vendredi 27 juillet 2012

Table des Matières (8) L'Ere des Créateurs



Moebius

Chaque billet du Journal Intégral est la pièce d’un puzzle qui dessine, entre intuitions créatrices et réflexions critiques, la vision intégrale d’un homme réunifié dans un monde réenchanté. Les résumés des articles présentés dans cette Table des Matières permettront aux lecteurs de reconstituer ce puzzle en allant se référer à telle ou telle pièce afin de mieux comprendre et intégrer toutes les autres.

Table des Matières 2010

1Demandez le programme !...
2 –  Une philosophie du Tout
3La Petite Princesse
4Evolutions
5Evolutions (fin)
6Post-Matérialisme
7Penser la nouvelle civilisation


Table des Matières (8) du 17/01/11 au 6/02/2011

La vraie richesse de l'homme : la capacité de se recréer en recréant le monde. Raoul Vaneigeim


Figure emblématique de l’Internationale Situationniste, Raoul Vaneigem, est auteur d’un ouvrage qui a profondément inspiré la révolte étudiante de Mai 68 en France : Le traité de savoir vivre à l’usage des jeunes génération. En 2002, il publie L'ère des Créateurs dont les dernières pages constituent une forme de manifeste exprimant la mutation que nous vivons : un bouleversement des mentalités, des mœurs et de la société qui est porteur de nouvelles valeurs.

«  Etrange lucidité que celle qui autopsie le vieux monde et ignore la naissance d’un monde nouveau. Dans les années 1960, alors que l’efflorescence de l’économie promettait l’état de bien-être pour tous, dénoncer les ravages de la marchandise exposait au sarcasme des sceptiques. Comment voulez-vous objectaient les bons esprits du temps, que des gens accédant au bonheur garanti par la voiture, la télévision, le logement à loyer modéré et les biens de consommation, songent un seul instant à se révolter ?

Aujourd’hui qu’est venu la mode d’anathématiser l’horreur économique, le même aveuglement empêche de prendre conscience d’une mutation en cours sous nos yeux. De nouvelles valeurs s’affirment, elles achèvent de ruiner les anciennes, elles mettent en évidence l’amour de la vie, l’imagination créatrice, le progrès humain, la générosité, la solidarité collective fondée sur la conscience individuelle.»


Le mouvement situationniste transfigure les revendications économiques et politiques qui furent celles du mouvement ouvrier en une contestation globale aux forts accents existentiels et culturels. Ce qui est contesté, ce ne sont pas seulement des états de fait mais un état d’esprit : cette vision bourgeoise du monde qui sacrifie la vie sensible et concrète au monde abstrait de l’économie et de la technique. Cette contestation repose sur l’affirmation d'une qualité subjective face à la toute puissance réductrice et mortifère d'une vision purement comptable et quantitative de l'existence.

La jeunesse de cette époque s’insurge contre l’hégémonie d’une pensée technocratique et utilitariste qui ne laisse aucune place au mouvement créateur de la vie et de la subjectivité. Cette culture de domination est à l’origine d’un homme émietté auquel s’oppose l’homme total qui affirme dans la révolte une subjectivité vivante et créatrice : « Les hommes de pensée ne manquent pas d’humour : ils déconnectent les éléments du circuit puis annoncent que le courant ne passera pas. Ils peuvent alors affirmer, sans filet, que la réalisation totale est un leurre, la transparence une chimère, l’harmonie sociale une lubie. Où la séparation règne, chacun est vraiment tenu à l’impossible. La manie cartésienne de morceler et de progresser par degrés garantit toujours l’inaccompli et le boiteux. Les armées de l’Ordre ne recrutent que des mutilés."

La pensée des situationnistes comme celle de l’Ecole de Francfort, symbolisée à la même époque par Herbert Marcuse, s’inscrit dans cette dialectique entre l'aliénation qui fonde l’homme unidimensionnel - produit de la société industrielle avancée - et la libération de l’homme multidimensionnel, fruit d’une civilisation à inventer collectivement. Pour celui qui perçoit, au delà des apparences, les métamorphoses de l'évolution culturelle, il existe une profonde continuité généalogique entre la contre culture américaine des années 60/70, le mouvement de Mai 68, la quête d'un nouveau paradigme dans les années 80, l'émergence des "Créatifs Culturels" dans les années 2000 et celle d'une culture intégrale dans les années 2010.


Raoul Vaneigeim
A sa façon – athée et libertaire –  Raoul Vaneigeim est un prophète qui a su écrire avec talent et décrire avec précision, avant bien d’autres, les mécanismes pervers de l’aliénation propre à la société du spectacle et l’urgente nécessite de redonner au mouvement créateur de la vie une place centrale dans notre expérience du monde et notre organisation sociale.

« Nous sommes dans le monde et en nous-mêmes au croisement de deux civilisations. L’une achève de se ruiner en stérilisant l’univers sous son ombre glacée, l’autre découvre aux premières lueurs d’une vie qui renaît l’homme nouveau, sensible, vivant et créateur, frêle rameau d’une évolution où l’homme économique n’est plus désormais qu’une branche morte.

Jamais le désespoir d’avoir à survivre au lieu de vivre n’a atteint dans le temps et dans l’espace existentiel et planétaire une tension extrême. Jamais n’a été pressentie aussi universellement l’exigence de privilégier le vivant sur le totalitarisme de l’argent et de la bureaucratie financière. Jamais enfin tant de populations et d’êtres particuliers n’ont été la proie d’un désarroi où s’entremêlent la plus apeurée des servitudes volontaires et la tranquille résolution de briser sous le déferlement de la jouissance et de la vie les impératifs marchands qui emmuraillent l’horizon ».


L’ère des créateurs, celle de l’homme réconcilié avec la vie qui l’anime et de la vie réconciliée avec l’esprit qui l’inspire, est l’ère d’une éducation intégrale dont la priorité est le développement d’une intelligence sensible qui donne « la capacité de se recréer en recréant le monde ». L’éducation est le marqueur d’une civilisation. Elle témoigne de la vision que nous nous faisons de l'être humain. Dans une société de l’information, en évolution permanente et en complexité croissante, il est d’une extrême urgence de repenser complètement l’éducation afin que le développement de l’intelligence sensible donne enfin « la priorité au vivant sur l'économie de survie ».

