vendredi 27 décembre 2013

Effondrement et Refondation (6) Catastrophe ou Métamorphose ?


Le seul moyen d'éviter la catastrophe, c'est d'être sûr qu'elle adviendra. Jean Pierre Dupuy 


Dans les deux premiers billets de cette série, nous nous sommes intéressés à la perspective de l’effondrement de notre civilisation en proie à une crise systémique ainsi qu’aux diverses réactions suscitées par cette perspective. Penser le cercle vertueux qui lie effondrement et refondation, c’est concevoir cette dernière comme un processus de résilience qui consiste, au lieu de subir la destruction, à en supporter le choc et à le surmonter en se réinventant.

C’est ainsi que dans les trois billets suivants nous nous sommes intéressés à ceux qui incarnent ce processus : Les Transitionneurs sont les pionniers d’une résilience écologique, agricole et technologique, les Convivialistes, ceux d’une résilience sociale, politique et économique alors que les Créatifs culturels sont ceux d’une résilience culturelle et spirituelle. Ces divers aspects d’une même dynamique évolutive et créatrice s’expriment à travers de nouvelles formes de vie et d’organisation, de pensée et de sensibilité. 

Cette dynamique est au cœur d’une métamorphose, celle de notre vision du monde qui passe progressivement, à travers une série d’étapes, d’une visée technocratique - abstraite, séparative et réductrice - à une vision globale - concrète, dynamique et systémique - propre à un nouveau stade évolutif. 

Des Idéaux-Types

Transitionneurs, Convivialistes et Créatifs culturels peuvent être considérés comme ce que Max Weber nommait des « Idéaux-Types » c’est-à-dire des modèles théoriques, construits à partir de l'observation des faits et des évènements, qui permettent de mieux comprendre les phénomènes sociaux. Si, dans le cas présents, ces trois idéaux-types permettent d’identifier les différents courants d’une transformation globale en train de se produire, il ne faut pas essentialiser ces modèles : derrière ceux-ci, on trouve une multitude des réalités et d’initiatives, individuelles et collectives, fort diverses mais qui participent toutes d’une manière ou d’une autre, malgré certaines oppositions formelles, au même courant évolutif. Les pionniers de la résilience peuvent d'ailleurs se reconnaître dans chacun de ces trois types, selon des proportions différentes et selon leur champ d’intervention à tel ou tel moment. 

Ce qui est apparu en analysant l’émergence de ces trois courants, c’est le rôle déterminant du changement culturel dans la transformation sociale. On ne peut pas penser le nouveau monde avec des lunettes fabriquées pour l’ancien. On ne peut pas comprendre grand-chose à l’évolution du contexte actuel à partir des catégories abstraites et dominantes qui furent celles de la « modernité ». Il faut épouser les nouveaux modes de sensibilité et de pensée, fondés sur une intelligence connective et une vision globale, pour participer, de l’intérieur, à cette dynamique évolutive et pour la comprendre. Telle est la fonction d'une chronique sociale et culturelle comme Le Journal Intégral : observer avec ce nouveau mode de conscience l'émergence créatrice d'un monde qui lui correspond.

Penser il y a trois siècles l’émergence de la modernité, alors même qu’elle se déroulait, nécessitait de s’émanciper des catégories traditionnelles du dogme religieux grâce aux prémices d’une réflexion abstraite et analytique. Penser l’émergence d’un nouveau cycle où nous entrons nécessite aujourd’hui de dépasser les catégories abstraites de la modernité grâce aux prémices d’une vision intégrale fondée sur deux grands principes. Le premier est celui d’une approche systémique qui permet de penser ensemble ce que la modernité perçoit de manière séparée, notamment, en ce qui concerne l’interdépendance entre individu, culture et société. Le second principe est une approche évolutionnaire qui perçoit chaque grande période culturelle comme un système interdépendant exprimant de manière ponctuelle la dynamique évolutive dans l'histoire humaine.

Un processus d'abstraction


Quand on développe un mode de pensée synchrone avec l’évolution du contexte socio-culturel, on en saisit à la fois la dynamique d’ensemble et le rôle particulier de chacun des éléments dans cet ensemble. Ce qui apparaît alors est assez simple : la perspective de l’effondrement détermine un processus de résilience qui inspire un changement de paradigme s’incarnant à travers l’émergence de nouveaux courants socio-culturels. On peut identifier ces courants sous la forme d'Idéaux-Types comme les Transitionneurs qui cherchent à réintégrer l'être humain dans un milieu naturel et un écosystème dont il a été exilé par la technique, les Convivialistes qui cherchent à le réintégrer dans un milieu communautaire et social dont il a été exilé par l'économie ou les Créatifs culturels qui cherchent à le réintégrer dans un milieu symbolique et spirituel dont il a été exilé par le processus d'abstraction au cœur de la  modernité occidentale. 

Ce processus d'abstraction a arraché l'être humain aux divers milieux où il évoluait, en les transformant en environnements à coloniser à travers l'objectivation, l'analyse et la mesure quantitative. Au nom d'une pensée totalement abstraite, on a fait abstraction de la totalité multidimensionnelle à laquelle appartenait l'être humain et qui lui donnait sens en le transcendant. Faisant table rase du passé, le progressisme moderne a transformé l'attachement aux liens qui libèrent en un arrachement abstrait vers une liberté formelle qui aliène dans la mesure où, privée de toutes limites, elle conduit inexorablement à la démesure.

L'individu désaffilié en est ainsi réduit à devenir le jouet de son seul intérêt égoïste et de ses pulsions narcissiques. C'est ainsi qu'il s'émancipe du bien commun en transgressant toutes les limites - éthiques et naturelles, culturelles et spirituelles - qui canalisaient l'hubris dans les cultures traditionnelles. C'est ainsi que la volonté de puissance et de jouissance infantiles de l'ego utilise la domination abstraite pour assurer le pouvoir total - devenu totalitaire - de la technique et de l'économie sur ces milieux d'évolution que sont la nature, la société et la culture. La perspective de l'effondrement constitue un signal d'arrêt à ce processus de domination abstraite qu'aucune autre limite ne parvient à canaliser. En réaction à cette perspective, la dynamique de résilience/refondation est fondée non seulement sur la réinsertion de l'être humain dans les divers milieux où il évolue mais aussi sur l'émergence d'une vision inclusive et concrète qui prend en compte l'interdépendance systémique entre ces divers milieux.

Comprenons-nous bien, il ne s'agit pas d'une régression vers une mentalité pré-moderne fondée sur la dépendance fusionnelle de l'homme à son milieu mais, bien au contraire, de dépasser la modernité par un recours à la tradition et un détour par celle-ci. Dans notre prochain billet, nous développerons le concept de "cosmodernité" qui renvoie à une approche à la fois holiste et concrète, intégrant et dépassant le processus d'abstraction moderne. En immersion dans les diverses sphères du milieu où il évolue, Homo Conexus développe une intelligence connective qui lui permet de participer à cette totalité multidimensionnelle en co-évolution. C'est dans le cadre de cette intelligence connective et au service de cette totalité qu'il utilise la raison instrumentale au lieu de lui être soumis comme il l'a été durant la fin de la période moderne quand le processus d'abstraction, devenu totalitaire, n'était plus relativisé et compensé par l'héritage du holisme traditionnel. 

Un marteau dans la tête

Mais quand on a un marteau dans la tête, on voit tous les problèmes sous forme de clous ! Ceux qui pensent encore avec les anciennes lunettes, technocratiques et spécialisées, sont incapables de percevoir la dynamique évolutive qui transforme en profondeur individu, culture et société. Enfermés dans les mêmes procédures de pensée, ils posent toujours les mêmes diagnostics en proposant des solutions inadaptées qui, loin de résoudre les problèmes, ne font que les aggraver en nous enfonçant chaque jour un peu plus dans la crise. Selon Renaud Chenu, cette incurie technocratique renvoie à celle de l'aristocratie à la fin de l'Ancien Régime : " Ainsi, nous sommes gouvernés par les mêmes esprits que ces députés monarchistes s’agrippant au vieux monde quand la révolution industrielle balayait les restes du Moyen-Age. L'univers tout entier embrasse de nouveaux paradigmes mais il entre en résonance paradoxale avec l'apparente impossibilité d'adapter les structures de la pensée politique avec le futur qui force la porte d'un monde étriqué." (Ragemag)

La résignation vient souvent du constat qu’on ne peut changer le monde sans changer le mode de pensée avec lequel nous l'appréhendons. Le catastrophisme advient quand nous pensons, pour diverses raisons idéologiques ou métaphysiques, que la conscience comme l’être humain ne peuvent évoluer, figées et fixées qu'ils sont comme des entités abstraites au ciel des idées pures. Nous savons pour notre part que l'être humain est animé par une dynamique de développement qui est l'expression anthropologique de l'évolution. Les neurosciences viennent valider les observations sur le développement de la conscience faites à la fois par les sciences humaines et les traditions spirituelles en montrant comment, via la neuroplasticité du cerveau, celle-ci possède un grand potentiel d'évolution et de changement.

Et si nous mettons actuellement la perspective de l’effondrement au cœur de notre réflexion ce n’est pas dans le but de satisfaire un gout morbide pour les catastrophes mais, bien au contraire, pour imaginer de manière créative le processus de refondation qui lui est dialectiquement relié. Selon Jean Pierre Dupuy : « Le seul moyen d'éviter la catastrophe, c'est d'être sûr qu'elle adviendra ». La décomposition des formes devenues inadaptées est, en elle-même, un appel à la métamorphose vers une nouvelle forme d’organisation. Et si notre époque est aussi passionnante c’est que les forces de destruction à l’œuvre nous obligent à nous réinventer en mobilisant notre potentiel créateur pour faire face au choix radical entre catastrophe et métamorphose. L’histoire de l’espèce et des civilisations comme celle des individus en témoigne : un risque mortel est bien souvent l’occasion d’un saut évolutif qui eut été impossible sans lui. 

