vendredi 27 juillet 2012

Table des Matières (8) L'Ere des Créateurs



Moebius

Chaque billet du Journal Intégral est la pièce d’un puzzle qui dessine, entre intuitions créatrices et réflexions critiques, la vision intégrale d’un homme réunifié dans un monde réenchanté. Les résumés des articles présentés dans cette Table des Matières permettront aux lecteurs de reconstituer ce puzzle en allant se référer à telle ou telle pièce afin de mieux comprendre et intégrer toutes les autres.

Table des Matières 2010

1Demandez le programme !...
2 –  Une philosophie du Tout
3La Petite Princesse
4Evolutions
5Evolutions (fin)
6Post-Matérialisme
7Penser la nouvelle civilisation


Table des Matières (8) du 17/01/11 au 6/02/2011

La vraie richesse de l'homme : la capacité de se recréer en recréant le monde. Raoul Vaneigeim


Figure emblématique de l’Internationale Situationniste, Raoul Vaneigem, est auteur d’un ouvrage qui a profondément inspiré la révolte étudiante de Mai 68 en France : Le traité de savoir vivre à l’usage des jeunes génération. En 2002, il publie L'ère des Créateurs dont les dernières pages constituent une forme de manifeste exprimant la mutation que nous vivons : un bouleversement des mentalités, des mœurs et de la société qui est porteur de nouvelles valeurs.

«  Etrange lucidité que celle qui autopsie le vieux monde et ignore la naissance d’un monde nouveau. Dans les années 1960, alors que l’efflorescence de l’économie promettait l’état de bien-être pour tous, dénoncer les ravages de la marchandise exposait au sarcasme des sceptiques. Comment voulez-vous objectaient les bons esprits du temps, que des gens accédant au bonheur garanti par la voiture, la télévision, le logement à loyer modéré et les biens de consommation, songent un seul instant à se révolter ?

Aujourd’hui qu’est venu la mode d’anathématiser l’horreur économique, le même aveuglement empêche de prendre conscience d’une mutation en cours sous nos yeux. De nouvelles valeurs s’affirment, elles achèvent de ruiner les anciennes, elles mettent en évidence l’amour de la vie, l’imagination créatrice, le progrès humain, la générosité, la solidarité collective fondée sur la conscience individuelle.»


Le mouvement situationniste transfigure les revendications économiques et politiques qui furent celles du mouvement ouvrier en une contestation globale aux forts accents existentiels et culturels. Ce qui est contesté, ce ne sont pas seulement des états de fait mais un état d’esprit : cette vision bourgeoise du monde qui sacrifie la vie sensible et concrète au monde abstrait de l’économie et de la technique. Cette contestation repose sur l’affirmation d'une qualité subjective face à la toute puissance réductrice et mortifère d'une vision purement comptable et quantitative de l'existence.

La jeunesse de cette époque s’insurge contre l’hégémonie d’une pensée technocratique et utilitariste qui ne laisse aucune place au mouvement créateur de la vie et de la subjectivité. Cette culture de domination est à l’origine d’un homme émietté auquel s’oppose l’homme total qui affirme dans la révolte une subjectivité vivante et créatrice : « Les hommes de pensée ne manquent pas d’humour : ils déconnectent les éléments du circuit puis annoncent que le courant ne passera pas. Ils peuvent alors affirmer, sans filet, que la réalisation totale est un leurre, la transparence une chimère, l’harmonie sociale une lubie. Où la séparation règne, chacun est vraiment tenu à l’impossible. La manie cartésienne de morceler et de progresser par degrés garantit toujours l’inaccompli et le boiteux. Les armées de l’Ordre ne recrutent que des mutilés."

La pensée des situationnistes comme celle de l’Ecole de Francfort, symbolisée à la même époque par Herbert Marcuse, s’inscrit dans cette dialectique entre l'aliénation qui fonde l’homme unidimensionnel - produit de la société industrielle avancée - et la libération de l’homme multidimensionnel, fruit d’une civilisation à inventer collectivement. Pour celui qui perçoit, au delà des apparences, les métamorphoses de l'évolution culturelle, il existe une profonde continuité généalogique entre la contre culture américaine des années 60/70, le mouvement de Mai 68, la quête d'un nouveau paradigme dans les années 80, l'émergence des "Créatifs Culturels" dans les années 2000 et celle d'une culture intégrale dans les années 2010.


