Le vocabulaire théologique parle de métanoïa pour évoquer cette conversion radicale qui est au cœur d’une métamorphose à la fois cognitive et spirituelle. Le préfixe grec méta- (avec, après, au-delà de) exprime tout à la fois la participation et la succession, le changement et le dépassement. Noïa renvoie à noos ou nous, l’esprit et la pensée en grec. Selon le Père Philippe Dautais : « Métanoïa signifie " au-delà de nous ", au-delà de l'intellect, de notre raison rationnelle et se rapporte à un mouvement de conversion ou de retournement par lequel l’homme s'ouvre à plus grand que lui-même en lui-même ».

Au-delà de la référence théologique, la métanoïa cosmoderne est ce retour aux sources créatrices de l’intuition qui libère la conscience d’un modèle réductionniste en développant une vision intégrale et une pensée transdisciplinaire. Comme l’écrit Shakti Gawain : « Ecouter son intuition et agir en fonction d’elle constitue la clé de l’intégration de l’esprit et de la forme. Plus vous le ferez, plus votre mental, votre personnalité et votre corps auront l’occasion de se fier à l’esprit et à s’en remettre à lui. Plus la forme s’abandonne à l’esprit et le suit, plus elle devient éclairée et puissante. » (Vivez dans la lumière)

Une pensée surplombante

Sociologue des mentalités collectives et de leurs mutations, Michel Maffesoli qualifie de « paranoïaque » la démarche abstraite qui fut au cœur de la modernité. Le préfixe grec para- signifiant "au-dessus" "à côté". Cette démarche paranoïaque est celle d’un regard «en surplomb» et désincarné où la conscience établit une distance avec le monde en pensant « au-dessus » ou « à côté » pour chercher à le maîtriser.

La rationalité abstraite relève de cette mise à distance qui, au cœur de l’abstraction et de l’observation, fige le monde et le fixe pour l’observer, le mesurer, l’analyser et se l’approprier à travers une démarche instrumentale. Fondé sur le déni de l’intuition et de la sensibilité c'est-à-dire de la vie même, de son mouvement et de son infinie diversité, cette pensée surplombante produit un sentiment de toute puissance infantile qui mime l’omniscience divine. On se souvient d’ailleurs de Baudelaire interpellant « Dieu, le plus grand des paranoïaques ».

Sans filiation et sans tradition, sans transcendance et sans appartenance, l’individu abstrait et narcissique de la modernité est bien sûr l’avatar de ce Dieu omniscient et omnipotent de la pré-modernité. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que, fille aînée de l’église, la France est devenue tout naturellement la mère du rationalisme moderne.

Dans cette perspective paranoïaque, la puissance spirituelle de l’individu et son intuition profonde sont niées au profit d’une appropriation délirante du mental qui transforme un milieu de vie en un environnement à dominer techniquement puis en ressources à exploiter économiquement, ruinant ainsi de manière suicidaire le biotope naturel, social et culturel qui permet à l’espèce humaine de se développer.

Paranoïa et Métanoïa

Michel Maffesoli estime que cette démarche « paranoïaque » propre à la modernité montre aujourd’hui ses limites et ses impasses. Devenue saturée et inadaptée, elle doit laisser la place à une autre approche qu’il qualifie de « métanoïaque ». Alors même que le délire objectiviste propre à la démarche paranoïaque avait mis l’individu hors-je, l’intelligence intuitive propre à l’approche métanoïaque remet la sensibilité au cœur de la connaissance.

L’approche métanoïaque ne consiste plus à penser « au-dessus » mais « avec » l’objet auquel on s’intéresse. Il ne s’agit plus de prendre une position surplombante qui sépare de manière abstraite pour expliquer, mais d’impliquer la sensibilité humaine dans son milieu d’évolution. La « prise de conscience » se transforme alors en « lâcher prise » qui libère des limitations mentales pour accueillir ce don sacré qu’est l'intuition selon Einstein.

L’étymologie de connaître c’est cum nascere : « naître avec ». L’intelligence intuitive permet de passer d’un savoir abstrait à cette pensée à la fois sensible et concrète, seule à même de vivre et d’éprouver la co-naissance. Le savoir abstrait est explicatif : en mettant à plat ce qui est du domaine de la profondeur, il produit un monde mécanique et unidimensionnel qui aliène la subjectivité.

L’intelligence intuitive ne cherche pas simplement à savoir mais à comprendre. Comprendre c’est prendre avec soi en participant à la relation sensible qui lie la subjectivité à son objet d’attention. En intégrant les éléments du milieu, cette com/préhension permet à la conscience de se développer à travers des stades successifs. L’approche métanoïaque ne relève donc pas d’une appropriation mais d’une compréhension qui participe intuitivement à la dynamique créatrice et intégrative de la vie/esprit au cœur de l’évolution.

Une anthropologie capitaliste

L’esprit du temps se manifeste à une époque donnée à travers toutes les dimensions humaines : intérieures et extérieures, individuelles et collectives. C’est pourquoi les sociétés font système et forme un tout. En rupture avec la participation sensible qui fut au cœur des cultures traditionnelles, l’épistémologie paranoïaque est fondée sur un principe de domination abstraite édicté par Descartes : « devenir comme maître et possesseur de la nature ».

Cette domination paranoïaque est la cause et la conséquence d’une anthropologie capitaliste fondée sur la centralité de l’égoïsme individuel et la dynamique de l'appropriation. L’anthropologie capitaliste c’est le règne de cet ego qu’Andrew Cohen définit comme « l’attachement intense et l’identification à notre personnalité en tant que distincte et séparée ».

