mardi 23 décembre 2014

Noël Evolutionnaire


Tout ce qui n'est pas en train de naître est en train de mourir. Georges Harrison 


Dans notre dernier billet, nous évoquions l’ouvrage de Matthieu Ricard, Plaidoyer pour les animaux, où l’auteur nous invite à étendre notre bienveillance à l’ensemble des êtres sensibles, dans l’intérêt des animaux mais aussi des hommes. Une telle vision jette un regard lucide et cru sur la période de Noël qui se réduit trop souvent aujourd’hui à une fête commerciale et gastronomique fondée sur le massacre de sept milliards d'animaux.

Paradoxe : alors que, traditionnellement, ces fêtes célébraient les forces créatrices de la vie et de la nature, elles révèlent aujourd’hui toute la morbidité du délire marchand. Ceci explique pourquoi on peut légitimement ressentir une forme de dégoût et de tristesse devant le spectacle affligeant d'un consumérisme et d'une gloutonnerie qui, l'un et l'autre, rendent compte du vide abyssal de nos sociétés.

Cette folie consumériste nous a fait totalement perdre le sens cosmique d’une réalité à la fois sacrée et symbolique. Depuis la nuit des temps, le solstice d’hiver était l’occasion de célébrer les puissances matricielles de la génération à travers la victoire de la lumière sur les ténèbres qui permettait le renouveau de la vie et l’éclosion cyclique de la nature. La célébration chrétienne de la naissance de l’enfant Jésus s’inscrit dans une longue tradition des cultures archaïques et animistes, polythéistes et païennes, qui faisaient du solstice d’hiver le symbole de cette régénération. 

Aujourd’hui, il nous faut réinterpréter la symbolique de Noël à partir du paradigme émergent selon lequel l’être humain évolue à travers une série de stades évolutifs qui sont autant de naissances vers un niveau de plus grande complexité. Dans ce contexte évolutionnaire, les fêtes de Noël sont donc l’occasion de célébrer la puissance créatrice de la vie/esprit et de l’affirmer face aux puissances mortifères de l’entropie. Et pour ce faire, je renouerai avec cette tradition qui fut celles des mythes de la nativité en racontant l’histoire des jumelles de la déesse Kosmos : Intuition et Raison. 

Les Fêtes du Solstice 


Par-delà la fête chrétienne célébrant la naissance de Jésus, le Divin Enfant, ce que nous fêtons durant la période de Noël, c’est le solstice d’hiver, cette période astronomique où le soleil atteignant son point le plus bas sur l’horizon reste stationnaire pendant quelques jours et où les nuits sont les plus longues avant que les journées ne commencent à s’allonger. Le terme solstice vient d’ailleurs du latin solstitium (de sol, « soleil », et sistere, « s'arrêter, retenir »). 

Dès que l'homme commença à cultiver la terre, il suivit attentivement la trajectoire du soleil tout au long de l'année, car c'était de lui que dépendait la nourriture, la chaleur et le bien-être. Le cours des saisons déterminait aussi le moment des fêtes. Depuis la nuit des temps, les rites de remerciements et de sacrifices étaient célébrés dès que le soleil atteignait les points significatifs de son orbite, c'est à dire aux solstices d'été et d'hiver. Les païens célébraient le solstice d’hiver en apportant une bûche de chêne dans la maison, en la bénissant puis en l'allumant avec les restes de la bûche de l'année précédente. En ouvrant la phase ascendante et lumineuse du cycle annuel, le solstice d'hiver est considéré comme celui de la nativité du soleil. Le mot "Noël" viendrait du haut vieux germanique "Neue Helle" qui signifie la nouvelle lumière. ! La réanimation de la lumière équivaut à un renouvellement du monde. 

Partout en Europe, des fêtes romaines, germaniques ou celtiques célébraient à travers le solstice d’hiver la renaissance tant attendue de la nature et l'espérance de vie nouvelle symbolisée par le printemps à venir. Comme le rappelle Marc de Smedt dans le Nouvel Observateur : " Noël n'est qu'une adaptation à la nouvelle religion (chrétienne) des fêtes que les Anciens et les Barbares célébraient lors du solstice d'hiver - et il en est de même pour toutes les fêtes chrétiennes, bien que l’Église l'ait très longtemps nié " (23/12/74). En récupérant à son profit ces festivités populaires profondément enracinées dans l’inconscient collectif, le christianisme primitif reniera ses racines, en cachant ou en déformant les cultes qui l'ont précédé et qui lui ont néanmoins apporté la plupart des rites, images et symboles qui maintenant semblent lui appartenir en propre. 

Sol Invictus 

La fête chrétienne de Noël est un emprunt direct au culte de Mithra, une religion rivale du christianisme. Venu de Perse, le culte de Mithra s'est répandu au IIIe et IVe siècles av. J.-C. Dans l'ancienne religion iranienne, Mithra était le dieu de la lumière, symbole de chasteté et de pureté qui combattait les forces maléfiques. Ce culte présentait de nombreuses similitudes avec des cérémonies et des rites chrétiens. Le 25 décembre, on fêtait, par le sacrifice d'un taureau, le Sol invictus (Soleil invaincu) correspondant à la naissance de ce jeune dieu solaire, qui surgissait d'un rocher ou d'une grotte sous la forme d'un enfant nouveau-né. Au IIe et IIIe siècles av. J. C., son culte fut répandu dans tout l'Empire romain et l'empereur Aurélien en fit même la religion d’état. 

Les fidèles de Mithra identifiaient leur dieu avec le soleil et sa naissance tombait le 25 décembre. Ce rituel de la nativité du soleil nous a été décrit par plusieurs auteurs de l’Antiquité. On sait ainsi que les fidèles se retiraient dans des sanctuaires cachés d’où ils sortaient à minuit en criant : "La Vierge a enfanté ! La lumière croît !". La Vierge qui avait ainsi conçu et qui mettait au monde un enfant le 25 décembre, était sans doute la Grande Déesse orientale que les sémites appelaient la Vierge Céleste ou tout simplement la Déesse Céleste. Les Egyptiens représentaient même le soleil nouveau-né par l’image d’un petit enfant. 

Comme en bien d'autres occasions, l’Église, après avoir cherché à détruire, a fini par composer. Au départ, son hostilité ne fait aucun doute. N'est-il pas écrit dans le Deutéronome : " Quiconque aura honoré le soleil ou la lune, ou un être dans les cieux, devra être lapidé jusqu'à ce que mort s'ensuive " (XVII, 2-5) ? Si l’Église nia ces origines païennes, elle appela Jésus "Lumière du Monde" ou "Soleil de Justice" en le substituant au Sol Invictus mithriaque. 

