Jamais on aura vu tant de crimes dont la bizarrerie gratuite ne s'explique que par notre impuissance à posséder la vie. Antonin Artaud
Dans la perspective d'une Synthèse évolutionnaire entre vision intégrale et critique radicale, nous avons proposé, dans le billet précédent, la première partie d’un entretien donné par Anselm Jappe, auteur de La société autophage, à Romaric Godin pour le site Médiapart. Nous proposons dans ce billet la suite et la fin de cet entretien où Anselm Jappe précise ses idées concernant la dictature de l’économie sur la société et les contradictions qui déterminent la crise finale du capitalisme. Si ce billet est à lire, si possible, dans la continuité du précédent, il l’est aussi dans la continuité des deux billets antérieurs : Le fétichisme de la marchandise et Critique de la valeur.
Ces billets évoquent le mouvement de la "critique de la valeur" qui analyse le mécanisme à travers lequel la valeur marchande s'abstrait de tout contenu concret et impose cette abstraction économique aux rapports sociaux comme à toutes les dimensions de la vie. Forme de base de la société capitaliste, la valeur représente pour Anselm Jappe un "fait social total" qui concerne aussi bien les rapports sociaux que les représentations collectives et les modes de subjectivation. En élargissant la critique de la valeur à la sphère du psychisme, Anselm Jappe analyse la manière dont le fétichisme de la marchandise contraint les subjectivités à une régression qui prend la forme d'un narcissisme généralisé.
Le capitalisme contemporain apparaît dès lors comme le vecteur d'une véritable régression anthropologique dont la dynamique destructrice et auto-destructrice libère la pulsion de mort et les fantasmes de toute puissance infantile. Ce qui conduit aussi bien à des conduites suicidaires qu’à des tueries de masse, aussi bien à l’éradication des écosystèmes et de la biodiversité qu’à celle des liens sociaux et symboliques qui fondent les communautés humaines.
En analysant comment divers phénomènes, apparemment disparates, sont l'expression d'une même dynamique régressive, la réflexion d'Anselm Jappe a le mérite de proposer une vision synthétique qui doit être prise en compte par tous ceux qui se sentent concernés par le développement humain. Une approche intégrale authentique (c’est-à-dire émancipée de certains préjugés libéraux qui renvoient aux stéréotypes de l’imaginaire américain) ne peut penser le développement de la conscience et de la culture sans prendre en compte la réalité et la profondeur de cette dynamique régressive liée à un capitalisme crépusculaire.
Le capitalisme contemporain apparaît dès lors comme le vecteur d'une véritable régression anthropologique dont la dynamique destructrice et auto-destructrice libère la pulsion de mort et les fantasmes de toute puissance infantile. Ce qui conduit aussi bien à des conduites suicidaires qu’à des tueries de masse, aussi bien à l’éradication des écosystèmes et de la biodiversité qu’à celle des liens sociaux et symboliques qui fondent les communautés humaines.
En analysant comment divers phénomènes, apparemment disparates, sont l'expression d'une même dynamique régressive, la réflexion d'Anselm Jappe a le mérite de proposer une vision synthétique qui doit être prise en compte par tous ceux qui se sentent concernés par le développement humain. Une approche intégrale authentique (c’est-à-dire émancipée de certains préjugés libéraux qui renvoient aux stéréotypes de l’imaginaire américain) ne peut penser le développement de la conscience et de la culture sans prendre en compte la réalité et la profondeur de cette dynamique régressive liée à un capitalisme crépusculaire.
