mardi 25 septembre 2012

L’évolution de la conscience


Que dit ta conscience? Tu dois devenir celui que tu es. Nietzsche


Nous présentions dans notre dernier billet, le premier Forum International de l’Evolution de la Conscience qui aura lieu à Paris, le 13 Octobre autour du thème : « L’Evolution de la conscience, clé de notre devenir ».

Pour mieux comprendre ce que signifie l'évolution de la conscience - ses enjeux et ses défis - nous proposons ci-dessous un entretien publié il y a quelques années dans le magazine Nouvelles Clés entre Patrice Van Erseel, le maître de cérémonie de ce forum, et Andrew Cohen, le fondateur d'EnlightenNext, à la fois magazine et organisation internationale à but non lucratif qui est à l'origine de ce forum. 


Le laboratoire évolutionniste

Un dialogue entre Andrew Cohen et Patrice Van Erseel sur l’évolution de la conscience.

Entretien avec Andrew Cohen sur son parcours, sur l’avenir de la spiritualité et sur les raisons qui l’ont décidé à faire de son magazine "What is Enlightenment ?" (devenu depuis EnlightenNext) un laboratoire de futurologie. La barre est d’emblée placée haut : “Au bout de 14 milliards d’années, voilà que l’évolution devient consciente !

Beaucoup de nos lecteurs connaissent Andrew Cohen ou ont entendu parler de lui. Il fait partie de ces guides inclassables que la contre-culture américaine nous envoie parfois, souvent via l’Orient, et qu’un homme comme notre ami Yvan Amar aimait recevoir et faire connaître. Tout comme ce dernier, cet Occidental juif fort peu pratiquant, et même tout à fait incroyant au départ, avait commencé par trouver sa voie après une expérience mystique sauvage qu’il lui a fallu (rapidement) décrypter auprès d’un grand méditant yogique indien.

Mais autant Yvan Amar avait continué à se situer comme disciple de son maître indien, bien après être rentré en France et jusqu’au bout de sa trop courte vie d’enseignant, autant Andrew Cohen, une fois rentré aux États-Unis, a éprouvé le besoin de se libérer de toute allégeance traditionnelle, pour ouvrir sa propre voie d’enseignement. Une voie “évolutionniste”, relevant les défis radicalement neufs auxquels l’humanité se trouve confrontée au XXIe siècle.

Une voie fondée sur une découverte essentielle et très récente, du moins au regard de l’histoire : l’univers évolue depuis quatorze milliards d’années et nous en sommes le dernier fruit connu ; un fruit qui a ceci de très particulier qu’il a pris conscience de sa course incroyable et sait que la suite dépend désormais en grande partie de lui. De son éveil, certes. Mais aussi et surtout de son action, pour se changer lui-même et changer le monde. Or, ici, le bât blesse : “Tout le monde veut être éveillé, dit Cohen avec un sourire en coin, mais personne ne veut réellement changer, là, maintenant, tout de suite.”

Patrice Van Erseel
Nouvelles Clés : Comme beaucoup d’Occidentaux, vous avez commencé par trouver un maître indien qui vous a formé à devenir enseignant vous-même. Mais rentré en Amérique, vous vous êtes détaché de toute tradition. Pourquoi ?

Andrew Cohen : Si je raconte nos quarante dernières années, en caricaturant un peu, je dirais que nous, Occidentaux, avons commencé par lâcher nos propres traditions, avec une vive curiosité pour l’Orient.

Nous avons connu l’éveil oriental et, après l’avoir expérimenté un certain temps auprès de maîtres de là-bas, nous avons rapporté cela chez nous. Ce mouvement avait quelque chose de très humble : enfin des Occidentaux qui reconnaissaient que d’autres étaient éveillés et qu’eux ne l’étaient pas ! Notre gros ego narcissique a été raboté un bon coup. D’autres s’avéraient supérieurs à nous. La post-modernité commence là, dans ce dépassement.

Le problème, c’est que nos maîtres orientaux venaient de contextes culturels pré-modernes. Leurs réponses à nos questions sur les meilleures façons de nous comporter dans la vie ordinaire se sont très souvent avérées inappropriées. Et dans leur propre développement personnel, il nous est aussi apparu que ces gens-là connaissaient certes des états supérieurs de conscience, mais qu’ils se connaissaient parfois mal eux-mêmes, au sens psychologique, émotionnel, etc. Bref, le balancier est reparti dans l’autre sens.

De nouvelles perspectives transpersonnelles ont alors émergé, à partir de ces deux images complémentaires : l’image de l’Occident évolutionniste, métaphore de l’enfant devenant progressivement adulte ; et l’image de l’Orient transcendantal, métaphore de l’adulte sain, partant à la verticale explorer les états supérieurs de conscience.

Mais un nouveau problème a surgi. Ces deux images forment une cartographie magnifique, que l’on pourrait appeler “nouveau paradigme”. Et beaucoup d’entre nous se sont dit qu’ils étaient désormais des mutants, puisque, de stages de développement personnel loquaces en stages de méditations silencieuses, ils avaient l’impression de connaître ce nouveau paradigme par cœur. Ils oubliaient seulement que la carte n’est pas le territoire. Ce n’est pas parce que vous avez goûté à l’idée de changement du bout des lèvres que vous êtes différent !

Beaucoup de gens, même dans nos milieux “éveillés”, sont si pleins d’eux-mêmes qu’ils ne laissent aucune place pour recevoir le grand mystère, que personne ne peut appréhender mentalement. Ils ne se rendent pas compte que changer, c’est tout simplement une question de vie ou de mort : vous ne pouvez espérer le faire qu’en y engageant tout votre être. En tant que post-modernes, notre développement philosophique et spirituel suppose désormais que nous franchissions une étape et trouvions une voie radicalement neuve.

N. C. : Mais les enseignements prémodernes, par exemple ceux des yogis, des moines zen ou des chamans, que vous dites inappropriés à notre vie actuelle, ne finissent-ils pas justement par redevenir pertinents dans nos quêtes de déracinés, après avoir été vilipendés par les modernes des “Lumières” pendant des siècles ?

Andrew Cohen
 A. C. : En partie, oui. Mais pas sur un point essentiel. Pour les traditions pré-modernes, toute la question est d’aider les humains à s’échapper du monde, à se libérer de l’incarnation physique, pour connaître l’au-delà, le nirvana, le paradis. Tel est le but des traditions orientales : transcender la matière et l’humanité, s’arracher au cercle effroyable des réincarnations. Car leur conception du temps est cyclique et la vie une éternelle répétition.

Dans ce contexte, “se réveiller spirituellement” signifie prendre conscience de ce manège cosmique de mort-renaissance-mort- renaissance, comprendre que la “roue du devenir” n’est qu’illusion, réussir à la quitter pour de bon. Il s’agit de vous libérer du cercle vicieux où vous plongent vos désirs et vos peurs, pour découvrir que la vraie ou ultime réalité se tient hors du monde manifesté, dans la Vacuité dont tout émerge, destination idéale de toutes les voies spirituelles prémodernes.

