mercredi 29 mai 2013

Moustaki l'enchanteur


J'ai appris que ce qu'on croit avoir acquis n'est qu'une partie infime de ce qu'il reste à découvrir. Georges Moustaki 


Avec la mort de Georges Moustaki, c’est une voix amie qui disparaît, emportant avec elle certains souvenirs d’un temps où la force des rêves prenait la forme d’une quête intérieure. Tissé d’hédonisme et d’exotisme, de sensualité et de sensations, de colère et de fraternité, d’Orient mythique et de Brésil nonchalant, l’univers poétique de Moustaki a enchanté notre jeunesse en habillant nos états d’âme de ses mélodies sensibles et nos états d’esprit de ses murmures inspirés. Nous ne l’oublierons pas parce qu’à travers cette alchimie singulière que l’on nomme la grâce, ses chansons sont devenues une partie de nous-mêmes.

La magie de Moustaki l’enchanteur réside sans doute dans ce lâcher prise "oriental" que certains prennent pour de la langueur alors qu’il est surtout un art de vivre et de vibrer qui sait distinguer l’essentiel de l’accessoire. A la source de toute poésie, cet esprit de vacance se moque avec innocence et insolence de l’esprit de sérieux qui nous enferme dans une vision si limitée de nous-mêmes et de nos existences minuscules que nous perdons aussi bien le gout du bonheur que le sens de la vie. 

C’est cet esprit de vacance qui a inspiré Georges Moustaki quand il a mis en musique le poème de Sri Aurobindo intitulé Le But. De l’alliance entre le sage indien et l’artiste grec est née cette chanson intitulée Aphorismes que nous proposons ci-dessous.

Une connexion universelle 

J’aimerais tout d’abord raconter par quelle étonnante synchronicité j’ai appris la disparition de Georges Moustaki. Alors que le Club de Budapest fête ses vingt ans, son fondateur Ervin Laszlo sera à l’honneur lors de la prochaine session de l’Université Intégrale du 9 Juin dont le thème est Le nouveau paradigme de la co-évolution. C’est à cette occasion que, le 23 Mai au matin, je rédige un texte sur la connexion universelle qui présentera La Déclaration d’Unité d’Ervin Laszlo dans notre prochain billet. 

Voici un extrait du texte que je rédige : « A partir des découvertes en physique quantique, en théorie des systèmes et en  sciences de la complexité, Ervin Laszlo a élaboré une vision du monde fondée sur une connexion universelle qui rejoint l’inspiration des traditions millénaires. Alors que les mystiques parlent depuis toujours d’un champ d’information qui relie tout à tout au plus profond de la réalité, les physiciens contemporains évoquent un vide quantique qui serait le logiciel de l’univers contenant toute l’in-formation. 

Dans cette perspective, les consciences comme les objets seraient en rapport direct et instantané avec toutes les autres. Liés entre eux à un niveau profond, ils participeraient d’un tout organique et cohérent. La séparation serait une illusion et l’identité une convention dont il faut se libérer pour participer à la dynamique évolutive qui anime cette totalité organique. Pour faire face aux défis du futur, il devient donc urgent de développer une conscience planétaire fondée sur cette connexion universelle alors que les découvertes scientifiques remettent en question nos perceptions habituelles et nos modes de pensée limités. » 

Une étonnante synchronicité 

Une fois ce texte écrit, je lis sur mon blog un nouveau commentaire de Marko concernant un billet intitulé Rencontre avec un Homme Remarquable où l’on peut écouter le long entretien entre Satprem, disciple de Sri Aurobindo, et Jacques Chancel dans Radioscopie, la célèbre émission de France-Inter. Ce billet fait partie d’une série intitulé Le But où le poème éponyme de Sri Aurobindo est l’occasion de nous sensibiliser à l’œuvre du visionnaire indien qui fût l’un des grands pionniers d’une approche intégrale et évolutionnaire de l’être humain. 

Le second billet de cette série est consacré à Georges Moustaki et à sa chanson Aphorismes où il met en musique le poème de Sri Aurobindo. Dans ce billet j’exprime la décision, prise à l’unanimité de moi-même, de faire de cette chanson l’hymne officiel du Journal Intégral et je propose trois vidéos de chansons que j'aime : Le temps de vivre, En Méditerranée et Il était un jardin.

Après la lecture du commentaire, par association d’idées, je pense donc à l'ami Georges en me disant que n’avons plus de nouvelles de lui et que, connaissant son état de santé, ce silence n’indique rien de bon. En poursuivant le fil de mes pensées, je me dis qu’à sa mort je lui consacrerai un texte qui lui rend hommage et je me mets même à imaginer le début de ce billet en me plongeant intérieurement dans l’atmosphère de ces chansons. 