Un "fait social total"
Dans La société autophage, Anselm Jappe « se propose de penser ensemble les concepts de "narcissisme" et de "fétichisme de la marchandise" et d’indiquer leur développement parallèle. Ou, plus précisément de montrer qu’il s’agit des deux faces de la même force sociale…
Il convient de parler de parallélisme ou d’isomorphisme entre structure narcissique du sujet de la valeur et structure de la valeur – qui, en tant que telle est une "forme sociale totale" et non un facteur simplement "économique". Si la forme-valeur est la "forme de base" ou la "cellule germinale" de toute la société capitaliste, comme nous l’avons dit en reprenant la formule de Marx, mais aussi un "fait social total", comme nous l’avons dit en reprenant la formule de Marcel Mauss, cela signifie aussi que la valeur, en tant que forme de synthèse sociale, possède deux côtés, un côté objectif et un côté subjectif…
La logique de la valeur produit une indifférence structurelle envers les contenus de la production et le monde en général…. Du point de vue de la valeur, le monde et ses qualités n’existent pas… Le narcissique reproduit cette logique dans son rapport au monde. La seule réalité est son moi, un moi qui n’a (presque) pas des qualités propres parce qu’il ne s’est pas enrichi à travers des rapports objectaux, des rapports à l’autre. En même temps, ce moi tente de s’étendre au monde entier, de l’englober, et de réduire ce monde à une simple représentation de lui-même, une représentation dont les figures sont inessentielles, passagères et interchangeables. »
Une dynamique régressive
Ces réflexions d’Anselm Jappe sur le paradigme "fétichiste-narcissique" permettent de mieux comprendre la façon dont l’abstraction économique, fondée sur le déni de la vie sensible et concrète, provoque chez les individus une forme d'indifférence au monde, aux autres comme à soi-même. Cette indifférence est le résultat d'une régression psychique qui tend à libérer les fantasmes de toute puissance infantile et les pulsions destructrices les plus archaïques, avec pour conséquence de nombreux passages à l'acte à travers la multiplication des tueries de masses et des meurtres tout aussi "gratuits" qu'incompréhensibles.
Auteur d'un livre intitulé Le sens des limites. Contre l'abstraction capitaliste, Renaud Garcia écrit dans sa recension du livre d'Anselm Jappe : "Ce qui a réellement changé, ce n'est pas le réservoir fantasmatique de violence et de toute puissance au cœur du sujet, c'est la levée des divers gardes-fous qui freinaient le passage à l'acte, hérités d'époques antérieures et progressivement éliminés par une vie tout entière soumise aux impératifs de concurrence, de rendement et de croissance sans limite."
Dans cette perspective, l’avertissement prophétique d’Antonin Artaud prend toute sa signification : « Toutes nos idées sur la vie sont à reprendre à une époque où plus rien n'adhère à la vie. Et cette pénible scission est cause que les choses se vengent, et la poésie qui n'est plus en nous et que nous ne parvenons plus à retrouver dans les choses ressort, tout à coup, par le mauvais côté des choses; et jamais on aura vu tant de crimes dont la bizarrerie gratuite ne s'explique que par notre impuissance à posséder la vie. »
En quelques mots, Antonin Artaud en dit plus sur la violence terroriste de jeunes fanatisés que les torrents d’analyses et de commentaires qui noient médias et réseaux sociaux. L’intuition visionnaire d’Antonin Artaud décrit bien, au moment où le capitalisme prend son plein essor, le mécanisme d’abstraction par lequel l’économie, en nous dépossédant de la vie, de son intensité, de son intériorité comme de ses affects, libère une pulsion de mort et une violence archaïque dont les manifestations restent autant d’énigmes pour nos consciences soi-disant civilisées.
Éros et Thanatos
Par deux voies différentes, intuitive et rationnelle, le poète et le penseur constatent ainsi l’emprise progressive de la pulsion de mort sur nos sociétés. Dans une perspective traditionnelle, la pulsion de mort de Thanatos peut être neutralisée, maîtrisée et transformée par Éros, la puissance créatrice de la vie/esprit qui est son pôle opposé. Présente sous forme de mythes dans de nombreuses cultures, cette tension contradictoire entre Éros et Thanatos est traduite aujourd'hui dans les termes de ce mythe moderne qu'est la science dans le rapport entre Entropie et Néguentropie.