La domination paranoïaque identifie la conscience au mental et le mental à la satisfaction des intérêts égoïstes. Ce délire d’appropriation produit un processus morbide de déshumanisation qui est à l’origine de l’ère économique, cette période contemporaine - analysée ici - où l’économie, devenue le modèle d’interprétation dominant, impose la tyrannie comptable des apparences. Exit du lien social tout ce qui excède la dimension utilitaire. Victoire de l’homo oeconomicus sur l’homme total. L’avoir et le savoir usurpe la place de l’être et du co-naître

Et si le délire de persécution propre à la conscience paranoïaque n’était rien d’autre que le retour pathologique d’une intuition refoulée ? A force d'être niée, cette "confiance cosmique" qu'est l'intuition revient hanter la conscience collective, de manière violente et pervertie, sous la forme d'une défiance généralisée. C’est ainsi que l’air du temps capitaliste est fondée sur un imaginaire de compétition et de concurrence exacerbé, celui d'une loi de la jungle où règne la lutte sans merci des individus les uns contre les autres. Sous l’emprise de cet imaginaire capitaliste, l’homo oeconomicus se pose en victime potentielle de cette loi de la jungle pour justifier la désinhibition de ses pulsions égoïstes et prédatrices.

Un don sacré

Cette analyse des présupposés épistémologiques qui fondent la mentalité contemporaine montre le lien systémique et organique qui existe entre un mode de pensée rationaliste fondée sur la domination paranoïaque et une société capitaliste fondée sur la toute puissance de l’ego. Ce serait une profonde illusion que de vouloir changer notre organisation sociale sans déconstruire l’épistémologie paranoïaque qui l’inspire et sans imaginer une alternative fondée sur une épistémologie métanoïaque.

On ne pourra se libérer des impasses de l’ère économique qu’à travers un processus de régénération et de réhumanisation qui inverse le mouvement de régression anthropologique et culturelle que nous venons d’analyser. La reconnaissance et le développement d’une intelligence intuitive initie un tel processus: elle libère la conscience de son identification au mental et le mental de son identification à l’ego.

Einstein qualifie l’intuition de don sacré et la raison de servante fidèle. Si la seconde doit être subordonnée à la première, c’est que le don sacré de l’intuition est une faculté liée à une conscience à la fois supérieure et intérieure alors que la raison est un faculté liée à l’ego. C’est parce qu’ils avaient conscience de cela que nombre d’enseignements traditionnels expriment une méfiance vis-à-vis de la volonté d’appropriation du mental.

C’est cette méfiance qui dicte la nécessaire subordination du mental à l’intuition sous peine pour la conscience de se perdre dans une abstraction mortifère et un délire d’appropriation. En retrouvant le lien intuitif avec l’esprit qui la guide et l’anime, la conscience retrouve son pouvoir spirituel. En se mettant au service d’une intuition qui la transcende, la raison crée les structures qui participent au développement du monde formel.

La cosmodernité

De nombreux auteurs ont analysé l’émergence d’une ère postmoderne - que nous qualifierons pour notre part de cosmodernité - qui naît de l’intégration de la rationalité abstraite et de l’intuition holiste. Maffesoli définit par exemple cette post-modernité comme "la synergie de phénomènes archaïques et du développement technologique".

Résultant d’une approche métanoïaque, cette cosmodernité affirme la prééminence de l’intuition sur la raison instrumentale. En modifiant en profondeur tant notre vision du monde que le lien social, cette transformation essentielle inspire de nouvelles formes de pensée, de sensibilité et d’organisation. En dissipant et en dépassant l'illusion intellectuelle d'une séparation de l’individu avec son milieu, l'intuition permet de retrouver le sens d'une globalité à laquelle participe la subjectivité humaine.

« Un être humain fait partie d'un tout que nous appelons "l'Univers" écrit Einstein; il demeure limité dans l'espace et le temps. Il fait l'expérience de son être, de ses pensées et de ses sensations comme étant séparés du reste - une sorte d'illusion d'optique de sa conscience. Cette illusion est pour nous une prison, nous restreignant à nos désirs personnels et à une affection, réservée à nos proches. Notre tâche est de nous libérer de cette prison en élargissant le cercle de notre compassion afin qu'il embrasse tous les êtres vivants, et la nature entière, dans sa splendeur ».

Le rationalisme renforce cette illusion d’optique qu'est l’ego en tant qu’entité séparée. Il nous faut donc de nouvelles lunettes pour compenser cette illusion d'optique et voir la vie dans toute sa profondeur : ce qu'en langage savant on nomme un nouveau paradigme. Parce qu’elle est fondamentalement holiste – c'est-à-dire qu’elle participe intimement à une totalité qui la transcende – l’intuition nous libère de cette illusion.

Un processus de décentrement


L’évolution humaine apparaît dès lors comme un long processus de décentrement qui libère de l'emprise des intérêts purement égoïstes et des illusions d'optiques du mental pour se développer à travers des stades évolutifs de plus en plus complexes et intégrés. Comme l’écrit Jacques Ferber à propos de l’approche intégrale de Ken Wilber :

« Notre conscience évolue, et elle se développe en prenant en compte des aspects de plus en plus large du monde qui nous entoure. On passe ainsi par une série de stades: fusionnel, égocentrique, ethnocentrique, géocentrique (ou mondocentrique), etc. qui constituent à chaque fois un élargissement de notre perspective, une révolution copernicienne dans laquelle, à chaque fois, nous quittons le centre d'un univers que nous croyons conçu autour de nous, à notre mesure ».

C’est ainsi qu’un stade évolutif après l’autre s’effectue le parcours de l’individuation qui n’est rien d’autre qu’une longue, difficile et profonde métanoïa à travers laquelle l’homme dépasse ses limites pour s’ouvrir à ce qui le fonde, l’anime et le transcende.