Une mémoire de création


Choisir la métamorphose plutôt que subir la catastrophe c’est développer ce que Joël de Rosnay nomme une « mémoire de création » : « Il ne s’agit pas, bien sûr, d’opposer à ce catastrophisme permanent, un angélisme béat et naïf, mais de sortir de l’alternative stérile entre attitude « pessimiste » ou «optimiste» face à l’avenir, et de la remplacer par une approche réaliste, lucide, pragmatique et constructive. Car des faits positifs existent, en masse, dans la vie quotidienne du monde : découvertes déterminantes pour le futur, créations collectives, solidarités, générosités, bénévolat, liens transculturels, etc. Il faut aussi savoir les mettre en avant. La mémoire n’est pas seulement mémoire de survie, elle est aussi mémoire de création. Les faits positifs, reliés entre eux, nous aident à avoir l’envie de construire demain, les mois qui viennent, l’avenir. » 

Le catastrophisme est une idéologie régressive inspirée par l’inertie. Face à cette résistance inertielle qui fait obstacle à l’imagination créatrice, il est essentiel de prendre conscience de la dynamique évolutive qui s’exprime à travers l’émergence des nouveaux courants sociaux et culturels, et d’y participer soi-même, individuellement, à partir d’une vision globale et inspirée. Animés par le même esprit du temps, les différents acteurs de cette dynamique ressentent le besoin d’échanger leur vision et de coordonner leur action. 

Un exemple parmi de nombreux autres : le 12 octobre 2013, a eu lieu la journée de lancement des États Généraux du Pouvoir Citoyen (EGPC) avec 400 personnes représentant plus de 140 réseaux associatifs. Au-delà de ces chiffres encourageants, l’énergie et la motivation étaient indéniablement au rendez-vous. Le besoin de se rencontrer, de coopérer et de mutualiser les forces se fait très largement ressentir dans tous ces réseaux. Une mémoire de création s'élabore ainsi par l'échange et la confrontation des points des vues ainsi que par la connaissance des initiatives qui, venues de directions forts diverses, vont toutes dans un même sens, sans forcément se connaître.

Forces créatrices et destructrices 

Dans un entretien au magazine Kaizen, Patrick Viveret évoque la constitution de réseaux de plus en plus denses d’individus et de collectivités qui agissent dans le sens d’une transition globale de la société. Ce besoin d’intelligence collective et d’actions coordonnées résulte aussi de la forte polarisation existant à l’heure actuelle entre forces créatrice et destructrices : « Nous traversons un contexte où les logiques régressives et mortifères sont de plus en plus inquiétantes. La montée des forces d’extrême droite en donne une démonstration criante. Face à cet afflux d’éléments relevant d’une polarisation négative, il est important de se positionner du côté des forces créatives… 

Ces forces positives n’expriment pas leurs revendications par la manifestation, elles sont ancrées sur le terrain de l’expérimentation, ce qu’on pourrait résumer par une esquisse en trois dimensions du REVE : REsistance créative, Vision transformatrice, Expérimentation anticipatrice et, à chaque étape une évaluation entendue non comme simple mesure mais comme délibération sur ce qui fait valeur… La seule chose qu’on puisse affirmer, c’est qu’il faut tout faire pour que ces forces créatrices soient victorieuses. Il faut aussi être prêt à rebondir si nécessaire en cas d’éventuels chocs ou d’évènements dramatiques, en s’inspirant de la notion de résilience. 

Mais on a besoin de bien plus qu’une révolution : on a besoin d’une métamorphose, comme le dit Edgar Morin. Les révolutions se contentent d’inverser les pouvoirs, les dominés deviennent les dominants. Il nous faut une mutation qui ne soit pas seulement un renversement des dirigeants mais une modification des rapports au pouvoir afin de passer du pouvoir de conquête et de rivalité au sens originel du verbe pouvoir qui est un pouvoir de création démultiplié par la coopération. Un pouvoir conçu comme une énergie renouvelable en somme. » 

Le nouvel air du temps

Crée en Mai 2012 pour accompagner ce mouvement de résilience/refondation, Kaizen est un magazine qui rend compte des initiatives positives en vue d’une société écologique et humaine. Le texte de présentation de ce nouveau magazine exprime fort bien le nouvel air du temps dont il est porteur : « L’humanité vit ses heures les plus décisives : dérèglements climatiques et pic pétrolier, épuisement de l’eau potable et des terres arables, disparition en masse des espèces et pollutions généralisées, crises économiques, sociales, financières. Et plus grave encore : abandon de l’être humain. 

Face à cet implacable constat nous aurions toutes les raisons de désespérer et pourtant, silencieusement, un nouveau monde est en marche : intelligent, sobre, mettant au premier rang de ses priorités l’épanouissement de la Vie sur notre planète. C’est à ce monde que nous choisissons de donner la parole aujourd’hui, à ces personnes qui portent les (r)évolutions que nous attendons, courageusement, souvent isolées et parfois décriées. A ces initiatives pionnières qui, par leur simplicité et leur bon sens, nous offrent de nouveaux horizons, de véritables raisons de croire en l’avenir…. 

Pourtant, il ne s’agit pas de proposer ici un énième catalogue de solutions. Les initiatives pour elles-mêmes nous intéressent moins que l’esprit qui les porte. Car au-delà du remplacement des énergies fossiles par les renouvelables ou l’agriculture chimique par la bio, c’est à l’âme humaine que nous nous intéressons. Au sens que nous donnons à nos vies, à nos capacités d’empathie et d’émerveillement, à notre profond désir d’être libres. Plus que tout, nous croyons qu’il ne peut y avoir de réelle métamorphose de nos sociétés sans un profond changement de ceux qui la constituent : NOUS. »

Quelle métamorphose ? 

Le monde ne pourra changer que si nous modifions de manière collective notre vision du monde en évoluant chacun individuellement. Telle est l’essence d’une métamorphose qui repose sur la prise de conscience d’une solidarité organique entre culture, individu et société. Prise de conscience qui va à l’encontre d’une mentalité moderniste fondée sur la séparation abstraite entre la subjectivité individuelle, l’intersubjectivité culturelle et un monde phénoménal objectivé à des fins instrumentales d’observation, de mesure et d’analyse. 

La métamorphose est un saut créatif qui dépasse le stade mental de la séparation abstraite pour accéder à un nouveau stade évolutif fondé sur une intelligence connective à la fois sensible et rationnelle, intuitive et collective. Cette intelligence connective est le vecteur d’une vision globale qui prend en compte le réseau d’interactions entre individu, culture et société : la dynamique d’une réinvention culturelle suscite et alimente une évolution des subjectivités et une réorganisation des structures collectives qui, par des effets de rétroaction, interagissent entre elles tout en intensifiant cette dynamique.

Métamorphose

L’approche technocratique est incapable de comprendre c’est à dire de prendre ensemble - de manière systémique et dynamique - tous les éléments de la transition dans une même vision globale. Formées au même moule, les "élites" politiques - gauche et droite confondues - pensent la conscience collective comme une somme d’intérêts individuels en réduisant la société à un combat politique entre des classes sociales qui défendent ceux-ci. Elles sont aveugles à la dynamique d’une évolution culturelle qui, en inspirant la transformation du lien social détermine la métamorphose de la société comme de l'individu. Incapables de comprendre et de participer à cette dynamique, les "élites" au pouvoir ne peuvent proposer une vision dans laquelle puisse se reconnaître la conscience collective en évolution. C'est une illusion de penser que des branches mortes, où ne coule plus aucune sève créatrice, pourraient éclore des fleurs éclatantes !...

Se sentant étrangers à des pensées totalement dépassées et aux enjeux de pouvoir qui sont ceux de la politique institutionnelle, des mouvements protestataires et spectaculaires - des Indignés à Occupy Wall Street - témoignent de l’abîme qui existe entre la conscience collective en évolution et le modèle agonisant défendu par l’oligarchie économique et la technostructure de l'état à son service. Le quatrième Idéal-Type de la résilience, complémentaire des trois premiers, pourrait être le Protestataire qui refuse d'être la victime d'un modèle à l'agonie sans savoir toutefois précisément vers quel nouveau modèle canaliser l'énergie de son indignation.

Un changement de vision

Christian Lamontagne voyait dans les évènements du Printemps Érable qui ont eu lieu au Québec en 2102 un signe annonciateur des mutations qui affectent nos sociétés et des désordres chaotiques que l’humanité va devoir affronter à l’occasion de ce qu’il analyse comme un changement de paradigme. Dans un article publié sur son blog le 13/7/12 et intitulé Regard Global sur une crise sociale imprévue, il écrivait ceci : 

« Nous assistons, ici, aux premiers signes annonciateurs de changements sociaux et politiques majeurs : le passage d’une société fondée sur une logique réductionniste (matérialiste, productiviste, individualiste, fonctionnant en silo) à une logique inclusive et intégrale, avec une compréhension profonde des liens faisant de la société un tout cohérent. 