Raoul Vaneigeim
A sa façon – athée et libertaire –  Raoul Vaneigeim est un prophète qui a su écrire avec talent et décrire avec précision, avant bien d’autres, les mécanismes pervers de l’aliénation propre à la société du spectacle et l’urgente nécessite de redonner au mouvement créateur de la vie une place centrale dans notre expérience du monde et notre organisation sociale.

« Nous sommes dans le monde et en nous-mêmes au croisement de deux civilisations. L’une achève de se ruiner en stérilisant l’univers sous son ombre glacée, l’autre découvre aux premières lueurs d’une vie qui renaît l’homme nouveau, sensible, vivant et créateur, frêle rameau d’une évolution où l’homme économique n’est plus désormais qu’une branche morte.

Jamais le désespoir d’avoir à survivre au lieu de vivre n’a atteint dans le temps et dans l’espace existentiel et planétaire une tension extrême. Jamais n’a été pressentie aussi universellement l’exigence de privilégier le vivant sur le totalitarisme de l’argent et de la bureaucratie financière. Jamais enfin tant de populations et d’êtres particuliers n’ont été la proie d’un désarroi où s’entremêlent la plus apeurée des servitudes volontaires et la tranquille résolution de briser sous le déferlement de la jouissance et de la vie les impératifs marchands qui emmuraillent l’horizon ».


L’ère des créateurs, celle de l’homme réconcilié avec la vie qui l’anime et de la vie réconciliée avec l’esprit qui l’inspire, est l’ère d’une éducation intégrale dont la priorité est le développement d’une intelligence sensible qui donne « la capacité de se recréer en recréant le monde ». L’éducation est le marqueur d’une civilisation. Elle témoigne de la vision que nous nous faisons de l'être humain. Dans une société de l’information, en évolution permanente et en complexité croissante, il est d’une extrême urgence de repenser complètement l’éducation afin que le développement de l’intelligence sensible donne enfin « la priorité au vivant sur l'économie de survie ».

Dans son Avertissement aux écoliers et lycéens diffusé à plus de quatre-vingt mille exemplaires dès sa parution en 1995, Raoul Vaneigem dresse le constat cruel et crucial de l’inadéquation profonde de notre institution scolaire au nouvel esprit du temps : « Le monde a changé davantage en trente ans qu'en trois mille... Pourtant, l'intelligence demeure fossilisée, comme impuissante à percevoir la mutation qui s'opère sous nos yeux..." La rationalité abstraite est incapable d'appréhender le mouvement créateur et évolutif de la vie parce qu'elle est prisonnière de "cette abstraction, dont l'étymologie - abstrahere, tirer hors de - dit assez l'exil de soi, la séparation d'avec la vie."

D’où la nécessite absolue d’"Accorder chez l’enfant une priorité absolue à l’intelligence sensible, à une approche où le vivant se dévoile comme mouvement de création... Je ne suppose pas d'autre projet éducatif que celui de se créer dans l'amour et la connaissance du vivant... Nous ne voulons plus d'une école où l'on apprend à survivre en désapprenant à vivre."



Dans L’ère des créateurs, Raoul Vaneigem écrit : « La poésie sera la science du futur ». Sous l'air d'un paradoxe, cette remarque est fondamentale. La sensibilité poétique perçoit les rapports sensibles entre le monde de l’intériorité et celui des formes objectives dans lequel il se pro-jette. Elle révèle la continuité harmonique et symbolique entre la conscience du sujet et son ob-jet d’attention. Le mot « poésie » vient du grec ποιεῖν (poiein) qui signifie créer, faire. L’inspiration du poète, archétype du créateur, dévoile les médiations formelles entre la vie subjective et son milieu d’évolution.

La poésie remet le monde objectif à sa place véritable qui est un monde d’apparence, c'est-à-dire qui apparaît à la subjectivité d’une conscience vivante et sensible, elle-même reliée au réseau intersubjectif d’une communauté humaine et d’un ordre symbolique qui fonde cette intersubjectivité. Le règne hégémonique de l’objectivité advient quand la pensée instrumentale cherche à épurer abstraitement le monde des apparences en évacuant la sensibilité qui le fait advenir. Ce processus d'occultation de la vie et de la sensibilité est à l'origine de ce que le philosophe Michel Henry nomme, dans un livre magnifique : La Barbarie.