Au cours de ce processus où il s’éveille à sa nature essentielle, l’être humain constate, comme Pierre Teilhard de Chardin, que « Nous ne sommes pas des êtres humains en recherche d’une expérience spirituelle, nous sommes des êtres spirituels vivant l’expérience humaine ». C’est vers ce changement de perspective fondamental que se dirige l’humanité au cours prochain stade évolutif qu’elle est en train d’aborder.

A lire dans le Journal Intégral sur les rapports entre raison et intuition :

Le Chaman et le Savant, Le Coeur et la Raison, Le Savant Fou, Penser la Catastrophe.

mardi 27 mars 2012

La Voie de l'Intuition (1)


L’intuition est un don sacré et la raison, une fidèle servante. Nous avons crée une société qui honore la servante en oubliant le don. Albert Einstein

A travers cette phrase, Albert Einstein pose, de manière synthétique, le problème essentiel auquel notre civilisation se trouve confrontée : l’hégémonie d’une rationalité abstraite enfermant la conscience humaine dans un modèle technocratique qui la coupe d’une participation intuitive au flux créateur et évolutif de la vie/esprit.

Le déni contemporain de l’intuition conduit à une profonde régression : notre culture abstraite identifie la conscience au mental et le mental à la satisfaction des intérêts égoïstes. Dans une telle société, l’économie devient tout naturellement le modèle d’interprétation dominant qui réduit l’homme à la figure abstraite de calculateur égoïste.

Mais ce modèle technocratique est saturé. Il n’est plus adapté à l’ère qui vient : celle de l’information et de l’interconnexion fondée sur l'immédiateté et d'où émergent de nouvelles formes de sensibilité, de pensée et d'organisation.
L'ancien modèle s’effondre à travers une crise systémique qui est, en fait, une crise évolutive : à cet effondrement correspond l’émergence d’un nouveau modèle adapté au prochain stade évolutif où l’intuition retrouve toute sa place.


Le paradigme émergent associe intuition holiste et raison instrumentale en redonnant à la première sa fonction prééminente et en remettant la seconde à sa place qui est celle d’un moyen au service d’une finalité qui la transcende.

Cette série de billets intitulée La voie de l’intuition explore quelques uns des multiples visages de l’intuition et les rapports que celle-ci entretient avec la raison, la création et l’évolution tant sociale que spirituelle.


Un regard intérieur

La conscience - tel Janus - possède deux faces. L’une, immédiate, liée à l’intériorité : c’est l’intuition qui fonctionne sur le mode d’un « regard intérieur », puisque tel est le sens de in-tueri, son étymologie latine. L’autre, instrumentale et utilitaire : c’est la rationalité qui, pour adapter l’homme à son environnement, fonctionne sur le mode d’une formalisation logique et abstraite.

Notre culture moderne déteste tout ce qui n’est pas réductible à une définition conceptuelle. Mais vouloir définir l’intuition c’est la réduire à une de ses multiples expressions qui appartiennent à un vaste spectre de phénomènes allant de l’inspiration visionnaire à l’instinct en passant par toutes les dimensions – corporelle, émotionnelle, intellectuelle, créatrice et spirituelle – de l’être humain.

Ce qui fait justement la spécificité de l’intuition, c’est qu’elle est irréductible : impossible de réduire ce « regard intérieur » à une de ses manifestations puisque, se situant toujours au-delà, il les transcende tous.

Le fil et le flux

L’intuition apparaît comme la voix d’un mystère qui dépasse nos facultés de raisonnement. Pour se familiariser avec elle, il faut donc quitter le terrain objectif du phénomène ou celui abstrait du concept pour rejoindre le sien, celui d'une expérience subjective véhiculée à travers le langage poétique de l’analogie et de la métaphore.

Dans l’expérience vécue par les créateurs, les visionnaires et les mystiques, l’intuition est décrite notamment comme un flux et une source, une voix et un fil. Un fil ténu et fragile qui conduit la conscience à une dimension supérieure où elle participe à l’ordre interne qui sous-tend l’univers physique et dont celui-ci est une manifestation matérielle.

Un flux qui s’exprime à travers toutes les dimensions de l’être humain – sensations, émotions et conceptions – comme un même courant d’énergie, connecté à cette force évolutive et créatrice qui anime aussi bien le microcosme humain que le macrocosme universel.

Comme l’écrit le philosophe André Lalande : « Le discours ne crée rien par lui même, il n'est qu'un moyen de transport, un canal conduisant l'eau d'une source. Notre force, pour la connaissance, est toute dans l'intuition, et notre faiblesse dans la nécessité de prouver médiatement ce dont la vérité ne s'impose pas d'elle même ». (Les raisons et les normes)

En quittant la terre statique des concepts pour entrer dans le flux vivant des relations, l’intuition libère la conscience des limites individuelles et des logiques formelles pour participer à la dynamique associative et intégrative de la vie/esprit. L’intuition dévoile l’unité organique qui relie la subjectivité à ses objets d’attention et les deux à une même source qui est celle de l’Esprit.

Henri Bergson
faisait de l’intuition la pierre de touche de sa pensée évolutionniste. Dans La pensée et le mouvant, il écrit : « Un absolu ne saurait être donné que dans une intuition ... nous appelons ici intuition la sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent d'inexprimable ».

Une connaissance immédiate

Toutes les traditions, à travers l’histoire, font part des mêmes expériences intuitives vécues comme un mode de connaissance immédiat qui pénètre la profondeur du réel en participant intimement à la continuité indivisible de la vie intérieure. Chaque tradition a développé ses propres rituels et ses méthodes pour se relier à l’intuition et pour la développer, notamment à travers des états d’expansion de conscience.