Le changement de vision n’est pas la conséquence de la découverte d’une nouvelle théorie mais celle de l’écosystème des sociétés avancées : des individus ayant des conceptions du monde à des stades très différents d’évolution de la pensée (par exemple le mythique du fondamentalisme religieux et le relativisme du postmodernisme), des industries primaires fonctionnant comme au 19e siècle, des institutions « modernes » peinant à évoluer, des échanges commerciaux globalisés et de l’information en qualité et quantité inimaginables circulant de manière quasi instantanée.

Conséquemment, nous avons conscience de la globalité des problèmes et de leur interconnexion, et nous sommes témoins de l’impuissance des gouvernements à mettre en place et appliquer des solutions « solidaires » appropriées à la nature des problèmes. Le passage que nous vivons est véritablement un changement de paradigme, c’est-à-dire le remplacement d’un modèle explicatif révolu par un autre plus cohérent, capable d’intégrer un plus grand nombre de faits et d’en faire sens… 

En fait, nous assistons à la démonstration des impasses générées par un mode de pensée dichotomique et réducteur, héritage du rationalisme hérité du siècle des Lumières, et à l’émergence d’un mode de pensée multi-perspectiviste intégral (la subjectivité et l’objectivité, l’individu et la société sont des dimensions inséparables de la réalité une) ». 

Un saut évolutif


Les « élites » étant devenues incapables de proposer une vision prospective et créatrice, ce rôle est dévolu à des minorités actives et réactives dont l’état d’esprit est bien résumé par l’activiste américaine Starhawk : « Il est possible que la chose la plus radicale que nous puissions faire en ce moment est d'agir à partir de notre vision, et non à partir de la peur, et de croire en la possibilité de sa réalisation. Toutes les forces autour de nous nous poussent à baisser le rideau, à nous isoler, à faire retraite. Au lieu de cela, il nous faut avancer, mais de manière différente. Nous sommes appelé(e)s à faire un saut dans l'inconnu. » 

Ce saut dans l’inconnu est un saut évolutif et créatif qui se libère des limites d'une pensée abstraite et séparatrice propres à une modernité technocratique en train de s'effondrer pour développer une vision inclusive, globale et dynamique qui est celle d'une co-évolution avec un milieu à la fois naturel, social et culturel. Ce n’est pas pour rien si le sous-titre du Manifeste convivialiste est Déclaration d’interdépendance. Cette interdépendance n’est ni la dépendance fusionnelle à une collectivité traditionnelle, ni l’indépendance illusoire de l’individualisme moderne et du narcissisme post-moderne, mais l’implication de l'être humain et de sa conscience dans un réseau de relations auquel participe l’intelligence connective. 

Cette perception de l’interdépendance des phénomènes naît d’une vision systémique qui voit le développement personnel, l’évolution culturelle, la transformation sociale et la transition écologique comme autant d’expressions d’une même dynamique évolutive. Ken Wilber qualifie d’intégral ce nouveau mode de pensée à perspectives multiples où la subjectivité et l’objectivité, l’individu et la société sont perçues comme des dimensions inséparables de la réalité une : « Le terme intégral signifie complet, inclusif, n'écartant pas, embrassant. Les approches intégrales dans n'importe quel domaine s'efforcent d'être exactement cela : elles incluent autant de perspectives, de modèles, et de méthodologies que possible dans une vue cohérente du sujet.» (Frank Visser : Ken Wilber, la pensée comme passion

Parce qu’on ne peut changer le monde sans changer la vision qu’on en a, la transition sera intégrale ou ne sera pas. D’où l’urgente nécessité pour tous les pionniers de la résilience de se former aux arcanes des nouvelles formes de pensée et de sensibilité inspirées par l’esprit du temps, sans lesquelles aucune réinvention sociale et culturelle n'est ni possible, ni pensable. 

Ressources

Les Citoyens au pouvoir. Entretien avec Patrick Viveret. Kaizen. 

vendredi 20 décembre 2013

Effondrement et Refondation (5) Les Créatifs Culturels


Ne doutez jamais qu'un petit groupe d'individus conscients et engagés puisse changer le monde. C'est même de cette façon que cela s'est toujours produit. Margaret Mead


Face au risque d’effondrement d’une civilisation en proie à une profonde crise systémique, des individus et des collectivités sont les vecteurs d’un processus de résilience qui vise à supporter un choc destructeur et à le surmonter. Les transitionneurs sont les pionniers d’une transition à la fois sociale et écologique qui vise à créer des communautés résilientes insérées dans leur milieu naturel qu’elles valorisent tout en relocalisant une partie de leur production alimentaire et énergétique.

Les convivialistes sont les pionniers d’une résilience politique et économique qui passe par l’émergence de nouvelles formes d’organisations fondées sur la convivialité et l’intelligence collective. A travers de nombreuses initiatives, ils cherchent à libérer le lien social de l’emprise d’un imaginaire et d'une organisation à la fois économique et technique qui le colonise et l’asservit. Ceux que l’on a nommé les « créatifs culturels » sont les vecteurs de valeurs novatrices et les acteurs d’une résilience culturelle qui initient un inéluctable changement de modèle en exprimant la dynamique de l’évolution culturelle à travers de nouvelles formes de pensée, de sensibilité et d’organisation. 

Après avoir analysé dans les billets précédents, le rôle des transitionneurs et des convivialistes dans le processus de résilience/refondation, nous nous intéresserons plus particulièrement à celui des créatifs culturels en proposant notamment des extraits de la préface de Jean-Pierre Worms au livre qui leur est consacré : Les Créatifs culturels en France. Les études sur les Créatifs culturels sont l'expression d'un véritable renversement de perspective puisqu'on y redécouvre la place centrale de l'évolution culturelle dans le changement social.

Un renversement de perspective

Parmi les transitionneurs, les convivialistes et autres individus touchés par une dynamique de résilience, beaucoup vivent encore dans un impensé matérialiste qui voit l’infrastructure économique déterminer la superstructure culturelle. Il suffirait, pensent-ils, de changer de modes de vie - en créant par exemple des communautés conviviales et autonomes valorisant leur milieu naturel, en mettant en place une nouvelle organisation politique et économique - pour faire advenir un mode de pensée et un modèle de société aptes à résoudre la crise systémique que nous sommes en train d’affronter.

Totalement datée et dépassée, cette vision réductionniste et matérialiste passe à côté de l’essentiel, c’est-à-dire de la dynamique de l’évolution culturelle qui anime, informe et détermine l’organisation sociale. Le processus de résilience est à penser globalement dans l’interaction qui existe entre la dynamique de l'intersubjectivité culturelle et les formes de lien social et d’organisation à travers lesquels elle se manifeste. Ces formes objectivées rétroagissent sur la dynamique culturelle en la modifiant et en la faisant évoluer dans un processus d’interaction systémique.

Selon Jean-Pierre Worms, le grand intérêt suscité par les études sur les Créatifs culturels « est la marque d’un véritable renversement de perspective quant à la place accordée aux faits culturels dans la production, dans le développement et dans le changement des sociétés… On retrouve alors ce qui fut la découverte majeure de l’anthropologie, régulièrement célébrée mais superbement ignorée, à savoir que la « culture » n’est pas qu’un sous-produit de la « superstructure » technico-économique et de ses prolongements sociaux et politiques, mais qu’elle est simultanément et d’abord l’élément structurant fondamental de toute société, la base même de ce qui fait société, la condition d’existence d’une société en tant que telle…

Cet espoir de création d’une société nouvelle par la culture est sans doute la raison première de l’intérêt suscité dans des cercles de plus en plus larges par les recherches sur les « créatifs culturels ». La première contribution d’importance de ces recherches est simplement de rappeler que la création culturelle est, en elle-même, créatrice de société. »

Une nouvelle culture pour le 21 ème siècle

Dans une de ses chroniques de L’Express.fr, Christophe Chenebaut dresse le portrait des créatifs culturels pour mesurer leur influence à l'occasion de l’élection présidentielle de 2012 en France : « En 2000, le sociologue Paul Ray et la psychologue Sherry Anderson publient une étude issue de 12 années d'enquête auprès d'un échantillon représentatif de 100.000 personnes aux États-Unis. Celle-ci démontre avec étonnement que pas moins de 26% des adultes américains - soit 50 millions de personnes - ont profondément modifié leur vision du monde, leurs valeurs et leur mode de vie. Et que leur nombre est en croissance régulière et rapide: en l'espace d'une génération, ils seraient ainsi passés de 5% au début des années 60 à plus de 33% aujourd'hui (chiffres des dernières études).

 "Nous décidons de les appeler les Créatifs culturels car, d'innovation en innovation, ils sont en train de créer une nouvelle culture pour le 21e siècle" précisent-ils alors. Des valeurs qui ne sont ni significativement liées à l'âge, à la génération, aux revenus, ou encore au niveau d'étude. Seule exception démographique notable: 60% sont des femmes!… Grâce à une sensibilité nouvelle, ces "créateurs d'une nouvelle culture" revendiquent des valeurs liées à l'écologie, à la vision féminine des relations, au développement personnel et spirituel, à l'ouverture multi-culturelle, et à l'implication solidaire dans la société. 

Et vous, êtes-vous un Créatif culturel ? Si oui votre évolution vous mène vers une vie plus authentique, une lucidité face aux médias et aux institutions, une distance avec la société de consommation du paraître et de l'avoir, une reconquête de votre autonomie, et une propension à l'action au sein de la société civile plutôt qu'un recours aux idéologies. » (Les créatifs culturels vont-ils faire basculer l'élection de 2012 ?)