Dans son Avertissement aux écoliers et lycéens diffusé à plus de quatre-vingt mille exemplaires dès sa parution en 1995, Raoul Vaneigem dresse le constat cruel et crucial de l’inadéquation profonde de notre institution scolaire au nouvel esprit du temps : « Le monde a changé davantage en trente ans qu'en trois mille... Pourtant, l'intelligence demeure fossilisée, comme impuissante à percevoir la mutation qui s'opère sous nos yeux..." La rationalité abstraite est incapable d'appréhender le mouvement créateur et évolutif de la vie parce qu'elle est prisonnière de "cette abstraction, dont l'étymologie - abstrahere, tirer hors de - dit assez l'exil de soi, la séparation d'avec la vie."

D’où la nécessite absolue d’"Accorder chez l’enfant une priorité absolue à l’intelligence sensible, à une approche où le vivant se dévoile comme mouvement de création... Je ne suppose pas d'autre projet éducatif que celui de se créer dans l'amour et la connaissance du vivant... Nous ne voulons plus d'une école où l'on apprend à survivre en désapprenant à vivre."



Dans L’ère des créateurs, Raoul Vaneigem écrit : « La poésie sera la science du futur ». Sous l'air d'un paradoxe, cette remarque est fondamentale. La sensibilité poétique perçoit les rapports sensibles entre le monde de l’intériorité et celui des formes objectives dans lequel il se pro-jette. Elle révèle la continuité harmonique et symbolique entre la conscience du sujet et son ob-jet d’attention. Le mot « poésie » vient du grec ποιεῖν (poiein) qui signifie créer, faire. L’inspiration du poète, archétype du créateur, dévoile les médiations formelles entre la vie subjective et son milieu d’évolution.

La poésie remet le monde objectif à sa place véritable qui est un monde d’apparence, c'est-à-dire qui apparaît à la subjectivité d’une conscience vivante et sensible, elle-même reliée au réseau intersubjectif d’une communauté humaine et d’un ordre symbolique qui fonde cette intersubjectivité. Le règne hégémonique de l’objectivité advient quand la pensée instrumentale cherche à épurer abstraitement le monde des apparences en évacuant la sensibilité qui le fait advenir. Ce processus d'occultation de la vie et de la sensibilité est à l'origine de ce que le philosophe Michel Henry nomme, dans un livre magnifique : La Barbarie.

A l’origine de la science d’aujourd’hui, la raison instrumentale crée des distinctions logiques et des rapports numériques nécessaires à une modélisation intellectuelle qui objective le monde des apparences. Science du futur comme elle est la clé d’une gnose immémoriale, l’intuition poétique permet de retrouver, par delà ces distinctions mentales, le réseau analogique et les médiations symboliques qui unissent la force à la fois vitale, créatrice et spirituelle de la subjectivité aux formes apparentes dans lesquelles elle se pro-jette et s'objective pour intégrer les éléments de son milieu évolutif.


Il faut avoir l’esprit bien étroit pour réduire le profond malaise actuel qui sape les fondations de l’institution scolaire aux simples enjeux d’une politique budgétaire, à ceux de la formation des professeurs ou bien au choix de programmes et des horaires de cours. Ce malaise naît en fait de la profonde inadéquation entre la dynamique de l’évolution - culturelle et épistémologique - et des formes pédagogiques et institutionnelles fossilisées, dores et déjà complètement dépassées. A quoi correspond cette évolution épistémologique et quelles sont les formes pédagogiques et institutionnelles à travers lesquelles elles pourraient s’exprimer ? Tel est l’objet de ce billet. Interdépendante des évolutions culturelles et anthropologiques, l’évolution épistémologique s'effectue aujourd'hui en trois phases :

- Premièrement, le dépassement du paradigme abstrait de la modernité, devenu saturé, qui montre ses limites à travers la multiplicité des crises qu'il génère. Du sens de la mesure, la raison instrumentale n’a gardé que la mesure formelle à quoi elle réduit tout, perdant ainsi le sens d'une intuition organique qui équilibrait le processus d’abstraction par une vision globale et dynamique..

- Deuxièmement, la prise en compte d’une épistémologie relationnelle qui fut au cœur de la pensée traditionnelle et qui redonne du sens à une pensée moderne tombée dans la démesure. Cette épistémologie relationnelle possède sa logique organique - associative, holiste et contextuelle - sa méthodologie – intuitive et sensible, participative et hérméneutique – et ses médiations formelles : l'image, le rituel et l’œuvre d’art, l'analogie et le symbole.

- Troisièmement, l’intégration du paradigme rationnel de la modernité et celui du paradigme relationnel de la tradition pour accéder à ce nouveau stade de l’évolution épistémologique qui est celui d’une épistémologie intégrale. Cette dernière, à la fois abstraite et concrète, rationnelle et relationnelle, associe les ressources de l’intuition globale –  l’esprit de finesse – et celles de la raison distinctive – l’esprit de géométrie – reliées, chacune, aux spécificités cognitives des deux hémisphères cérébraux.



Les habitants de la région parisienne – et les autres – qui cherchent à entrer en contact et à rencontrer des personnes intéressées par la Vision Intégrale et l’œuvre de Ken Wilber, peuvent le faire dans le cadre du Paris Integral /Ken Wilber Meetup Group. Fondé en 2003 à Paris, ce groupe a pour but de favoriser les débats, réflexions, activités et expériences autour de l’approche intégrale et de ses applications dans le domaine de la psychologie et de l’entreprise, de l’art et de la science, de la politique, de la médecine et de l’éducation.

Le Paris Integral Vision / Ken Wilber Meetup permet d’échanger informations et expériences sur la façon dont chacun vit, dans son contexte social et culturel, ce processus personnel d’intégration du corps, de la psyché, du mental de l’esprit qui est au cœur de la vision intégrale. On peut y mener des discussions passionnantes sur les applications, les techniques et les développements les plus novateurs de l’approche intégrale.