N. C. : La plupart des traditions parlent cependant de “missions” ou de “tâches” à accomplir sur terre, autrement dit d’actions dans le monde manifesté !

A. C. : Leur but est en effet d’inciter les gens à mener des vies vertueuses... mais c’est surtout pour “brûler leur karma” et finalement obtenir la récompense du paradis. Même les religions monothéistes “interventionnistes” partent de l’a priori qu’au-delà du monde, il existe un autre monde, plus essentiel, fait de paix et de bonheur, et dont on ne peut qu’avoir un petit avant-goût en menant une vie de vertu.

N. C. : Comment le post-moderne que vous êtes perçoit-il donc tout cela ? Et d’abord, comment définissez-vous la post-modernité ?

Sri Aurobindo
 A. C. : Notre vision du temps a fondamentalement changé : ce n’est plus une roue cyclique conduisant à un éternel retour, mais une flèche évolutive lancée dans l’inconnu, et cela change tout. Cette vision, c’est incontestablement la modernité qui l’a apportée, pour la première fois, aux humains. Mais il a fallu attendre que cette modernité - matérialiste, antispiritualiste, athée - aboutisse à des impasses majeures pour que survienne la post-modernité et, avec elle, l’idée spirituelle évolutive, dont les grands visionnaires sont notamment Pierre Teilhard de Chardin et Sri Aurobindo.

Pourquoi cette nouvelle vision du temps change- t-elle la donne ? Eh bien, nous commençons tout juste à réaliser que ce que nous appelons évolution ou développement est un processus qui se déroule depuis quatorze milliards d’années et qui a un sens spirituel. Les premières traces de vie sur terre datant d’environ quatre milliards d’années, il en a donc fallu dix milliards pour aboutir à des bactéries - et quatorze pour aboutir à nous (puisqu’à cette échelle l’humanité vient tout juste de naître).

Voilà donc un formidable, un incroyable, un inconcevable processus s’étalant sur l’équivalent de quatorze milliards de fois la révolution terrestre autour du soleil et qui débouche sur quoi ? Sur vous, sur moi, sur l’humanité ! Chacun de nous peut dire en toute légitimité : “Je suis la manifestation d’une dynamique qui a mis quatorze milliards d’années à ME produire !

Nous commençons tout juste à comprendre que le principe créateur qui a poussé l’univers à exister depuis le big-bang - que vous l’appeliez Dieu ou “pulsion-à-devenir-faisant-naître-quelque-chose-de-rien”, peu importe - ne s’est sans doute jamais manifesté de façon aussi consciente qu’à travers nous.

Les animaux, les plantes et même les minéraux ou les étoiles ont peut-être des formes de conscience, mais il semble évident que nous sommes les seuls à être conscients d’être conscients, c’est-à-dire conscients de notre contexte, de nos actions, de nos responsabilités, individuelles et collectives. Nous savons que nous formons un tout non séparé.

D’une certaine façon, il n’est pas déraisonnable de prétendre que nous sommes “un” avec le principe créateur de l’univers - et que c’est par nous que ce Principe prend conscience de lui-même. Je crois que si l’humain n’existait pas, l’univers tel que nous l’appréhendons n’aurait pas la capacité de se connaître lui-même.

Dans cette perspective, naître sous la forme d’un humain incarné, émergence ultra récente dans le temps cosmique, est une nouveauté inouïe et essentielle, qu’il serait fou de vouloir fuir, sous prétexte qu’il s’agirait là d’une illusion temporelle. Prétendre que “s’éveiller” signifie s’arracher d’ici au plus vite apparaît comme du délire.

Nous sommes le résultat incroyable d’un processus de quatorze milliards d’années de montée en conscience et en complexité, et il faudrait n’avoir qu’une idée : vite se désincarner et se fondre à nouveau dans la Vacuité du Non-Manifesté primordial ? Mais ce serait de la folie pure !

C’est ainsi que nous avons été quelques-uns, parmi les Occidentaux initiés à la spiritualité par les traditions orientales, à nous rendre compte que nos excellents maîtres en éveil ne savaient rien de l’évolution. Ils nous ont vraiment appris à connaître les états supérieurs de conscience - là où, en chaque être humain, peuvent se révéler le silence, la paix et l’extase du dépassement de la dualité. Mais la plupart ont continué à prétendre que le devenir était un piège. Alors que pour nous, désormais, le devenir est justement l’endroit où tout se joue !

Dessin de Trémois

N. C. : En fait, ne retrouvez-vous pas tout simplement la tradition juive ou judéo-chrétienne, celle de vos ancêtres ? L’idée d’une humanité “en marche vers un monde meilleur”, qui ne se trouverait pas seulement dans l’au-delà mais déjà sur terre, taraude les cultures bibliques depuis le commencement. Et le mot “hébreu” lui-même, comme le mot “embryon” dit-on, a pour sens premier “celui qui évolue” !

A. C. : Vous avez raison, mais le problème avec la religion juive, comme avec toutes les anciennes traditions, c’est qu’elle charrie des mythes vieux de cinq mille ans, qui rendent très difficile l’adaptation à la post-modernité. Il s’agit à l’origine d’une religion tribale, et cela la marque de manière tragique. Au moindre obstacle, de façon tantôt très subtile tantôt beaucoup moins, elle vous retient en arrière et vous sectarise. Or, à l’heure actuelle, la question est vraiment d’entraîner tout le monde et de ne surtout pas perdre de temps en revenant en arrière.

Cela ne signifie pas qu’il faille négliger et oublier d’intégrer tout ce que les grandes traditions nous ont appris, à commencer par la nécessité de nous libérer des passions et des peurs de l’ego, c’est-à-dire de nous éveiller au Soi authentique qui, dans sa nature profonde, échappe au temps. Mais le Soi ne fuit pas le monde. Il s’y incarne consciemment et joyeusement. Ne faisant qu’un avec l’impulsion du devenir, il cherche à créer, à poursuivre l’intention qui habite l’univers depuis le premier milliardième de seconde.

N. C. : Vous reconnaissez la nécessité de poursuivre l’effort des anciennes religions de dégager notre être profond de tous les pièges de l’ego. Mais quand vous dites : “Un formidable processus de quatorze milliards d’années aboutit à ME produire, MOI”, ne renforcez-vous pas cet ego à une échelle jamais vue ?

A.C : Le risque est à la mesure de l’enjeu ! C’est pourquoi je pense que notre problème n’est plus du tout de nous arracher à la roue des réincarnations, mais à celle du super-narcissisme super-égotique dont notre post-modernité débutante déborde. Si nous disons que le principe créateur divin se manifeste et se révèle à travers nous, donc si nous prétendons être le vecteur que choisit la divinité pour se regarder Elle-Même - donc que nous sommes Dieu ! -, le risque est évidemment grand de voir l’ego tirer la couverture à lui, nous faisant aboutir à un abominable contresens mégalo.

Comment échapper à ça et rejoindre en acteurs adultes le processus évolutif ? La réponse est contenue dans ce que j’aime appeler le “nouvel éveil”, ou “éveil post-moderne”, qui consiste à transcender la roue de l’ego de la même façon que les prémodernes ont eu à transcender la roue du devenir. Les roues sont implacables. Leur échapper est toujours un énorme défi.