Ami de Teilhard de Chardin et de Bergson, Edouard Le Roy écrit ceci : « Ce qui caractérise avant tout l'intuition, c'est d'être une connaissance antérieure parfois, en tout cas supérieure à l'analyse, à la réflexion abstractive, une connaissance transcendante au discours, source plutôt que résultat du discours, une connaissance enfin qui se justifie rien qu'en se présentant, qui porte son évidence avec soi. » (La Pensée intuitive)

Liée à l’hémisphère droit du cerveau qui perçoit les relations et les ensembles, l’intuition est cette faculté qui permet à la conscience de se connecter à la force créatrice de la vie/esprit et qui exprime cette force à travers une forme symbolique et/ou esthétique qui la contient et la manifeste en même temps.

Cette forme n’est pas rationnelle mais opérationnelle, c'est-à-dire qu’elle opère dans la conscience une connexion avec le flux de l’intuition créatrice qui l’a générée.
Les clés de cette pensée opérationnelle sont transmises à travers des traditions herméneutiques propres à chaque culture.

Une représentation abstraite

Alors que l’intuition relève d’une résonance intérieure qui perçoit de manière immédiate, globale et dynamique, le mental est à l’origine d’un raisonnement qui - via un processus d’abstraction intellectuelle - sépare, analyse et objective dans le but de l’action. Bergson a bien montré comment l’intelligence humaine advient, durant le long processus de l’évolution, comme un outil au service de la vie. Selon lui, la faculté de comprendre apparaît dès lors comme une annexe de la faculté d’agir :

« De là devrait résulter cette conséquence que notre intelligence, au sens étroit du mot, est destinée à assurer l'insertion parfaite de notre corps dans son milieu, à se représenter le rapport des choses extérieures entre elles, enfin à penser la matière... La nature a doté l'homme d'une intelligence fabricatrice. Au lieu de lui fournir des instruments, comme elle l'a fait pour bon nombre d'espèces animales, elle a préféré qu'il les construisît lui-même ».

Ce que la rationalité nous donne à voir ce n’est pas l’homme ou la nature mais une représentation abstraite de ceux-ci en vue de l’action. La logique distinctive, abstraite et linéaire, liée à l'hémisphère gauche du cerveau, permet de classer et de contextualiser l'information. Cette formalisation logique et conceptuelle destinée à l’action construit un rapport d’objectivation instrumentale avec le milieu que celui-ci soit naturel ou social.

Deux visions du monde

Ces deux modes de connaissance que sont l’intuition et la raison donnent naissance à deux visions du monde : la vision holiste de la résonance intuitive et la vision analytique du raisonnement abstrait.

L’intuition implique la subjectivité dans la connaissance de son milieu d’évolution. Elle inspire une vision holiste qui fut celle des traditions, fondée sur la participation intime du microcosme humain à un macrocosme universel dont il se sent partie intégrante. Cette participation intuitive est initiatique : elle à l'origine d'un processus d'universalisation à partir duquel la conscience évolue à travers divers stades évolutifs de profondeur et d'intégration croissante.

Fondée, quant à elle, sur une approche objective qui met une distance abstraite entre la conscience et ses objets d’attention, la rationalité est explicative : elle analyse une totalité en séparant de manière abstraite ses éléments. La raison inspire une vision du monde - l'universalisme abstrait - qui fait la promotion d'un individu autonome et rationnel, désaffilié de toutes ses appartenances culturelles, sociales et spirituelles.

Un coup d’état d’esprit

A partir de la Renaissance, la modernité émerge en tant que nouveau stade de l’évolution culturelle qui s’émancipe de la vision traditionnelle pour promouvoir les valeurs de la raison, de l’individu et du progrès.

La modernité est marquée par le développement progressif de la raison instrumentale auquel correspond la dévaluation graduelle de l’intuition. Durant le dix-septième et dix-huitième, intuition holiste et raison analytique ont tendance à s’équilibrer dans une synthèse novatrice qui inspire la philosophie des Lumières jusqu’au moment où s’opère, au cours du dix-neuvième siècle, un véritable coup d’état d’esprit : la raison instrumentale usurpe le pouvoir souverain de l’intuition.

A l’origine de cette usurpation, l’hypostase de la raison crée le rationalisme : une hégémonie de la rationalité instrumentale produite par le déni et/ou la diabolisation d’une intuition caricaturée et stigmatisée sous la forme de l’irrationnel.Fondée sur la séparation et l’abstraction, la raison - devenue autonome - crée un univers unidimensionel à son image où la relation, la profondeur et le mouvement disparaissent au profit d’une vision instrumentale et objective, à la fois mécanique et technocratique.

Conséquence de ce coup d'état d'esprit : la société technocratique où nous vivons pourrait être définie comme la tyrannie des moyens sur les finalités qui les transcendent.Placé sous la tutelle d’un rationalisme abstrait, l’homme moderne est infantilisé, réifié, castré de son potentiel créateur, incapable de donner un sens à sa vie et de donner vie à une existence fantomatique, devenue totalement insensée. Dès lors que l'individu perd le sens de l'orientation existentielle, son autonomie se transforme en automatisme régi par le jeu compulsif des pulsions narcissiques et des intérêts égoïstes. Le processus évolutif de l'individuation se pervertit en individualisme régressif.

Un nouveau mode de pensée


Les impasses de notre société technocratiques sont celles d’une science sans conscience qui, elle-même, est la conséquence d’une conscience déconnectée de la source vivifiante et créatrice de l’intuition. L’émergence impérative d’une autre forme de pensée est indispensable pour sortir de ces impasses. La crise évolutive que nous vivons correspond à la fin de l’ère économique et à l’émergence d’un autre modèle qui inspire un nouveau mode de pensée.

Pour Einstein : " La puissance déchaînée de l'homme a tout changé, sauf nos modes de pensées et nous glissons vers une catastrophe sans précédent... Il devient indispensable que l'humanité formule un nouveau mode de pensée si elle veut survivre et atteindre un plan plus élevé ". Cette pensée novatrice nécessite de changer de niveau de conscience car, selon lui, "aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l'a engendré ".