Un des participants résume bien l’esprit du groupe : « La pensée de Ken Wilber est si peu connue en France, alors qu'elle fait un malheur aux Etats-Unis, en Allemagne et en Angleterre. Rattrapons notre retard et profitons de cette mise en perspective des changements dans le monde, nos sociétés et nous-mêmes. Cela provoque immanquablement de nouveaux questionnements et de nouvelles pratiques de vie. »

On sait effectivement qu’il existe une forme d'"exception française" dans la réception des œuvres de Ken Wilber et de la vision intégrale. Cette démarche intégrative va à l'encontre du rationalisme abstrait propre à la culture hexagonale. Une culture riche d’une tradition analytique ayant produit de belles œuvres mais qui a pour conséquence une extrême fragmentation disciplinaire et la "parcellisation du savoir en petits fiefs de pouvoir". Dans ce billet nous analysons certains aspects de cette exception culturelle qui explique le retard avec lequel la culture intégrale, en général, et l’œuvre de Wilber, en particulier sont accueillies et traduites en France par rapport à d'autres pays, notamment anglo-saxons.

samedi 21 juillet 2012

Table des Matières (7) Penser la nouvelle civilisation



Chaque billet du Journal Intégral est la pièce d’un puzzle qui dessine, entre intuitions créatrices et réflexions critiques, la vision intégrale d’un homme réunifié dans un monde réenchanté. Les résumés des articles présentés dans cette Table des Matières permettront aux lecteurs de reconstituer ce puzzle en allant se référer à telle ou telle pièce afin de mieux comprendre et intégrer toutes les autres.

Table des Matières 2010

1Demandez le programme !...
2 –  Une philosophie du Tout
3La Petite Princesse
4Evolutions
5 Evolutions (fin)
6Post-Matérialisme


Table des Matières (7) du 5 décembre 2010 au 14/01/2011

Les problèmes du monde ne peuvent être résolus par des sceptiques ou des cyniques dont les horizons se limitent aux réalités évidentes. Nous avons besoin d'hommes capables d'imaginer ce qui n'a jamais existé. John F. Kennedy


Métaphorm est un organisme de formation qui œuvre au développement du potentiel humain, personnel et professionnel, dans le cadre de l'Approche Intégrale. Dans ce texte, les fondateurs de Métaphorm évoquent la façon dont l'Approche Intégrale peut s'appliquer dans les divers secteurs de la connaissance et de l'action.

« Cette démarche globale, inclusive, systémique et holistique donne un relief différent à chaque discipline et un autre regard sur la vie. Chaque champ de connaissance qui recourt à cette approche est ainsi en mesure de se réorganiser de façon plus complète, efficace et efficiente. L'Approche Intégrale apporte un nouveau regard à ces disciplines et met en lumière les abords qui ne présentent pas ce caractère intégral ou qui sont moins complets et peut ainsi servir de guide pour réorganiser ces disciplines.

Elle permet également d'élargir la perspective dans laquelle un individu ou une entreprise évolue, en prenant simultanément en compte leurs dimensions intérieures, extérieures, individuelles et collectives, pour mieux « transcender et inclure » les antagonismes et la complexité du monde. En d'autres termes, pour que vous ayez une vision complète d'un marché ou d'une situation et puissiez prendre les meilleures décisions possibles en toute connaissance de cause, vous devez prendre en compte une perspective globale incluant les quatre dimensions de la réalité : intérieur, extérieur, individuel, collectif. »


Ervin Laszlo
Fondé en 1993 par le philosophe des sciences hongrois Ervin Laszlo, le Club de Budapest vise à la transformation vers un monde durable en travaillant à l’émergence d’une conscience planétaire, à l’intégration de la spiritualité, des sciences et des arts ainsi qu’à l’interconnexion des générations et des cultures. Ce qui fait l'originalité de cette organisation c'est sa démarche systémique et intégrale qui opère la connexion entre l'évolution de la conscience, des modèles et des stratégies à mettre en oeuvre pour le vingt et unième siècle.

Rédigée par Ervin Laszlo et David Woolfson en réaction à la situation  préoccupante de la planète, la déclaration du Club de Budapest intitulée « L’Etat d’Urgence mondial » est un véritable appel aux dirigeants pour un changement de civilisation fondée sur une profonde transformation culturelle. On peut y lire notamment ceci :

«Le mode de pensée dominant actuel ne peut être maintenu plus longtemps... Toute crise porte en elle une opportunité de changement et de transformation. Les idées et modèles nécessaires aux nouveaux systèmes existent déjà... des millions d'individus et de groupes d’avant-garde ont depuis des années mentionné ces menaces et défis. Cet « éveil” est un signal positif de la vitalité de l'esprit humain et de sa capacité à répondre avec souplesse et créativité aux dangers qui menacent l'humanité... Un mode de pensée et des outils différents peuvent accélérer l'émergence d'un monde nouveau pour échapper aux scénarii les plus pessimistes. Mais il faut agir maintenant. Le temps est compté et la tâche est sans précédent. »


Michel Saloff Coste
Michel Saloff Coste est notamment l’auteur de «  Le Management du troisième millénaire », un des livres de prospective, stratégie et management de référence en France. Sa réflexion l’a conduit à proposer une théorie générale des systèmes de représentation fondée sur une analyse de l’évolution humaine en quatre grands types de civilisation : la Chasse Cueillette, l'Agriculture Elevage, l'Industrie Commerce et la Création Communication. La mutation contemporaine n’est pas, selon lui, assimilable à un nouvel avatar de la révolution industrielle mais doit être comprise comme un véritable changement de civilisation : le passage de "l'ère de l'industrie et du commerce" à "l'ère de la création et de la communication".

C’est en 1995 que Michel Saloff Coste prend l'initiative de la fondation du Club de Budapest en France et en 2007, sous l’égide du Club de Budapest France, qu’il crée l’Université Intégrale. Dans un entretien intitulé « Au-delà de la crise, penser la nouvelle civilisation », Michel Saloff Coste s’inquiète des mesures de court terme adoptées pour tenter de résoudre l'une des plus graves crises économiques de notre temps. Il s'alarme aussi du décalage croissant entre l'évolution générale de la société et les modes de gouvernance et de management des entreprises. Pour lui, la crise est un symptôme d'un phénomène bien plus profond, l'émergence d'une « nouvelle civilisation » dont il décrit certaines des caractéristiques.


Ce billet correspond à la seconde partie d’un entretien avec Michel Saloff-Coste intitulé « Au-delà de la crise, penser la nouvelle civilisation» : « Rappelons-nous qu'une crise, ce sont à la fois des risques et des opportunités. Or la France a de grandes opportunités devant elles. La plupart des penseurs qui ont évoqué cette nouvelle civilisation de l'immatériel – qu'il s'agisse d'Edgar Morin, de Thierry Gaudin, de Joël de Rosnay - sont Français. Lors du passage de la civilisation de l'agriculture-élevage au commerce et à l'industrie, la France a déjà su inventer des concepts clés, comme la séparation des pouvoirs, la démocratie moderne ; le Code Napoléon a aussi été repris dans le monde entier.