Le Rituel Marchand

L’histoire des religions ne fait pas exception à la dynamique de l'évolution culturelle qui inclue les modèles dépassés pour les intégrer, à travers un saut évolutif, dans un paradigme d'une plus grande complexité. C'est ainsi que, pour s’implanter, toute nouvelle religion s’empare des rites, images et symboles des anciennes croyances en les réinterprétant à partir d’un nouveau paradigme. C’est ainsi que le monothéisme chrétien a récupéré des éléments animistes, polythéistes et païens en leur donnant une nouvelle interprétation. Ce qui a fait dire au psychiatre Ernst Jones : " On pourrait se demander si le christianisme aurait survécu s'il n'avait pas institué la fête de Noël avec tout ce qu'elle signifie " (Psychanalyse, folklore et religion.) 

Comme les chrétiens ont réinterprété les cultes païens, cette nouvelle religion de la modernité qu’est le capitalisme marchand réinterprète le Noël chrétien en le vidant de toute spiritualité manifeste. Marx évoque ce processus en écrivant au sujet de la bourgeoise capitaliste qu'"elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sensibilité petite-bourgeoise dans les eaux glacés du calcul égoïste."

La nouvelle religion économique investit ainsi les anciennes fêtes chrétiennes en les transformant en rituel marchand. Il faut voir l’hystérie qui s’empare des rues et des magasins durant la période de Noël pour mesurer l’intensité de ce rituel marchand où Homo œconomicus, en transe, se charge de cadeaux comme autant de fétiches censés le libérer de l’angoisse et de l’absurdité d’une vie réduite à la survie économique. Totalement possédé par une logique marchande, Homo œconomicus réduit ces êtres sensibles que sont les animaux à n'être plus que des objets à consommer. 

Les fêtes païennes s'inscrivaient dans un milieu cosmique, les célébrations chrétiennes réunissaient le peuple des croyants alors que le rituel marchand se restreint au milieu familial, le seul reconnu par l'homme moderne, c'est à dire le seul dans lequel il peut encore se reconnaître. Devenue fête de famille, Noël réinscrit l'individu abstrait dans un contexte généalogique où il se perçoit comme une expression ponctuelle d'une dynamique transgénérationnelle qui le transcende en donnant un sens à sa vie. L'échange des cadeaux symbolise et célèbre cette communauté originelle qui est celle de l'appartenance à une même lignée unissant les générations à travers leur renouvellement. Dans ce contexte, le sapin de Noël apparaît évidemment comme l'expression symbolique d'un arbre généalogique.

La profondeur de cette dynamique temporelle permet d'affronter la finitude en retrouvant un sens et une sérénité qui compense l'angoisse d'une vie insensée. C'est ainsi qu'à travers le rituel marchand, l'homme moderne se réapproprie le sens originel de Noël comme célébration de la puissance génératrice de la vie. Mais cette dimension lumineuse possède aussi sa face sombre. Les psychothérapeutes sont bien placés pour savoir que ce "rendez-vous généalogique" qu'est devenu Noël réactive une mémoire familiale et transgénérationnelles avec ses conflits, ses traumas et ses secrets qui suscitent angoisses et épisodes dépressifs. A cette occasion, l'individu moderne mesure parfois la solitude d'une existence dont la vie s'est retirée pour revenir le hanter sous la forme réifiée de la marchandise.

De l'Astronomie à la Gastronomie

En suivant les diverses étapes qui furent celles des fêtes païennes, des célébrations chrétiennes et des rituels marchands, nous sommes progressivement passés du cosmique au cosmétique et de l'astronomie à une gastronomie qui, trop souvent, dénie la vie au lieu de la célébrer. Pour le dire en terme plus brutal, nous sommes passés de la célébration de la foi et du sacré à celle du foie gras et du sucré. Ce qui en dit long, en passant, sur le clivage régressif de la psyché contemporaine : violence du gavage, côté foie gras, et compulsion infantile, côté sucré.

Alors que commence un nouveau cycle évolutif marqué par la montée des hérésies contre l'économisme dominant, notre but ici n’est pas de faire œuvre d’historien mais de retrouver le sens originel des fêtes de Noël - par-delà leurs récupérations dogmatiques puis marchandes - afin de célébrer leur dimension sacrée et symbolique. 

Ce faisant, il nous faut éviter l'illusion romantique qui consiste à comparer les bons côtés des traditions archaïques et pré-modernes aux mauvais aspects de la modernité. Il ne s'agit pas pour nous d'idéaliser le holisme des civilisations traditionnelles en ignorant toutes les formes d'obscurantisme que celles-ci véhiculaient, ni de nier le mouvement évolutif dont le monothéisme chrétien et la modernité furent le vecteur.

Le nouveau paradigme doit être capable d'associer le meilleur de la tradition- sa dimension organique, holiste et sacrée - avec le meilleur d'une modernité fondée sur les valeurs de la raison, de l'individu et de l'évolution. Cette association aboutit à un modèle de co-évolution entre l'individu et son milieu : la dynamique d'individuation apparaît comme une modalité particulière d'une évolution vers la complexité propre à son milieu cosmique et naturel.

Dans cette perspective, la transformation des fêtes de Noël en rituel marchand signale de manière spectaculaire la façon dont l’abstraction moderne a castré notre sensibilité de son appartenance comique à un milieu à la fois naturel et surnaturel. Aujourd’hui le mal-être collectif exprime le besoin de sentir à nouveau la sève du sens nous relier de manière organique à ce milieu multidimensionnel. Parce qu’il est dépositaire de la mémoire de l’univers et de l’espèce, le Grand Récit de l’Évolution est porteur de ce sens. Cette mémoire commune doit inspirer des récits et des mythes qui mobilisent nos forces et notre imaginaire pour ouvrir un nouveau cycle de l’épopée humaine.

Les Jumelles de la Déesse Kosmos

C’est dans ce contexte cosmoderne, en m’adressant à cet enfant éternel qui est en vous, amis lecteurs, que je vous propose une autre histoire de nativité : celle des jumelles de la déesse Kosmos. En sentant pousser en elle ces deux graines d’humanité, la déesse Kosmos se mit à leur écoute afin de leur trouver un nom. En ressentant des vibrations dans son ventre alors qu’elle était enceinte, elle prêta subtilement l’oreille pour entendre le dialogue entre ses jumelles. Et c’est ainsi qu'en écoutant leur échange, elle nomma la première Intuition et la seconde Raison


Raison : Et toi, tu crois à la vie après l’accouchement ? 

Intuition : Bien sûr. C’est évident qu’il y une vie après l’accouchement. Si nous sommes ici c’est pour devenir forts et nous préparer à ce qui nous attend après. 

R : Je ne suis pas d’accord. Tout ceci n’est pas raisonnable. Je pense qu’il n’y a rien après l’accouchement. Nous retournons au néant dont nous sommes issus. Est-ce que tu peux sincèrement imaginer à quoi une telle vie pourrait ressembler ? 