Je quitte ensuite mon blog pour surfer sur la toile afin de prendre des nouvelles du monde. En parcourant un article, je tombe sur ce titre : Georges Moustaki, la mort d’un grand artiste ! Imaginez mon trouble… Je viens de faire sans doute l’expérience de cette connexion universelle évoquée par Ervin Laszlo. Quelques minutes avant d’avoir connaissance de son décès, j’imaginais déjà la rédaction d’un billet en hommage à Moustaki : l’information était dans l’air et je m’y étais connecté. 

De telles expériences de synchronicité nous familiarisent avec la présence subtile d’un champ d’information transcendant l’espace-temps, auquel sont connectées simultanément toutes les consciences. Mais la culture intellectuelle de la modernité a transformé la plupart des contemporains en analphabètes de l’intuition. Retrouver ce don et le développer, c’est permettre à la contraction du mental de lâcher prise pour permettre une prise de conscience au-delà des apparences, là où vibre un champ d’énergie et d’information irréductible au monde formel.

La magie du monde 

Edith Piaf et Georges Moustaki

Connecté à cette source mystérieuse, Georges Moustaki était un de ces canaux à travers lequel filtre un peu de la magie du monde. L’ouverture d’esprit à des perceptions plus profondes est le propre des visionnaires, des inventeurs et des créateurs dont les antennes particulières captent l’esprit du temps et le traduisent de façon singulière.

De son vrai nom Giuseppe Mustacchi, Georges Moustaki est né le 3 mai 1934 à Alexandrie, de parents juifs grecs immigrés en Égypte. Ce citoyen du monde, cosmopolite et polyglotte, disait : « Je suis juif par le baptême, français par la langue, égyptien par la naissance, grec par les papiers, arabe par l'art de vivre ». Il s'installe à Paris en 1951 et y a fait une rencontre déterminante, celle de Georges Brassens qui l'intronise dans les nuits de Saint-Germain-des-Prés. C'est en son hommage qu'il a adopté le prénom Georges. 

Il écrit quelque 300 chansons pour les plus grands interprètes, Piaf, Montand, Barbara, Gréco, Reggiani, avant de les chanter lui-même avec succès. Ses chansons les plus célèbres restent "Milord" (1958), écrite pour Édith Piaf et traduite dans le monde entier, puis "Le métèque" (1969) dont le refrain a fait le tour de la planète. Plusieurs autres sont devenues des classiques, comme celles interprétées en 1966 par Reggiani, "Sarah", "Ma liberté", "Ma solitude", "Votre fille a vingt ans", mais aussi "La dame brune" (Barbara, 1968), ou encore "Joseph", "La marche de Sacco et Vanzetti". 

George Moustaki est donc décédé jeudi 23 Mai à l'âge de 79 ans, des suites d’un emphysème, pulmonaire, une maladie respiratoire incurable. En février dernier, sous oxygénation artificielle, il avait confié dans une ultime interview à Nice Matin s'être installé à Nice pour fuir la pollution et le froid de sa chère île Saint-Louis, à Paris, où il s'était installé il y a plus de 40 ans. 

Un art de vivre


 Ce serait une profonde erreur que de réduire la vie de Moustaki à sa biographie officielle concoctée par les marchands de musique comme de l’enfermer dans la figure stéréotypé du chanteur. Il se confie ainsi dans un entretien à l’Express : « Grâce à Miller, je me suis rendu compte que l'écriture était une sorte de thérapie joyeuse. Faire sortir de soi toute sa vie intérieure est salutaire. Alors, oui, je chante depuis trente-cinq ans. Je fais partie de la mémoire et pourtant je n'appartiens à aucune mouvance. En fait, je ne me considère pas comme un chanteur. A la fin de mon existence, je dirai juste que j'ai chanté aussi. »

Le véritable art de Moustaki était, avant tout, un art de vivre. C’est pourquoi il revendiquait aussi bien le droit à la paresse pour célébrer la joie de vivre que le droit aux caresses où l’amour s’épanouit. Amant nomade, grand seigneur et bohème nonchalant, il puisait dans la profondeur des émotions et des sensations des éclats d’intensité pour rendre au monde, sous la forme aérienne de ses chansons, le plaisir que celui-ci lui procurait. 