Paru en 2007, Les Créatifs culturels en France se situe dans la continuité des travaux d’enquêtes et d’analyse menés par Ray et Anderson aux États-Unis. Cet ouvrage est le résultat d’une vaste enquête menée en France par l’Association pour la Biodiversité Culturelle, laquelle a constitué durant quatre ans un groupe de recherche sous la direction scientifique de Jean Pierre Worms, sociologue au CNRS. Dans les extraits ci-dessous, tirées de sa préface, celui-ci propose des éléments d'analyse qui, dans le cadre de notre réflexion actuelle, permettent de mieux comprendre la dynamique de la résilience culturelle.

Les Créatifs Culturels en France. 
Préface de Jean-Pierre Worms


L’étude sur les créatifs culturels français s’inscrit dans le cadre de l’enquête sur les créatifs culturels en Europe lancée par le club de Budapest en 2003, à la suite de l’étude américaine de Paul H. Ray et Sherry Anderson publiée à New-York en 2000, après plusieurs années d’investigations de terrain et d’enquêtes d’opinion. Cet enchaînement est, en soi, un fait majeur. Non seulement, parties des USA, les recherches sur les créatifs culturels se diffusent exceptionnellement rapidement en Europe, au Japon et bientôt, sans doute, sur les autres continents, mais les termes mêmes de « créatifs culturels » sont désormais utilisés bien au-delà des cercles restreints de la sociologie, malgré l’étrangeté de cet accouplement terminologique et la nouveauté du concept qu’il véhicule.

Cette rapidité de diffusion de la terminologie, du concept et des recherches correspondantes est la marque d’un véritable renversement de perspective quant à la place accordée aux faits culturels dans la production, dans le développement et dans le changement des sociétés. Pendant plus d’un siècle, en effet, la science économique avait conquis une position prééminente dans nos systèmes de représentation de la société et du monde. La pensée hégémonique en Occident ne s’intéressait qu’à un seul moteur de production et de développement de la société : l’association de la technologie et de l’économie.

Au politique était assignée la mission de régulation et d’orientation. Quant à la culture (au sens anthropologique du terme, à savoir : les représentations de soi et du monde et les valeurs qu’elles portent, les normes de comportement qui en découlent et les attitudes, conduites et modes de vie qui les incarnent), on se la représentait comme un simple sous-produit du système technico-économique

Au cœur du changement

Ce déterminisme technico-économique des comportements et modes de vie, des représentations et des valeurs, est aujourd’hui de plus en plus fréquemment mis en question, non seulement par ceux qui en dénoncent les effets mais également par ceux qui y projetaient au contraire leur espoir d’un progrès de l’humanité. Les uns et les autres constatent en effet l’impasse à laquelle conduirait la poursuite du développement économique mondial sur la lancée actuelle et les risques dramatiques que cela ferait courir à l’humanité, en termes de rupture irréversible des équilibres sociaux et environnementaux de la planète.

Simultanément, ils prennent conscience de l’impuissance avérée du politique non seulement pour réguler ces évolutions futures mais plus encore pour les réorienter. S’impose alors à tous la nécessité de dépasser ces raisonnements déterministes univoques et de rechercher d’autres moteurs de production et de développement des sociétés susceptibles d’être des leviers d’un changement social volontaire, aptes à redonner à l’humanité une nouvelle marge de liberté et à ouvrir l’éventail de ses choix dans la construction de son avenir.

On retrouve alors ce qui fut la découverte majeure de l’anthropologie, régulièrement célébrée mais superbement ignorée, à savoir que la « culture » n’est pas qu’un sous-produit de la « superstructure » technico-économique et de ses prolongements sociaux et politiques, mais qu’elle est simultanément et d’abord l’élément structurant fondamental de toute société, la base même de ce qui fait société, la condition d’existence d’une société en tant que telle. Dès lors, ne pourrait-on utiliser cette double face des faits culturels, à la fois déterminés et déterminants, pour les mettre au cœur d’une stratégie de changement ?

Construire son identité

Notamment, ne pourrait-on retourner contre la fatalité des catastrophes annoncées cette caractéristique de la culture contemporaine, cet « individualisme consumériste » produit du système technico-économique dominant, pour en faire un levier de changement porteur d’avenir pour l’humanité car assis sur une autre logique de développement, l’outil d’une création sociale nouvelle ? Cet espoir de création d’une société nouvelle par la culture est sans doute la raison première de l’intérêt suscité dans des cercles de plus en plus larges par les recherches sur les « créatifs culturels ». La première contribution d’importance de ces recherches est simplement de rappeler que la création culturelle est, en elle-même, créatrice de société.

La seconde contribution essentielle de ces recherches réside dans ce qu’elles nous disent des évolutions culturelles générales de nos sociétés... A cet égard, il est particulièrement intéressant de rapporter ces tendances lourdes relevées dans l’étude des Créatifs culturels français à la position hégémonique acquise par « l’individualisme consumériste » dans la construction du système de valeurs de la société française contemporaine, tendance que j’avais signalée précédemment et qui ressort également clairement de l’enquête européenne sur les valeurs.

Il y a deux faces à la montée de cet « individualisme consumériste ». D’un côté, on trouve certes ce qui est fréquemment dénoncé comme un repli égoïste de chacun sur la recherche de satisfactions personnelles immédiates au détriment de tout sentiment ou comportement de solidarité avec autrui et de tout intérêt pour le reste du monde et pour l’avenir de la planète, la « me now society ». Mais l’autre face existe également, l’expression de la volonté de chaque individu de reconquête de son autonomie dans la construction de son identité afin de mieux maîtriser son rapport aux autres et au monde et ses choix de vie et de consommation.

De nouvelles orientations


C’est ce second versant qui est à la source des évolutions socio-culturelles auxquelles participent les créatifs culturels. On peut aisément en retrouver la marque dans les manifestations suivantes de ces nouvelles orientations culturelles :

- la valorisation croissante du « développement personnel » et l’intérêt pour toutes les démarches et tous les outils d’aide à l’autoproduction de soi,

- un recentrage de ses priorités sur l’être plutôt que sur le paraître ou l’avoir

- un recul, voire une méfiance et un rejet à l’égard de toute structure ou institution assignant de l’extérieur à l’individu son mode de pensée, de vie et de comportement social, et notamment les églises et les partis politiques

- plus particulièrement, la reconquête de son autonomie dans la gestion de sa santé, dans l’éducation de ses enfants et, plus généralement dans ses modes de vie et de consommation, notamment alimentaire

- la recherche d’un rapport aux autres et d’une sociabilité fondés sur la reconnaissance mutuelle et la valorisation de la diversité des identités ; notamment, valorisation de la diversité hommes / femmes et de la place des femmes dans la société, mais également valorisation de la diversité des cultures et de l’apport des autres cultures dans la construction d’une société multiculturelle

- la valorisation des solidarités de proximité, mais également à l’échelle de la planète, la lutte contre les inégalités et pour un meilleur partage des richesses

- le souci d’un vivre ensemble plus harmonieux, de la paix, et de l’avenir de la « maison commune », l’engagement écologique et pour le développement durable

L'individuation des engagements

Ces tendances lourdes des évolutions culturelles contemporaines repérées dans les études internationales sur les valeurs et confirmées par les enquêtes sur les créatifs culturels, permettent de mieux positionner ces derniers dans l’ensemble social…. Est-ce pour autant que les créatifs culturels tirent le reste du peloton ? Comment imaginer leur rôle comme agents de changement ? Comment faire d’une agglomération statistique un ensemble humain agissant collectivement ?

En vérité, même si, ici ou là, de petites communautés se forment sur la base de telle ou telle conviction ou pratique sociale ou militante partagée, les créatifs culturels demeurent une collectivité virtuelle très éclatée dans ses manifestations concrètes. Certaines passerelles existent entre les différents champs où interviennent les agents d’innovation dans les styles de vie et pratiques culturelles, sociales et civiques (la santé, l’habitat, l’alimentation, l’éducation des enfants, la biodiversité, la solidarité, etc.), mais elles sont rares et ténues.

Faut-il chercher à les renforcer et à en bâtir de nouvelles ? Sans doute mais faut-il aller plus loin et tenter de regrouper toutes ces dynamiques dans une seule organisation, promouvoir un « mouvement » des créatifs culturels et lui assigner une mission de pilotage du changement social ? Ce serait, selon moi, à la fois irréaliste, car contraire au pilier central des transformations culturelles en cours, à savoir l’individuation des engagements, mais également dangereux car débouchant quasi inévitablement sur des logiques de renfermement sectaire, d’affrontements idéologiques pour la définition de la doctrine commune et de luttes de pouvoir pour le contrôle de l’organisation.

Des agents du changement social


A vrai dire, l’intérêt de ces recherches sur les créatifs culturels, beaucoup plus modestement mais beaucoup plus utilement, est double :

- permettre à tous ceux qui, isolément, prennent leur part à ces transformations en profondeur de ce qui fera la société de demain, de savoir, en fait, qu’ils ne sont pas seuls, de se sentir confortés dans leur capacité d’être, à leur échelle, agents de changement social, selon cette logique si spécifique à ce mouvement articulant transformation personnelle et transformation sociale ;

- donner plus de visibilité à ces valeurs et pratiques sociales innovantes, permettre aux uns et aux autres qui y participent de se reconnaître, de se rencontrer et de nouer des alliances au gré de leurs désirs et de leurs besoins, de constituer des réseaux entrecroisés ouverts et fluides, bref d’innover aussi dans le champ des pratiques organisationnelles et de l’action collective pour porter plus haut et plus loin leur énergie transformatrice.