I : Eh bien, je ne connais pas tous les détails. Mais je pressens que, de l’autre côté, il doit y avoir une lumière totalement différente de l’obscurité qui règne ici. Impossible d’imaginer ce que l’on va devenir. Ce que je ressens c’est une longue et lente métamorphose au cours de laquelle nous allons grandir, étapes par étapes, à tel point que chacun de nous restera toujours le même en devenant totalement différent. 

R : Balivernes. Ton imagination te joue des tours. Ici nous sommes totalement protégés mais dans un autre environnement nous n'aurions plus les conditions nous permettant de survivre. Il est scientifiquement prouvé qu’aucune métamorphose de ce type n’est possible. Les savants sont unanimes : nous autres, graines de vie, sommes condamnés à vivre sous l’emprise déterminante du hasard et de la nécessité. La seule liberté que nous avons est celle d'être conscient de notre prison.

I : Que tu es borné ! Tu es si aveuglé par ton raisonnement que tu ne peux plus ressentir cette résonance qui connecte chacune de tes cellules au mouvement créateur de la vie qui est celui d’un développement continu. Tiens, imagine que là-bas on ne mangera pas comme ici. On deviendra autonome. On aura un organe dédié à l’alimentation. 

R : C’est cela, bien-sûr ! Et on pourra marcher tout seul peut-être ? C’est du grand n’importe quoi ! Nous avons un cordon ombilical qui nous nourrit et c’est bien suffisant. Aucun revenant n’est passé par ici pour témoigner d’une autre réalité. La vie se termine tout simplement par l’accouchement. C’est un peu triste mais c’est ainsi, ne t’en déplaise, espèce d’illuminé. 

I : Et toi tu es un escargot enfermé dans ta coquille. Je ne sais pas exactement à quoi va ressembler cette vie après l’accouchement mais ce dont je suis sûr c’est que nous verrons notre maman et qu’elle prendra soin de nous. 

R : Une maman ? Quel délire ! Tu crois en une maman ?… Et où se trouverait-t-elle ? 

I : Mais elle est partout ! Elle est autour de nous ! Grâce à elle nous vivons et sans elle nous ne sommes rien. 

R : C’est absurde ! Je n’ai jamais vu aucune maman donc c’est évident qu’elle n’existe pas. 

I : Tu as tort. Déploie tes antennes. Mets-toi à l’écoute. Parfois lorsque tout devient calme, on peut entendre quand elle chante. On peut sentir quand elle caresse notre monde. Je suis certain que notre vraie vie va commencer après l’accouchement. 

R : Quel rêveur tu fais ! Enfin tu es bien sympathique et tes histoires à dormir debout permettent de passer le temps dans cette enceinte sombre et close. 

I : En tout cas, moi je me prépare à cette autre forme de vie. Tous les jours que maman fait, je me fortifie et je me développe. J’ai hâte de passer à la prochaine étape. Je sens qu’un autre monde m’attend et je veux être prêt pour cette fabuleuse aventure. 

R : Très bien, très bien… Ce sera sans moi. Moi j’en envie de dormir, bien au chaud dans mon bain amniotique. Si tu pars, n’oublie pas de fermer la porte en sortant… 

I : Quand la porte s’ouvrira, tu seras aspiré par mon élan, tu sentiras de nouvelles forces t’investir et t’animer. Tu seras très content de sortir toi aussi pour venir me retrouver. 

R : C’est cela ! En attendant moi je vais retrouver ma couette amniotique, si douce, si chaleureuse et si visqueuse, en m’alimentant à travers le cordon sur lequel je te demanderai de ne pas trop tirer en partant, merci. 

I : Fais attention… Le sommeil de la raison engendre les monstres. 

R : Que veux-tu dire par là ? 

I : C’était une idée comme cela en passant. Moi, je ressens l'appel de plus en plus pressant du futur. Je sens que je vais bientôt partir, c'est à dire naître.

R : Bon voyage alors et.... Joyeux Noël.


Ressources

Les informations concernant les origines des fêtes de Noël, le Solstice d’Hiver et le culte de Mithra ont été puisées il y a quelques années dans divers sites internet dont j’ai fait une synthèse sans garder les références précises. Il suffit de googliser ces différents termes pour trouver de nombreuses informations les concernant et les développant.

Le dialogue entre les deux jumelles de la Déesse Kosmos est une très libre adaptation personnelle de celui que l'on retrouve sur divers blogs entre Bébé Athée et Bébé Croyant.

Dans Le Journal Intégral : Mourir pour renaître, De la chenille au papillon. Le Grand Récit de l’Évolution

Sur la violence faite à ces êtres sensibles que sont les animaux :


Plaidoyer pour les animaux Matthieu Ricard

Faut-il manger les animaux ? Jonathan Safran Foer

No Steak Aymeric Caron    Bidoche  Fabrice Nicolino

L'animal est une personne Franz-Olivier Giesbert 

La révolution végétarienne  Thomas Lepeltier

vendredi 12 décembre 2014

Matthieu Ricard. L'Entraînement de l'Esprit


Être libre, c'est être maître de soi-même. Matthieu Ricard


Nous vous proposons ci-dessous une vidéo de l’intervention de Matthieu Ricard lors de la troisième édition du Forum international de l’évolution de la conscience qui a eu lieu le 18 Octobre dernier à Paris avec pour thème : « Comprendre pour évoluer : la science de l’évolution de la conscience ».

Moine tibétain et interprète français du dalaï-lama, Matthieu Ricard, 67 ans, vit au Népal, dans le monastère de Shechen depuis quarante ans. Après sa thèse en génétique cellulaire à l’Institut Pasteur en 1972, il s’établit dans l’Himalaya où il se consacre depuis à l’étude et à la pratique du bouddhisme. 

L’intérêt de cette vidéo est de nous montrer que cette « science de l’esprit » qu’est le bouddhisme peut aider chacun d’entre nous de manière concrète dans notre quotidien. Dans un langage simple, souvent avec humour, Matthieu Ricard tord le cou aux clichés véhiculés en Occident sur la méditation. Selon lui, cette pratique est partie intégrante d’un entraînement de l’esprit qui n’est pas une évasion hors du monde ou une simple quête de sérénité mais qui vise à retrouver, au-delà de l’incessant « bavardage des neurones », une présence éveillée qui est la source de toutes nos facultés cognitives. Cette présence d’esprit développe une ouverture et une bienveillance pour toutes les formes de vie et de conscience. 

 A travers ce dialogue avec Eric Allodi, Matthieu Ricard transmet son expérience avec humilité et humanité en montrant qu’il n’est pas besoin d’aller au cœur de l’Himalaya pour commencer cet entrainement de l’esprit qui va déterminer la qualité, l’intensité et la profondeur de notre vie. 

Le Forum International de l’évolution de la conscience 


Voilà trois ans que l’équipe d’EnlightenNext France organise le Forum international de l’évolution de la conscience qui réunit des visionnaires du monde entier afin de partager des paradigmes émergents et de nouvelles perspectives susceptibles de catalyser une évolution fondamentale de la conscience. Le succès remporté  chaque année par ce Forum et son écho dans le public sont en eux-mêmes des signes patents d'une transformation de la mentalité collective.