Nous vivons une période historique où la France pourrait prendre la tête d'un mouvement. On évalue entre 20 et 30% de la population totale le nombre de « créatifs culturels » sensibles aux enjeux écologiques et planétaires, au droit et à l'émancipation des minorités, intéressés par les cultures dans leur diversité. Ce sont des individus qui font du développement personnel pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd'hui. Ils sont dans des logiques proactives. C'est le parti des gens enthousiasmés par exemple par l'élection, aux Etats-Unis, de Barack Obama, qui ne sont ni de droite, ni de gauche, mais qui réfléchissent en terme de transformation de la société. Or il est capital aujourd'hui de mener ce travail collectif, car une nouvelle civilisation ne sort jamais de la tête de quelques-uns. Elle ne peut résulter que d'un grand débat mondial. Et tout nous invite aujourd'hui à devenir les créateurs de cette nouvelle civilisation ! »


La création en Février 2008 de l’Université Intégrale par le Club de Budapest France met en lumière dans l’espace francophone l’émergence planétaire d’une nouvelle approche épistémologique qualifiée d’intégrale : «  L’approche intégrale entend à la fois répondre aux grands défis qui se présentent à l’humanité, et annoncer l’émergence d’une nouvelle pensée au niveau planétaire, ouverte aux différences culturelles et au dialogue entre les civilisations.

Ervin Laszlo, le fondateur au niveau international du Club de Budapest, est reconnu comme un des initiateurs de l’évolution de la théorie des systèmes, la systémique, vers une approche plus intégrale. En créant l’Université Intégrale à Paris, notre souhait était premièrement de faire mieux connaître l’approche intégrale en France où elle était restée encore relativement méconnue et deuxièmement de mettre en perspective les travaux d’Ervin Laszlo en les replaçant dans le contexte plus large des autres chercheurs de ce domaine.»

La création de l'Université Intégrale en France apparaît comme le symbole d’une profonde régénération culturelle et d’une résistance spirituelle à la doxa dominante, à la fois réductionniste et matérialiste. En résonance avec diverses initiatives dans d’autres pays, la création d’une Université Intégrale dans la nation du cartésianisme est révélatrice d’un contexte culturel en pleine évolution. Elle exprime l’émergence de nouvelles formes de connaissance, adaptées à une société de l’information en mutation constante et en complexité croissante,  qui sont la manifestation d'une dynamique évoltuive animant la conscience collective en ce début de millénaire.



Ce billet présente les divers thèmes traités durant les journées d’études qui se sont déroulées depuis la création de l’Université Intégrale, avec les liens qui permettent de se connecter aux vidéos correspondantes pour tous ceux qui aimeraient suivre ces activités sans toujours avoir le temps ou la possibilité de se déplacer. Car l’Université Intégrale, c’est aussi une banque de données vidéos destinée à tous ceux qui désirent visionner sur la toile nombre de conférences qui ont eu lieu depuis le début de ses activités. Ce bilan rétrospectif permet de mesurer l’ampleur des sujets explorés ainsi que le caractère novateur des thématiques abordés.

28/02/08 – Qu’est-ce que l’approche intégrale ?
16/10/08 – Comment intégrer la pensée intégrale ?
13/01/09 – Comment repenser notre façon de penser ?
10/03/09 – Comment répondre de manière positive, durable et intégrale à la crise systémique contemporaine ?
23/06/09 – Société durables et écologie intégrale : comment passer de la vision à l’action ?
24/10/09 – Civilisations du futur et futur des civilisations
23/01/10 –  Ecovie, Ecoville, Ecovillage
20/04/10 – Asie et Occident : vers une culture intégrale ?
16/06/10 – Prospective d’un monde en mutation
17/11/10 – Une approche intégrale de la santé



Sur le blog de l’Université Intégrale, Michel Saloff-Coste propose un texte intitulé Bilan et réflexion sur le futur de l’Université Intégrale écrit en mars 2010. En analysant le contexte social et culturel en France, il pointe ce qui fait la spécificité de l’Université Intégrale : « ...la remise en cause des modes de pensée mécanistes et la nécessaire émergence d’une nouvelle culture systémique et intégrale et donc d’une nouvelle civilisation basée sur nouvelle approche de la science, de l’art et de la spiritualité. »

De nombreux visionnaires comme Edgar Morin, Ervin Laszlo ou Thierry Gaudin, ont annoncé l’émergence nécessaire de cette « nouvelle civilisation » qui rencontre des résistances d’autant plus fortes qu’elle implique une transformation des modèles de pensée et des modes de sensibilité : passage d’une pensée mécaniste et positiviste, scientiste et matérialiste, à une vision systémique et intégrale, dynamique et évolutive. Michel Saloff Coste parle à ce propos d’une véritable « guerre épistémologique, sous-jacente à beaucoup de débats qui traversent tout le XXème siècle ».

Un des enjeux de cette guerre épistémologique est, selon l’auteur, la création d’un « développement durable intégral » qui allierait, de manière systémique, économie, social et écologie. L’Université Intégrale est une émanation du Club de Budapest qui a une légitimité historique en ce domaine car il a non seulement fait depuis 30 ans le diagnostic de la crise que nous traversons mais il a surtout " replacé cette analyse dans un contexte systémique et intégral."


Une citation inspirée est un cristal de vérité qui révèle et résume en quelques mots une intuition fondamentale inscrite au plus profond de nous. Ces phrases clés ouvrent les portes de l’essentiel en nous faisant entrevoir les lois et les principes qui régissent la vie, l’homme et l’esprit. Par-delà leurs auteurs, les cultures et les époques, ces citations se répondent les unes, les autres, comme autant de notes accordées harmoniquement à une sagesse immémoriale, inhérente à l’humanité.

Notre voyage spirituel ne consiste pas à atteindre une destination pour obtenir quelque chose que nous ne possédions pas ou devenir une personne que nous n’étions pas. Il consiste à dissiper notre propre ignorance vis-à-vis de nous-même et de notre existence, et à assimiler progressivement cette compréhension qui marque le début de l’éveil spirituel. La découverte de Dieu est ainsi un retour sur soi. Aldous Huxley



Dans cet article dont le titre est tiré du proverbe turc : « Les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra », Edgar Morin applique sa méthode complexe au décryptage des évènements que nous sommes en train de vivre sans que nous en comprenions bien le sens c'est-à-dire la direction globale et la signification particulière. Il met ainsi en perspective le court terme de l’actualité immédiate, celle de l’année passé, avec le long terme de l’évolution anthropologique.