Ressources 

Les Créatifs Culturels en France. Préface de Jean-Pierre Worms dans son intégralité. Clés

Les Créatifs Culturels : émergence d'une nouvelle culture. Patrice Van Erseel. Clés

Site Créatif Culturel. Trois vidéos pour comprendre qui sont les Créatifs Culturels : Patrick Viveret, Michel Saloff-Coste, Patrice Van Erseel

Créatifs Culturels Wikipédia

Les militants nouveaux sont arrivés Ils sont des millions à vouloir changer le monde. Sylvain Marcelli. Site Méditation France. 

Editions Yves Michel Ouvrages consacrés aux créatifs culturels

Etes-vous un créatif culturel ? Génération Tao n°66 Automne 2012

vendredi 13 décembre 2013

Effondrement et Refondation (4) Les Convivialistes


Mieux vaut allumer une bougie que de maudire les ténèbres. Lao Tseu 


Résumé des billets précédents. Dans les précédents billets de cette série, nous nous sommes interrogés sur le processus d’effondrement qui menace notre civilisation en le mettant en perspective avec celui d’une refondation à la fois socio-économique et culturelle (E.R1). Nous avons étudié le spectre des diverses réactions face à la perspective de l’effondrement : déni, catastrophisme, survivalisme, transition et mutation (E.R2). Nous avons ensuite évoqué le mouvement des transitionneurs, en tant que vecteur de nouvelles formes de pensée et de sensibilité inspirées par une dynamique de résilience. (E.R3) 

Nous sommes ces temps-ci les témoins effarés de l’effondrement des solidarités au profit d’un individualisme mortifère où la loi du plus fort brise les liens sociaux et culturels au cœur du vivre ensemble. Si nous en sommes arrivés là c’est que, face à un profond vide culturel et spirituel qu'il a contribué à creuser, le modèle libéral s’est progressivement imposé en réduisant l’homme à sa fonction économique pour le considérer comme une simple entité individuelle animée principalement par son intérêt égoïste.

Cette destruction du vivre ensemble participe d’une crise systémique et multidimensionnelle que seule l’émergence d’un nouveau modèle permettra de surmonter. Fondée sur de nombreuses réflexions et initiatives, individuelles et collectives, un mouvement protéiforme résiste à ce totalitarisme économique en refusant le réductionnisme de l’anthropologie libérale pour considérer l’être humain non pas seulement comme un être de besoin mais comme un être social et créateur, mu par un désir de reconnaissance comme par des idéaux qui le transcendent. 

Contre l’hégémonie de l’Homo Economicus, ce mouvement invente un nouveau modèle : Homo Conexus, un être humain en immersion dans son milieu de vie - à la fois naturel, social et culturel - avec lequel il co-évolue. Refonder la politique à partir de ce nouveau modèle, c’est retrouver le rôle central de la relation, de la coopération et du développement humain au sein des sociétés. C’est dans cet esprit que Le Manifeste Convivialiste présente, de manière synthétique, le résultat d’une réflexion commune menée durant deux ans par une cinquantaine d’intellectuels et de militants sur la refondation du lien social et sur les formes politiques que peut prendre celle-ci. 

Un homme de retard 

Deux phénomènes complémentaires frappent les observateurs avisés de la vie politique. Le premier est le total discrédit d’une classe politique sans vision, incapable de proposer un projet correspondant à l’évolution de la société comme à la mutation des mentalités.

Dans L’Homme Post-Moderne, le sociologue Michel Maffesoli estime que « le “logiciel programmatique“ de nos gouvernants continue de reposer sur les caractéristiques d’un type d’homme en voie d’extinction depuis maintenant un demi-siècle, dans le cadre d’un processus de mutation ». C’est bien parce que toutes nos institutions fonctionnent avec « un homme de retard » que s’élargit le fossé entre la population, notamment les nouvelles générations, et les "élites" politiques, économiques et médiatiques au service de l'oligarchie. 

Ce fossé est à l’origine d’une tension de plus en plus vive entre, d’un côté, les représentants du vieux monde qui s’accrochent d’autant plus à leurs idées et à leurs privilèges qu’ils se sentent totalement dépassés et condamnés par le mouvement de l’histoire, et, de l’autre, un profond courant de régénération qui s’incarne à travers une multiplicité d’initiatives, de projets et de mouvement sociaux. Un véritable "Choc de civilisation" oppose d’une part les tenants du modèle technocratique, enfermés dans un logiciel abstrait, et, de l’autre, ceux qui vivent dans l’ère nouvelle d’un monde globalisé et interconnecté, fondée sur le flux continu et partagé de l’information. 

Le second phénomène à observer est, face à ce vide sidéral de la pensée politique, l’effervescence d’une intelligence collective qui se manifeste par de nombreux projets de sociétés inspirés par l’esprit du temps. C’est ainsi qu’en quelques mois, on a pu prendre connaissance des projet suivants : le Plan des Colibris, le Manifeste des assises pour l’éco-socialisme, Politique intégrale, le Manifeste convivialiste, le Manifeste pour une dotation inconditionnelle d’autonomie, Politique(s) de la décroissance. Et cette liste est loin d’être exhaustive !...

Ce n’est pas parce que ce mouvement de fond échappe aux radars des médias dominants qu’il n’est pas significatif, bien au contraire : c’est parce qu’il est significatif que les médias de l’oligarchie préfèrent attirer l’attention sur les affres spectaculaires d’une politique institutionnelle à l’agonie, en attisant la colère et les frustrations plutôt qu’en suscitant la créativité et l’intelligence collective portées par des courants novateurs.

"Déconomiser" la pensée

Ce mouvement protéiforme cherche à refonder la politique à partir d'un nouvel imaginaire qui est celui de la conscience collective en évolution. La synchronicité entre tous ces projets ne doit, bien-sûr, rien au hasard. En associant tous les éléments de ce puzzle, on voit se dessiner un projet global de civilisation, à la fois politique et économique, culturel et spirituel, individuel et collectif qui consiste à remettre simultanément l’esprit au cœur de la conscience et de la culture, l’homme au cœur de la société et la société au centre d'un écosystème naturel qu'elle respecte, entretient et valorise.

Aujourd’hui, l’économie n’est plus une outil au service de l’humain mais un modèle de référence qui détermine aussi bien les rapports sociaux que notre interprétation du monde. Cette idéologie dominante devient domination totalitaire dès lors qu’elle ne reconnaît aucune autre alternative possible (le fameux TINA de Margareth Thatcher : There Is No Alternative). La refondation du vivre ensemble nécessite donc de décoloniser l’imaginaire de l’emprise économique pour « déconomiser » la pensée.


La modernité était un mouvement d’émancipation de la société vis-à-vis de l’emprise du religieux, le dépassement de la modernité c’est un mouvement d'individuation qui s'émancipe d'une économie devenue nouvelle religion des sociétés profanes. Refonder la démocratie c'est la dissocier de l'économie au lieu de l'y subordonner et dépasser celle-ci pour mettre en place une véritable "éthonomie" fondées sur les valeurs qualitatives du vivre ensemble. Le développement de cette éthonomie conviviale s'effectue à travers de nombreuses initiatives, toutes animées par une intelligence connective à la fois sensible et rationnelle, intuitive et collective.

Tous les projets évoqués ci-dessus contestent le dogme impensé d'une croissance infinie sur une planète aux ressources limitées, devenue à la fois économiquement introuvable et écologiquement insoutenable; ils refusent un système qui, en compensant une angoisse existentielle par une consommation addictive, indexe le bonheur sur la richesse matérielle ; si les plus radicaux veulent carrément "sortir de l'économie", d'autres veulent la remettre à sa place qui est celle d’un moyen au service de ces valeurs centrales que sont le développement humain et les relations conviviales. La plupart proposent l’instauration d’un revenu minimum et d’un revenu maximum, des initiatives allant sans dans le sens d'une émancipation du lien social des rapports de domination/soumission économique. 

Le Manifeste Convivialiste

Face à la destruction des liens qui tissent le vivre ensemble, c'est donc un processus de résilience politique qui vise à dépasser la figure aliénante de l’Homo Economicus par un recours à l’esprit de convivialité qui fonde les solidarités communautaires. C’est dans cet esprit qu’une cinquantaine d’intellectuels et de militants, auteurs de nombreux ouvrages dessinant des alternatives possibles, ont décidé de confronter leurs analyses en mettant au second plan leurs divergences. 

Paru en Juin dernier, Le Manifeste Convivialiste est le résultat de près de deux ans de discussions entre eux. Cet ouvrage fixe les principes généraux sur lesquels ils se sont accordés, il explicite ce qu’ils ont en commun et qui les unit par-delà leurs divergences ou leurs différentes implications dans de multiples expériences ou initiatives. « Les Convivialistes » est le pseudonyme collectif du groupe de discussion constitué notamment par Claude Alphandéry, Yann Moulier-Boutang, Alain Caillé, Philippe Chanial, Eve Chiapello, Jean-Pierre Dupuy, Jean-Baptiste de Foucauld, Jean Gadrey, Vincent de Gaulejac, Susan George, Roland Gori, Jean-Claude Guillebaud, Hervé Kempf, Serge Latouche, Camille Laurens, Dominique Méda, Edgar Morin et Patrick Viveret.