Dans Le Journal Intégral nous avons rendu compte des deux premières éditions qui ont posé le caractère indispensable de cette évolution comme clé de notre devenir et qui ont défini comme un(e) évolutionnaire celui ou celle qui perçoit le potentiel du présent, croit profondément au futur et s’en sent personnellement responsable. Une fois que nous comprenons le besoin pressant de faire évoluer notre vision du monde, la question suivante se pose : comment mettre en place une telle démarche au quotidien? 

Pour trouver des réponses à cette question les organisateurs ont invité des chercheurs spirituels comme des scientifiques - qui sont parfois les deux en même temps - afin de mieux comprendre les fondements de la conscience et de son évolution. Ces intervenants ont aussi partagé leur expérience en évoquant les pratiques qui permettent à la conscience de se développer sur le plan individuel et collectif. 

Plaidoyer pour les Animaux 

Depuis de nombreuses années, Matthieu Ricard participe aux recherches du Mind and Life Institute dont le but est de développer les échanges entre la science et le bouddhisme. Il est auteur de plusieurs best-sellers dont Le Moine et le philosophe, L’art de la méditation, Plaidoyer pour le bonheur. L’année dernière, son Plaidoyer pour l’altruisme vendu à plus de 120.000 a popularisé le concept de «bienveillance ». 

Matthieu Ricard consacre le début de son intervention à son dernier ouvrage qui vient juste de paraître : Plaidoyer pour les animaux. Vers une bienveillance pour tous. Selon lui, l’entraînement de l’esprit, au cœur du bouddhisme, développe un champ de bienveillance et de compassion qui n’est pas restreint aux êtres humains mais qui englobe tous les êtres sensibles capables d’éprouver de la souffrance, ce qui est, bien-sûr le cas des animaux. C’est ainsi qu’il évoque la célèbre phrase de Lamartine : "On n'a pas deux cœurs, l'un pour l'homme et l'autre pour l'animal. On a du cœur ou on n'en a pas!". Et ce alors que nous tuons par ans pour notre consommation 1.000 milliards d’animaux marins et 60 milliards d’animaux terrestres dans des conditions souvent abominables. 

Dans un entretien à l’Obs au sujet de cet ouvrage, Matthieu Ricard dit ceci : « Le bouddhisme estime que tous les êtres ont le droit fondamental d'exister et de ne pas souffrir. C'est une question de cohérence éthique. Dès le XIXe siècle, Schopenhauer, lui-même inspiré par l'Inde et le bouddhisme, affirmait que «celui qui est cruel envers les animaux ne peut être un homme bon»… 

Tous ceux qui ont parlé en faveur de la cause animale - Voltaire, Shaftesbury, Bentham, Mill et Shaw - étaient aussi les plus ardents avocats du respect des droits de l'homme. Il y a trois cents ans, on torturait les gens sur la place publique. En trois cents ans, nous en sommes venus au respect des droits de l'homme, de la femme, de l'enfant, avec l'abolition de l'esclavage et de la torture. L'étape suivante naturelle du progrès de la civilisation, ce sera le respect des animaux. Et ça commence par accorder un peu de compassion à l'autre. » 

Une science de l’esprit 


La bienveillance évoquée par Matthieu Ricard est le résultat d’une ouverture de la conscience qui peut se développer grâce à un entraînement de l’esprit. Développée depuis plus de deux millénaires, cette véritable science de l’esprit qu’est le bouddhisme permet de mieux comprendre le mécanisme du bonheur et de la souffrance. En prenant du recul par rapport aux réactions en chaîne des idées et des émotions, nous découvrons en nous une présence éveillée qui nous libère de la confusion mentale.

Cette présence nous familiarise avec un nouveau mode de perception, plus en adéquation avec la réalité profonde de notre conscience comme de l’univers. C’est ainsi que nous nous libérons des limitations de l’égoïsme pour embrasser dans notre champ d’attention et de compassion une sphère de plus en large. 

Fondamentalement, l’être humain n’est pas une entité abstraite, totalement autonome, mais un être de relations qui, grâce à un entraînement de l’esprit, notamment par la méditation, prend peu à peu conscience de l’interdépendance entre toutes les formes de vie et de l’impermanence de toutes les formes de conscience. Se désidentifier des pensées, des émotions, de l’égo, c’est participer à ce flux continu de transformation qu’est notre être et notre conscience. 

Évolution individuelle et collective 


Paradoxe : plus nous entrons en nous-mêmes dans la profondeur de la conscience et plus nous nous sentons engagés dans le monde et dans son évolution. Une telle prise de conscience va à l’encontre des préjugés occidentaux qui séparent trop souvent la quête spirituelle et culturelle de l’action sociale et politique. Pour la mentalité dominante en Occident, se consacrer à une quête intérieure c’est se déconnecter du monde et de l’humanité dans une sorte de quiétude et de repli narcissique. 

Ce que nous enseignent au contraire les chemins de sagesse c’est que l’action sociale et politique n’a de sens et d’efficacité véritable que si elle est enracinée dans la profondeur d’une vision à la fois culturelle et spirituelle. L’évolution du monde passe par notre évolution personnelle c’est-à-dire par le développement de notre esprit au-delà des illusions de l’ego et des limitations du mental. 

L'exemple de Matthieu Ricard est parlant. Loin de se cantonner à l’étude et à la méditation, il est le fondateur de Karuna-Shechen, une importante association à but non lucratif qui a pour idéal la compassion en action. Depuis 2000, Karuna-Shechen initie et gère des projets spécialisés dans la prestation de soins de santé primaires et de services éducatifs et sociaux aux populations défavorisées en Inde, au Népal et au Tibet. Tous les droits d’auteurs de ses ouvrages sont destinés à cette association. 

L’expérience et le témoignage de Matthieu Ricard montre que, par-delà le marketing de la pleine conscience qui instrumentalise la méditation pour nous vendre du bonheur en dix leçons, l’entraînement de l’esprit est un long chemin de sagesse où l’évolution de l’individu entraîne celle de la collectivité qui elle-même transforme chacun de ses membres. En nous libérant des impasses de l’individualisme et du consumérisme, l’ouverture de la conscience à une présence éveillée permet le développement de la bienveillance et de la compassion qui englobent dans leur champ d’attention toutes les formes de vie et de conscience. 