Le tableau qu’il dresse de l’époque est décapant : « Partout, les forces de dislocation et de décomposition progressent. Toutefois, les décompositions sont nécessaires aux nouvelles compositions, et un peu partout celles-ci surgissent à la base des sociétés. Partout, les forces de résistance, de régénération, d'invention, de création se multiplient, mais dispersées, sans liaison, sans organisation, sans centres, sans tête.  A la profonde décomposition ambiante marquée par les diverses crises que nous traversons, correspond l’émergence de formes novatrices de pensée et de sensibilité, de vie et de société. Ces formes innovantes sont des solutions qui expriment la dynamique de l’évolution et qui s’expérimentent à travers l’éclosion d’initiatives créatrices et l’interconnexion entre réseaux novateurs.

Selon Morin : « La marche vers les désastres va s'accentuer dans la décennie qui vient... La course a commencé entre le désespérant probable et l'improbable porteur d'espoir. Ils sont du reste inséparables : "Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve" (Friedrich Holderlin)... Mais le probable n'est pas certain et souvent c'est l'inattendu qui advient...»


Ce billet présente, régulièrement mis à jour, la liste des dix pages les plus lues du Journal Intégral à la date indiquée. Pour que chaque lecteur puisse prendre connaissance des goûts et des choix de la communauté des autres lecteurs, afin d’en bénéficier et de les comparer avec les siens propres.

Les pages les plus lues ont été élues par les choix réitérés de centaines de lecteurs. Elles ont parfois bénéficiées du bouche à oreille de divers réseaux sociaux parce qu’elles résonnent avec plus d’intensité dans le cœur et l’esprit de ceux qui les lisent et qui cherchent à partager avec d'autres cette émotion ou cette réflexion. Cette liste est réactualisée régulièrement afin de suivre l'évolution du choix des lecteurs.

Nous proposons ensuite la liste des dix pays où Le Journal Intégral est le plus lu afin que les lecteurs puissent résonner avec le réseau de complicités internationales tissé par ce blog.

dimanche 15 juillet 2012

Table des Matières (6) Post-Matérialisme


Moebius

Chaque billet du Journal Intégral est la pièce d’un puzzle qui dessine, entre intuitions créatrices et réflexions critiques, la vision intégrale d’un homme réunifié dans un monde réenchanté. Les résumés des articles présentés dans cette Table des Matières permettront aux lecteurs de reconstituer ce puzzle en allant se référer à telle ou telle pièce afin de mieux comprendre et intégrer toutes les autres.

Table des Matières  2010
 1 – Demandez le programme !...
 2 – Une philosophie du Tout
 3 – La petite Princesse
 4 – Evolutions
 5 - Evolutions (fin)


Table des Matières (6) du 17 Octobre au 15 Novembre 2010

On est plus pensé par son époque qu’on ne la pense. Michel Maffesoli

Victor Hugo disait que rien ne peut arrêter une idée dont le temps est venu. Après la plongée des temps modernes dans les abysses du matérialisme, le post-matérialisme est un courant  de rénovation culturelle, spirituelle et sociale qui implique aujourd’hui l’émergence de nouvelles formes de représentation, de subjectivité et d’organisation.

La série de textes regroupés sous le titre Post-matérialisme est l’occasion d’entendre celles et ceux que ce nouvel air du temps inspire. Chacun d’eux exprime à sa façon, de manière singulière, cette nouvelle manière de voir et de sentir, de percevoir et de penser. Ce n’est donc pas un hasard si, entre ces textes, existent des échos, des passerelles, des résonances, des similitudes. Cet effet de résonance intersubjective permet de se mettre à l'écoute du nouvel air du temps, rassemblant ces divers voix en un chœur commun qui exprime un réenchantement du monde.

Quelques mots de passe – sagesse, urgence, mutation, sobriété, post-capitalisme, inspiration, simplicité volontaire, partage, plénitude, réenchantement, coopération, décroissance, intuition – sont autant de noms de codes que l’on retrouve parfois d’un texte à un autre. Les codes d’une conspiration – c'est-à-dire une inspiration commune – qui participe à l’émergence d’un nouvel art de vivre dont l’œuvre collective serait de nouvelles formes d’existence et de pensée.



Le site Ploutopia propose un résumé synthétique du livre fondateur de Christian Arnsperger - Ethique de l’existence post-capitaliste - auquel nous avons consacré trois billets (à lire ici). En appliquant la théorie intégrale au champ économique, Arnsperger permet de comprendre les sources spirituelles de l’aliénation propre au système capitaliste qui, avant d’être un système économique, est une « vision du monde » répondant à notre angoisse existentielle en terme d’appropriation et de consommation. Ce texte permet de mieux comprendre en quoi le capitalisme est un piège existentiel et comment il est possible de s’en libérer par une vision intégrale qui prend en compte l’être humain dans sa totalité évolutive.


Dans ce billet, qui est la suite au précédent, l’animateur du site Ploutopia développe notamment la notion de « militantisme existentiel » proposé par Christian Arnsperger : «  Être bien conscient que nous faisons partie intégrante d’une culture, d’un système et d’une conscience capitaliste dont nous sommes responsables et dont il est essentiel de sortir si nous ne voulons pas éteindre la flamme (de Vie, de Conscience, de Divin).

D’un point de vue concret, le travail sur soi est la Voie. Simplicité, frugalité, décroissance, autocritique et spiritualité (sens de la vie) sont les clés de sortie du labyrinthe capitaliste. Relocalisation et démocratisation (travail, écologie, monnaie) tombent alors sous le sens. C'est ça le changement de paradigme. C'est ça le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas. »


En écho au mouvement social qui a eu lieu aux Antilles en Février 2009, neuf intellectuels antillais ont rédigé un « Manifeste pour les « produits » de haute nécessité » dans lequel ils posent les bases de ce que pourraient être des sociétés post-capitalistes. Nous proposons des extraits de ce manifeste où l’inspiration poétique se mêle à l’analyse politique afin d’alimenter une réflexion sur le post-matérialisme et en général et sur le post-capitalisme en particulier.

«  Toute vie humaine un peu équilibrée s'articule entre, d'un côté, les nécessités immédiates du boire-survivre-manger (en clair : le prosaïque) ; et, de l'autre, l'aspiration à un épanouissement de soi, là où la nourriture est de dignité, d'honneur, de musique, de chants, de sports, de danses, de lectures, de philosophie, de spiritualité, d'amour, de temps libre affecté à l'accomplissement du grand désir intime (en clair : le poétique)...