Barbe et cheveux longs, non-violence et liberté sexuelle, révolte contre la servitude volontaire, Moustaki le métèque est devenu malgré lui une figure emblématique de cet esprit de Mai 68 décrit par le sociologue Jean-Pierre Le Goff comme « libération d’une parole multiforme et sauvage, contestation tous azimuts de l’autorité et des pouvoirs en place dans un climat de fête et de temps arrêté, où l’imaginaire et l’illusion que tout est possible sont présents ». (Ragemag

Toujours selon Le Goff, ce mouvement « a fait apparaître la jeunesse comme nouvel acteur social, ainsi que des aspirations nouvelles à l'autonomie et à la participation. Il a produit des effets salutaires contre les rigidités et les pesanteurs de l'époque, dans le rapport entre la société et l'Etat comme dans les rapports sociaux » (Le Monde) Parce qu’on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance et que, suivant les slogans de l’époque, on perd sa vie à la gagner, Moustaki est devenu le porte voix d’une génération de l’après-guerre qui ne se reconnaît plus dans le miroir sacrificiel tendu par le vieux monde. 

L’Esprit de Vacance 

Maxime Leforestier évoque Moustaki comme un homme "à part" qui "ne faisait que ce qui lui faisait plaisir". "Je l'ai connu j'avais 16 ans, c'était un type beau, libre." Pour lui, plus qu'à ses chansons, son "gigantesque succès était du à sa propre personnalité. Les gens ne venaient pas tellement entendre un chanteur, ils venaient voir une philosophie, un mode de vie." 

Rendre hommage à Georges Moustaki, c’est, au delà du chanteur, évoquer celui qui, à travers son mode de vie et sa sensibilité, incarnait l’Esprit de Vacance. La vacance ce ne sont pas les vacances, vécues comme une période de l’année dédiée au repos et aux loisirs marchands dans une vie soumise au rythme aliénant du travail et de la consommation. 

La vacance est un état d’âme et d’esprit, une forme de sagesse née d’un vide intérieur qui permet d’être à l’écoute de la vie et de percevoir sa plénitude créatrice à travers le flux des sensations, des émotions et des inspirations. 

Animées par cet esprit de vacance, les chansons de Moustaki ont cet air de liberté que l’on partage dans des instants de fête où s’expriment les liens sensibles d’une communauté d’âme bien au-delà des eaux glacés du calcul égoïste. 

Le meilleur et le pire

Comme Léo Ferré, Georges Moustaki fut, malgré lui, un des prophètes populaires de Mai 68 et de son hédonisme libertaire qui ont conduit au pire de l'individualisme prédateur comme au meilleur de l'individuation créatrice. Le pire c’est l’individualisme promu par l’idéologie néo-libérale et son économisme mortifère. Enfermé dans une bulle narcissique, fasciné par l’image grandiose que lui renvoie la société du spectacle, shooté au consumérisme, l’individu désaffilié de la post-modernité perçoit l'autre comme un instrument au service de sa jouissance et de sa toute puissance fantasmée. 

Si on veut éviter le pire de l'individualisme, il faut viser le meilleur de l'individuation c'est-à-dire le développement d'une conscience qui participe au courant créateur et évolutif de la vie/esprit. Cette voie de l'individuation fut celle de Moustaki dont les choix politiques exprimaient un rejet profond de l'idéologie dominante. C'est cette voie qu'il exprima en une phrase dans son dernier entretien à Nice-Matin : " J'ai appris que ce qu'on croit avoir acquis n'est qu'une partie infime de ce qu'il reste à découvrir". 


Cette profonde sagesse débouche sur la vision d’un être humain en perpétuelle évolution, celle-là même qu’a chanté Moustaki dans la chanson Aphorismes où il met en musique le poème de Sri Aurobindo intitulé Le But. A travers des mots simples sur une musique méditative, cette chanson exprime l’essence d’une vision évolutionnaire en évoquant une spiritualité concrète fondée sur un mouvement créateur où l’amour passionné de la vie s'accorde, rejoint et nourrit la quête inspirée de l’esprit. 

Dans ce mouvement créateur, l’être humain évolue du savoir à la connaissance en dépassant la raison; il évolue des velléités au pouvoir en dépassant l’effort, de la jouissance à la béatitude en dépassant le désir, de l’individualisation à la personne réelle en dépassant le moi, de l’humanité à l’Homme en dépassant l’animal.

En plantant cette chanson et tant d’autres comme autant de graines dans nos cœurs et nos mémoires, l’âme de Moustaki restera toujours vivante en nous à travers cet élan vibrant et puissant qui nous pousse chaque jour à grandir au-delà de nous-mêmes. 