A l’origine de la science d’aujourd’hui, la raison instrumentale crée des distinctions logiques et des rapports numériques nécessaires à une modélisation intellectuelle qui objective le monde des apparences. Science du futur comme elle est la clé d’une gnose immémoriale, l’intuition poétique permet de retrouver, par delà ces distinctions mentales, le réseau analogique et les médiations symboliques qui unissent la force à la fois vitale, créatrice et spirituelle de la subjectivité aux formes apparentes dans lesquelles elle se pro-jette et s'objective pour intégrer les éléments de son milieu évolutif.


Il faut avoir l’esprit bien étroit pour réduire le profond malaise actuel qui sape les fondations de l’institution scolaire aux simples enjeux d’une politique budgétaire, à ceux de la formation des professeurs ou bien au choix de programmes et des horaires de cours. Ce malaise naît en fait de la profonde inadéquation entre la dynamique de l’évolution - culturelle et épistémologique - et des formes pédagogiques et institutionnelles fossilisées, dores et déjà complètement dépassées. A quoi correspond cette évolution épistémologique et quelles sont les formes pédagogiques et institutionnelles à travers lesquelles elles pourraient s’exprimer ? Tel est l’objet de ce billet. Interdépendante des évolutions culturelles et anthropologiques, l’évolution épistémologique s'effectue aujourd'hui en trois phases :

- Premièrement, le dépassement du paradigme abstrait de la modernité, devenu saturé, qui montre ses limites à travers la multiplicité des crises qu'il génère. Du sens de la mesure, la raison instrumentale n’a gardé que la mesure formelle à quoi elle réduit tout, perdant ainsi le sens d'une intuition organique qui équilibrait le processus d’abstraction par une vision globale et dynamique..

- Deuxièmement, la prise en compte d’une épistémologie relationnelle qui fut au cœur de la pensée traditionnelle et qui redonne du sens à une pensée moderne tombée dans la démesure. Cette épistémologie relationnelle possède sa logique organique - associative, holiste et contextuelle - sa méthodologie – intuitive et sensible, participative et hérméneutique – et ses médiations formelles : l'image, le rituel et l’œuvre d’art, l'analogie et le symbole.

- Troisièmement, l’intégration du paradigme rationnel de la modernité et celui du paradigme relationnel de la tradition pour accéder à ce nouveau stade de l’évolution épistémologique qui est celui d’une épistémologie intégrale. Cette dernière, à la fois abstraite et concrète, rationnelle et relationnelle, associe les ressources de l’intuition globale –  l’esprit de finesse – et celles de la raison distinctive – l’esprit de géométrie – reliées, chacune, aux spécificités cognitives des deux hémisphères cérébraux.



Les habitants de la région parisienne – et les autres – qui cherchent à entrer en contact et à rencontrer des personnes intéressées par la Vision Intégrale et l’œuvre de Ken Wilber, peuvent le faire dans le cadre du Paris Integral /Ken Wilber Meetup Group. Fondé en 2003 à Paris, ce groupe a pour but de favoriser les débats, réflexions, activités et expériences autour de l’approche intégrale et de ses applications dans le domaine de la psychologie et de l’entreprise, de l’art et de la science, de la politique, de la médecine et de l’éducation.

Le Paris Integral Vision / Ken Wilber Meetup permet d’échanger informations et expériences sur la façon dont chacun vit, dans son contexte social et culturel, ce processus personnel d’intégration du corps, de la psyché, du mental de l’esprit qui est au cœur de la vision intégrale. On peut y mener des discussions passionnantes sur les applications, les techniques et les développements les plus novateurs de l’approche intégrale.

Un des participants résume bien l’esprit du groupe : « La pensée de Ken Wilber est si peu connue en France, alors qu'elle fait un malheur aux Etats-Unis, en Allemagne et en Angleterre. Rattrapons notre retard et profitons de cette mise en perspective des changements dans le monde, nos sociétés et nous-mêmes. Cela provoque immanquablement de nouveaux questionnements et de nouvelles pratiques de vie. »

On sait effectivement qu’il existe une forme d'"exception française" dans la réception des œuvres de Ken Wilber et de la vision intégrale. Cette démarche intégrative va à l'encontre du rationalisme abstrait propre à la culture hexagonale. Une culture riche d’une tradition analytique ayant produit de belles œuvres mais qui a pour conséquence une extrême fragmentation disciplinaire et la "parcellisation du savoir en petits fiefs de pouvoir". Dans ce billet nous analysons certains aspects de cette exception culturelle qui explique le retard avec lequel la culture intégrale, en général, et l’œuvre de Wilber, en particulier sont accueillies et traduites en France par rapport à d'autres pays, notamment anglo-saxons.

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