samedi 1 mai 2010

Ecologie et Société (4) L'évolution culturelle



Ce billet s’inscrit dans la continuité des trois précédents qui appartiennent à une série intitulée Ecologie et Société (1) dont il constitue la suite. Dans cette série de textes, nous chercherons à mettre à jour les fondements de la culture de domination qui est à l’origine de la dévastation du monde et à rendre compte de la mutation des mentalités qui, en réaction à cette dévastation, inventent les formes culturelles novatrices qui seront celles de notre futur.
Pour les militants du mouvement social, l’heure n’est donc plus aux stratégies de translation sociale et horizontale fondées sur un discours alternatif de contestation et de protestation. Il s’agit dorénavant d’inscrire le mouvement social dans une stratégie de transformation culturelle et verticale fondée sur la création d’un modèle proprement intégratif.

Le mouvement social et ses militants dépassent alors les limites et les impasses de leur position contestataire pour devenir créateurs de culture. Une question se pose si l’on cherche à faire évoluer la culture : cette évolution obéit-elle au hasard ou à des lois comme celles qui peuvent exister dans le domaine de l’évolution biologique, et si la réponse à cette dernière question est affirmative, quelles sont donc ces lois ?


Qu’est-ce que l’évolution culturelle ?
Les tenants du relativisme culturel pensent que les diverses cultures ne sont rien d’autres que des constructions sociales ponctuelles et hasardeuses adaptées à la situation particulière des diverses communautés. Pour les matérialistes, la culture est une superstructure qui évolue en référence à l’infrastructure économique et à ses rapports de productions.

A partir des recherches en sciences humaines – notamment en psychologie, en sociologie ou en anthropologie – les penseurs du développement humain estiment au contraire que la culture, comme la conscience individuelle, évolue à travers des stades spécifiques et selon un ordre hiérarchique qui et celui d’une complexité et d’une intégration croissantes. A l’émergence d’une vision du monde plus évoluée sur l’échelle de l’évolution culturelle correspond un modèle dont l'organisation plus complexe et intégrée s’exprime à travers des perspectives épistémologiques, anthropologiques et sociales novatrices. On se rend compte ainsi que les stades du développement individuel récapitulent ceux de l’évolution culturelle de l’espèce humaine au cours du temps.

En 1953, Jean Gebser publia The Ever-Present Origin où il proposait la classification suivante des différents stades de l'évolution culturelle : archaïque-instinctif, magique-égocentrique, mythique-traditionnel, mental-rationnel, intégral. Les penseurs de la théorie intégrale, dont Ken Wilber, ont repris cette classification en distinguant deux niveaux dans le stade évolutif que Gebser qualifie d'intégral : le stade pluraliste-post-moderne et le stade intégral proprement dit. Notre but n’est pas de décrire ici avec précision ces divers stades évolutifs avec les visions du monde qu'ils véhiculent. Nous le ferons ailleurs avec la profondeur et la complexité que mérite un tel sujet.

Documentation
En attendant, ceux qui sont intéressés par ce thème passionnant de l'évolution culturelle pourront se référer à l’ouvrage de F. et P. Chabreuil La Spirale Dynamique qui rend compte du modèle crée par Carl Graves définissant les principaux stades de l'évolution culturelle. Ils peuvent aussi se rendre sur le site des Chabreuil, Spirale dynamique, qui contient des informations précieuses avec un blog et des articles originaux consacré à ce domaine. On trouve ici sur ce site une présentation très simple des différents stades évolutifs de la Spirale dynamique appelés Mèmes.
Il faut aussi lire à ce sujet l’ouvrage de V. Guérin et J.Ferber : Le monde change... et nous ? Clés et enjeux du dévellopement relationnel auquel nous avons consacré une série de billets qui commence ici. A partir des travaux de Wilber et de Graves, les auteurs proposent une articulation très intéressante entre développement personnel et évolution culturelle. On peut se référer au site de Jacques Ferber Développement Intégral qui permet de s'initier aux arcanes de la culture intégrale et auquel nous avons consacré trois billets dont un est dédié à une introduction illustrée de la Dynamique Spirale. Ceux qui s'intéressent au thème de l'évolution culturelle peuvent aussi lire le cours que Jacques Ferber a consacré la Mémétique.
Sur le site l'assocation Etincelle animée par Véronique Guérin on trouvera de nombreux articles sur le thème de l'évolution individuelle et collective ainsi qu"un diaporama intitulé Accompagner l'évolution par la Spirale Dynamique et l'approche intégrale.
Le magazine Eveil et Evolution a consacré au modèle de Clare Graves un numéro spécial intitulé La spirale de l'évolution. Dans la médiathèque d'Eveil et Evolution on trouvera aussi sur le thème de l'évolution culturelle un dialogue passionnant entre Ken Wilber et Andrew Cohen intitulé Les interdynamiques entre la conscience et la culture.
Enfin dans son ouvrage La révolution de la pensée intégrale, Patrick Drouot consacre deux chapitres à la Dynamique Spirale résumés ici dans un article que nous avons proposé à nos lecteurs.