Dans une perspective intégrale, la dynamique créatrice d’Éros se manifeste à travers l’histoire de l’évolution - de la matière à la vie et de la vie à la conscience - pour se poursuivre à travers les principales étapes du développement humain mises en lumière tant par les sciences humaines que par les connaissances traditionnelles. Si Éros est cette dynamique créatrice de la spirale évolutionnaire, Thanatos représente la dynamique régressive d'une spirale infernale qui prend aujourd'hui la forme hégémonique d'une logique abstraite fondée sur le déni du vivant et du sensible. Logique proprement infernale en ce sens qu'elle inverse tous les rapports entre vie concrète et représentation abstraite, intuition et raison, art et technique, communauté culturelle et société économique, individuation créatrice et individualisme prédateur, privilégiant ceux-ci au détriment de ceux-là dans un processus d'inversion dévastateur, littéralement "infernal".
C’est la dynamique évolutionnaire qui assure la cohérence entre les divers éléments d’une même totalité et qui permet à celle-ci de se développer à travers des stades de complexité croissante de plus en plus intégrés. La connaissance et la participation à cette dynamique évolutionnaire est au cœur de d'une approche intégrale qui émerge et se diffuse au moment même où la spirale infernale d'une dynamique régressive menace notre civilisation d’effondrement. Car c’est la participation intime et créatrice à cette dynamique évolutionnaire qui permet de retrouver la poésie évoquée par Artaud : un état d’esprit qui révèle intuitivement l’unité organique entre la conscience et son milieu d’évolution.
Dans une perspective intégrale où conscience, culture et société représentent trois éléments interdépendants d’un même système en évolution, le saut qualitatif vers un nouveau stade du développement humain doit donc passer par une transformation sociale radicale qui implique le dépassement du capitalisme à travers de nouvelles formes de socialisation et de représentation, de sensibilité et de conscience. Ce sont ces nouvelles formes (post-capitalistes, écosophiques ou cosmodernes, chacun choisira sa terminologie) que les tenants d’une approche intégrale cherchent à observer, à reconnaître et à identifier à travers une cartographie de plus en plus précise et détaillée du développement humain. Au-delà de cette approche théorique ce sont ces nouvelles formes qu'ils cherchent à créer et à expérimenter dans le milieu où s'effectue leur évolution singulière.
Dans une perspective intégrale où conscience, culture et société représentent trois éléments interdépendants d’un même système en évolution, le saut qualitatif vers un nouveau stade du développement humain doit donc passer par une transformation sociale radicale qui implique le dépassement du capitalisme à travers de nouvelles formes de socialisation et de représentation, de sensibilité et de conscience. Ce sont ces nouvelles formes (post-capitalistes, écosophiques ou cosmodernes, chacun choisira sa terminologie) que les tenants d’une approche intégrale cherchent à observer, à reconnaître et à identifier à travers une cartographie de plus en plus précise et détaillée du développement humain. Au-delà de cette approche théorique ce sont ces nouvelles formes qu'ils cherchent à créer et à expérimenter dans le milieu où s'effectue leur évolution singulière.
La seule option raisonnable est l'abolition du capitalisme (suite et fin)
Entretien d’Anselm Jappe avec Romaric Godin. On pourra lire la première partie de cet entretien dans le précédent billet du Journal Intégral : Une régression anthropologique (1).
R.G : Comme vous l’avez évoqué, le "parti du désordre" est devenu celui du capitalisme, notamment par la glorification de la flexibilité et du changement permanent. Ce que l’on appelle communément les "réformes", qui ont commencé par la sphère économique, notamment le marché du travail, tentent aujourd’hui de s’élargir au reste de la société. Sont-elles dès lors un symptôme de cette volonté de rendre le sujet plus narcissique ?