Ce changement évolutif implique l’inversion des rapports entre raison et intuition. Se libérer de la tyrannie technocratique c’est redonner à l’intuition sa fonction prééminente de « regard intérieur » et remettre la raison à sa juste place : celle d’un moyen au service d’une totalité multidimensionnelle qui le dépasse.
( A suivre...)

mardi 20 mars 2012

Les Enfants du Monde Nouveau

Nous devons nous souvenir que nous sommes les enfants du monde nouveau. Shakti Gawain
Juste après avoir posté le billet précédent intitulé Les enfants du futur (2), je suis tombé sur un texte où Shakti Gawain décrit le profond changement de paradigme que nous sommes amenés à vivre, en dressant le portrait des « enfants du monde nouveau », ces frères des enfants du futur que je venais moi-même d’évoquer.

Une synchronicité

Croyez-vous au hasard ? Moi pas.

Le mot hasard appartient au langage d’un mental rivé aux apparences. Il est intraduisible dans le champ d’une conscience qui perçoit ces mêmes apparences comme la manifestation d’un ordre plus profond auquel l’intuition lui donne accès. Là où le mental réduit les coïncidences à une forme de hasard, l’intuition les perçoit comme l’expression d’un ordre sous-jacent, qu’il faut apprendre à interpréter, et ce, dans les deux sens du terme.

Le nouveau paradigme inspire une vision intégrale qui associe raison et intuition au sein d’une intelligence intuitive.
Pour cette dernière, l’idée même de hasard est l’expression d’une limitation intellectuelle qui ne saisit que l’aspect extérieur des phénomènes parce qu'elle est incapable de participer, de manière sensible, à la dynamique interne dont ces phénomènes sont la manifestation.

C’est donc de synchronicité qu’il faut parler pour évoquer cette coïncidence significative qui s’est déroulée Jeudi 15 Mars vers minuit. La veille, je venais de poster le billet intitulé Les enfants du futur (2). Avant de dormir, je prends un livre prêté récemment par une amie : Vivez dans la lumière de Shakti Gawain, une auteure américaine qui a notamment écrit Techniques de visualisation créatrice, traduit dans le monde entier.

Deux textes en miroir

Je commence donc à lire le premier chapitre intitulé Une nouvelle façon de vivre qui commence ainsi : « Nous vivons à une époque très intéressante, riche en possibilités. Au niveau le plus profond de la conscience, une transformation radicale est en train de se produire. Sur un plan universel, nous sommes, me semble-t-il, invités à abandonner notre façon de vivre actuelle pour en créer une autre, tout à fait nouvelle. Nous entrons dans un processus de destruction de notre vieux monde et de construction d’un monde nouveau destiné à le remplacer ». Deux pages plus loin, l’auteure écrit : « nous devons nous souvenir que nous sommes les enfants du monde nouveau ».

Ces phrases font écho, de manière profonde, à celles que je venais d’écrire moi-même dans le texte posté la veille où, parlant des enfants du futurs, je notais : « S’ils osent l’imaginaire, c’est parce qu’ils en font le vecteur d’une force spirituelle capable d’inventer un nouveau monde... S’ils avancent ainsi, l’air si assuré, c’est qu’ils savent que le vieux monde n’a plus à être détruit puisqu’il est déjà en ruine. Sur ce champ de ruines, ils cheminent en chantant et s’inventent ensemble, en riant, un destin d’architecte».

Les enfants du futur sont les frères des enfants du monde nouveau dont parle Shakti Gawain. Si la musique est la même, inspirée par l’esprit du temps, les paroles diffèrent quelque peu par l’origine et l’imprégnation culturelle de leurs auteurs. Un mélange d’abstraction, de lyrisme et de perspective critique, côté européen ; une approche plus directe et pragmatique, concrète et simple - voire parfois simpliste - du côté américain.

Tant il est vrai que les américains, de par leur tradition culturelle, n’éprouvent pas cette suspicion généralisée que suscite chez nous - de manière plus ou moins consciente - une dimension spirituelle réduite bien souvent au domaine stigmatisant de « l’irrationnel ». Ces deux textes, l’européen et l’américain, fonctionnent en miroir l’un par rapport à l’autre, apportant chacun sa couleur complémentaire et faisant ainsi apparaître sa propre originalité.

La loi de l’attraction

Ce que révèle cette synchronicité, c’est que la force créatrice de notre esprit attire à nous les éléments de complémentarité et de compréhension dont nous avons besoin pour avancer. Par la loi universelle de l’attraction, ce que nous sommes et ce que nous pensons fait venir à nous ce qui nous ressemble et ce qui nous permet d'évoluer. La rencontre avec telle personne, la lecture de tel ouvrage, l’apparition de telle opportunité ne sont pas les fruits du hasard mais autant d'occasions qui, si on sait les saisir, permettent de se développer.

Il ne s’agit pas de tomber dans le piège d’une pensée magique qui est la résurgence des fantasmes infantiles de toute-puissance mais de reconnaître la magie d’une pensée qui participe à la dynamique évolutive et créatrice régissant l’univers. Nous avons tous en nous un pouvoir spirituel capable de transformer le poids du destin en une destinée créatrice.
Ce pouvoir se heurte à l’inertie de la matière qui s’exprime à travers les conformismes, les préjugés et les habitudes. A notre époque, le trajet évolutif de l’individuation consiste à se libérer des ces limitations pour inventer ce nouveau monde qui est celui d’une humanité reconnectée à son pouvoir spirituel.

C’est ainsi que le spectre du hasard - ce fantôme d’une raison déconnectée de l’intuition profonde - se dissout dans la lumière d’une conscience inspirée qui perçoit, derrière les apparences, le Grand Jeu de l’Esprit Universel auquel elle participe de manière intuitive.