La dynamique de l’évolution culturelle

L’évolution culturelle s’effectue selon un processus temporel qui est celui d’une lente maturation. Quand un stade évolutif commence à être dépassé, de nombreuses crises se manifestent comme autant d'expressions d'une impuissance à penser un monde en transformation à partir d'un modèle dont l'inadaptation tient à l'inertie. Comme autant de symptômes d'une dégénérescence, ces crises sont contemporaines de l'émergence d'un nouveau courant qui remet en question les limites et l’hégémonie de l’ancien modèle devenu inadapté. Ce courant émergent propose une vision du monde novatrice qui intègre les anciennes références dans un nouveau référentiel à la fois plus complexe et plus universel.

Dans un premier temps, le courant novateur est véhiculé par l’intuition et l’initiative de pionniers qui ouvrent les pistes empruntées et explorées ensuite par des minorités créatrices. Celles-ci vont se heurter aux institutions en place selon un dramaturgie en trois étapes définies par le fameux adage de Schopenhauer : «Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence.» Par l’effet d’une contamination mimétique - le fameux « esprit du temps », le nouveau paradigme apparaît effectivement comme une évidence à partir de laquelle vont s’organiser les normes culturelles et les formes sociales.

Observateur inspiré des mutations sociales et culturelles, le sociologue Michel Maffesoli explique ainsi la dynamique de l’évolution culturelle : « Quand on regarde, sur la longue durée, les histoires humaines, quand on observe la lente contamination des idées, l’on se rend, aisément, compte que ce sont les outsiders qui, toujours, sur la longue durée, triomphent. Ils sont ainsi que l’indique Parsons, des « marginaux centraux ». Pour reprendre une formule, que j’ai souvent répétée, « l’anomique d’aujourd’hui est le canonique de demain ».
Et il suffit de se référer à la figure du poète maudit du dix-neuvième siècle, à celle de ces penseurs isolés (Freud, Marx, Nietzsche), ou encore à ces musiciens, peintres, et autres artistes non conventionnels pour mesurer la pertinence du propos. Ils furent d’abord ignorés, puis décriés et enfin plagiés. Il serait aisé d’appliquer un tel schéma de nos jours. Et voir comment la production intellectuelle ou artistique proposée par quelques-uns des « marginaux centraux » est reprise, en catimini, par les notaires du savoir et du pouvoir. (La République des bons sentiments)


Les voies de la métamorphose
Théoricien de la pensée complexe, Edgar Morin a puisé nombre de ces intuitions lors de ces voyages en Californie dans les années soixante alors que se formalisaient de nouveaux modèles intellectuels au carrefour de la cybernétique, de la pensée systémique et de la contre-culture. Il décrit l’évolution culturelle en ces termes : « Tout commence, toujours, par une innovation, un nouveau message déviant, marginal, modeste, souvent invisible aux contemporains. Ainsi ont commencé les grandes religions : bouddhisme, christianisme, islam. Le capitalisme se développa en parasite des sociétés féodales pour finalement prendre son essor et, avec l'aide des royautés, les désintégrer. La science moderne s'est formée à partir de quelques esprits déviants dispersés, Galilée, Bacon, Descartes, puis créa ses réseaux et ses associations, s'introduisit dans les universités au XIXe siècle, puis au XXe siècle dans les économies et les Etats pour devenir l'un des quatre puissants moteurs du vaisseau spatial Terre. Le socialisme est né dans quelques esprits autodidactes et marginalisés au XIXe siècle pour devenir une formidable force historique au XXe. Aujourd'hui, tout est à repenser. Tout est à recommencer.
Tout en fait a recommencé, mais sans qu'on le sache. Nous en sommes au stade de commencements, modestes, invisibles, marginaux, dispersés. Car il existe déjà, sur tous les continents, un bouillonnement créatif, une multitude d'initiatives locales, dans le sens de la régénération économique, ou sociale, ou politique, ou cognitive, ou éducationnelle, ou éthique, ou de la réforme de vie... Ce sont ces voies multiples qui pourront, en se développant conjointement, se conjuguer pour former la voie nouvelle, laquelle nous mènerait vers l'encore invisible et inconcevable métamorphose. Pour élaborer les voies qui se rejoindront dans la Voie, il nous faut nous dégager d'alternatives bornées, auxquelles nous contraint le mode de connaissance et de pensée hégémoniques. » (Eloge de la Métamorphose. Le Monde)

Sous quelle forme la dynamique de l’évolution culturelle se manifeste t’elle à notre époque et quelle voie dessine t’elle pour se libérer de l’emprise d’une pensée hégémonique ? Pour le comprendre, il faut donc faire une rapide généalogie de ces « marginaux centraux » qui à travers leurs intuitions créatrices et leur critique de la culture de domination ont participé à cette évolution culturelle qui, selon la belle expression de Maffesoli, transforme l'anomique en canonique.
(A suivre...)

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