A.J : Oui, ce qui est demandé aujourd’hui avant tout, c’est la flexibilité. Il faut être prêt à changer de travail, de partenaires, de sexe même. Tout ce qui est fixe est considéré comme mauvais. Cela ne signifie pas que tout le monde est aussi flexible, mais c’est une pression sociale constante.
Vous soulignez combien cette pression du capitalisme actuel aggrave la crise narcissique du sujet, provoquant des désastres psychiques allant jusqu’aux meurtres de masse. Comment s’exerce cette pression ?
L’abstraction dominante a besoin de quelque chose de substantiel sur lequel se greffer pour devenir réelle. Au début du processus capitaliste, cette forme d’organisation ne concernait que certains secteurs de la société et certains pays. Balzac décrit dans Les Illusions perdues un monde parisien devenu narcissique par l’irruption du capitalisme. Mais ces valeurs, devenues dominantes aujourd’hui, étaient alors marginales. Les suivre était aussi le fruit d’un choix, d’une décision mûrie. Il était possible de demeurer à la marge et de les rejeter.
Ces valeurs d’autonomie, de flexibilité, d’esprit d’initiative, qui étaient jadis nécessaires pour devenir ministres, sont désormais nécessaires pour obtenir n’importe quel emploi. C’est un des aspects les plus méprisables de la société moderne. Le choix n’est plus possible. Or cette exigence pèse sur les individus. D'autant qu'on leur fait croire que le cours de leur vie ne dépend que d'eux, qu'ils sont les artisans de leur propre destin. Or l'individu contemporain n'a réellement de contrôle sur rien. C'est une source supplémentaire de culpabilité. Désormais on n'a plus l'excuse d'être une femme, un provincial, un prolétaire. Si l'on ne réussit pas, c'est notre propre faute. Les individus deviennent alors surchargés d'attente souvent irréalistes envers eux-mêmes. Et ceci crée des souffrances réelles.
Ces valeurs d’autonomie, de flexibilité, d’esprit d’initiative, qui étaient jadis nécessaires pour devenir ministres, sont désormais nécessaires pour obtenir n’importe quel emploi. C’est un des aspects les plus méprisables de la société moderne. Le choix n’est plus possible. Or cette exigence pèse sur les individus. D'autant qu'on leur fait croire que le cours de leur vie ne dépend que d'eux, qu'ils sont les artisans de leur propre destin. Or l'individu contemporain n'a réellement de contrôle sur rien. C'est une source supplémentaire de culpabilité. Désormais on n'a plus l'excuse d'être une femme, un provincial, un prolétaire. Si l'on ne réussit pas, c'est notre propre faute. Les individus deviennent alors surchargés d'attente souvent irréalistes envers eux-mêmes. Et ceci crée des souffrances réelles.
Dans les sociétés plus traditionnelles et jusque dans la société fordiste, l’individu pouvait se révolter contre un ordre extérieur exploiteur. L’ouvrier pouvait croiser les bras pour défier le contremaître, le domestique pouvait voler son employeur… Aujourd’hui, on ne peut plus se révolter envers un ordre extérieur, mais seulement envers soi-même, envers sa propre jouissance. Et on finit désormais par se haïr soi-même. Le surmoi intérieur est plus punitif que le surmoi extérieur. Il ne nous aura donc pas été très utile de se débarrasser du complexe d’Œdipe, car nous sommes désormais livrés à un surmoi encore plus implacable et difficile à nommer et à combattre.
Dans cette lutte avec soi-même, la technologie n’est pas, selon vous, et c’est encore une différence importante avec les marxistes traditionnels, un moyen de libération.
Le narcissisme a partie liée avec la technologie. C’est le vecteur de l’illusion de la toute-puissance. Elle aide l’individu à demeurer dans une forme constante d’adolescence qui est, du reste, une notion relativement moderne. Comme le résumait parfaitement Yves Saint-Laurent, notre époque est la première où les mères veulent ressembler à leurs filles et non l’inverse. Pour la première fois dans l’Histoire, grandir n’est pas perçu comme un avantage. On assiste à un refus de l’âge et donc de la maturation. La flexibilité abolit la maturation de la personnalité.