Aphorismes. Musique de Georges Moustaki. Paroles de Sri Aurobindo

 
Quand nous avons dépassé les savoirs 
Alors nous avons la connaissance 
La raison fût une aide 
La raison est l'entrave 

Quand nous avons dépassé les velléités 
Alors nous avons le pouvoir 
L'effort fût une aide 
 L'effort est l'entrave 

Quand nous avons dépassé les jouissances
Alors nous avons la béatitude 
Le désir fût une aide 
Le désir est l'entrave 

Quand nous avons dépassé l'individualisation 
Alors nous sommes des personnes réelles 
Le moi fût une aide 
Le moi est l'entrave 

Quand nous dépasserons l'humanité 
Alors nous serons l'Homme 
L'animal fût une aide
L'animal est l'entrave


P.S. Décidément,la disparition de Georges Moustaki est placée sous le signe de la synchronicité puisque Paris-Match lui rend hommage en évoquant "Moustaki l'enchanteur"comme votre serviteur !...

mercredi 22 mai 2013

Université Intégrale (15) Le nouveau paradigme de la co-évolution


La vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre. Albert Einstein

Didier Pasquette

Nous venons de le voir une fois de plus dans nos derniers billets concernant la spiritualité contemporaine promue par Andrew Cohen ou Satprem : à travers la diversité de ses expressions - biologique, psychique, sociale, culturelle, spirituelle - le processus de l’évolution est au cœur d’une vision dynamique de la conscience, de l’être humain et de son milieu à la fois social et naturel. Cette vision dynamique inspire une approche concrète, globale et évolutionnaire, qui remplace progressivement le modèle abstrait, statique et analytique, qui fut celui de la modernité technocratique et de l'Homo Œconomicus.

Dans le domaine du développement humain - culturel, psychologique et social - comme dans celui des sciences de la complexité, les travaux des chercheurs les plus avancés viennent aujourd’hui confirmer les intuitions visionnaires des grands penseurs de l’évolution comme Hegel, Bergson, Sri Aurobindo ou Teilhard de Chardin. Cette convergence fondamentale entre spiritualité et philosophie, sciences humaines et sciences expérimentales, fait émerger un nouveau modèle.

Avec pour thème Le nouveau paradigme de la co-évolution, la prochaine session de l’Université Intégrale, le 9 Juin, rendra compte de l’émergence de ce nouveau modèle dont Ervin Laszlo, le fondateur du Club de Budapest est un des pionniers. Le concept de co-évolution évoque la multiplicité des processus systémiques d’interactions et de rétroactions qui sont au cœur de la dynamique évolutive. Toute évolution est en fait une co-évolution avec un milieu multidimensionnel. A l’occasion des vingt ans du Club de Budapest dont la branche française est à l’origine de l’Université Intégrale, cette journée sera l’occasion de rendre hommage à Ervin Laszlo et à son œuvre.

Cette session exceptionnelle de l’Université Intégrale permettra de rencontrer des chercheurs français et étrangers de haut niveau qui, chacun à leur façon, ont exploré diverses facettes du changement de paradigme à l’œuvre ces temps-ci. Leurs analyses et leurs échanges permettront de mieux comprendre le modèle émergent ainsi que les nouvelles formes de pensée et de sensibilité, d’organisation et de mode de vie, à travers lesquelles se manifeste aujourd’hui la dynamique de l’évolution. Un rendez-vous essentiel pour ceux qui cherchent à comprendre notre monde en mutation et à participer de manière créative aux transformations induites par celle-ci.

Une conscience planétaire

En 1972, le rapport du Club de Rome Limits to growth (Les limites à la croissance), lance une sonnette d’alarme en proposant des scenarios du futur qui montrent les excès et impacts négatifs que le développement économique peut, à terme, entrainer sur l’environnement.

Ervin Laszlo
Ervin Laszlo, qui travailla sur l’impact humain de ces scénarios, fut un des premiers philosophes des sciences à montrer l’importance de la promotion des diversités culturelles dans l’évolution humaine comme de sa nécessaire interdépendance avec la nature (espèce végétale et animale) et avec le cosmos (biosphère).

L’expression de « conscience planétaire », qu’il choisit pour caractériser cette triple interdépendance, est retenue comme pilier du Manifeste de la création du Club de Budapest en 1993. En cette vingtième année de la fondation du Club de Budapest, notre conscience humaine a cheminé sur la voie du respect des diversités culturelles, de la biodiversité et du vivant, mais nous sommes encore loin de mettre en œuvre les solutions d’urgence qui s’imposent à nous.

Les sciences rejoignent les spiritualités dont certaines, bien avant l’heure, avaient eu l’intuition des lois du vivant. La société civile s’empare de ces sujets pour agir au quotidien malgré l’incertitude. Les entreprises et les institutions internationales contribuent, généralement de manière très inégale, avec un fossé entre les plus pionnières et les plus traditionalistes.