Que désirons-nous ? Participer à l’évolution cosmique, avec la vive conscience de qui nous sommes réellement. Qui sommes-nous ? La “cause première” dont parle Jésus quand il dit qu’elle a créé l’univers et qu’elle et l’amour ne font qu’un. Le degré auquel je comprends cette phrase indique le niveau de ma participation à l’évolution de la conscience elle-même.

Ce qui donne le vertige, c’est de découvrir que la conscience cosmique, à son plus haut niveau, ne peut pas évoluer sans les véhicules, ou les structures, que nous sommes. C’est en tout cas ma conviction : la conscience ne peut pas évoluer dans le vide, comme ça, en soi. Elle a besoin de véhicules. Par exemple de nos cerveaux. Mais ceux-ci ne suffisent pas : il leur faut une intention créatrice.

Le plus excitant est que nous nous trouvons actuellement à une époque où la poussée créatrice, qui semble avoir jusqu’ici fonctionné de façon très inconsciente, commence tout doucement à devenir consciente d’elle-même. L’évolution cosmique (qui englobe largement toutes les visions d’un Darwin et de bien d’autres chercheurs) devenant un processus conscient, vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? Tenter de le comprendre et de le mettre en pratique, tel est actuellement l’acte le plus spirituel qui puisse s’imaginer.

Teilhard de Chardin
N. C. : Pourtant, quand on observe les flux qui malaxent l’humanité, on pourrait s’interroger sur le niveau de conscience du processus global. Massacres, fuites éperdues, injustices flagrantes, irresponsabilités gravissimes... Souvent, même quand ce sont des humains qui “décident”, ça ressemble plutôt à des phénomènes reptiliens, ou même volcaniques, avec des pressions considérables. Est-ce un hasard si Teilhard, que vous citez souvent, a eu ses premières visions du “flux évolutif” humain alors qu’il se trouvait dans les tranchées de 14-18 ?

A. C. : Il n’y a jamais d’évolution sans stress : c’est ce qu’affirme la biologiste Elisabeth Sahtouris, qui fait partie des chercheurs avec qui notre réseau et notre magazine What Is Enlightenment ? travaillent. Je ne suis pas spécialiste en évolutionnisme biologique et je fais confiance à Elisabeth. Par contre, je connais bien les psychés humaines, et je peux vous dire que 99,9 % d’entre elles fonctionnent ainsi : sans pression impérieuse, pas d’évolution.

Nous prétendons tous vouloir changer. L’éveil spirituel serait notre désir le plus cher. Mais en réalité, nous choisissons presque toujours le chemin de moindre résistance. Aujourd’hui, après trente-trois ans de quête, je peux le dire : la plupart d’entre nous ne sont pas du tout intéressés par le changement - ni horizontal ni vertical. Ce que nous cherchons à acheter sur le marché spirituel contemporain, c’est à nous “sentir mieux”. Le confort, physique, émotionnel, philosophique, spirituel, voilà ce qui nous intéresse.

Mais une authentique évolution du Soi en nous, non. Ça demande un trop gros engagement et un véritable appel intérieur, un énorme désir de précipiter l’avenir, là, tout de suite, sans attendre on ne sait quoi. Vous avez donc raison, hélas : à de rares exceptions près, le changement évolutif ne s’effectue pas du fait d’une volonté, mais sous la pression d’un gigantesque stress. L’inconnu nous fait tellement peur...

Or, c’est dommage. Parce que le vrai changement n’a besoin d’aucune énormité ni solennité. Il peut s’effectuer à tout instant et à chaque coin de rue. D’autre part, la majorité des humains sont curieux et intéressés a priori par la nouveauté. Mais dès que ça les touche émotionnellement, ou dès que ça remet en cause leurs croyances de base, ils préfèrent s’enfuir et rechercher l’homéostasie, l’équilibre, en trouvant refuge dans ce qui existe déjà et qui les rassure. C’est donc ainsi : l’évolution, qu’elle soit physique ou spirituelle, ne peut s’effectuer sans une “tension évolutionnaire” à l’intérieur de l’être.

Dessin de Serge Durand - Blog Foudre évolutive
 N. C. : Cette tension vers demain ne nous fait-elle pas rater l’essentiel, dont beaucoup de sages disent qu’il se joue paisiblement dans l’instant présent ?

A. C. : Les deux sont nécessaires. Prenez n’importe quel artiste en train de créer : il est à la fois totalement dans le présent et tout entier tendu vers l’avenir. Voilà l’ubiquité que nous devons cultiver, pas seulement dans les arts, mais dans la vie elle-même, c’est-à-dire dans notre spiritualité, au sens le plus vivant du terme. Il s’agit pour chacun, non pas forcément de devenir un grand innovateur, mais d’inscrire l’œuvre qu’est son existence à l’intérieur de la vaste fresque de l’évolution collective. Là, chacun a sa place. Voyez-vous, je crois que l’éveil des humains au processus de l’évolution va devenir la religion de demain. Il est grand temps ! Car nous avons tout relativisé et sommes en train d’en dépérir.

Depuis l’avènement de la post-modernité dans les années 60, beaucoup d’entre nous ont jeté les traditions par-dessus bord, avec tout leur corpus philosophique, moral, éthique. Désormais, chacun décide de sa propre conduite et le super-narcissime a libre cours... Mais ça ne fonctionne pas, ou de plus en plus mal. Certes, nous avions besoin de nous libérer des vieilles formes, qui nous retenaient en arrière alors que nos conditions de vie avaient changé.

Mais quarante ans plus tard, nous nous retrouvons en pleine dérive, dans le brouillard relativiste où tout se vaut - redécouvrant l’évidence : nous ne pouvons pas faire n’importe quoi. En nous débarrassant des formes désuètes des “anciens régimes”, nous avons aussi éliminé la prise en compte des bases mêmes de la morale humaine.

Or, nous avons désespérément besoin d’un cadre philosophique, moral, éthique. La réaction de beaucoup de gens, face à ce vide, est très naturellement réactionnaire : ils veulent revenir en arrière, retrouver les bases morales du judaïsme, du bouddhisme, du christianisme, de l’islam, etc. C’est compréhensible, mais ça va juste dans le sens contraire de l’évolution !

Personnellement, je sens que la redécouverte de notre cadre philosophique et moral va précisément nous venir de l’éveil à la dimension évolutive du réel. Quand des personnes raisonnables prennent conscience du processus majeur dans lequel nous sommes inscrits, qui va de la géosphère à la noosphère, en passant par la biosphère et la technosphère, elles voient immédiatement émerger les obligations morales qui accompagnent et autorisent la poursuite de ce processus.

La suite de l’évolution dépend de nous ! De notre capacité à nous interroger sur qui nous sommes, sur ce que nous faisons, sur nos raisons de le faire. De notre capacité, en fin de compte, à accepter tout cela et à répondre “Oui” à l’appel.