Il est donc urgent d'escorter les "produits de premières nécessités", d'une autre catégorie de denrées ou de facteurs qui relèveraient résolument d'une "haute nécessité". Par cette idée de "haute nécessité", nous appelons à prendre conscience du poétique déjà en œuvre dans un mouvement qui, au-delà du pouvoir d'achat, relève d'une exigence existentielle réelle, d'un appel très profond au plus noble de la vie. »


Ce billet est la suite du précédent. « Nous appelons donc à ces utopies où le Politique ne serait pas réduit à la gestion des misères inadmissibles ni à la régulation des sauvageries du "Marché", mais où il retrouverait son essence au service de tout ce qui confère une âme au prosaïque en le dépassant ou en l'instrumentalisant de la manière la plus étroite. Nous appelons à une haute politique, à un art politique, qui installe l'individu, sa relation à l'Autre, au centre d'un projet commun où règne ce que la vie a de plus exigeant, de plus intense et de plus éclatant, et donc de plus sensible à la beauté.

Ainsi, chers compatriotes, en nous débarrassant des archaïsmes coloniaux, de la dépendance et de l'assistanat, en nous inscrivant résolument dans l'épanouissement écologique de nos pays et du monde à venir, en contestant la violence économique et le système marchand, nous naîtrons au monde avec une visibilité levée du post-capitalisme et d'un rapport écologique global aux équilibres de la planète... Alors voici notre vision : Petits pays, soudain au cœur nouveau du monde, soudain immenses d'être les premiers exemples de sociétés post-capitalistes, capables de mettre en œuvre un épanouissement humain qui s'inscrit dans l'horizontale plénitude du vivant.»

31/10/10 - Post-Matérialisme (5) La Sobriété Heureuse

Philosophe, essayiste et ancien conseiller à la Cour des comptes, Patrick Viveret réfléchit à l’articulation existant entre les crises que nous affrontons, la démesure dont elles sont le symptôme, le mal-être à l’origine de cette démesure et l’art de vivre qui permettrait de transmuer ce mal être à travers une quête de sagesse et une sobriété heureuse.

Dans un article intitulé Vive la sobriété heureuse, Patrick Viveret esquisse le résultat d’une recherche élaborée dans le temps long d’une recherche transdisciplinaire. Il faut, selon lui, articuler la critique de la démesure productiviste et consumériste avec l’exigence d’un mieux-être fondée sur la prise en compte des besoins fondamentaux de sens, d’appartenance et d’individuation. Ce passage de la réduction technocratique et quantitative à l’intégration qualitative et créative s’inscrit dans la perspective d’une écosophie destinée selon Felix Guattari à penser écologiquement et politiquement la question de la sagesse.

La sagesse, en tant qu’art de vivre et réponse aux besoins fondamentaux devient un thème éminemment politique qui peut être à l'origine d'une citoyenneté terrienne. C’est autour de cette sagesse que peut se reconfigurer le tissus culturel, politique et social d’un vivre ensemble déchiré par la réduction technocratique. En intégrant les sagesses du monde, l’écosophie permet de se libérer de l’emprise d’une culture de domination fondée sur une vision abstraite de l’être humain.


Le passage d’une époque à une autre naît d’une transformation subtile de l’air du temps perçue par les sensibilités les plus aiguisées. Patrick Viveret explique ainsi le changement en cours : « Nous sommes à la fin du cycle des temps modernes qui furent marqués par ce que Max Weber, d'une formule saisissante, avait caractérisé comme "le passage de l'économie du salut au salut par l'économie".»

A nous d’effectuer la synthèse entre le meilleur de la modernité et de la tradition en procédant à un tri sélectif rigoureux concernant le pire généré par ces deux héritages. Remettre l’homme au cœur de la société et l’esprit au cœur de l’être humain sont l’avers et le revers d’une même quête. L’homme ne pourra dépasser cette angoisse existentielle qu’il cherche à compenser dans l’ivresse de la démesure qu’en retrouvant le sens de l’infini et celui du mystère qui le fonde et le transcende à la fois.

Un nouvel air du temps enchante les consciences des individus les plus créatifs qui constituent des réseaux et une intelligence collective au sein desquelles s’échangent des intuitions, des perceptions et des idées nouvelles. S’il est une évidence partagé dans ces réseaux c’est que le bonheur n’est pas réductible à la croissance quantitative de la production et à la course compulsive à la consommation qui constituent la diastole et la systole du système capitaliste, incarnation faustienne du matérialisme moderne.

Cet air du temps est donc post-matérialiste. Un post-matérialisme fondé sur l'impérieuse nécessité de retrouver à la fois le sens de la sagesse et celui de la finitude, le sens du partage et celui de la communauté. L’heure est  venue de redéfinir nos priorités et de reconfigurer nos mentalités en inventant de nouvelles formes de vie, de sensibilité et de pensée inspirées par l’esprit du temps.


Paradoxe moderne : plus l’homme devient abstrait et plus il est matérialiste. Plus il est matérialiste et plus il fait abstraction d’une dimension essentielle de l’humanité : celle qui, n’étant réductible à aucune dimension observable ou quantifiable, réside dans le mystère de l’intériorité et se manifeste, de manière qualitative, à travers la sensibilité esthétique, le sens éthique, l’intuition créatrice, l’imagination symbolique ou l’inspiration spirituelle.

Parce que les lunettes abstraites de la modernité ne lui permettent de participer à ce mystère, elle le déclare inexistant. Pire : elle combat toute démarche intuitive et spirituelle comme la résurgence d’une mentalité archaïque qui brouille la modélisation abstraite. En apportant prospérité et confort à une minorité d’être humains, le progrès technologique a, dans le même temps, limité la conscience à une visée utilitaire et instrumentale qui nie la richesse spirituelle et symbolique de l’intériorité.

L’hégémonie de la raison instrumentale a fait autant de merveilles sur le plan de la technique qu’elle a creusé chez l’homme moderne un profond vide existentiel et symbolique. La simultanéité, l’intensité et la profondeur des multiples crises qui nous traversent autant que nous les traversons sont autant d’échos extérieurs à cette crise fondatrice entre la dynamique créatrice de la subjectivité et la mécanique d’une pensée instrumentale, devenue toute-puissante.

La réaction à cette situation tragique est l’émergence d’un courant post-matérialiste qui n’accepte pas la domination du réductionnisme et du formalisme abstrait, au cœur du matérialisme moderne. L' instrumentalisation et la fragmentation de l’humain sont à l'origine d'une profonde déshumanisation. Né du refus de cette déshumanisation, le post-matérialisme exprime la nécessité absolue dans laquelle nous nous trouvons de faire émerger une nouvelle vision du monde qui associe l’intuition holiste et la raison instrumentale.