Si « la conscience est le fruit de l’évolution » comme le souligne Edgar Morin, comment faire en sorte que celle-ci s’accélère et se développe chez un plus grand nombre pour faire masse critique ? Avoir une conscience plus large des enjeux planétaires requiert un changement de posture c’est-à-dire de valeurs et de comportements. Cela nécessite de prendre le « virage global »  et de changer de paradigme.

Faire advenir l’improbable

Mais qu’est ce que signifie réellement changer de paradigme ? Edgar Morin nous invite à passer de la complexité à la pensée complexe en « luttant contre le probable » pour faire advenir l’improbable. Pour Ervin Laszlo, nous devons élargir notre conscience, en agissant de manière cohérente à notre niveau pour transformer collectivement le monde.

D’autres comme Brian Hall (Values shift), Don Beck et Chris Cowan (Dynamique Spirale), Richard Barret (The New Leadership Paradigm), proposent des grilles de lecture pour décrypter les niveaux de conscience. L’œuvre de Ken Wilber propose une nouvelle théorie dite « intégrale » intégrant toutes ces dimensions.

Comment comprendre la nature de l’évolution que nous vivons à l’heure actuelle ? La vision du monde postmoderne a beaucoup apporté en déconstruisant la modernité et en proposant d’autres valeurs notamment postmatérialistes (Ronald Inglehart) et l’émergence d’une « société plurielle » (Michel Maffesoli).

De nos jours, d’autres approches telles que la philosophie intégrale, l’approche postpostmoderne ou le mouvement évolutionnaire mettent l'emphase sur la nécessité d'intégrer les différentes strates de la complexité pour aller plus loin que la seule déconstruction de la postmodernité en reliant les différentes visions du monde.

Une approche évolutionnaire


L’idée n’est plus seulement de déconstruire une réalité dominante voire asphyxiante mais d’offrir une philosophie constructive au tournant paradigmatique. Cela implique de nouvelles expressions de valeurs et de comportements plus collectifs, faisant appel à la fois nos capacités rationnelles, émotionnelles et spirituelles.

Cette session de l'Université Intégrale sera donc consacrée à l’étude critique et constructive de cette philosophie émergente : quels sont les différents mouvements et expressions du changement de paradigme et d’une conscience planétaire ? Comment les dernières recherches en matière de nouveau paradigme se caractérisent-elles ? Quels sont ses impacts de la co-évolution en particulier en termes culturels ? En quoi la nouvelle approche évolutionnaire est-elle porteuse d’émergences ?

Cette journée a été organisée par Carine Dartiguepeyrou et Alain Gauthier, ainsi que l'ensemble de l'équipe du Club de Budapest France. Présidente du Club de Budapest France, Carine Dartiguepeyrou a notamment contribué et coordonné pour le Club de Budapest trois ouvrages collectifs Prospective d’un monde en mutation (2010), Au-delà de la crise financière, nouvelles valeurs, nouvelles richesses (2011), Les voies de la résilience (2012) parus chez L’Harmattan, Collection Prospective. Elle a également coordonné le dernier livre La nouvelle Avant-garde  – Vers une culture co-évolutionnaire à paraître en juin 2013.

Vice-président du Club de Budapest France, Alain Gauthier est notamment co-auteur de six ouvrages collectifs en français et en anglais sur le leadership. Il vient de publier Le co-leadership évolutionnaire. Pour une société co-créatrice en émergence.


PROGRAMME

Le nouveau paradigme de la co-évolution. 9 Juin 2013. 8h30-18h. Forum 104, 104 rue de vaugirard, 75006 Paris. Les conférenciers s’exprimant en anglais seront traduits simultanément. Vous trouverez ici tous les détails pratiques, les modalités d’inscription et une présentation détaillée des intervenants.

8h45 - Accueil

9h00/9h15 - Ouverture. Co-évolution et changement de paradigme, vers une conscience planétaire, Carine Dartiguepeyrou

9h15/9h30 - Introduction à la perspective évolutionnaireAlain Gauthier

Steve Mc Intosh
9h30/10h15 - The Emerging Evolutionnary Worldview, Steve McIntosh

Discussion

10h15/11h00 - Evolution of Consciousness and Paradigm ChangeJennifer Gildey

Discussion

11h00/11h30 - Pause café

Gyorgy Szabo
11h30/12h15 - How Ervin is Shifting the WorldGyorgyi Szabo

Discussion

12h15/12h45 - Voyage au cœur de l'approche évolutionnaire, Michel Saloff Coste

Discussion

12h45/13h45 - Pause déjeuner. Repas bio végétarien servi sur place.