Andrew Cohen et Ken Wilber : le Sage et l'Erudit
Ressources

- A lire ici dans Clés : Le Laboratoire évolutionniste.

- Le dernier livre d’Andrew Cohen « Evolutionary Enlightenment: A New Path to Spiritual Awakening»  (L’Eveil Evolutionnaire : une nouvelle voie vers l’éveil spirituel) a été publié à l’automne 2011 aux Etats-Unis et sortira en français en octobre 2012.

- A lire dans le Journal Intégral, une série de billets intitulée Le Sage et l’EruditAndrew Cohen et Ken Wilber dialoguent en abordant de nombreux thèmes concernant la spiritualité, la culture et la société.

- Dans le numéro d'Août/Septembre de Clés, un portait d’Andrew Cohen : Mêler sagesse orientale et science occidentale.

- Dans Clés, Patrice Van Erseel fait la recension du livre d’Andrew Cohen : Vivre l’éveil.

- Pour suivre l’actualité des enseignements d’Andrew Cohen : EnlightenNext.france

- Pour plus d’informations concernant l’enseignement d’Andrew Cohen : andrewcohen.org/fr

samedi 15 septembre 2012

Forum International de l'Evolution de la Conscience


L’évolution de la conscience, clé de notre devenir.


En France, les mentalités évoluent progressivement. Avant l'été est paru dans Le Guide de la Spiritualité  la première analyse détaillée concernant le mouvement intégral et ses principaux acteurs dans l’hexagone. A Paris, le 13 Octobre, EnlightenNext organise le premier Forum International de l’Evolution de la Conscience avec pour thème : « L’Evolution de la conscience, clé de notre devenir ».

Par delà une exception culturelle fondée sur l'hégémonie de la pensée abstraite, la France rejoint donc ce grand mouvement de régénération culturelle qui s'exprime dans de nombreux pays par l'émergence d'un mouvement intégral, vecteur d'une nouvelle "vision du monde".

Ce forum international a donc pour vocation de réunir des visionnaires du monde entier afin de partager avec eux les paradigmes émergents et les nouvelles perspectives susceptibles de catalyser l’évolution de la conscience et la transformation de la culture.


Qu'est-ce que l'évolution de la conscience ?

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des problèmes globaux et à des revendications contradictoires qui, combinés à une complexité et une vitesse du changement accrues, nous rendent impuissants face aux enjeux du 21ème siècle, individuellement et collectivement. Alors, plutôt que de sombrer dans le cynisme, la dépression ou le repliement sur soi, il est important de réaliser que, comme le suggérait en son temps Einstein, nous ne trouverons la solution qu’en changeant notre manière de penser et notre vision du monde. C’est cela l’évolution de la conscience ! C’est développer une perspective et des valeurs plus grandes et plus inclusives, davantage capables de répondre aux problématiques personnelles et professionnelles auxquelles nous sommes confrontés.

De l’évolution de la conscience à la transformation de la culture

On peut définir la culture comme la somme des valeurs et idées que nous partageons. En conséquence, si notre perspective et nos valeurs évoluent alors la culture, notre civilisation et le monde lui-même évoluent, et nous deviendrons, comme le disait Gandhi, le changement que nous souhaitons voir dans le monde. En réalisant cela profondément nous cesserons de nous sentir victimes des circonstances pour devenir des acteurs du futur ! Cela change tout…

A qui s’adresse le Forum ?

A tous ceux qui cherchent du sens ou tout simplement qui souhaitent comprendre les forces qui régissent l’évolution pour mieux innover et faire partie de la solution. Ce sont les “évolutionnaires”.

Ce forum sera une opportunité unique en France de rencontrer des visionnaires internationaux qui, sur les plans philosophiques, sociologiques, économiques, politiques, scientifiques ou spirituels, nous donneront accès à ce potentiel culturel extraordinaire et à la promesse d’un futur qui n’existe pour l’instant que dans leur imagination. Ce sera aussi l’occasion de faire l’expérience d’un niveau de conscience et d’une expérience culturelle uniques avec des personnes qui aspirent à co-créer consciemment le futur.

Parmi les parrains du forum : Jean-Louis Servan-Schreiber, Nicolas Hulot, Yves Michel, Pierre Rabhi, Patrick Viveret, Patrice Van Eersel...

A voir ici la vidéo où Andrew Cohen, fondateur d’EnlightenNext, et Patrice Van Eersel, maître de cérémonie du Forum, présentent les objectifs du Forum et décrivent la notion d’Evolution de la Conscience.


Le Programme

13h – Accueil

14h – Ouverture du Forum. Introduction par Patrice van Eersel, Rédacteur en chef du magazine Clés, Maître de cérémonie et parrain de l’édition 2012.

Le grand récit de l’évolution par Edgar Morin et Andrew Cohen

Tous les grands hommes à travers l’histoire ont été inspirés par de Grandes Idées – de grands récits et des principes audacieux, donnant ainsi à nos vies du sens et un but éclairant nos choix et nos actions. De nombreux penseurs et philosophes contemporains s’accordent aujourd’hui sur l’Évolution comme étant la Grande Idée du 21ème siècle. Depuis « L’origine des Espèces » publié il y a 150 ans, la grande idée de Darwin revisite tout, de la biologie et la technologie à la psychologie et même la religion. Dans ce dialogue, Edgar Morin et Andrew Cohen exploreront le Grand Récit de l’évolution et comment celui-ci transforme notre façon de regarder non seulement notre monde extérieur – la matière – mais aussi notre compréhension du monde intérieur – celui de la conscience, de la culture et de la transformation humaine. Ils nous expliqueront également pourquoi les perspectives philosophiques et spirituelles du futur seront aussi redéfinies par le Grand Récit de l’évolution.

De nouveaux outils économiques et politiques pour le 21ème siècle par Marc Luyckx

Nous sommes à un point de basculement entre deux civilisations. Nous nous focalisons de  plus en plus sur notre transformation intérieure, ce qui est crucial. Mais ce changement de civilisation possède aussi une dimension économique et politique. Au niveau politique, un nouveau paradigme de « non-violence » se met en place tandis qu’au niveau économique, une « économie intangible » place désormais le capital humain au-dessus du capital financier ! Mais nous ne pouvons pas voir l’émergence de ces nouveaux paradigmes car notre niveau de développement intérieur est probablement encore insuffisant. C’est là que l’évolution intérieure rejoint l’évolution extérieure politique et économique.

16h15 – 16h45 – Pause

L’évolution de la Culture et l’émergence de la vision évolutionnaire par Carter Phipps et Steve McIntosh

La vision évolutionnaire est une perspective culturelle émergente  – une grille de lecture élargie de la réalité – qui transcende et inclut le meilleur du passé. Cette perspective peut être perçue comme une nouvelle « vision du monde » dans la mesure où elle propose un système élargi de valeurs, une nouvelle manière de voir et un sentiment de soi particulier pour ceux qui trouvent du sens dans cette vision. Dans ce dialogue, Steve MacIntosh et Carter Phipps discuteront de ce que cela signifie d’adopter ce nouveau cadre de référence pour devenir un véritable « évolutionnaire » et débattrons sur la manière d’appliquer concrètement cette vision au développement culturel.