En écho aux Enfants du Futur, j’ai donc eu envie de partager avec les lecteurs du Journal Intégral ce texte où Shakti Gawain évoque ces enfants du monde nouveau que nous sommes aujourd'hui et la façon qu’ils ont de vivre en abordant un nouveau stade évolutif.

Une nouvelle façon de vivre. Shakti Gawain

Nous vivons à une époque très intéressante, riche en possibilités. Au niveau le plus profond de la conscience, une transformation radicale est en train de se produire. Sur un plan universel, nous sommes, me semble-t-il, invités à abandonner notre façon de vivre actuelle pour en créer une autre, tout à fait nouvelle. Nous entrons dans un processus de destruction de notre vieux monde et de construction d’un monde nouveau destiné à le remplacer.

Le monde ancien reposait sur des critères extérieurs : ayant perdu notre lien spirituel fondamental, nous nous sommes mis à croire que le monde matériel était la seule réalité. Nous sentant de ce fait profondément perdus, vides et seuls, nous avons essayé sans cesse de trouver le bonheur et l’accomplissement dans des « choses » extérieures : l’argent, les biens matériels, les relations, le travail, le succès, les bonnes actions, la nourriture ou la drogue.

Le nouveau monde se construit dès que nous nous ouvrons à la puissance supérieure de l’univers qui est en nous et que, consciemment, nous laissons cette énergie créatrice circuler en nous. Dès que nous établissons le contact avec notre conscience spirituelle intérieure, nous découvrons que le pouvoir créateur de l’univers réside en nous. Nous apprenons aussi que nous pouvons créer notre propre réalité et prendre nos responsabilités dans ce domaine. Le changement commence en chacun de nous et plus nombreux sont les individus transformés, plus la conscience collective s’en trouve modifiée.

Je me suis rendu compte de la profonde transformation de conscience qui s’opère actuellement, à partir des changements que j’ai observés en moi-même, chez ceux qui m’entourent et dans notre société. Elle m’est confirmée par les milliers de gens avec qui je travaille dans le monde. J’utilise les termes de « monde ancien » et « monde nouveau » tout au long du livre pour désigner l’ancienne façon de vivre que nous laissons derrière nous et la nouvelle que nous sommes en train de créer.

Un niveau supérieur de conscience


Pour beaucoup de gens, cette époque risque de s’avérer éprouvante, car le monde et/ou nos vies personnelles vont sembler aller de mal en pis, comme si tout ce qui marchait bien autrefois ne marchait maintenant plus. Je crois que tout se désagrège et se désagrégera de plus en plus, mais je ne le ressens pas en négatif. Nous n’en serons perturbés qu’à la mesure de notre degré d’attachement affectif à notre ancienne façon de vive et aux vieux schémas que nous voudrions continuer à appliquer, au lieu d’essayer d’ouvrir les yeux sur les changements profonds qui ont lieu.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces changements constituent la plus incroyables des bénédictions, au-delà de tout ce que nous aurions pu imaginer. Le vérité toute simple est : l’ancienne façon de vivre, que nous avons appliquée pendant des siècles, ne fonctionne pas. Elle ne nous a jamais apporté le profond épanouissement, la satisfaction et la joie que nous avons toujours cherchés.
Bien sûr, certains ont mené des vies relativement heureuses (en y regardant bien, toutefois, je me demande s’ils n’étaient pas relativement déçus, douloureux et insatisfaits). La plus heureuse des vies du monde ancien ne peut pas se comparer à la joie et à la plénitude profondes qui seront accessibles au niveau supérieur de conscience du monde nouveau.

Nous nous trouvons un peu comme si, toute notre vie, nous étions allés à l’école et avions reçu une éducation qui nous oriente dans le sens contraire du fonctionnement de l’univers. Nous essayons de faire marcher les choses comme on nous l’a appris et nous jouissons à l’occasion d’un certain degré de succès, mais pour la plupart d’entre nous rien ne se révèle jamais à la hauteur de nos espérances.

Le relation parfaite ne se matérialise jamais, ou bien, si elle se produit, elle s’altère tôt ou tard, ou se flétrit. Ou alors on a l’impression de ne jamais avoir tout à fait assez d’argent ; on ne se sent jamais vraiment en sécurité, jamais assez prospère. Peut-être n’obtenons-nous pas l’estime, l’intérêt ou le succès que nous attendions. Même si nous atteignons l’un ou l’autre de ces buts, nous continuons à souffrir d’un vague sentiment qu’il doit exister autre chose de plus profond.

Certains d’entre nous, qui sont en contact avec ce sens plus profond, se sentent incroyablement comblés et s’épanouissent par leur prise de conscience spirituelle grandissante. Il reste néanmoins d’anciens schémas, réfractaires et des aspects de la vie que la lumière ne semble pas avoir encore touchés.

Transition vers le monde nouveau

Notre tâche première, en construisant le monde nouveau est donc d’admettre que notre « éducation à la vie » ne nous a pas nécessairement appris une façon de vivre satisfaisante. Il nous faut retourner au jardin d’enfants et commencer à apprendre une façon de vivre complètement opposée à la précédente. Cette tâche ne se révélera peut-être pas facile et elle nous demandera du temps, un engagement et du courage. Il nous faudra user d’indulgence envers nous-mêmes et ne jamais oublier que nous entreprenons un travail énorme.

L’enfant tombe sans arrêt en apprenant à marcher et nous devons nous souvenir que nous sommes les enfants du monde nouveau. Nous apprendrons en commettant beaucoup d’erreurs et, souvent, nous nous sentirons ignorants, effrayés ou peu sûrs de nous. Il ne nous viendrait pas à l’idée de nous fâcher contre un enfant chaque fois qu’il tombe (si nous le faisions, il n’apprendrait probablement jamais à marcher avec une totale confiance), aussi faut-il essayer de ne rien nous reprocher si nous ne sommes pas capables de vivre et de nous exprimer immédiatement aussi pleinement que nous le souhaiterions.