13h45/14h00 - Musique

Alain Gauthier
14h00/15h00 - Le co-leadership évolutionnaireAlain Gauthier

15h00/15h30 - Discussion

15h30/16h00 - Pause

16h00/16h10 - Musique

16h10/16h50 - Pourquoi changer de conscience maintenant ?, Ervin Laszlo

Comment la co-évolution peut-elle nous ramener à une incarnation plus unifiée de l'homme ?

Discussion

16h50/17h45 - Table ronde animée par Carine Dartiguepeyrou, dialogues entre les intervenants et échanges avec la salle : Ervin Laszlo, Alain Gauthier, Steve McIntosh, Gyorgyi Szabo, Jennifer Gildey, Michel Saloff Coste, Carine Dartiguepeyrou

18h00 - Clôture de la journée

mercredi 15 mai 2013

La Crise Evolutive vue par Satprem


On est en train de mourir à l’humanité pour naître à autre chose. Satprem

Sculpture de M.L Bodirsky

Nous poursuivons dans ce billet l’exploration d’une spiritualité contemporaine et évolutionnaire commencée avec la présentation de L’Eveil Evolutionnaire, le nouvel ouvrage d’Andrew Cohen. Dans notre dernier billet, Satprem évoquait Le Grand Sens, celui d'une dynamique évolutive qui conduit vers une forme d'humanité aussi différente de l’homme d’aujourd’hui que celui-ci l’est des primates dont il descend.

Dans cette perspective du Grand Sens, la crise de civilisation traversée actuellement par l’humanité prend une signification particulière qui démystifie toutes les analyses sectorielles et les interprétations superficielles, impuissantes à diagnostiquer ce saut évolutif et encore plus à en saisir la dynamique. 

Nous proposons ci-dessous un entretien donné en 1982 par Satprem à David Montemurri pour le film L'Homme après l'homme, où l’auteur de Sri Aurobindo ou l'Aventure de la conscience analyse cette crise : «  On n’est pas dans une crise morale, on n’est pas dans une crise politique, financière, religieuse, on est dans une crise évolutive. On est en train de mourir à l’humanité pour naître à autre chose ». 

Si cette crise est qualifiée d’évolutive c’est qu’elle transforme l’homme contemporain identifié au "petit sens" par les limitations du mental et de l’égo qui déterminent une soif de domination. Dans le creuset de cette métamorphose doit advenir une humanité éveillée, participant en conscience, en sensibilité et en volonté au Grand Sens c’est à dire à la dynamique évolutive, créatrice et intégrative, de la vie/esprit. 

En concevant l’homme comme un être de transition, Satprem propose un point de vue radical et visionnaire qui nous oblige à sortir de nos habitudes de pensées. En donnant à la crise de civilisation un sens métaphysique et évolutif, il opère un véritable renversement de perspective : il ne s'agit plus de combattre une malédiction mais de vivre une épreuve initiatique où se forge une nouvelle forme de conscience et d’humanité qui nous libère de l’emprise des anciens modes de vie et de pensée devenus totalement inadaptés.

La banqueroute de l’âge rationnel

Bernard Enginger dit Satprem (1923-2007) est déporté à vingt ans pour faits de résistance à Mauthausen où il passe dix-huit mois. En lui enlevant toutes ses illusions, cette expérience fondatrice le met en présence d’un essentiel qu’il cherchera à vivre et à développer tout au long de sa vie. C’est ainsi qu’à Pondichéry, il rencontre Sri Aurobindo et Mirra Alfassa, cette française surnommé Mère qui fut l’âme de l’ashram crée par Sri Aurobindo. C’est en 1957 que Mère lui donne son nom, Satprem qui signifie « celui qui aime vraiment »

Dans un billet intitulé La Crise évolutive vue par Sri Aurobindo, nous évoquions la façon dont le sage indien avait discerné et diagnostiqué la crise du modèle occidentale en l’identifiant comme une crise évolutive : « Actuellement l'humanité traverse, dans son évolution, une crise où se dissimule pour elle l'obligation d'un choix qui déterminera sa destinée. Nous sommes arrivés en effet à un stade ou le mental humain a réalisé, dans certaines directions, un développement immense, alors que dans d'autres il est arrêté, désorienté et ne peut plus trouver sa voie... » (La vie divine)

Comme tout visionnaire authentique, Sri Aurobindo (1872-1950) a anticipé l’évolution de nos société et notamment les impasses de l’économisme dominant : «  C'est ainsi qu'au lieu d'une société harmonieusement ordonnée, il s'est développé un formidable système organisé de concurrence, un industrialisme forcené et unilatéral, en rapide expansion, et, sous le masque de la démocratie, une tendance croissante vers une ploutocratie qui choque par son ostentation grossière et l'immensité des gouffres et des distances qu'elle crée. Tel est le dernier aboutissement de l'idéal individualiste et de son mécanisme démocratique, et c'est le début de la banqueroute de l'âge rationnel. » A l'heure d'un néo-libéralisme triomphant, cette phrase est d’une telle actualité qu’on pourrait croire qu’elle a été écrite aujourd’hui.