L’émergence d’un nouveau monde Arabe par Elza Maalouf

A ce moment de l’histoire où une nouvelle Renaissance jaillit organiquement de l’ombre des dictatures et qu’un processus d’auto-détermination a débuté, l’aspiration évolutive que connait le monde Arabe est  à la recherche d’une feuille de route capable de faire émerger une forme naturelle de démocratie. La futurologue libano-américaine Elza Maalouf nous dira comment, selon elle, des démocraties naissantes peuvent créer, à partir de leurs intelligences autochtones, une nouvelle conscience qui combine les aspirations nationalistes, religieuses, éducatives et économiques, en un modèle de système ouvert. Et comment ce modèle peut contribuer à une émergence globale, tout en s’adaptant en permanence à l’évolution du système de valeurs de sa propre culture.

18h45 – 20h – Dîner

Femmes, Hommes : Créer l’avant-garde de la culture française par Elizabeth Debold et Laure Adler

Si nous contemplons l’histoire de l’évolution, du big bang à nos jours, nous découvrirons une trajectoire magnifique, quoique chaotique, qui a conduit à la civilisation globale que nous connaissons. Mais percevoir concrètement l’avant-garde de l’évolution culturelle demande davantage de discernement et d’implication. En effet, l’évolution au niveau culturel, nous demande, homme comme femme, de changer. Dans ce dialogue, Elizabeth Debold, auteure américaine et « développementaliste », et Laure Adler, historienne et auteure, discuteront des défis et opportunités évolutives auxquels les femmes et les hommes de l’avant-garde culturelle française sont confrontés sur les plans historique, politique, féministe, biologique et psychologique.

L’évolution consciente par Ervin Laszlo et Andrew Cohen

En cette période cruciale de l’histoire humaine, alors que le changement autour de nous va en s’accélérant, le poids et l’importance du choix n’ont jamais été aussi marqués. En fait, la faculté de choix, propre à l’espèce humaine, est peut-être le plus grand cadeau que l’évolution nous ait offert, en ce qu’elle nous permet, en toute conscience, de devenir le type de personne que nous voulons être et de construire le type de monde qu’ensemble nous voulons créer. Dans ce dialogue, Andrew Cohen et Ervin Laszlo, le célèbre philosophe des systèmes et théoricien intégral, vont explorer ce que cette capacité d’évolution consciente signifie, ce qu’elle implique, et quel est son potentiel pour nous guider dans l’avenir.

22h15 – Clôture du Forum

Les Intervenants

Patrice Van Eersel. Journaliste et écrivain français, il a fait partie de l’équipe fondatrice de Libération, avant de devenir grand reporter à Actuel. Il est actuellement rédacteur en chef du magazine Clés et directeur des collections Clés aux éditions Albin Michel. Il est l'auteur notamment de « La source noire », « Le cinquième rêve » et « La source blanche : l’étonnante histoire des dialogues avec l’Ange ». Nous avons consacré plusieurs billets à son ouvrage sur l’évolution humaine sorti en 2011 : « Du pithécanthrope au karatéka. La longue marche de l'évolution humaine ». Son dernier livre « Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner » est paru en avril 2012.


Andrew Cohen. Enseignant spirituel et visionnaire, Andrew Cohen est le fondateur d’EnlightenNext, organisation internationale à but non lucratif, et du magazine du même nom. EnlightenNext France est à l'origine de ce premier forum sur l'évolution de la conscience. Depuis plus de vingt-cinq ans, Andrew Cohen voyage à travers le monde, donnant des conférences publiques et des retraites. Par ses écrits, ses enseignements et ses dialogues avec des philosophes, des scientifiques, et des mystiques, il est reconnu comme l’une des voix qui définissent la nouvelle spiritualité évolutionnaire. Son dernier livre « Evolutionary Enlightenment: A New Path to Spiritual Awakening»  (L’Eveil Evolutionnaire : une nouvelle voie vers l’éveil spirituel) a été publié à l’automne 2011 aux Etats-Unis et sortira en français en octobre 2012.

A voir ici la vidéo où Andrew Cohen et Patrice Van Eersel présentent les intervenants du Forum.


Edgar Morin. Il est l'un des penseurs français les plus connus dans le monde. Il se consacre depuis 20 ans à la recherche d’une « méthode » apte à relever le défi de la complexité qui s’impose désormais, non seulement à la connaissance scientifique, mais aussi aux problèmes humains, sociaux et politiques. Il a créé et préside l’Association pour la Pensée Complexe (APC). Il a écrit plus d’une soixantaine de livres, dont son œuvre majeure en six volumes « La Méthode » de 1981 à 1996.


Steve McIntosh. Auteur de « La conscience intégrale et l’avenir de l’évolution », Steve McIntosh est l’un des leaders américains du mouvement de la philosophie intégrale. « Evolution’s Purpose: An Integral Interpretation of the Scientific Story of Our Origins » (Le but de l’évolution : une interprétation intégrale de l’histoire scientifique depuis nos origines) » sera publié par Select Books, en 2012. Diplômé de la faculté en droit et en économie, McIntosh est membre avec Andrew Cohen, Ervin Laszlo, Elza Maalouf et Carter Phipps du groupe de réflexion des « Evolutionnary Leaders (Les leaders évolutionnaires) » dirigé par Deepak Chopra.



Elizabeth Debold. Rédactrice en chef du magazine EnlightenNext, chercheuse américaine dans le domaine du genre et critique culturelle. Son best-seller « Mother Daughter Revolution: From Good Girls to Great Women » (La Révolution Mère Fille : De la gentille fille à la femme d’exception), a été salué par Gloria Steinem et Carol Gilligan comme « le livre que les femmes attendaient ». Elle a reçu son doctorat en Psychologie et Développement humain à Harvard, où elle a été l’un des membres fondateurs du projet de Carol Gilligan sur la psychologie de la femme. Professeur à Harvard et à la New School for Social Research, directeur du programme de maîtrise en Evolution consciente au Graduate Institute.


Ervin Laszlo, philosophe hongrois des systèmes, théoricien intégral et pianiste virtuose. Deux fois nominé pour un Prix Nobel, il a écrit plus de 70 livres, traduits en dix-neuf langues. Fondateur de la philosophie des systèmes et de la théorie générale de l’évolution. Fondateur du Club de Budapest, conseiller auprès de la Direction générale de l’UNESCO, membre de l’Académie Internationale des Sciences, de l’Académie mondiale des arts et des sciences et de l’Académie internationale de philosophie. Ses principales œuvres sont « Evolution: The General Theory » (1996), « La science et le réenchantement du cosmos : L’émergence d’une vision intégrale de la réalité » (2006). Son dernier livre « New Consciousness for a New World » (Nouvelle Conscience pour un Nouveau Monde) sera publié en octobre 2012.