Nous allons maintenant apprendre à vivre en accord avec les vraies lois de l’univers. Vivre en harmonie avec l’univers, c’est vivre pleinement la vitalité, la joie, la force, l’amour et la prospérité à tous les niveaux. Et bien qu’il nous semble parfois difficile d’abandonner le monde ancien, cela vaut la peine, à n’importe quel prix, de faire la transition vers le monde nouveau.

mercredi 14 mars 2012

Les Enfants du Futur (2)

Dessin de Moebius. En hommage.

Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. René Char

Ce billet est la suite du précédent et nécessite, pour être compris, la lecture de ce dernier...

Où les enfants du futur trouvent-ils la force d’oser ? Dans Eros, il y a oser. Sur les ailes de l’extase amoureuse, leur sensualité s’envole du nid vibrant des sensations pour fusionner à un même souffle qui se transmue jusqu’à devenir le souffle du Même.

En actualisant les voies des anciennes érosophies, ils puisent à même la puissance de leur désir pour en extraire une jouissance solaire qui prend sa source à la joie d’être. Leur corps est la racine de cet arbre de vie tendu vers l'essentiel.

Leur sensibilité tisse avec l’invisible de liens secrets grâce auxquels ils communiquent sans paroles. D’esprit à esprit, la télépathie est ce fil supra-sensible qui relie les transparences au-delà des apparences.

Leurs perceptions se développent à travers tous leurs véhicules, physiques et subtils, dans le réseau intime de leur ressenti. En retrouvant les clés d’une énergétique qui, dans les cultures traditionnelles, faisait de l’être humain un pont entre matière et esprit, ils inventent une Cosmodernité qui intègre la sensibilité concrète de la tradition et la pensée abstraite de la modernité.

L’intention créatrice


A la source du silence, les mots retrouvent leur puissance de feu : n’ayant plus rien à dire, ils ont tout à enchanter. Parce qu’ils habitent l’instant comme la pulsation même du Verbe créateur, les enfants du futur attirent à eux l’évènement qui les fera advenir à ce qu’ils sont.

Ils connaissent la puissance créatrice de l’intention et s’ils osent l’imaginaire, c’est parce qu’ils en font le vecteur d’une force spirituelle capable d’inventer un nouveau monde. Ils n’enferment pas l’infini de l’esprit dans une définition. La forme leur apparaît comme l’épiphanie sensible d’un mystère qui se révèle à travers elle.

Si leur vie est poésie, c’est que la poésie leur est vitale : une manière pour eux de participer à l’unité organique qui relie l’homme au monde et les deux à une même source.

Plus qu'un art de vivre, la poésie devient un art de vibrer. L’art d’interpréter leur expérience avec profondeur en percevant chaque évènement comme un signe des temps et chaque forme comme l’expression d’une force dynamique à laquelle ils participent intuitivement.

Chaque phénomène leur apparaît comme la simple manifestation d’une irréductible complexité et chaque individu comme un « lieu géométrique dans le temps et dans l'espace du devenir de l'esprit » selon la belle définition du poète Roger Gilbert-Lecomte qui ajoutait comme un clin d’œil : « Et ce lieu géométrique que je suis n'a pas à s'enorgueillir de sa qualité d'individu qui ne lui vaut en propre que son coefficient d'erreur individuelle ».

Poéscience

Les enfants du futur participent intimement à cette force créatrice qui fait mouvoir les étoiles, les hommes et les particules dans un rêve harmonique qui ressemble à la réalité d’un Kosmos multidimensionnel en évolution. Leur pensée concrète est non duelle : elle voit dans les choses et les formes la trace secrète de l’être et dans l’être, cette totalité qui les constitue comme partie intégrante.

Pour les enfants du Futur, la poésie est poéscience : connexion intuitive de la sensibilité au Kosmos en évolution. Non pas une science exacte qui fige le devenir dans le regard instrumental de l’observation. Mais une science de l’exactitude qui participe de manière intime à ce devenir et qui anticipe en s’accordant à une intuition visionnaire, irréductible à la mesure et à l’abstraction.

Cette gnose évolutionnaire perçoit l’histoire comme l’avènement de l’esprit et l’évènement comme une expression ponctuelle de cet avènement, à travers laquelle l’Esprit actualise le potentiel infini de son énergie créatrice.

Une longue chaîne évolutive

En honorant ceux qui les ont précédés, les enfants du Futur savent reconnaître une partie d’eux-mêmes dans le miroir tendu par le passé: leur vie s’inscrit comme le maillon transitoire d’une longue chaîne évolutive dont ils sont les héritiers.

Leur mémoire a des milliards d’années. L’Univers est leur famille, la Vie est leur mère et leur père est l’Esprit. Leur arbre généalogique correspond à celui, immémorial, de l’évolution qui puise ses racines dans le temps et qui élève ses branches vers l’intemporel.

Parce qu’ils veulent transmettre cet héritage en partageant leur émerveillement, ils luttent contre cette folie collective qui s’est emparée de nos contemporains et qui consiste à dilapider en quelques générations le patrimoine de l’évolution.

Possédés par l’avidité, défigurés par l’égoïsme, les contemporains sont si pauvres d’esprit qu’ils se comportent en nouveau riches : ils croient propriétaires de ce dont ils ont hérité alors qu’ils n’en sont que les dépositaires chargés de le préserver, le développer et le transmettre.

Sans racines et sans passé, l’homme abstrait et narcissique de l’hypermodernité est incapable d’imaginer le futur, préférant se divertir pour oublier et préférant oublier pour ne pas se désespérer d’une condition devenue inhumaine.