Nous proposons ci-dessous un Abrégé du manifeste convivialiste tel qu’on peut le trouver sur le site Les Convivialistes avec d’autres contributions. Pour notre part, nous ne réduisons pas le processus de résilience politique au contenu de ce manifeste qui en éclaire cependant certains principes fondateurs. Ce manifeste pose les bases d’une philosophie politique qui, pour développer ses perspectives, aurait besoin d’une radicalité et d’une profondeur inspirées l’une et l’autre par un saut créatif et évolutif : sans une dynamique de réinvention culturelle, aucune refondation politique n'est possible. C'est bien pourquoi la refondation conviviale nécessite un véritable changement de paradigme qui, selon nous, est insuffisamment pris en compte par les auteurs de ce manifeste appartenant pour la plupart à une "élite culturelle" - universitaire et médiatique - reconnue comme telle dans la mesure où l'institution, vecteur de l'ancien paradigme, peut se reconnaître en elle. 

Les limites de ce manifeste tiennent donc au fait que la dynamique de réinvention culturelle y est peu abordée. Les Convivialistes sont encore fortement imprégnés du modèle abstrait de la modernité qu'il s'agit justement de dépasser. Ils n'envisagent pas l'indispensable saut évolutif sans lequel le convivialisme est condamné à n’être qu’une forme de réformisme de plus dont la destinée est de se faire récupérer - comme l'a été l'écologie politique - par la puissance subversive du capitalisme qui, pour perdurer, tend à ingérer et à digérer tout ce qui le conteste.

Comme le capitalisme a peint en vert sa logique prédatrice sous le terme de "développement durable", on peut imaginer ce monstre qui prendrait la forme d'un nouvel oxymore : le "développement convivial". Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas d'une énième réforme qui s'inscrit toujours de manière plus ou moins consciente dans la logique du paradigme dominant mais d'une refondation qui le dépasse. Si le convivialisme a un avenir c'est en devenant l'expression politique d'une transition intégrale, à la fois socio-économique et culturelle, personnelle et spirituelle. Il n'en demeure pas moins que ce manifeste exprime des tendances de fond de la conscience collective en évolution et c'est cette dimension sociologique qui en fait tout son intérêt.

Abrégé du manifeste convivialiste 


Jamais l’humanité n’a disposé d’autant de ressources matérielles et de compétences techniques et scientifiques. Prise dans sa globalité, elle est riche et puissante comme personne dans les siècles passés n’aurait pu l’imaginer. Rien ne prouve qu’elle en soit plus heureuse. Mais nul ne désire revenir en arrière, car chacun sent bien que de plus en plus de potentialités nouvelles d’accomplissement personnel et collectif s’ouvrent chaque jour. 

Pourtant, à l’inverse, personne non plus ne peut croire que cette accumulation de puissance puisse se poursuivre indéfiniment, telle quelle, dans une logique de progrès technique inchangée, sans se retourner contre elle-même et sans menacer la survie physique et morale de l’humanité. Les premières menaces qui nous assaillent sont d’ordre matériel, technique, écologique et économique. Des menaces entropiques. Mais nous sommes beaucoup plus impuissants à ne serait-ce qu’imaginer des réponses au second type de menaces. Aux menaces d’ordre moral et politique. À ces menaces qu’on pourrait qualifier d’anthropiques. 

Le problème premier

Le constat est donc là : l’humanité a su accomplir des progrès techniques et scientifiques foudroyants, mais elle reste toujours aussi impuissante à résoudre son problème essentiel : comment gérer la rivalité et la violence entre les êtres humains ? Comment les inciter à coopérer tout en leur permettant de s’opposer sans se massacrer ? Comment faire obstacle à l’accumulation de la puissance, désormais illimitée et potentiellement auto-destructrice, sur les hommes et sur la nature ? Si elle ne sait pas répondre rapidement à cette question, l’humanité disparaîtra. Alors que toutes les conditions matérielles sont réunies pour qu’elle prospère, pour autant qu’on prenne définitivement conscience de leur finitude. 

Nous disposons de multiples éléments de réponse : ceux qu’ont apportés au fil des siècles les religions, les morales, les doctrines politiques, la philosophie et les sciences humaines et sociales. Et les initiatives qui vont dans le sens d’une alternative à l’organisation actuelle du monde sont innombrables, portées par des dizaines de milliers d’organisations ou d’associations, et par des dizaines ou des centaines de millions de personnes. 


Elles se présentent sous des noms, sous des formes ou à des échelles infiniment variées : la défense des droits de l’homme, du citoyen, du travailleur, du chômeur, de la femme ou des enfants ; l’économie sociale et solidaire avec toutes ses composantes : les coopératives de production ou de consommation, le mutualisme, le commerce équitable, les monnaies parallèles ou complémentaires, les système d’échange local, les multiples associations d’entraide ; l’économie de la contribution numérique (cf. Linux, Wikipedia etc.) ; la décroissance et le post-développement ; les mouvements slow food, slow town, slow science ; la revendication du buen vivir, l’affirmation des droits de la nature et l’éloge de la pachamama ; l’altermondialisme, l’écologie politique et la démocratie radicale, les indignados, Occupy Wall Street ; la recherche d’indicateurs de richesse alternatifs, les mouvements de la transformation personnelle, de la sobriété volontaire, de l’abondance frugale, du dialogue des civilisations, les théories du care, les nouvelles pensées des communs, etc. 

Pour que ces initiatives si riches puissent contrecarrer avec suffisamment de puissance les dynamiques mortifères de notre temps et qu’elles ne soient pas cantonnées dans un rôle de simple contestation ou de palliation, il est décisif de regrouper leurs forces et leurs énergies, d’où l’importance de souligner et de nommer ce qu’elles ont en commun. 

Du convivialisme

Ce qu’elles ont en commun, c’est la recherche d’un convivialisme, d’un art de vivre ensemble (con-vivere) qui permette aux humains de prendre soin les uns des autres et de la Nature, sans dénier la légitimité du conflit mais en en faisant un facteur de dynamisme et de créativité. Un moyen de conjurer la violence et les pulsions de mort. Pour le trouver nous avons besoin désormais, de toute urgence, d’un fond doctrinal minimal partageable qui permette de répondre simultanément, en les posant à l’échelle de la planète, au moins aux quatre (plus une) questions de base : 

- La question morale : qu’est-il permis aux individus d’espérer et que doivent-ils s’interdire ? 

- La question politique : quelles sont les communautés politiques légitimes ? 

- La question écologique : que nous est-il permis de prendre à la nature et que devons-nous lui rendre ? 

- La question économique : quelle quantité de richesse matérielle nous est-il permis de produire, et comment, pour rester en accord avec les réponses données aux questions morale, politique et écologique ? 

- Libre à chacun d’ajouter à ces quatre questions, ou pas, celle du rapport à la surnature ou à l’invisible : la question religieuse ou spirituelle. Ou encore : la question du sens. 

Considérations générales


Le seul ordre social légitime universalisable est celui qui s’inspire d’un principe de commune humanité, de commune socialité, d’individuation, et d’opposition maîtrisée et créatrice. 

Principe de commune humanité : par-delà les différences de couleur de peau, de nationalité, de langue, de culture, de religion ou de richesse, de sexe ou d’orientation sexuelle, il n’y a qu’une seule humanité, qui doit être respectée en la personne de chacun de ses membres. 

Principe de commune socialité : les êtres humains sont des êtres sociaux pour qui la plus grande richesse est la richesse de leurs rapports sociaux. 

Principe d’individuation : dans le respect de ces deux premiers principes, la politique légitime est celle qui permet à chacun d’affirmer au mieux son individualité singulière en devenir, en développant sa puissance d’être et d’agir sans nuire à celle des autres. 

Principe d’opposition maîtrisée et créatrice : parce que chacun a vocation à manifester son individualité singulière il est naturel que les humains puissent s’opposer. Mais il ne leur est légitime de le faire qu’aussi longtemps que cela ne met pas en danger le cadre de commune socialité qui rend cette rivalité féconde et non destructrice. 

De ces principes généraux découlent des : 

Considérations morales

Ce qu’il est permis à chaque individu d’espérer c’est de se voir reconnaître une égale dignité avec tous les autres êtres humains, d’accéder aux conditions matérielles suffisantes pour mener à bien sa conception de la vie bonne, dans le respect des conceptions des autres. Ce qui lui est interdit c’est de basculer dans la démesure (l’hubris des Grecs), i.e. de violer le principe de commune humanité et de mettre en danger la commune socialité Concrètement, le devoir de chacun est de lutter contre la corruption. 

Considérations politiques 

Dans la perspective convivialiste, un État ou un gouvernement, ou une institution politique nouvelle, ne peuvent être tenus pour légitimes que s'ils respectent les quatre principes, de commune humanité, de commune socialité, d’individuation et d’opposition maîtrisée, et que s’ils facilitent la mise en œuvre des considérations morales, écologiques et économiques qui en découlent ; 

Plus spécifiquement, les États légitimes garantissent à tous leurs citoyens les plus pauvres un minimum de ressources, un revenu de base, quelle que soit sa forme, qui les tienne à l’abri de l’abjection de la misère, et interdisent progressivement aux plus riches, via l’instauration d’un revenu maximum, de basculer dans l’abjection de l’extrême richesse en dépassant un niveau qui rendrait inopérants les principes de commune humanité et de commune socialité ; 

Considérations écologiques 

L’Homme ne peut plus se considérer comme possesseur et maître de la Nature. Posant que loin de s’y opposer il en fait partie, il doit retrouver avec elle, au moins métaphoriquement, une relation de don/contredon. Pour laisser aux générations futures un patrimoine naturel préservé, il doit donc rendre à la Nature autant ou plus qu’il ne lui prend ou en reçoit.