Un moment d’exception

Tout en diagnostiquant la banqueroute de l’âge rationnel fondé sur l’hégémonie de l’abstraction intellectuelle, Sri Aurobindo annonce l’émergence de nouvelles formes culturelles et spirituelles portées par des minorités créatrices : « Seule une orientation spirituelle totale donnée à la nature toute entière peut élever l'humanité au-delà d'elle même... Ce qui est nécessaire c'est que quelques individus sentent un tournant dans l'humanité, aient la vision de cette transformation, en éprouvent le besoin impérieux, aient conscience de la possibilité et veuillent la rendre possible en eux-mêmes et en tracer la voie. Cette tendance n'est pas inexistante et elle doit s'accroître avec la tension de la crise dans la destinée cosmique de l'homme... » (La vie divine)

Dans l’entretien donné à David Montemuri, Satprem développe l’inspiration de Sri Aurobindo sur la crise évolutive à partir de sa propre expérience, celle de la résistance et des camps de concentration, où l’épreuve et le dénuement conduisent à retrouver l’essentiel, au-delà de toutes les constructions intellectuelles qui nourrissent nos limitations de conscience et nos identifications transitoires.

Par delà les mots de Satprem  - précis, puissants, poignants -  il s’agit d’être à l’écoute d’une voix qui est aussi, et peut-être surtout, une vibration. Faire l'expérience simplement de cette présence qui témoigne d’une intensité. Et résonner avec cette vibration, voyager au cœur de cette intensité à la découverte d’un espace intime et sacré, voilé par le quotidien et ses routines. Et laisser le silence s'épanouir en soi afin qu'il devienne porte parole de l'immensité. Un prophète est là - c'est si rare - dont la voix fait écho à l'urgence de l'évolution. Un moment d'exception...

La Crise évolutive vue par Satprem


 
David Montemurri :  - Et cette phrase d’Arthur Rimbaud dans « Une Saison en Enfer ». Il décrit l’enfer que nous sommes en train de vivre avec une centaine d’années à l’avance. Et il dit : « Et pourtant, c’est la veille  et, à l’aurore, armés d’une ardente patience...»

Satprem : - « ... ils entreront aux splendides villes ». Seulement, n’est-ce pas, l’enfer dans Rimbaud, c’était encore très psychologique. Maintenant, c’est un enfer physique En ce moment, on fusille à Téhéran, n’est-ce pas. Partout c’est la barbarie, sous une forme ou une autre. Ça devient très étranglant. Parce qu’il faut que les hommes soient devant une réalité physique un peu terrible pour changer de conscience. C’est ça dont il s’agit

On n’est pas dans une crise morale, on n’est pas dans une crise politique, financière, religieuse. On n’est dans rien de tout ça. On est dans une crise évolutive. On est en train de mourir à l’humanité pour naître à autre chose.

Alors tout est cassé – partout – tout est horrible – partout. Même dans les splendides cités américaines si confortables. C’est la même barbarie partout. Et il faut qu’on arrive au moment où la conscience vire dans une autre dimension, n’est-ce pas. C’est ça l’histoire ; c’est une crise évolutive.

On est au même point où à un certain moment de l’évolution, il a fallu passer d’une respiration branchiale à une respiration pulmonaire ou bien on asphyxiait. C’est ça qui se passe. Je ne peux dire que mon expérience. Un homme commence à être que quand il arrive au rien total de ce qu’il est, de ce qu’il croit, de ce qu’il pense, de ce qu’il aime. Quand on arrive à ce rien complet, alors il faut que quelque chose soit ou on meurt, n’est-ce pas

Moi, j’ai connu ça dans les cours des camps de concentration. Il n’y avait plus rien. Tout était cassé brisé. Même moi j’étais brisé. Tous les idéaux, les noblesses, tout était brisé ; cassé. Il n’y avait rien rien, rien, vous comprenez ? Il n’y avait pas de politique, pas de religion. Il n’y avait rien à quoi s’accrocher. Alors, quand il n’y a rien, qu’est-ce qu’il reste ? Qu’est-ce qu’il reste ? Il y a un centre de force, d’être. ll y a quelque chose qui reste et c’est ça la clé

Ce n’est pas tout ce qu’on pense. Ce n’est pas tout ce qu’on sent. Ce n’est pas tout ce qu’on aime. Ce n’est pas les idéaux. Ce n’est pas le bon Dieu. Ce n’est rien de tout ça. C’est quelque chose qui est poignant comme si tout l’être était ramassé dans une angoisse si intense que c’est comme une prière ou de l’amour

C’est quelque chose qui est chaud, puissant, qui n’a pas de mots, qui est l’être, qui est ce qu’on est. C’est ça la question ou la chose à laquelle tout le monde arrive. Quand tout s’écroule qu’est-ce qu’il reste ?