À la fin de votre livre, vous proposez l’abolition du capitalisme comme seule issue. Mais comment réaliser cette abolition alors même que le sujet narcissique apparaît comme le principal gardien de cet ordre capitaliste destructeur ?
Comme je l’ai précisé, la question est moins celle d’un individu pleinement narcissique que celle d’un "taux" global de narcissisme qui peut changer. Il est possible de le reconnaître et le combattre, en s’observant soi-même avec une certaine distance. La société est pleine de tentatives de récupérer des formes d’entraide. Beaucoup de personnes ne sont pas prêtes à vivre comme les requins de la finance présentés par les films américains. Toute forme de conscience n’a pas disparu.
La logique abstraite se heurte toujours au vivant et au sensible. Cette lutte se retrouve précisément dans les souffrances de l’individu. Cette image développée par les libéraux, d’un individu heureux parce qu’il ne fait que maximiser son profit personnel, ce qui ne correspond évidemment à rien. La dictature économique est tellement contraire à nos besoins et nos envies que nous sommes en conflit permanent avec elle.
Les personnes ne suivent pas une logique unique dans les différents aspects de leur vie. On peut avoir une carrière personnelle et s’inquiéter en même temps de la construction d’une déchetterie près de chez soi, on peut aussi subir des fractures dans sa vie, prendre conscience de certains faits… On constate par exemple une conscience croissante envers les pesticides. Je ne suis donc pas forcément pessimiste.
En revanche, vous n’attendez rien des formes de lutte mises en place par le marxisme traditionnel.
Je ne pense pas qu’il puisse y avoir une ligne de combat avec un groupe social sur lequel miser pour sortir du capitalisme, comme on pouvait le croire jadis, notamment concernant le prolétariat. Les migrants arrivant en Europe rêvent souvent de devenir des bourgeois européens. Votre place dans la société ne détermine pas votre réaction à la société actuelle, selon moi, parce que les catastrophes écologiques qui sont la conséquence de l’essence du capitalisme touchent tout le monde.
Le marxisme traditionnel focalise son attention sur la distribution de l’argent et de la valeur, sans en remettre en question l’existence de ces données. Historiquement, cette critique s’est concentrée sur la sphère financière. C’est ce que reprennent aujourd’hui les populistes. Évidemment, je trouve le monde financier peu sympathique, mais la financiarisation de l’économie n’est qu’une conséquence de la crise du capitalisme, pas sa cause. Il est illusoire de penser qu’il existe une clique de requins de la finance qui collaborent avec les politiques et que l’éliminer réglerait tous les problèmes.
En revanche, il existe une dictature de l’économie sur la société, et c’est pour moi le concept central. Cette dictature n’est pas toujours aisée à identifier. C’est parfois assez aisé, lorsque l’on veut construire une mine d’or sur un site protégé, par exemple, ou dans le cas du projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes. Mais c’est parfois plus difficile, comme lorsque l’on invente des gadgets inutiles pour occuper l’esprit des enfants.
Mon point de vue est d’avoir une méfiance systématique face à l’économie. Par exemple, il existe actuellement une polémique autour du compteur Linky, certains mettent en garde contre des risques potentiels, mais contestés. J’aurais tendance, pour ma part, à penser que si une compagnie veut les installer, c’est forcément pour de mauvaises raisons. Il n’y a pas de présomption d’innocence pour ceux qui gèrent le processus économique et technique. Et s’il arrivait que de bonnes décisions soient prises, comme par exemple l’interdiction d’un pesticide, ce sera toujours à leur corps défendant et souvent trop tard.
Dans ce cadre, doit-on à nouveau se poser la question, comme jadis Rosa Luxemburg : réforme ou révolution?