C’est pourquoi les enfants du futur aux yeux de force et de feu sont la cible émouvante des chiens de garde dont la mission est de dévaluer les paroles inspirées qui dérangent le désordre établi, fondé sur le déni de l’essentiel.

Les chiens de garde

Toute l’histoire humaine naît de la tension entre dynamique spirituelle et inertie matérielle. A la force de l’esprit qui est celle des visionnaires, s’oppose toujours la force des choses - celle de l’inertie - nourrie et entretenue par les intérêts dominants qui habillent le conformisme aux couleurs de l’institution.

Ainsi la puissance créatrice de l'intuition rencontre-t-elle toujours la résistance conformiste de l’institution qui la dénature pour neutraliser sa force subversive.

Depuis tout temps, la stratégie des chiens de garde est la même : ils projettent leur duplicité sur les visionnaires en les désignant comme des boucs émissaires destinés à être sacrifiés sur l’autel des évidences. Un autel dressé par la bêtise, cet autre nom du conformisme.

C’est ainsi que les penseurs canins assurent leur mission avec ces armes que sont le terrorisme intellectuel et la violence symbolique, le dogme académique et le mépris savant, l’ironie des bien pensants et le cynisme des malfaisants. La peur, c'est ce qui reste quand, l'espoir ayant disparu, la hantise remplace, telle une seconde nature, l'enchantement premier.

Derrière chacun de ces masques, les enfants du futur perçoivent le même visage haineux : celui que prennent le conformisme et l’institution – c’est la même chose – quand ils sentent leur inertie en danger.

Une autre légitimité

A la légitimité conformiste de l’institution, les enfants du futur opposent la légitimité visionnaire de la création : celle qui révèle les formes de pensée, de sensibilité et d'organisation à travers lesquelles se manifeste aujourd’hui la dynamique évolutive de la vie.

Telle est la source de toute autorité : la connexion intime de l’homme à l’élan créateur qui fait de lui l’auteur de sa vie et son interprète. Privée de cette autorité, l'institution est incapable de participer à l'esprit du temps en parlant le langage de l’époque. Condamnée à répéter inlassablement les litanies du passé, elle transforme le pouvoir en une emprise qui se nourrit de soumission.

Vient un moment où les masques tombent quand, sous le poids de leurs contradictions, les institutions apparaissent pour ce qu’elles sont : des formes qui ont fait leur temps et qui, pour cela même, se révèlent impuissantes à inventer celui qui advient.

Vecteurs d’une dynamique instituante, les visionnaires sont alors reconnus - souvent trop tard pour eux - comme des émissaires du devenir de l’Esprit. En reconstruisant, pièce après pièce, la figure d’une totalité qui les relie, les unit et les dépasse, les enfants du futur savent qu’ils ont dores et déjà gagné la partie. C’est pourquoi ils la jouent avec courage et détermination, traversant les épreuves comme autant d’occasions d’éprouver leur inspiration.

Ils ne cherchent pas le bonheur comme le porc cherche la truffe. Le bonheur leur est donné comme une conséquence de leur quête : né du dépassement de leurs limites, il nécessite, pour mieux s’éprouver et s’approfondir, d’accueillir aussi la souffrance comme une intensité à reconnaître, à intégrer et à transformer.

Au service de l’Esprit

Les enfants du futur ne s’identifient ni à leurs besoins vitaux, ni à leur environnement, ni à un rôle social, ni à un groupe d’appartenance, ni à une tradition particulière mais à la dynamique évolutive qui traverse toutes ces identifications successives et qui est la vie même c'est-à-dire l’Esprit.

« C’est parce que nous ne sommes rien que nous pouvons devenir tout, disent-il. Devenir tout c’est se faire les interprètes sensibles d’un ensemble évolutif qui, parce qu’il nous transcende, nous constitue ». La recherche effrénée d’une jouissance individuelle et d’une réussite personnelle est alors transfigurée par une vision plus large fondée sur la conscience de l'évolution, le service de l’Esprit et la participation à une intelligence collective.

Les enfants du futur ne mesure par leur bonheur à ce qu’ils ont. Ils le démesurent au fur et à mesure où ils deviennent ce qu’ils sont en intégrant tout ce dont ils ont hérité pour l’actualiser et le transmettre de manière vivante et inspirée.

Transformer le poids d’un destin en une destinée créatrice : tel est le sens d’une vie qui, plutôt que le soumission à l'inertie, fait le choix d’une subversion métaphysique qui remet à l’endroit une conscience pervertie par l'oubli.

Un destin d’architecte

N’attendez d’eux rien d’autre que l’exactitude. Jamais là où on les attend, leur liberté est mouvement et création continue. Ils n’inventent rien. Tout se dévoile à travers eux.

Ne cherchez pas à les rencontrer. Ils viendront à vous comme le reflet de ce que vous êtes, une fois que vous aurez fait suffisamment fait la paix avec vous-même pour confier toute votre vie à l’être plutôt qu’aux appâts rances de l’ego.

Les enfants du Futur sont déjà là, parmi nous. Facile de les reconnaître : quand on ne les ignore pas, on s’en moque et on en rit, on les couvre de ridicule et de mépris, on les juge fantaisistes, peu sérieux, ingérables, dangereux, asociaux, incapables de coucher avec la renommée dans le lit de Procuste des normes dominantes.

Tous ces index pointés vers eux montrent qu’ils sont sur la bonne voix. Si ces esprits sont libres c’est qu’ils ne se laissent intimider par aucune stratégie inspirée par la peur, le conformisme et l’impuissance. S’ils avancent ainsi, l’air si assuré, c’est qu’ils savent que le vieux monde n’a plus à être détruit puisqu’il est déjà en ruine.

Sur ce champ de ruines, ils cheminent en chantant et s’inventent ensemble, en riant, un destin d’architecte.
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