Elza Maalouf, avocate libanaise et PDG d’un centre de recherche à but non lucratif « Center for Human Emergence-Middle-East ». Travaillant en étroite collaboration avec le Professeur Don Beck, co-créateur des « Spiral Dynamics », elle utilise ce canevas pour comprendre et résoudre des situations vitales dans le monde islamique arabe et faciliter l’évolution culturelle. Elza Maalouf, s’appuie sur la psychologie des profondeurs, la philosophie et ses recherches sur la conscience, pour aider des organisations à prospérer au Moyen Orient et en Amérique du Nord. Conférencière, formatrice, chercheuse, professeur, elle a été l’unique participante arabe à une délégation internationale, parrainée par Harvard, pour promouvoir les pratiques environnementales et le dialogue interreligieux, entre pays arabes.

Carter Phipps, écrivain américain, directeur de la rédaction du magazine EnlightenNext, se passionne pour l’évolution depuis plus de dix-huit ans. Avec une expertise allant de la métaphysique à la politique, de la science à la technologie, Carter Phipps participe à des conférences et des rassemblements, tels que le Forum des Leaders Evolutionnaires et le Parlement des Religions du Monde. Conférencier, son premier livre, « Evolutionaries: Unlocking the Spiritual and Cultural Potential of Science’s Greatest Idea » (Evolutionnaires : un manifeste pour le domaine émergent de la spiritualité évolutionnaire) a été publié par Harper Perennial au printemps 2012.


Marc Luyckx Ghisi, économiste belge, a été pendant près de dix ans conseiller des présidents Jacques Delors et Jacques Santer à la « Cellule de Prospective » de la Commission européenne à Bruxelles, Vice-Président de la Cotrugli Business School de Zaghreb et Belgrade, présente une vision de la société de la connaissance, post-capitaliste et post-industrielle, dans laquelle l’outil de production principal est l’humain et non plus le capital financier. Il affiche l’espoir que nous allons vers une civilisation soutenable. En 2010 il publie « Surgissement d’un nouveau monde » et « Nouvelle conscience, nouvelle société » en 2011.



Laure Adler. Titulaire d’une maîtrise de philosophie et d’un doctorat d’histoire, Laure Adler devient journaliste à France Culture en 1974. En 1990, elle est chargée de mission à l’Elysée pour la culture, et devient en 1992, directrice des émissions culturelles sur France 2. De 1999 à 2005, elle dirige France Culture et anime aujourd’hui des émissions culturelles sur ARTE et TV5. Elle a collaboré avec les éditions Payot, Denoël, Plon, Grasset. Membre du think tank En Temps Réel, et du conseil de surveillance du quotidien Le Monde, elle est l’auteur de plusieurs biographies de femmes dont Marguerite Duras, Hannah Arendt, Simone Weil et Françoise Giroud.

Informations

Vous trouverez ici toutes les informations pratiques concernant les inscriptions et l’organisation du premier Forum international sur l’évolution de la conscience.

dimanche 2 septembre 2012

La Belle Verte et le Mème Vert


Vous qui ne voyez pas, pensez à ceux qui voient. Les Surréalistes


Sorti en 1996, onze ans après le succès phénoménal de Trois hommes et un couffin, La Belle Verte est un film de Coline Serreau proposé en intégralité et en diverses langues sur You Tube. Une occasion de voir ou de revoir ce conte philosophique considéré par certains comme un film culte.

Sur le mode de la fable et de la farce, La Belle Verte dénonce les impasses de notre modernité technocratique et annonce l’émergence de valeurs post-matérialistes auxquelles s’identifient les générations nouvelles: le lien à la nature, l’empathie, le développement des facultés créatrices et spirituelles, la décroissance, l’intelligence collective, le féminisme, l'esprit communautaire, l'éthique etc...

Pour les théoriciens de l'évolution culturelle qui utilisent le modèle de la Spirale Dynamique, l'émergence de ces valeurs correspond à celle du Mème Vert : une "vision du monde" relativiste et pluraliste qui fait suite au Mème Orange - la "vision du monde"rationnelle et indivualiste de la modernité - et qui précède le Mème Jaune, vecteur d'une vision intégrale correspondant à un nouveau stade de l'évolution.

Dans notre série de billets sur les poètes du Grand Jeu, nous avions montré que, dès les années trente, ces visionnaires avaient anticipé « l’émergence d’un nouveau stade de l’esprit humain ». Aujourd’hui, à un autre niveau, certains cinéastes se font les vigies de la conscience collective en exprimant à travers leurs films, de manière plus ou moins codée, la dynamique de l’évolution culturelle qui anime nos sociétés et la mutation des mentalités qui transforment nos valeurs, nos perceptions et nos représentations à travers une nouvelle "vision du monde".


Avatar : le Chaman et le Savant

Dans Avatar, sorti en Décembre 2009, James Cameron mettait en scène et en images l’affrontement entre ces deux « visions du monde » que sont les cultures traditionnelles d’une part et de l’autre la modernité technocratique. Fondées sur la relation sensible de l’être humain avec la nature, la communauté et le monde des esprits, les cultures traditionnelles étaient symbolisées par  les Na’vis, habitants de la planète Pandora et réminiscence des amérindiens. 

Fondée sur l’individualisme et l’utilitarisme, l’abstraction conceptuelle et le pouvoir de la techno-science, la modernité technocratique était représentée par des terriens qui envahissaient le territoire sacré des Na’vis pour s’emparer d’un minerai rarissime destiné à résoudre la crise énergétique sur Terre. Cette invasion symbolisait l’impérialisme économique, technologique et intellectuel d’une culture de domination abstraite engendrée par l’usage hégémonique de la rationalité instrumentale et le déni des ressources cognitives liées à l’intuition et à la sensibilité.

En analysant la dramaturgie d'Avatar, nous avions consacré deux billets à rendre compte des rapports à la fois conflictuels et complémentaires entre tradition et modernité à travers ces deux figures emblématiques que sont Le Chaman et le Savant qui renvoient à deux modes de connaissances qu’il n’y pas lieu d’opposer malgré leur profonde différence. Nous écrivions alors : «  Le temps est venu de conjuguer deux types de profondeur, celles de la sensibilité et de l’intelligence, en réconciliant l’implication subjective de l’intuition et l’explication objective de la raison. Tel est le sens caché du film Avatar et sans doute la raison de son phénoménal succès, le plus important de toute l'histoire du cinéma. A travers sa dramaturgie, Cameron a su mettre en scène et en spectacle la dynamique d'intégration entre raison et intuition qui s'avère fondamentale pour l'évolution humaine ».

Aliénation et arriération


Les habitants de la Planète Verte
La Belle Verte est aussi fondé sur les rapports conflictuels entre modernité technocratique et sagesse traditionnelle. Si le thème est semblable à celui d'Avatar, il est traité de manière très différente. Les rôles y sont inversés : ce ne sont pas des terriens qui viennent envahir par la violence guerrière et la puissance technologique un territoire extra-terrestre mais des extra-terrestres qui, vu le niveau d’évolution très primitif des terriens, viennent sur Terre pour tenter de les aider. Ces extra-terrestres, à la physionomie très humaine, vivent heureux en petites communautés sur une planète lointaine - La Planète Verte – en parfaite harmonie avec la nature et en connexion télépathique les uns avec les autres.