Et tout est cassé pour nous obliger à arriver à cet instant humain où l’on est ce qu’est l’homme réellement. Qu’est-ce que c’est, n’est-ce pas, un homme ? On est trompé complètement par les philosophies, les religions, les politiques. Tout ça, ce sont des excroissances qui sont venues s’ajouter siècle après siècle mais ça n’a rien à voir avec la réalité humaine

Qu’est-ce que c’est que la réalité humaine ? Un homme dans une cellule qu’on va fusiller demain matin sait ce que c’est, quelque fois. Moi, j’ai écouté beaucoup de matins des pas dans le couloir Alors, quand on est là, seul, dans le noir, et qu’il y a les pas qui viennent et que l’on frappe à une cellule à côté et puis çà passe et c’est l’autre cellule...

A ce moment-là, où est la philosophie ? Où est la religion ? Où est la famille ? Où est l’amour ? Où est toute cette croûte artificielle ? Il n’y a plus rien. Il n’y a plus rien  Mais il y a quelque chose qui est si puissamment doux, fort, étant... Pour une fois, cela est. C’est ça la réalité humaine. Ça n’a pas de nom. Ça n’a pas de nom mais c’est une force. Et c’est d’une grande douceur comme si tout d’un coup tout, tout, tout vous glisse des mains. Et puis il reste une douceur qui comprend tout. Et qui n’est pas mièvre, qui est forte. Qui regarde d’au-dessus toute cette comédie, toute cette tragédie et qui, tout d’un coup, a un regard comme d’ailleurs

Et ça c’est l’homme. Et ça, personne ne peut toucher ça. Personne. On peut vous fusiller. On peut vous torturer. Mais ça, ça ne bouge pas. Ça, ça EST

Et c’est ça le chaînon évolutif. C’est ça qui fait qu’on passera ailleurs dans une espèce moins tragique et moins ridicule. C’est cette réalité qui a la puissance de passer à la prochaine étape. Ce n’est pas nos philosophies Est-ce que la philosophie du poisson l’a jamais aidé à devenir un amphibien ? Est-ce que la religion du dinosaure l’a jamais aidé à devenir un mammifère ?

Alors, ce n’est rien de tout ce que nous connaissons qui nous aidera à traverser. Ce n’est rien, rien, rien du tout. Ce n’est pas Karl Marx. Ce n’est pas le Pape. Ce n’est personne. C’est simplement cette chose qui est l’être pur de ce qu’on est, n’est-ce pas. Qui est comme le vrai battement de cœur. Alors ça oui, ça passe. Parce que c’est la seule réalité. Tout le reste était des trucs, n’est-ce pas, pour nous apprendre à nous approcher un peu de la réalité. De ce que l’on est,

Des trucs religieux, des trucs marxistes, des trucs ganddhistes. Tous les trucs humains qui sont simplement là pour nous aider à nous approcher, pas à pas, pas à pas, de la réalité humaine. Et alors maintenant, le fait mondial, c’est qu’on casse justement tout ça. On nous fait la grande grâce de casser toutes nos idées, tous nos sentiments, toutes nos moralités. On nous fait cette grâce. On est mis à nu pour trouver la chose qui peut survivre. La chose qui est créatrice. Parce que, quand on est dans ce point d’être, on comprend que c’est la force créatrice, que c’est ça qui peut tout changer.

Seulement, ce n’est pas une affaire individuelle, l’évolution. Il faut que l’humanité, globalement, soit amenée à ce point irrévocable. Ce point où tu es ou tu n’es pas. Tu es ou tu n’es pas. Alors, tu n’es pas, ça veut dire que tu t’en vas comme beaucoup d’espèces sont parties…

Ressources

Rencontre avec un homme remarquable. Entretien de Satprem avec Jacques Chancel au cours de la célèbre émission Radioscopie.

Sur le site de l'Institut de Recherches Evolutives, on trouvera des information sur L'Homme après l'homme, le film de David Montemurri d'où est extrait l'entretien de Satprem. On peut s'y procurer une cassette audio de la bande sonore de ce film ainsi que deux cassettes contenant l'interview intégral de Satprem par David Montemurri.