Matthieu Ricard : Conscience et Méditation



Ressources 



Entretien avec Matthieu Ricard dans l’Obs au sujet de son dernier ouvrage : Plaidoyer pour les animaux. 

vendredi 28 novembre 2014

Abécédaire de la Méditation (2) Une Révolution Silencieuse


Je crois que la méditation est aujourd’hui la dernière grande chance révolutionnaire pour notre temps. Fabrice Midal 


Le succès rencontré par la méditation en Occident s’apparente à une révolution silencieuse. A travers cette pratique, l’Occident redécouvre dans la ferveur le continent de l’esprit avec lequel il avait pris ses distances via une abstraction intellectuelle réduisant la vie de la conscience à une mécanique utilitaire. Étouffant sous l’emprise d’une raison instrumentale et d’une idéologie utilitariste qui leur a fait perdre tous leurs repères éthiques et métaphysiques, les occidentaux cherchent à retrouver en eux les ressources spirituelles susceptibles de donner un sens à leur vie c’est-à-dire à la fois une orientation et une signification. 

Dans un monde traversé par un flux d’information continu, la méditation apparaît comme un retour aux sources de l’esprit. Elle n’est ni un moyen, ni une fin mais trace un chemin d’évolution qui, en relativisant et en dépassant la pensée abstraite, permet de développer une conscience plus large, plus unifiée et plus intégrée. Ce faisant, elle peut devenir un levier politique capable de subvertir la pensée technocratique en ouvrant l'intelligence collective à une nouvelle vision du monde et à des manières de vivre ensemble différentes de l'économisme dominant.

Dans un entretien au magazine Inexploré, Fabrice Midal évoque le potentiel révolutionnaire de la méditation : « Mon engagement dans la méditation, je le pense comme un engagement politique. Je crois que la méditation est aujourd’hui la dernière grande chance révolutionnaire pour notre temps. Parce qu’il s’agit en méditant de cesser l’attitude de vouloir tout contrôler et tout dominer. C’est le problème majeur de notre monde ! » Dans ce billet nous évoquons donc cette révolution silencieuse en terminant l’abécédaire de la méditation commencé dans le précédent billet. 

Réel 


La réalité c’est ce qui reste quand on a oublié le Réel dont nous faisons l’expérience à travers la méditation. Un Réel non-duel à la fois complexe et irréductible, holiste et multidimensionnel, évolutif et en émergence continue.

Paradoxe : ce que les psychologues occidentaux nomment "état de veille" apparaît comme un profond sommeil par rapport à cet état d'illumination appelé "Éveil" par les orientaux.

La réalité n’est rien d’autre qu’une abstraction du Réel dont on a amputé la part essentielle de mystère, de profondeur et d’humanité. 

Qui dira la peine d’une âme sensible dans un monde sans qualité où l’agitation passe pour une vertu et la méditation pour une fuite hors de la réalité ? En faisant l'expérience du Réel, la méditation transcende la réalité et la remet à sa place qui est celle d'une manifestation à la fois transitoire et évolutive.

La méditation est cette respiration intérieure absolument indispensable pour tous ceux qui ne supportent pas l’ambiance de pollution intellectuelle, morale et spirituelle d’une civilisation asphyxiée par le nihilisme dominant. 

A travers la technologie, nous cherchons à vivre une réalité augmentée sans comprendre que la réalité elle-même n’est qu’un Réel diminué. 

Simplicité 

La méditation apparaît comme le paradigme d’une spiritualité qui, par sa radicale simplicité, ouvre un chemin de gratitude et de gratuité menant à la grâce. 

La méditation est un rendez-vous avec la simplicité au cœur même de la complexité, bien loin de cette simplification abstraite opérée par la pensée. 

C’est parce qu’elle est art de la simplicité que la méditation est aussi science de l’intensité.

Attention ! Rien de plus difficile que de parvenir à la simplicité comme il n’y a rien de plus de facile que de se perdre dans les complications mentales. 

C’est une imposture que de vouloir réduire la méditation à une posture corporelle sans comprendre que celle-ci n’est que l’expression physique d’une posture métaphysique. 


Spectacle 

Mettre en présence, tel est le but de la méditation quand celui du mental est de mettre en scène ce spectacle qu’est la représentation. 

Le mental génère une hypnose abstraite dont la méditation peut nous libérer en traversant le voile de séparation qui occulte l’Unité. Appelé Maya par les indiens, ce voile est à l’origine de ce que les situationnistes nomment le « spectacle ». Selon Guy Debord : « La séparation est l’alpha et l’oméga du spectacle ». Depuis des millénaires, les éveillés expliquent quant à eux que le mental est l’alpha et l’oméga de la séparation. 

Le spectacle – c’est-à-dire la séparation – n’est rien d’autre qu’une conscience aliénée par la représentation abstraite du mental. Transcender celui-ci, c’est comprendre pourquoi et comment la séparation – c’est-à-dire le spectacle – réduit le lien social à un abstraction économique.

Méditer - seul ou ensemble - c’est créer les conditions d’une communauté vivante et organique qui dépasse l'économisme dominant en retrouvant les valeurs de de la réciprocité – don et contre-don – comme celles de la gratuité : l'abandon, la gratitude et la grâce.

En créant des oasis d’intériorité dans ce désert d’insignifiance qu’est le chaos contemporain, le partage de l’expérience méditative invente une politique de l’esprit fondée sur la résistance à l'inhumanité.

Transfigurant la puissance de la vie en une présence d’esprit, la méditation libère la conscience de cette machine infernale que devient le mental quand il réduit la force créatrice de la vie/esprit à la mécanique aliénante de l’abstraction. 

Subversion


La méditation ne sert à rien. Elle met simplement la conscience au service du Tout dont elle est partie pensante et agissante. 

Tout est là : dans le rendez-vous du lâcher prise.

La présence d'esprit est dissidence en un monde où tout est fait pour la diluer et l'oublier dans l'enfer programmé de l'abstraction. Comme l'amour, l'art et la poésie, la méditation s'élève contre l'emprise de l'abstraction avec la force insurrectionnelle de la sensibilité concrète et de l'intuition créatrice.

Le verbe retourner, avec son double sens de retour et de conversion, rend bien compte du double mouvement qui anime la méditation : à la verticalité d’un retour aux sources de l’esprit correspond la translation horizontale de l’extérieur vers l’intérieur. Durant ce retournement, les forces créatrices et spirituelles de l’individuation s’élèvent contre les formes à la fois abstraites et narcissiques de l’individualisme. 

Le lâcher prise permet de ne plus supporter un monde insupportable en le laissant tomber pour en inventer un autre aux couleurs éclatantes de l'intensité.

Le geste insurrectionnel du méditant subvertit ce que Régis Debray nomme la "subversion utilitariste" à savoir l’hégémonie de la raison instrumentale au cœur de la modernité tardive. Dans ce contexte, la méditation est ce retournement dialectique qui vise à s’abstraire de l’abstraction pour retrouver l’intensité vécue et à subvertir la "subversion utilitariste" pour se mettre au service de ce que Bergson nomme l’évolution créatrice. 

Totalité 

La méditation c'est la perception de toute chose en relation avec la totalité. Vimala Thakar

Méditer c’est arrêter de tout vouloir expliquer pour s’impliquer intimement dans la totalité. 