Pour Christiane Singer, notre époque moderne, profondément matérialiste, est le théâtre de "la plus gigantesque conspiration d’une civilisation contre l’âme, contre l’esprit." Une civilisation qui transforme les êtres humains en êtres de manque « des êtres qui réclament sans cesse à cor et à cri au-dehors ce qui leur manque à l’intérieur. En les tournant vers l’extérieur, on les dépouille de cette dimension d’intériorisation qui en fait des êtres libres ».

Dans un telle civilisation fondée sur le déni de l’essentiel, la crise remplace l’initiation : « Dans une société où tout est barré, où les chemins ne sont pas indiqués pour entrer en profondeur, il n’y a que la crise pour pouvoir briser ces murs autour de nous. La crise, qui sert en quelque sorte de bélier pour enfoncer les portes de ces forteresses où nous nous tenons murés, avec tout l’arsenal de notre personnalité, tout ce que nous croyons être. »

Prononcée voilà près de vingt ans, cette conférence est aujourd’hui d’une brûlante actualité. Au-delà des spéculations intellectuelles et des analyses fragmentaires qui fleurissent dans les médias et en librairie, Christiane Singer nous donne à voir l’origine réelle – à la fois existentielle et spirituelle – des diverses crises que nous traversons.


Dans sa réponse à la question : "Faut-il sortir du matérialisme ?" Jacqueline Kelen exprime une vérité à la fois simple et évidente mais tue par tous tant elle remet en question la croyance collective sur laquelle repose notre civilisation : l’identification du bonheur à la richesse matérielle. Selon elle : « Plus un individu a de ressources intérieures, moins il s’encombre avec des possessions matérielles. »

Cette phrase proche de l’aphorisme pourrait être mise en exergue d’une analyse sur cette sensibilité post-matérialiste pour laquelle il ne s’agit pas tant "de combattre le matérialisme que de se libérer de la servitude qu’il représente" en développant notre richesse véritable : celle d’une abondance intérieure et d’une sobriété heureuse qui naissent du lien intime que nous entretenons avec la dimension créatrice de l’esprit.

La question fondamentale à se poser n’est donc pas celle concernant l’augmentation infinie de la croissance économique dans un monde aux ressources limitées mais bien celle du choix qui doit être fait par chacun d’entre nous entre le consentement à l’aliénation générale ou, au contraire, l’éveil de la conscience à une dimension transcendante qui libère l’individu de l’emprise et de la fascination des apparences formelles.

A tous ceux qui, enfermés dans une vision matérialiste, objective et unidimensionnelle, nient la profondeur de l’expérience poétique et spirituelle, Jacqueline Kelen rappelle cet avertissement d'une terrible lucidité donné par Antonin Artaud : « La poésie que vous n’avez pas mise dans vos vies vous reviendra sous la forme de crimes effroyables ».

dimanche 8 juillet 2012

La Voie de l'Intuition (4) Raison et Intuition


C’est avec la logique que nous prouvons et avec l’intuition que nous trouvons. Henri Poincaré


Fondé sur le déni de la subjectivité, le modèle occidental impose l’hégémonie d’une rationalité abstraite qui coupe l’être humain d’une participation intime et sensible au flux créateur de la vie et de l’esprit qui est au coeur de l’évolution.

La crise évolutive que nous vivons renvoie à l'effondrement de ce modèle abstrait auquel correspond l’émergence d’un nouveau modèle - intégral - qui associe intuition holiste et raison instrumentale. Ce paradigme émergeant redonne  à l’intuition sa fonction prééminente et remet la raison à sa place qui est celle d’un moyen au service d’une finalité qui la transcende.

Notre série de billets intitulée La Voie de l’Intuition explore le rôle essentiel de l’intuition et les rapports que celle-ci entretient avec la rationalité, la création ainsi qu’avec les diverses formes d’évolution, sociales, culturelles et spirituelles.

Mieux vaut avoir lu les billets précédents de cette série pour saisir la cohérence du propos et la continuité d’une réflexion qui se déploie à travers ces différents textes : La Voie de l’Intuition (1) - La Voie de l’Intuition (2) La Métanoïa - La Voie de l’Intuition (3) La Voix de l’Evolution.

Dans le domaine du développement personnel, Shakti Gawain est un pionnière dont le livre Techniques de visualisation créatrice a été traduit dans le monde entier. Dans Vivez dans la Lumière, elle dresse le portrait des "enfants du monde nouveau"- à lire ici - qui deviennent  un "canal du pouvoir créateur de l'Univers" en faisant confiance à leur intuition et en laissant s'exprimer leur créativité. Dans le texte ci-dessous, tiré du même ouvrage, elle analyse le culte de la raison et la peur de l'intuition qui sous-tendent la vision du monde moderne.

L’Intuition. Shakti Gawain

S’il existe une sagesse supérieure ou une connaissance plus profonde que celle dont nous avons d’ordinaire l’expérience et si nous nous mettons en relation avec elle, nous devrions être capable de recevoir des instructions précieuses pour bien vivre dans ce monde déroutant.

Je vis poindre cette idée en moi il y a quelques années, alors que j’entreprenais mon voyage vers la lumière. Depuis j’ai découvert que nous pouvons accéder au savoir qui est en chacun de nous par ce que nous appelons d’ordinaire l’intuition. En apprenant à nous mettre en contact, à écouter et à agir avec notre intuition nous pouvons nous relier directement à la puissance suprême de l’univers et la laisser devenir la force qui nous guide.

Nous nous trouvons ici en contradiction totale avec la vie telle qu’on nous a appris à la vivre dans le monde ancien. La civilisation occidentale nous a enseigné le respect, et même le culte du rationnel et du logique dans notre être, et le rejet, le mépris ou le reniement de notre intuition.

Le culte de la raison

Nous accordons aux animaux la faculté de comprendre des choses qui dépassent de loin les capacités rationnelles; nous l’appelons instinct. Mais il s’agit d’un mystère qui défie toute explication logique, aussi haussons-nous les épaules et considérons-nous cette faculté comme très inférieure à la magnifique aptitude humaine au raisonnement.