Considérations économiques

Il n’y a pas de corrélation avérée entre richesse monétaire ou matérielle, d’une part, et bonheur ou bien-être, de l’autre. L’état écologique de la planète rend nécessaire de rechercher toutes les formes possibles d’une prospérité sans croissance. Il est nécessaire pour cela, dans une visée d’économie plurielle, d’instaurer un équilibre entre Marché, économie publique et économie de type associatif (sociale et solidaire), selon que les biens ou les services à produire sont individuels, collectifs ou communs. 

Que faire ? 


Il ne faut pas se dissimuler qu’il faudra pour réussir affronter des puissances énormes et redoutables, tant financières que matérielles, techniques, scientifiques ou intellectuelles autant que militaires ou criminelles. 

Contre ces puissances colossales et souvent invisibles ou illocalisables, les trois armes principales seront : 

- L’indignation ressentie face à la démesure et à la corruption, et la honte qu’il est nécessaire de faire ressentir à ceux qui directement ou indirectement, activement ou passivement, violent les principes de commune humanité et de commune socialité. 

- Le sentiment d’appartenir à une communauté humaine mondiale

- Bien au-delà des « choix rationnels » des uns et des autres, la mobilisation des affects et des passions. 

Rupture et transition

Toute politique convivialiste concrète et appliquée devra nécessairement prendre en compte : 

- l’impératif de la justice et de la commune socialité, qui implique la résorption des inégalités vertigineuses qui ont explosé partout dans le monde entre les plus riches et le reste de la population depuis les années 1970 

- Le souci de donner vie aux territoires et aux localités, et donc de reterritorialiser et de relocaliser ce que la mondialisation a trop externalisé. 

- L’absolue nécessité de préserver l’environnement et les ressources naturelles

- L’obligation impérieuse de faire disparaître le chômage et d’offrir à chacun une fonction et un rôle reconnus dans des activités utiles à la société. La traduction du convivialisme en réponses concrètes doit articuler, en situation, les réponses à l’urgence d’améliorer les conditions de vie des couches populaires, et celle de bâtir une alternative au mode d’existence actuel, si lourd de menaces multiples. Une alternative qui cessera de vouloir faire croire que la croissance économique à l’infini pourrait être encore la réponse à tous nos maux.

Ressources

Les Convivialistes

vendredi 6 décembre 2013

Effondrement et Refondation (3) Les Transitionneurs


Créer le monde que nous voulons est un mode d'action bien plus subtil, mais plus puissant que détruire celui dont nous ne voulons plus. Marianne Williamson 


Sans toujours savoir ni comment l’exprimer ni comment l’expliquer, la conscience collective ressent confusément que la civilisation occidentale vit la fin d’un cycle. Les mots de chute et de déclin, d’écroulement et de dépression, de décadence et de dégénérescence – avec tous leurs synonymes – reviennent en boucle dans nombre de conversations et d’analyses pour traduire cette sensation partagée. Un tel vocabulaire tente d’exorciser un processus qui apparaît d’autant plus effrayant que sa complexité échappe à l’analyse et à nos habitudes de pensée. 

C’est dans ce contexte que, ces dernières années, divers auteurs ont tenté d’analyser les raisons objectives et culturelles qui déterminent l’effondrement des civilisations au cours de l’histoire. Dans les précédents billets de cette série, nous nous sommes fait l’écho de ces réflexions tout en analysant le spectre des diverses réactions face à cette perspective.

Cette prise de conscience d'un effondrement - possible pour les uns, probable pour les autres et inéluctable pour certains - nous apparaît comme un signal d’alarme qui témoigne de la nécessité d’une refondation de notre civilisation. Celle-ci ne pourra s'effectuer qu'à travers un processus de résilience qui consiste à supporter un choc destructeur grâce une réorganisation socio-économique et à le surmonter grâce à une réinvention culturelle. 

Dans notre dernier billet, nous évoquions le mouvement de la Transition comme un des acteurs emblématiques de cette refondation. Dans celui-ci, nous analyserons quelques-unes des nouvelles formes de pensée et de sensibilité véhiculées par les Transitionneurs. 

Un processus de résilience 


Le processus de résilience, au cœur du mouvement de la Transition, est une réponse et une réaction au processus d’effondrement. Cette résilience est la capacité d’un système quel qu’il soit – organisme ou psychisme, écosystème ou société - à « encaisser un choc sans s’effondrer et à se réorganiser en se réinventant pour le surmonter ».

On distingue donc deux phases dans le processus de résilience. La première phase qui consiste à « encaisser le choc sans s’effondrer » nécessite d’anticiper le choc pour s’y préparer le mieux possible en amont : plus il nous surprend et plus l’effondrement peut s’avérer destructeur. Cette anticipation nécessite une perception précise des signaux d’alerte qui annoncent le choc mais aussi une première forme de réorganisation qui vise à préparer les diverses conditions – matérielles, morales et intellectuelles – permettant de le supporter. Supporter c’est créer un support suffisamment solide et fiable pour garder une cohérence face au désordre et aux perturbations. 

Après cette première phase qui consiste à supporter le choc vient une seconde qui consiste à le surmonter. Cette seconde phase nécessite un autre type de réorganisation qui passe par la réinvention du système. La structure et la dynamique d’un système sont les deux éléments fondamentaux et interdépendants qui le définissent. Dans un processus de résilience propre aux sociétés humaines, la réinvention est une dynamique culturelle qui, en tissant de nouveaux liens sociaux, anime, détermine et fait évoluer l’organisation sociale à travers la création de nouvelles structures collectives et institutionnelles. 

Un angle mort

Profondément schizophrène, la tradition occidentale tend à séparer le monde objectif (organisation socio-économique et politique), le monde intersubjectif (représentations culturelles) et le monde subjectif (expérience personnelle). Or les trois font système : ils sont solidaires et interdépendants. Impossible de changer l’organisation socio-économique sans une évolution conjointe des mentalités individuelles et collectives. Penser la Transition c’est l’envisager à la fois en termes de réorganisation socio-économique, de réinvention culturelle et d’évolution personnelle. 

De nombreuses réflexions et initiatives s’emploient à penser et à mettre en œuvre la transition socio-économique malgré l’inertie des pouvoirs publics engoncés dans les pesanteurs administratives, contraints par les stratégies électorales, aveuglés par des logiciels technocratiques qui les déconnecte de toutes les formes d’innovation. Si de plus en plus d'individus et de collectivités s'intéressent à la transition socio-économique, il y a en a beaucoup moins pour s’occuper de la transition culturelle tant il est vrai qu’il est bien plus difficile de changer les mentalités que de faire évoluer des modes de production ou de mettre en place des jardins partagés !... 

Ce moindre intérêt pour la transition culturelle est l’angle mort d’un mouvement qui a encore du mal à développer une vision globale intégrant les dimensions individuelles, culturelles et socio-économiques. Et pourtant, l’essentiel se cache toujours dans les angles morts : le monde ne pourra jamais changer si nous ne changeons pas notre regard sur lui et nous ne pourrons changer de regard sur lui si nous ne changeons pas de regard sur nous-mêmes. C’est pourquoi on ne peut envisager sérieusement une transformation des structures sans prendre en compte la dynamique d’une réinvention qui se manifeste par l’émergence de nouvelles formes de pensée, de sensibilité et de comportement. 

Une dynamique de réinvention 


Comprendre cette dynamique de réinvention, c’est s’intéresser à la culture de Transition telle qu’elle s’exprime et s’expérimente à travers nombre d’initiatives individuelles et collectives. Dans le billet précédent, nous évoquions le dossier de la revue Mouvements intitulé : La Transition, une utopie concrète ? dans lequel les auteurs s’interrogent notamment sur la nouvelle vision du monde dont est porteur le mouvement de la transition : 

« Un certain nombre d’initiatives et d’expérimentations menées ici et là sont regroupées, parfois arbitrairement, sous la bannière de la « transition ». Points communs à la plupart de ces alternatives : la volonté de passer à l’action, de construire, d’être dans le positif, l’inclusif et le concret. Il s’agit d’inventer la société d’après dès aujourd’hui, mais pour quoi faire ? Pour aller où ? Demain sera sans pétrole, équitable, solidaire ; les notions de « local », « résilience » et « faire » reviennent souvent. Comment comprendre ce militantisme qui déroute tant les observateurs attentifs des mouvements sociaux ? … 

Pourquoi ce mot-là, (transition ndlr) alors qu’il en existe tant d’autres (décroissance, locavores, slow cities, buen vivir etc.) revendiqués par des mouvements dont les pratiques semblent se rapprocher très fortement de celles mises en œuvre par les « transitionneurs » : insistance sur le « faire », critique des institutions établies et volonté de mettre en place des alternatives ici et maintenant, apparemment sans chercher à « prendre le pouvoir » ni utiliser les outils collectifs de mobilisation que sont les syndicats ou les partis politiques etc. … 

La transition renvoie-t-elle à la disparition des idéologies ou au réenchantement de la politique, au sens d’une référence à un grand récit, à un sens de l’Histoire ?... Ces mouvements peuvent-ils contribuer à inventer un nouvel imaginaire politique, en partant de la pratique et du concret ? Les acteurs de ce mouvement ou les expérimentations s’en rapprochant le souhaitent-ils eux-mêmes ? 

Une utopie concrète 

Une manière de répondre à ces questions, consiste peut-être à voir dans ce mouvement protéiforme qu’est la transition quelque chose comme une « utopie concrète », terme d’ailleurs revendiqué par le Festival des utopies concrètes (FUC) qui a réuni plusieurs centaines de militants de la transition, en Île-de-France à l’automne 2012. L’utopie concrète, théorisée par Ernst Bloch, offre une première grille d’intelligibilité, certes approximative, de ce mouvement, apte à prendre en considération son caractère diversifié. 