Penser c’est réduire. Créer c’est accomplir. Méditer c’est intégrer. 

Méditer c’est faire l’expérience du Réel c’est-à-dire de la Totalité. La plénitude est le sentiment d’accomplissement d’une sensibilité qui participe avec intensité à la totalité dont elle procède. 

Il faut commencer par être ici et maintenant pour participer à une Totalité qui est partout et toujours. 

Méditer c’est, l’air de rien, être prêt à Tout. 

Développer le sens de la plénitude c’est faire le plein d’essentiel dans le désert existentiel de nos sociétés désenchantées.

Méditer c’est être Tout en Un comme on est Un en Tout et pour Tout. 

Transcendance 

La méditation est cette absorption dans la présence qui permet de démystifier l’hypnose abstraite générée par le mental. 

Parce qu’elle permet à l'intuition de transcender le mental pour l’inspirer, la méditation est la métaphore du saut créatif que doit effectuer l’humanité.

La séparation abstraite crée par le mental permet d’objectiver le monde. Au cours de la méditation, le mental devient lui-même objet d’attention d’un esprit transcendant. C’est ainsi que la méditation relativise le mental et le démystifie en objectivant de manière vivante et créatrice son processus abstrait d’objectivation.


Méditer c’est suivre le flux de l’attention jusqu’à la source de l’intention cosmique dont elle procède et qui la constitue.

La méditation est une médiation entre la verticale de l’intention transcendante propre à l’être et l’horizontale de l’attention immanente propre au devenir. 

Méditer c’est littéralement disparaître. Se libérer du champ des apparences pour entrer dans celui d’une transparence qui les transcende et les englobe à la fois. 

Méditer c’est apprivoiser la mort pour vivre avec plus d’intensité. En traversant les apparences, on apprend ainsi à disparaître tout au long de sa vie. 

Unité 

À l'origine, un symbole, du grec sun-bolein, est une pièce coupée en deux que se partagent deux êtres qui vont se séparer pour longtemps. Ils pourront plus tard se reconnaître en rapprochant les deux parties séparées et en reconstituant ainsi la pièce d’origine. Méditer c’est devenir un symbole qui, en unissant dans un seul souffle la présence d’esprit et la puissance de la vie, reconstitue l’unité originelle entre la terre et le ciel. 

Penser c’est distinguer. Méditer c’est transcender les distinctions mentales pour s’accorder à l’unité qui les sous-tend. C’est ainsi que la raison suzeraine se met au service de l'intuition souveraine.

L’expérience méditative nous plonge au cœur de la non dualité sur la voie du Milieu où les contraires se révèlent être des complémentaires. 

La froideur abstraite du mental éteint tout feu intérieur qui viendrait à l’embraser. L'Esprit est un tout qui embrasse le mental et le dépasse dans la perspective d’une non-dualité. 

En transcendant le mental, la méditation relativise les limites conceptuelles que l’abstraction impose à la conscience et ouvre à celle-ci le chemin intuitif de l’analogie où le Même incarne poétiquement l’Unité. 

Vie

Alors que le mental prend la vie au sérieux, méditer c'est prendre la vie à la légère en observant avec lucidité les gouffres de l'égo où elle se perd.

La méditation est ce lâcher prise qui nous donne rendez-vous avec la joie de vivre et l'intensité de vibrer.

La méditation est cet enracinement dans le silence qui puise dans les profondeurs de la vie la force de s’élever vers l’infini. 

Méditer ce n’est pas se concentrer sur son nombril mais se décentrer de son égo pour se mettre au service de la vie c’est-à-dire de l’évolution. 

Le retour aux sources de la vie nécessite d’arrêter la course vers ce qui la détruit : tel est le contexte aujourd’hui de la pratique méditative.

Méditer c’est célébrer, à travers l’inspiration et l’expiration, l’unité irréductible de l’esprit et de la vie. 


Vision 

Méditer c’est approfondir sa vision. Militer c’est incarner celle-ci à travers sa vocation. Méditer c’est Militer. Militer c’est Méditer. 

Ce n’est pas notre action qui transforme le monde, c’est la vision qui l'inspire, l'anime et la guide. Plus je médite et plus j’ai envie de militer. Plus je milite et plus j’ai envie de méditer. 


La méditation n’est ni une action, ni une abstraction mais la présence inspirée qui anime tout acte et toute pensée. 

L’expérience méditative devient un engagement politique quand elle conduit à percevoir dans l’aliénation sociale une forme de l’aliénation culturelle et dans celle-ci une impuissance à inventer des formes novatrices qui expriment la dynamique créatrice de la vie/esprit. 

Ressources

Dans la rubrique Ressources située à la fin du billet précédent - Abécédaire de la méditation (1) - nous avons proposé nombre de références destinées à ceux qui cherchent à mieux comprendre ce qu'est la méditation ou à approfondir leur pratique.

Démystifier la méditation avec Fabrice Midal. Magazine Inexploré de l’INREES - Institut de Recherche sur les Expériences Extraordinairs

vendredi 14 novembre 2014

Abécédaire de la Méditation (1)


Méditer c'est, en toute simplicité, s'impliquer dans le Tout.


Il n'est pas une semaine où la presse, la radio, la télévision ou Internet ne nous vantent les mérites supposés de la méditation et de la pleine conscience dans le domaine du stress, de la santé, de l'éducation, du management, du bien-être, de la psychothérapie, de la créativité ou du développement personnel. Aux États-Unis, elle est enseignée dans les écoles, les entreprises, à l'armée et même dans les prisons. Cette ferveur se retrouve en Europe avec plus ou moins d’intensité selon la culture de chaque pays et le rapport que celle-ci entretient avec la spiritualité. En France, le grand succès rencontré par les ouvrages de Matthieu Ricard, Christophe André, Fabrice Midal ou Jon Kabat-Zinn sont le signe de cet engouement pour une approche qui permet de dépasser et de remettre en question le formalisme abstrait et mortifère dont souffre la mentalité hexagonale.

Un tel phénomène est d’autant plus étonnant que la méditation a longtemps été perçue en Occident, telle une drogue, comme une fuite hors des contraintes de la réalité. Ce changement radical de perception est à l'origine d'un profond paradoxe. A travers un lent et long apprentissage du lâcher prise, la pratique de la méditation et de la pleine conscience conduit à vivre pleinement l’instant présent en libérant la conscience de l’hégémonie du mental et de son utilitarisme intrinsèque. Et ce alors même que nos sociétés réduisent le plus souvent la méditation à un outil et à une technique, c’est-à-dire à un moyen au service d’un but pratique, dans une perspective strictement utilitaire.