Tout le système de valeur de notre culture repose fermement sur cette croyance en un principe rationnel absolu qui constituerait en fait la vérité absolue. La tradition scientifique occidentale est devenue notre religion. On nous apprend depuis notre plus jeune âge à essayer d’être raisonnable, logique et conséquent ; à éviter les comportements émotionnels et irrationnels ; et à ne pas laisser paraître nos sentiments. Au mieux, sentiments et émotions sont interprétés comme des signes de stupidité, de faiblesse, et ils dérangent. Au pire, nous craignons qu’ils menacent le système même de notre société civilisée.

Nos institutions religieuses nourrissent cette peur du moi intuitif et irrationnel. Autrefois, basées sur une profonde conscience de la présence  du principe universel créateur en chaque être humain, nombre de religions n’honorent plus cette idée que du bout des lèvres. Elles cherchent plutôt à contrôler le comportement de leurs fidèles, utilisant des structures élaborées de règles censées délivrer les gens de leur nature profonde, irrationnelle et fondamentalement « pécheresse ». Et selon de nombreuses disciplines psychologiques, il faut contrôler l’instinct naturel de l’homme, car il est obscur et dangereux. A partir de ce point de vue, seule la raison peut dompter cette force mystérieuse et la canaliser vers des voies saines et constructives.

La peur de l’intuition

En général, les sociétés techniquement moins développées ont une approche de la vie faite d’une conscience et d’un respect profonds pour la part intuitive de l’existence. Chaque instant de leur quotidien est guidé par un sens puissant de relation avec la force créatrice. Toutefois, leur manque de développement technique a été le facteur de leur destruction progressive ou de leur intégration dans la société moderne.

Deux exemples sont significatifs pour les Américains : les cultures indigènes d’Afrique et d’Amérique. Ces deux groupes se sont effondrés au contact de la culture « occidentale ». Un profond respect et un vif intérêt pour les indigènes d’Amérique commencent cependant à se manifester dans notre conscience depuis ces dernières années. Quant à la culture africaine, transplantée par la force sur le continent, elle a probablement plus que toute autre culture joué un rôle dans la préservation d’un pouvoir intuitif vivant dans notre pays.


L’évolution de l’homme semble montrer que plus notre capacité rationnelle progressait, plus sommes devenus méfiants à l’égard de l’aspect intuitif de notre nature. Nous avons essayé de contrôler cette « force obscure » en créant des structures de règles autoritaires qui définissent d’une façon très pesante le vrai et le faux, le bien et le mal, le comportement correct et l’incorrect. Nous justifions cette approche rigide de la vie en blâmant tout ce qui n’est pas rationnel dans notre nature, depuis nos drames émotifs personnels, jusqu’à nos maladies de société, comme la drogue, l’alcoolisme, le crime, la violence et la guerre.

Toutefois, dès que nous acceptons la réalité du pouvoir qui opère dans l’univers, canalisé en nous par notre intuition, il devient évident que nos problèmes personnels et les désordres du monde sont en fait causés par le non-respect de notre intelligence intuitive intérieure.

Plus nous nous méfions de notre moi intérieur et plus nous l’étouffons, plus il risque de se manifester brutalement et de façon désordonné. Autrement dit, de tels problèmes ne nous montrent pas notre nature émotionnelle et non rationnelle en train de s’emballer, échappant à notre contrôle ; au contraire, qu’ils soient personnels ou sociaux, ces problèmes résultent de la peur et de la suppression de notre intuition.

Un stock infini d’informations

Notre esprit rationnel ressemble à un ordinateur : il traite la donnée qu’il reçoit et calcule des conclusions logiques à partir de cette information. Mais l’esprit rationnel est limité, il ne peut évaluer qu’à partir des données qu’il a directement reçues. En d’autres termes, notre esprit rationnel ne peut opérer que sur la base des expériences directement vécues par chacun.

L’esprit intuitif semble, en revanche, avoir accès à un stock infini d’informations. Il a l’air capable de puiser, dans une immense réserve de  connaissance et de sagesse, l’esprit universel. Il est même capable de trier cette information et de nous fournir exactement ce dont nous avons besoin. Même si les messages ne nous arrivent que par bribes, même si devons apprendre à collectionner ces éléments d’information, la clarté se fera peu à peu. Alors que nous apprenons à nous fier à cette guidance, la vie devient fluide et facile. Notre existence, nos sentiments et nos actions s’imbriquent harmonieusement avec ceux des gens qui nous entourent.

Nous sommes dans la situation où chacun de nous jouerait d’un instrument unique dans un immense orchestre symphonique, dirigé par une intelligence universelle. Si nous jouons notre partition sans nous occuper des indications du chef d’orchestre ni du reste de l’orchestre, nous provoquons un chaos total. Si nous essayons de nous ajuster sur nos voisins plutôt que sur le chef d’orchestre, il n’y aura pas d’harmonie, il y a trop de gens et tous jouent autre chose.

Notre intellect n’est pas capable de traiter tant de données et de décider à chaque instant quelle est la meilleure note à jouer. Mais si nous regardons le chef d’orchestre et si nous suivons ses indications, nous goûtons la joie de jouer notre propre partition, qui est unique et que chacun pourra entendre et apprécier, et en même temps nous nous rendons compte que nous faisons partie d’un grand tout harmonieux.

Un chef d’orchestre


Quand nous appliquons cette analogie à notre vie, nous constatons que la plupart d’entre nous ne sont pas conscients de l’existence d’un chef d’orchestre. Nous avons vécu de notre mieux, en utilisant notre seul intellect pour comprendre nos vies et calculer la meilleure marche à suivre. Si nous sommes honnêtes avec nous même, nous admettons volontiers, que, guidés par notre seul esprit rationnel, nous ne jouons pas une très belle musique. La dissonance et le chaos, dans nos vies comme dans le monde, reflètent indiscutablement l’impossibilité de vivre ainsi.

En nous accordant sur l’intuition et en la laissant devenir la force qui guide nos vies, nous permettons au chef d’orchestre de prendre la place qui lui revient à la tête de l’orchestre. Au lieu d’y perdre toute liberté individuelle, nous recevons l’appui dont nous avons besoin pour exprimer réellement notre individualité. De plus, nous aurons la joie de faire l’expérience de participer à un canal créateur plus vaste.

Je ne comprends pas tout à fait  le fonctionnement si étonnant de l’intuition, mais, de par mon expérience, mes observations et les témoignages de beaucoup de gens avec qui j’ai travaillé, je sais avec certitude qu’elle fonctionne ainsi. Et je découvre que, plus je crois à cette « voix » intérieure et plus je l’écoute, plus ma vie devient aisée, riche et passionnante