Voici le résumé que Wikipédia fait du film : «  Lors d’une réunion du conseil planétaire, les habitants font le constat que cela fait 200 ans au moins qu’aucun volontaire ne s’est désigné pour visiter la Terre, au contraire d’autres planètes, qui déchaînent un enthousiasme très largement supérieur. Cherchant à en connaître les raisons, et profitant de l’expérience d’Osam, le dernier à s’y être aventuré, à l’époque napoléonienne, ils font le constat que la Terre abrite encore probablement une civilisation arriérée caractérisée par les inégalités sociales, le racisme, la monnaie, etc., une situation que l’avènement de la révolution industrielle n’a pu que faire empirer.

On y apprend ainsi que sur la planète verte il y a eu également une époque industrielle avec des biens de consommation, mais cette époque est désormais tellement révolue qu’elle ne s’étudie qu’en cours d’archéologie. Les habitants sont d’avis qu’en déconnectant certains Terriens ils pourront aider cette civilisation à progresser plus rapidement.

Attirée par la curiosité, et sachant que sa mère venait de la terre, Mila décide de la visiter pour peut-être y trouver ses origines. On lui avait en effet toujours caché qu’elle est le fruit des amours secrètes de son père avec une Terrienne et qu’elle avait été ramenée clandestinement sur la planète verte. Équipée d’un programme de déconnexion qu’elle peut activer d’un seul geste de la tête et qui pousse la personne visée à évoluer et à dire la vérité, elle est envoyée sur Terre, en plein Paris ».

A travers une série de situations humoristiques, Mila découvre l’aliénation de la vie moderne sur Terre dont la conséquence est la profonde arriération des humains, coupés de leur sensibilité et du mouvement de la vie par l’obsession de la réussite personnelle, l’emprise inhumaine de la technique, la quête effrénée du profit et une intellectualité totalement abstraite.

Un conte philosophique

La réalisatrice de La Belle Verte ne prétend pas au réalisme. Elle le récuse même dans la mesure où ce conte philosophique appartient au domaine de la fable et de la farce. Cette fable mobilise une innocence enfantine qui ne s’identifie pas aux formes mais joue avec elles comme autant de symboles et de prétextes servant à illustrer son propos. Les situations et les personnages apparaissent clairement comme des métaphores chargées d’illustrer et de transposer les tensions intérieures propres à notre condition contemporaine. Mais cette fable est aussi une farce dans la mesure où les obsessions de notre modernité technocratiques sont tournées en ridicule pour mieux les déconstruire en montrant leur absurdité.


Sur ce site incontournable qu'est Philosophie et Spiritualité, Serge Carfantan propose ici une interprétation de La Belle Verte dont voici un extrait : «  Mila (Colline Serreau) incarne la distance philosophique devant le monde actuel, la distance d’un esprit lucide, non-contaminé par les préjugés d’un temps et qui verrait directement ce monde tel qu’il est. Le jeu du film consiste à tourner en dérision une culture qui se croit très évoluée en montrant qu’elle est sous-évoluée, primitive, barbare même. Mieux : les " primitifs " qui vivent en Australie sont présentés comme beaucoup plus évolués : mieux insérés dans la nature, plus avancés spirituellement.

Le renversement est complet et il produit un effet, nous sommes invités à nous retirer intérieurement et à regarder notre monde comme un curieux spectacle que nous suivrions d’une distance désimpliquée. Cela autorise toutes les remises en questions des prétendues évidences culturelles. " Vous en êtes encore à manger de la viande ? " " Vous ne vous êtes pas encore débarrassés de vos machines ?".

Le comble, c’est que lorsqu’elle intervient, c’est pour " déconnecter ". L’idée pourrait être prise au sens sortir quelqu’un de la réalité, comme s’il s’agissait de donner une euphorisant. Or en fait, " déconnecter ", ici c’est débrancher un individu d’un système qui le vampirise, le nourrit et l’empoisonne en même temps. Ce n’est pas couper du réel pour plonger dans une illusion, c’est libérer de l’illusion d’une vie fausse et artificielle et reconnecter au réel en sortant de l'hallucination ordinaire. Ce n’est pas plonger dans un rêve, mais sortir du cauchemar de la vie ordinaire ; vivre vraiment avec une lucidité plus fine, une sensibilité plus vive, un amour plus vrai et sincère...

Être débranché, revient à retrouver sa nature autant que sa liberté. Revenir à la Vie dans son essence pathétique, affective, à la vie comme vécu de la conscience et non comme fonctionnement technique ou comme rôle social. Le médecin déconnecté cesse d'être avant tout un "chef", un "technicien", redevient humain et il redécouvre la Vie, le miracle de la naissance qu'il n'a jamais connu que dans un fonctionnement de technicien "je coupe, je péridurale... mais la vie, je ne sais pas ce que c'est que la donner"... »

Film culte ou navet naïf ?

Un film qui suscite la controverse...
On comprend aisément qu’un tel film, dans sa thématique comme dans sa forme, puisse susciter passions et controverses. A sa sortie La Belle Verte fut accueillie à la fois par la froideur de la critique et par la ferveur enthousiaste d’une partie des spectateurs qui adhéraient totalement au propos (subversif) du film comme à sa forme humoristique et décalée. Il n’est qu’à lire les réactions sur Amazon ou AlloCiné pour voir que la controverse continue.

Côté positif : « Mon film culte » « Ce film est pour moi un chef-d'oeuvre du cinéma français » « Une oeuvre impérissable » « Film cultissime » « Je mettrais sept étoiles sur cinq. » « Un film qui devrait être o-bli-ga-toi-re dans les écoles primaires » « Ce film s'inscrit parmi les classiques français » « Je vous envie ! Vous allez le découvrir pour la première fois :) » « Un pur moment de bonheur » « A voir et à revoir ! » « Excellent, beau, émouvant, drôle... vu de nombreuses fois, ce film fait partie des films cultes chez moi. » « Sublime, extraordinaire, exceptionnel et tellement vrai » « J'ai vu ce film six fois et jubile toujours en le visionnant ».

Côté négatif : « Un condensé de cliches relous » « Navrant » « La nullité absolue de cette pitoyable daube...» « affligeant de naïveté » « A ne pas voir... même sous la torture. » « Fable pseudo-humaniste, simpliste, manichéenne et démagogique. » « Un navet ! La seule fois de ma vie où je me suis endormie au cinéma » « Ce film atteint un degré de débilité jamais égalé » « Le film de propagande de la race supérieure des hippies attardés » « On a l'impression d'assister à un cours magistral de savoir vivre dispensé par un baba cool sous acide » « Je n'ai pu regarder ce navet que pendant 15min, puis une sensation de nausée tellement persistante m'a envahi tout d'un coup ».

Culte ou navet ? A chacun de se faire son avis en voyant ou en revoyant La Belle Verte. Toujours est-il que, pour susciter des avis aussi passionnés et passionnels, contradictoires et tranchés, Coline Serreau a du toucher un point sensible de l’imaginaire collectif qui remet en question aussi bien notre mode de vie et de pensée que notre modèle de société. Rappelons nous cette phrase de Jean Cocteau : "Les critiques jugent les oeuvres mais ils ne savent pas qu'ils sont jugés par elles". La façon dont nous réagissons à telle ou telle création dépend aussi du stade évolutif qui est le nôtre.