Ce paradoxe ne peut être résolu que par un autre paradoxe : la méditation ne sert à rien et c'est pour cela qu'elle est utile. En dévoilant les illusions de l’égo et les limites du mental, cette pratique radicale nous libère de l'utilitarisme dominant nos sociétés et de l'intellectualisme aliénant nos subjectivités. Si la méditation ne sert à rien c'est qu'elle met la conscience au service de la totalité dont elle procède et auquel elle participe intuitivement. Car méditer c'est, en toute simplicité, s'impliquer dans le Tout à travers une attitude de lâcher prise qui, en transcendant le mental, ouvre sur  la présence d'Esprit.

Une pensée autre

Toute révolution commence par une pensée dans l'esprit d'un individu.

Dans le domaine de la méditation - comme dans celui de l’amour - moins on en dit, plus on suggère et plus on approche de l’ineffable légèreté de l’être. La méditation ne fuit pas la réflexion, elle la transcende pour l’inspirer en donnant naissance à une nouvelle forme de pensée. Débarrassée de l’utilitarisme dominant, cette pensée inspirée embrasse poétiquement le monde dans son intégrité

Comme l’écrit Fabrice Midal : « En Inde et dans tous les pays d’Asie, la méditation a toujours reposé sur une pensée subtile du monde et à l’engagement de l’être humain en son sein. Nous avons, nous aussi besoin, à partir de la méditation, de pouvoir penser plus avant notre monde – et donc aussi bien l’économie, la politique, la poésie que les relations internationales. La méditation doit nous permettre de donner naissance à une pensée autre ». (La méditation. Que sais-je ?)

Retrouvant le rôle central de l’intériorité, cette nouvelle forme de pensée associe l’intuition à la raison au sein d’une vision intégrale. Méditer ce n'est donc pas tenir le monde à distance mais s'engager dans la profondeur d'une vision qui le transforme. Comme toutes les voies d'évolution et de libération, la méditation ne se laisse enfermer dans aucune définition. En ce domaine toute explication du mental est une tentation à laquelle il faut résister pour s'impliquer dans son dépassement. Aussi nous contenterons-nous de proposer des indices, issus de notre pratique, comme autant de petits cailloux sur le chemin. Nous le ferons ici à travers un abécédaire de la méditation regroupant autour d'un thème une série de fragments et d'aphorismes qui, par leur concision même, vont à la méditation comme un gant. 

Amour

Penser c'est prendre conscience. Méditer c'est la rendre à l'Esprit en lâchant prise. La méditation est littéralement un "rendez-vous".

La plénitude du Réel ne se donne qu'à celui qui se met en situation de l'accueillir dans l'ouverture et la vacuité.

Le présent est un don. Pour le recevoir, il faut oser s'abandonner à l'intensité du vivant.

Enracinée dans l'expérience intime du don et de l'abandon, la méditation est dépassement du moi dans la rencontre du Soi.

Quand il devient sacré, l'acte sexuel est méditation en mouvement. Faire l'amour revient alors à méditer activement à travers une forme de hiérosexualité où le corps et l'âme fusionnent dans la présence d'Esprit.

La méditation est cet acte intérieur où l'abandon devient l'épiphanie de l'absolu. L'horizon du mental s'ouvre à la verticalité de l'Esprit comme la femme à la virilité de son amant.

Comme l'étreinte amoureuse, la pleine conscience est conversion du regard : dans le premier cas, ce ne sont pas les amants qui font l'amour mais l'Amour qui fait des amants une seule entité, dans le second ce n'est pas la conscience qui fait le vide, mais la plénitude qui fait de la conscience une intensité.

Dans la méditation je est un autre qui, dans le silence immobile, devient une épiphanie de la Totalité.

Art


La méditation c’est l’art de ne rien faire avec intensité.

La méditation est un art de vivre dont l’œuvre est l'éveil de la conscience à la totalité dont elle procède.  

Méditer c’est passer notre ego sous silence pour accueillir ce long poème qu’est la vie. C’est ainsi que le méditant développe une sensibilité à fleur de poésie. 

La méditation conjugue un art de vivre fondé sur la simplicité de l’immanence et un art de vibrer fondé sur l’intensité de la transcendance.

En retrouvant dans chaque respiration le souffle même de l’univers, le méditant perçoit une profonde harmonie dans la diversité infinie des manifestations de la vie. 

Et si la méditation était avant tout une voie poétique pour devenir plus humain ? Nicolas d'Inca

Face à l'activisme compulsif de nos sociétés modernes, il ne suffit pas de méditer dans la vie. Il faut faire de sa vie une méditation continue en développant cette conscience symbolique qui relie à chaque instant, d'une manière attentive, la face invisible de l'intention créatrice à la face visible des phénomènes à travers lesquels elle se manifeste

Méditer c’est entendre, derrière le mur de l’égo, l’écho d’une harmonie à interpréter dans le silence. Réenchanter le monde, c’est lui rendre son irréductible part de mystère en suivant la voix du Milieu.

Décroissance

La méditation est ce vide-grenier où l'on se débarrasse de l'insignifiance comme la simplicité volontaire se débarrasse du superflu pour se recentrer sur l'essentiel.

Attentif au mouvement de la conscience, la méditation s'en affranchit pour accueillir la plénitude du vivant. C'est ainsi qu'elle nous libère de l'avidité de l'égo qui ne connaît aucune limite dans sa volonté d'emprise et domination, d'expansion et d'accumulation.

Dans la méditation, la décroissance de la pensée abstraite est synchrone avec l'intensification de la présence : moins de moi et plus de Soi. Parce qu'il refuse la réduction des relations humaines au champ des intérêts économiques, le projet politique de la décroissance est synchrone avec l'intensification des relations humaines : moins de biens et plus de liens.

Simplicité volontaire sur le plan personnel et projet de décroissance sur le plan collectif sont deux formes économiques de méditation.

L'économie n'est que la manifestation extérieure de dynamiques personnelles et interpersonnelles fondées sur l'identification à l'égo. Mieux vaudrait parler de "l'égonomie", cette loi de l'égo qui est celle d'une conscience de séparation imposant une vision du monde fondée sur la peur et l'avidité, l'abstraction et la domination. Transcender l'égo c'est sortir de l'économie pour entrer tout simplement dans le bien commun.

Enfance

Méditer est à la fois l’enfance de l’art et le vieil art de l’enfance.

Il ne faut pas craindre d'enseigner la méditation dans les lycées, non pour faire des illuminés mais pour retrouver notre moitié perdue. Arthur Koestler

La méditation dépasse la gravité infantile du mental pour découvrir en souriant l’innocence enfantine du premier regard.

Dans la méditation, le mental s'ouvre à l'Esprit qui le transcende comme les bras de l'enfant marchant joyeusement vers ses parents.

Méditer ce n’est pas être concentré mais attentionné, observant les pensées, les émotions et les sensations avec la compassion d’une mère pour ses enfants turbulents.

L’apprentissage de la méditation ressemble étrangement à celui de la bicyclette. Quand l’enfant a développé le sens de l’équilibre, les parents enlèvent les deux roulettes, parallèles à la roue arrière, qui permettaient de stabiliser le vélo. Devenu adulte, il peut suivre le chemin de la méditation en retirant progressivement les béquilles d’une pensée dualiste pour évoluer sans perdre l’équilibre vers une conscience unifiée.