Pour l’auteur du Principe espérance, l’esprit utopique est celui du rêve éveillé, qui sait déceler dans le présent les linéaments d’un avenir jeune et frais, harmonieux : « La fonction utopique arrache les affaires de la culture humaine au divan de la simple contemplation : elle découvre de la sorte, à partir des cimes réellement vaincues, la perspective non idéologiquement gauchie du contenu humain de l’espérance. » 

Autrement dit, la fonction utopique est celle qui nous révèle la plasticité du monde, quand la routine et les institutions établies nous répètent jour après jour que « rien d’autre n’est possible » (Tina – There Is No Alternative) – discours parfois porté, bien malgré elles, par les formes institutionnelles de l’engagement politique, partis politiques ou syndicats, qui semblent ainsi condamnés à l’impuissance. Elle nous laisse voir que l’espoir n’est pas vain, puisque ce qui est impossible, dans le monde actuel, peut devenir possible dès à présent. Elle est tout le contraire de « l’utopisme », qui se contente de rêver au lieu d’agir. 

Elle est cet écart, cet arrêt, voire parfois ce dévoilement soudain, qui nous montrent que d’autres choix sont toujours possibles, ici et maintenant. Nous ne sommes pas condamnés à être ce que les institutions nous destinent à être. En changeant certains aspects de nos vies, nous nous sentons vivants et créateurs. La conscience utopique se distingue du rêve nocturne par son exigence et sa lucidité. Cette nouvelle vie que nous nous choisissons est informée de l’état du monde réel, elle fait face, quand d’autres se contentent de se laisser fossiliser dans le désordre établi. 

L’utopie cherche à rendre possible l’impossible et elle sait, par expérience, qu’une telle entreprise peut aboutir. Car l’histoire a toujours procédé ainsi, par l’action de minorités actives, d’abord isolées, qui ont finalement fait basculer les majorités et changé la face du monde. L’utopie, au fond, est « une invocation d’un ordre, à venir ou à faire, contre un désordre présent. »

Réenchanter la Vie


L’utopiste, dans ce sens-là, va donc éviter de s’enfermer, au nom du principe d’inclusivité, dans une identité trop reconnaissable (« anticapitaliste », « écologiste » etc.). Il joue la créativité, collectivement, contre l’inertie des assemblages sociaux établis, prisonniers de leur histoire, de leur structure, de leurs cadres idéologiques. D’où la diversité d’étiquettes (transition, décroissance etc.) pour des mouvements similaires, qui ont tous en commun de ne pas pouvoir se référer à des situations facilement agrégeables à grande échelle, à la différence des grèves par exemple. 

L’enjeu est donc de changer les situations, en ayant conscience de ne pas pouvoir les dépasser complètement, à court terme. C’est en formant des coalitions temporaires ou durables, définies avant tout par des objectifs et des résultats concrets précis (créer un jardin partagé, une Amap, planter des arbres fruitiers, organiser des repas locavores, etc.) que les personnes parviennent à « réenchanter la vie », c’est-à-dire placer la nouveauté, la surprise, l’inédit, l’imprévu au cœur de leurs pratiques quotidiennes. 

Les transistionneurs agissent en direction d’une nouvelle culture, d’une nouvelle civilité, face à un ordre dominant qui engendre au contraire de plus en plus la violence et le chaos. Une telle démarche ne peut évidemment pas se satisfaire d’un militantisme trop disciplinaire, rythmé par les congrès, grèves, tracts et campagnes électorales, ce qui reviendrait de nouveau à tout attendre des institutions établies, fussent-elles « critiques ». L’enjeu est de renouveler les répertoires d’actions, car il n’est plus possible d’attendre.» 

En immersion

Cette analyse qui fait suite à une série d’enquêtes menées sur le terrain par les collaborateurs de la revue Mouvements permet de mieux saisir les spécificités de cette culture de Transition : le dépassement d’une attitude "moderne" fondée sur la rationalité abstraite, la pensée critique et l’approche technocratique pour affirmer une attitude concrète fondée sur l’expérience conviviale, l’intelligence collective et l’imagination créatrice. Les Transitionneurs veulent absolument dépasser les stratégies de domination qui furent au cœur de la modernité et qui apparaissent aujourd’hui d'autant plus inadaptées qu’elles sont à l’origine de la crise systémique que nous vivons. Il ne s’agit plus, comme le proclamait Descartes, de s’abstraire de manière intellectuelle et technocratique pour dominer son environnement et l’exploiter (dans tous les sens du terme), mais de vivre en immersion dans un milieu à la fois naturel, humain et culturel pour co-évoluer avec lui. 

Cette immersion naît d’une participation concrète, à la fois sensible et intuitive, de la subjectivité à ce milieu. Le réenchantement du monde naît de cette continuité intime et poétique entre le monde intérieur et le monde extérieur. La séparation abstraite était au cœur de l’ancien paradigme. Le réenchantement n’est rien d’autre que le dépassement de cette séparation abstraite pour rétablir un lien qui fut central pendant toute l’évolution humaine : le lien sensible , organique et concret, unissant l’homme à son milieu de vie. Ce réenchantement exprime le mouvement créateur de l'intuition personnelle dans l'intelligence collective, celui d'une collectivité dans la société globale et celui de la société dans son milieu naturel. En prenant le meilleur de la tradition – l’immersion – et de la modernité – l’individuation – pour les dépasser tous deux, la culture de Transition participe à l'émergence d'un nouveau modèle fondé sur la co-évolution de l'homme et de son milieu.

Les Transitionneurs s'inscrivent dans le vaste mouvement des Créatifs Culturels ainsi nommés ainsi par le sociologue Paul Ray et par la psychologue Sherry Anderson dans une étude parue en 2000 parce que "d'innovation en innovation, ils sont en train de créer une nouvelle culture pour le 21 ème siècle." Se distinguant des courants traditionalistes et modernistes, les créatifs culturels représentent aujourd'hui près d'un tiers de la population. Ils sont les vecteurs des valeurs post-matérialistes liées à l'écologie, à une perception féminine des relations, au développement personnel et spirituel, à l'ouverture multi-culturelle et à l'implication solidaire dans la société.

Dans un profond silence médiatique et institutionnel, nous assistons donc à une révolution culturelle fondée sur un renversement de perspectives : la pensée abstraite - critique et technique - doit se mettre au service de l’imagination créatrice plutôt que de la castrer et de la brider au profit d’un « pseudo-réalisme » qui n’est que le masque de la résignation et de l’inertie. Parce qu’elle indique la voie dans les sociétés fluides et mouvantes de l’information, l’intuition retrouve sa souveraineté et la raison redevient un moyen au service d’une vision. 

Intelligence Collective


A cette évolution des consciences, correspond bien sûr une évolution de l’organisation socio-économique. Calquée sur la rationalité qui l’informe, la modernité abstraite fut portée par des organisations hiérarchiques qui fonctionnaient de haut en bas, du sommet à la base. Les Transitionneurs ne peuvent se reconnaître dans ce type d’organisation verticale, attachés qu’ils sont à la participation concrète de chacun à une collectivité dont il se sent membre. 

C’est pourquoi ils préfèrent au sein de leur mouvement une forme d’organisation « holomidale » fondée sur l’intelligence collective qui se traduit politiquement par la revendication d’une démocratie directe et participative. Il ne s’agit pas de nier la représentation politique mais de la remettre à sa place, non pas au service d’une oligarchie financière mais à celui de l'intérêt général qui s’exprime à travers une délibération commune. 

C’est au nom des valeurs de la convivialité que les Transitionneurs ne peuvent accepter l’emprise totalitaire de l’économie sur la société qui conduit à une compétition généralisée à travers le délitement des liens sociaux et culturels. C’est pourquoi ils proposent de décoloniser un imaginaire formaté par le dogme de la croissance devenue la nouvelle religion d’une société sans autres valeurs que monétaires. 

Cette culture de Transition se trouve bien résumée dans la déclaration commune du Collectif pour une Transition Citoyenne qui regroupe une douzaine d'organisations : " Plus que jamais nous croyons indispensable « d’être ce changement que nous voulons pour le monde », individuellement et collectivement. De préférer dans nos vies une forme de sobriété heureuse à l’ébriété consumériste. La coopération à la compétition. L’altruisme à l’égoïsme." N'attendons pas le changement. Prenons notre avenir en main, maintenant. Ces initiatives pionnières, ont fait leurs preuves. Si nous le voulons, elles pourront construire en quelques décennies, une société radicalement nouvelle, partout sur la planète. » 

Des Pionniers

Nous ne faisons ici qu’esquisser à très gros traits une culture de la Transition qui devra être analysée en terme bien plus détaillés et subtils. Cette culture de Transition nous apparaît comme le premier pas d’une transition culturelle vers un nouveau stade évolutif annoncé depuis longtemps par des penseurs visionnaires. 

Animés par une dynamique de réinvention, les mouvements et les individus porteurs de cette culture alternative sont des pionniers et c’est pourquoi il faut être à leur écoute pour mieux comprendre le processus de résilience culturelle face à la perspective de l’effondrement. 

S’ils désirent formuler un projet de société dans lequel peut se reconnaître une humanité en évolution, les Transitionneurs doivent développer une conscience plus profonde du nouveau paradigme dans lequel s’inscrivent leurs réflexions, leurs créations et leurs actions. Car, nous venons de le voir, c’est la dynamique culturelle qui, en tissant les liens sociaux à partir d’une nouveau modèle, détermine l’évolution des sociétés à travers la création de nouvelles structures collectives et institutionnelles.

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