Marie sur Amazon évoque les enjeux socio-culturels qui sous-tendent La Belle Verte : «Contemporain de l'origine des idées de décroissance vers laquelle nous sommes obligés d'évoluer, ce film était révolutionnaire à l'époque. Le message fort du film, ce en quoi il est culte, et qui modifiait profondément la vision de notre société : les sociétés évoluées ne sont plus celles des ordinateurs et des ascenseurs mais celles qui vivent en accord total avec leur écosystème, donc nos anciens "sauvages", préhistoriques, sociétés dites primales, comme les aborigènes australiens ».

Technologie et Spiritualité


Ce n’est pas un hasard si La Belle Verte comme Avatar font référence aux sagesses traditionnelles, le premier à travers les aborigènes et le second à travers les amérindiens. Ces films sont porteurs d’un même message résumé ainsi par Serge Carfantan : « Ce qui est dit dans le film, c’est que l’évolution, (que nous n'interprétons qu'en terme technique),  c’est l’évolution spirituelle, l’utilisation à 100% des ressources du cerveau dans une conscience plus élevée avec ses pouvoirs (cf. télépathie, pouvoirs psychiques) et non pas l’évolution matérielle de la technique. " Sur terre, ils sont sous-développés, ils n’utilisent même pas 5% de leur cerveau !..."

Ce qui est très provoquant, c'est l'idée que si nous développions nos capacités psychiques - la télépathie - notre technologie deviendrait inutile. C'est le contre-pied exact de la façon de penser d'aujourd'hui ! Les prothèses technologiques sont une exhibition de notre incapacité psychique! Plus nous développons ces prothèses, plus nous sommes naturellement atrophiés! ».

Ce discours, tenu en son temps par Sri Aurobindo, le pionnier du yoga intégral, est profondément subversif pour une civilisation moderne fondée sur l’idolâtrie de la technique. Quoi ? Nos idoles modernes seraient de faux dieux ! Une telle remise en question des valeurs et du paradigme dominants ne peut susciter que le rejet – donc la violence – ou emporter l’adhésion enthousiaste que suscitent les œuvres inspirées.

L’évolution culturelle

S’il existe dans les années futures un diplôme d’évolution culturelle, Avatar comme La Belle Verte pourraient être étudiés comme les figures emblématiques d’une montée des valeurs post-matérialistes au tournant des années 2.000. Dans Le Journal Intégral, nous avons souvent évoqué le modèle de la Spirale Dynamique inventé par Clare Graves qui permet de mieux comprendre les diverses « visions du monde » à travers lesquelles la dynamique de l'évolution culturelle se manifeste au cours du temps (voir notamment icilà ou ).


Le modèle de la Spirale Dynamique permet d’interpréter La Belle Verte comme l’expression d’une tension évolutive entre le Mème Orange - celui d’une modernité triomphante, portée par les valeurs de l’individualisme, de la compétition économique et de la rationalitéet le Mème Vertcelui d’une post-modernité relativiste et pluraliste qui affirme les valeurs post-matérialistes de l’empathie, de la communauté et de la sensibilité.

Il existe dans le Mème Vert une tentation nostalgique de retour au passé souvent mythifié des sociétés traditionnelles qui le rend proche du Mème Violet - celui des tribus primitives - et qui a tendance à dénier la valeur des Mèmes intermédiaires - Rouge, Bleu, et Orange - dont il est pourtant la continuité évolutive. C’est pourquoi le Mème Vert a tendance à ne voir que le pire d’une modernité qu’il rejette au profit du meilleur d’une tradition qu’il idéalise. En ce sens la nostalgie pastorale qui inspire La Belle Verte est emblématique du Mème de la même couleur.

Un nouveau stade de l’esprit humain

A l’inverse, le Mème Jaune – celui qui suit le Mème Vert dans la spirale évolutive – n’est pas animée par cette nostalgie de l'archaïque. Inspiré par une dynamique d’intégration, le Mème Jaune prend en compte tous les stades évolutifs qu’il intègre dans un « second niveau » de la Spirale dynamique, que ce soit les valeurs distinctives de la modernité technocratique ou les valeurs associatives de la post-modernité relativiste.

Le monde du Même Jaune n’est pas celui d’un retour nostalgique au passé des sociétés traditionnelles mais l’intégration des valeurs traditionnelles et modernes au sein d’un nouveau stade évolutif abordé par l’humanité. Dans La Belle Verte, le futur ressemble beaucoup à un passé idéalisé alors que dans Avatar, le terrien subit initiation à travers laquelle il meurt symboliquement pour naître à un nouvel stade évolutif où il synthétise les valeurs de la modernité et celles de la tradition. 


Dans un entretien donné sur la politique intégrale, Ken Wilber parle ainsi de ce nouveau stade évolutif : " L’Europe et l’Amérique du Nord ont évolué de la même façon: en 1959 il y avait 2% de « verts » (postmoderne), en 1979 il y en avait déjà 20%, et entre temps s’est produite toute la révolution des années soixante, la montée verte, qui était marquée par des valeurs vertes ou postmodernes telles que le féminisme, la protection de l’environnement, l’accroissement de la sensibilité.

Toute la culture a été entraînée à accepter ces valeurs, à s’arranger de ces valeurs, même si seulement 10 à 20 % de la population se trouvaient à ce niveau de développement. Nous pouvons aussi nous réjouir de ce que le “deuxième niveau“ atteigne bientôt 10%. Quand ce point de basculement intégral se produira, les valeurs intégrales changeront notre culture. Comme ça s’est passé sur les plans rationnel et postmoderne, il y aura une “révolution intégrale“...

Beaucoup de penseurs reconnus et de leaders se mettent à leur façon à devenir de plus en plus intégraux. Par exemple les deux auteurs de scénarii Larry et Andy Wachowski. L’argument de leur trilogie Matrix pourrait être de moi... La bonne nouvelle est que beaucoup de gens pensent comme moi qu’à 10% il y a un point de basculement, qui pourrait être atteint dans la prochaine décennie".

Une intégration de la tradition archaïque et de la modernité technologique
Les cartographies de l'évolution culturelle permettent de voir une  oeuvre artistique comme l'expression manifeste à un moment donné d'une dynamique évolutive qui anime la conscience collective. Les créateurs sont les sismographes inspirés de cet imaginaire collectif dont ils mettent en scène l'évolution et les métamorphoses. Rien d'étonnant donc à ce que La Belle Verte, sorti en 96, ait été un vecteur du Mème Vert comme Avatar, sorti au début 2010, près de quinze ans plus tard, soit un vecteur du Mème Jaune en train d'advenir...

P.S : En écho et en dialogue avec le billet ci-dessus, à lire sur Foudre Evolutive, le blog de Serge Durand, un texte intitulé Avatar ou les limites de l'hypermodernisme.