Parce qu'elle relève de l'esprit d'enfance, la méditation doit être enseignée aux jeunes et pratiquée par eux comme le plus court chemin de soi à soi-même.

Quelle erreur de vouloir refonder l'éducation sans prendre appui sur les fondations de l'esprit explorées depuis des millénaires par toutes les grandes traditions !

Évolution

Sur les chemins de l’ineffable, la méditation est une conversation silencieuse avec l’essentiel.

A travers la méditation, l'individu moderne dépasse les impasses narcissiques de l'individualisme pour participer au flux évolutif de l'individuation. 

Aimer, Créer et Méditer. Tels sont les principes complémentaires d’une vie évolutionnaire. 

La conscience humaine évolue en dépassant les limites conceptuelles de la réflexion par une vision inspirée et en transfigurant cette inspiration personnelle en une présence impersonnelle.

Mettre des mots sur des idées, c’est parler. Formuler ses intuition à travers des concepts, c’est penser. Ressourcer ses intuitions à la présence d'esprit, c’est méditer.

L'intime complicité entre le méditant et la vie fait de celui-ci un agent du courant évolutif et un résistant à toutes les formes de domination qui voudraient lui faire obstacle.

Libération 

Méditer c’est se déhabituer pour habiter pleinement la présence. 

La méditation est cette contention intérieure qui permet à l’intention créatrice de se libérer de cette détention qu’est la pensée. 

De même que la langue en poésie n'est pas instrumentalisée mais rendue à sa liberté, de même l'esprit en méditation n'est pas utilisé mais rendu à son déploiement. Nicolas d'Inca

La méditation est une médication soignant cette blessure de l’ego d’où s’écoule le sens de la vie. 

En libérant le flux de la présence de la fixité des représentations, la méditation se joue des identités qui nous mettent en résidence surveillée.

La réflexion authentique conduit à la suspension provisoire du jugement pour permettre à l'imagination de se déployer, comme la méditation conduit à la suspension provisoire de la pensée pour accueillir l'ineffable. Dans le temps suspendu de la méditation, la conscience se libère de l’identification obsessionnelle au jeu mouvant des formes. 


L’expérience de la méditation nous délivre du terrorisme intellectuel qui prend l’intuition en otage pour maintenir l’emprise de l’abstraction.

La méditation n’est ni une fin ni un moyen mais l’expérience sensible de la finitude à travers l’ouverture sur l’infini. 

La méditation véhicule l’essentiel sur le chemin chaotique de l’existence. 

Certains méditent comme on dépose de l'argent sur un compte en banque. Ces rentiers de la pleine conscience prennent la posture, dans le silence et l'immobilité, attendant patiemment le versement de leur intérêts en paiement de leurs efforts. Ils se trompent : la grâce ne se révèle et ne s'incarne que dans la gratuité.

Quand elle se transforme en routine, la pratique de la méditation peut devenir un obstacle à l'esprit de la méditation. Il faut alors, selon l'expression du bouddhisme Zen, "Tuer le Bouddha" c'est à dire remettre en question l'hypnose formelle pour réinvestir la pratique d'un élan vital et inspiré.

Philosophie

Philosophe en méditation de Rembrandt (1632)
Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre. Blaise Pascal

Méditer c'est déjà philosopher en s'abandonnant à la présence qui fonde le sens et défait les préjugés. Philosopher c'est déjà méditer en prenant ses distances avec le conformisme dominant.

Croire que l'on peut être philosophe sans pratiquer la méditation revient à croire que l'on peut être musicien sans la pratique d'un instrument. En relativisant la pensée représentative, la présence d'esprit permet d'observer celle-ci et d'en saisir tous les mouvements pour en comprendre les limites.

Penser c'est identifier. Méditer c'est transcender l'identité pour la dissoudre dans le flux souverain de la présence. 

Le philosophe est ami de la sagesse. Le sage est ami de l'indicible. 

La méditation remet la raison à sa place : celle d'une intendante dévouée au service de l'intention créatrice.

La méditation est cette opération alchimique qui transmue le plomb de la représentation abstraite en or de la présence d'esprit.

L'abstraction met le monde à distance en l'expliquant pour le dominer. La méditation nous met en sa présence pour y participer en s'y impliquant.

Il faut impérativement distinguer la connaissance par représentation de la connaissance par participation. En somme connaître par le "dehors" et connaître par le "dedans". Différence entre philosophie et science d'une part, mystique et résonance, d'autre part. Ces deux voies de connaissance ne sont pas antinomiques et contradictoires mais, au contraire, complémentaires et dialectiques. Marc Halévy

Présence 

Méditer c'est faire simple. Le chemin de l'éveil commence par la veille et se poursuit dans l'émerveillement.

Méditer c'est prendre son temps et vivre avec lui. Prendre son temps en retournant à la source de l'instant pour le donner à l'éternité. Vivre avec son temps en participant de l'intérieur à son mouvement évolutif. 

La posture de la méditation est une danse immobile.

Pour que la méditation nous parle, il faut faire silence. 

Les pratiques de méditation les plus avancées à travers les âges et les continents se réduisent à une seule technique : abandonner l’idée même de technique en vivant la plénitude de l’instant présent. 

La méditation est cette quête de l'intra-ordinaire d'où jaillit la mémoire de l'éternité.


La méditation c'est la rencontre de l'éternité dans le moment présent. Vimala Thakar

La méditation est cet art de veiller et de s'émerveiller en s'ouvrant à la vibrante intensité d'une présence vivante.

En conjuguant le silence et l’immobilité, la méditation est cette science humaine de l’exactitude intérieure qui invite à la présence concrète comme le mental invite à la représentation abstraite. 

« Connectez-vous pour installer les mises à jour importantes ». Ce message que l’on peut lire sur les écrans d’ordinateurs convient parfaitement à la pratique de la méditation qui consiste à se connecter au flux évolutif de la vie/esprit.

En observant le contenu de la conscience, la méditation s’en émancipe. Le vide ainsi crée permet de plonger dans l'inconnu : l’attention se met alors à l’écoute de l’inattendu.

Ressources 

Site de Fabrice Midal.

La Méditation. Que sais-je. Frédéric Midal 

Pratique de la méditation. Méditations Guidées. Livre, CD, DVD. Frédéric Midal

Méditations sur l’amour bienveillant. 12 Méditations Guidées. 3 CD. Fabrice Midal

L’École occidentale de méditation fondée et dirigée par Fabrice Midal

Psychologie et Méditation. Blog de Nicolas d'Inca


Émission Onde de Méditation. Méditations guidées sur Radio Évolutionnaire 

Festival de la méditation. Seconde édition à Paris du 23 au 25 Janvier 2015 à Paris