La question me semble dépassée. Aujourd’hui, une révolution sous la forme d’une "prise du palais d’Hiver" semble impossible et le réformisme a toujours renforcé le pouvoir existant. Les vraies réformes, aujourd’hui, seraient en fait déjà une révolution. Car le système capitaliste est incapable de se réformer. Si l’on regarde les engagements pris sur le climat ou la biodiversité des années 1990, déjà insuffisants, ils n’ont pas été respectés. Et c’est la même chose dans le domaine économique : après la crise de 2008, on a pris des mesures cosmétiques contre les excès de la finance, et on les a encore réduits.
Dans une logique de concurrence, tous les acteurs se méfient les uns des autres. Si l’on parvenait à se mettre d’accord entre acteurs du capitalisme, on ne serait déjà plus dans du capitalisme. Ce qui définit le capitalisme, c’est précisément la concurrence entre acteurs anonymes que rien ne relie entre eux. Ce qui est donc le plus raisonnable, c’est bien d’abolir le capitalisme.
Pour vous, le capitalisme court, de toute façon, à sa perte…
Le marxisme traditionnel a pensé que, si l’insatisfaction matérielle du prolétariat ne conduisait pas ce dernier à renverser le capitalisme, ce dernier perdurerait. Ce que j’avance, c’est le contraire : cette contradiction que le capitalisme porte initialement en son sein, cet épuisement de la source de la valeur avec le remplacement du travail par la technologie au cours des dernières années, a pris une telle ampleur que le capitalisme ne survit que par des béquilles comme la financiarisation. Le système est face à ses limites internes, à laquelle s’ajoutent des limites externes comme la crise écologique. Il scie la branche sur laquelle il est assis.
Le capitalisme se saborde lui-même. Il n’a résolu aucun de ses problèmes fondamentaux. Le capitalisme est en train de s’épuiser et cela pousse à la création d’alternatives. Car une société fondée sur la valeur est une société invivable sur le plan humain. Il existe mille champs de bataille contre cette logique économique de la valorisation toujours plus envahissante et qui touche maintenant des domaines comme le service aux personnes âgées ou aux enfants. Progressivement, il faudra soustraire toujours plus de terrain au marché et à l’État. Je pense que l’on n’arrivera à rien cependant par la politique, par des lois ou par des parlements.
Ressources
La seul option raisonnable est l'abolition du capitalisme. Entretien d'Anselm Jappe avec Romaric Godin. Site Médiapart
Dans la rubrique Ressources de nos trois derniers billets consacrés à la critique de la valeur, nous avons proposé nombre de liens utiles à ceux qui aimerait mieux connaître les idées et les analyses proposées par ce courant de pensée.
Capitalisme et autophagie : face à l'abîme. Recension du livre d'Anselm Jappe par Renaud Garcia sur le site de la revue CQFD
Le sens des limites. Contre l'abstraction capitaliste. Livre de Renaud Garcia. Ed. L'échappée
Capitalisme et autophagie : face à l'abîme. Recension du livre d'Anselm Jappe par Renaud Garcia sur le site de la revue CQFD
Le sens des limites. Contre l'abstraction capitaliste. Livre de Renaud Garcia. Ed. L'échappée
Dans Le Journal Intégral :
Le Fétichisme de la marchandise - La Critique de la valeur - Une régression anthropologique (1)
Pour mieux comprendre la démarche d’un Synthèse évolutionnaire entre vision intégrale et critique radicale : Vers une Synthèse évolutionnaire
Voir les textes sélectionnés dans les libellés : Critique de la Valeur - Sortir de l'économie - Synthèse évolutionnaire
Le Fétichisme de la marchandise - La Critique de la valeur - Une régression anthropologique (1)
Pour mieux comprendre la démarche d’un Synthèse évolutionnaire entre vision intégrale et critique radicale : Vers une Synthèse évolutionnaire
Voir les textes sélectionnés dans les libellés : Critique de la Valeur - Sortir de l'économie - Synthèse évolutionnaire