mardi 6 mars 2012

Les Enfants du Futur (1)

Ne doutez jamais qu’un petit groupe d’individus puisse changer le monde. En fait, c'est toujours ainsi que le monde a changé. Margaret Mead

Dans le désert mécanique de la modernité, un cercle des poètes inspirés - réunis autour de la revue Le Grand Jeu – annonce, dès les années trente, une synthèse de l’esprit humain correspondant à un nouveau stade de l’évolution culturelle et de l’organisation sociale.

Sur la voie tracée par ces poètes dont le mot d’ordre fut «Révélation-Révolution », les enfants du futur se reconnaissent et se retrouvent à travers un nouveau mot d’ordre : « Indignation- Initiation».

La puissance de l’oubli

Les enfants du futur aux yeux perlés d’azur et d’infini n’ont rien à vendre et rien à acheter mais tout à connaître et à imaginer.
Ils ne croient plus en un monde qui ne croit plus en l’homme. Encore moins à un homme qui ne croit qu’en lui-même parce qu’il a perdu le sens même de la vie : celui de la relation et de l’évolution.

Que pourraient-ils attendre de ce monde qui a coupé les racines de l’essentiel avec la puissance de l’oubli ? Ils s’exercent simplement à le transformer en devenant eux-mêmes tout ce qu’ils sont.

La dignité est ce fil subtil qui nous relie à l’essentiel. L’indignation surgit quand nous ressentons que ce fil est rompu. Trop souvent l’indignation est l’alliée objective d’une domination qu’elle renforce en utilisant la même logique et les mêmes références pour la contester.

Ce faisant, l’indignation ne libère pas le potentiel créateur dont elle est porteuse. Cette impuissance nourrit et développe un ressentiment qui neutralise toute énergie de transformation.

Indignation/Initiation

Pour éviter le piège pervers du ressentiment, il faut donc rendre à l’indignation toute sa dignité en canalisant cette force de vie vers l’idéal dont elle procède et en l’exprimant à travers des formes créatrices. L’indignation n’exprime toute sa puissance de transformation qu’en se muant en initiation.

Ce n’est pas pour rien que les poètes du Grand Jeu avaient pour mot d’ordre « Révélation-Révolution ». « L'édification d'un nouvel ordre social ou économique, écrit Roger-Gilbert Lecomte, ne doit pas faire perdre de vue l'importance de l'édification parallèle d'une nouvelle culture, d'un nouveau stade de l'esprit humain — ce qui est le but du Grand Jeu. »

Impossible de changer le monde sans se changer soi-même, impossible de se changer soi-même sans s’éveiller à son potentiel le plus élevé. Le lâcher prise permet la prise de conscience de ce qui, au-delà de l’ego, transcende l’individu et le fait advenir à tout ce qu’il est.

Gandhi disait : « Soit le changement que tu veux voir dans le monde ». Les enfants du futur ne se contentent pas d’être des indignés : ils doivent donc devenir aussi des initiés. Evolution spirituelle et transformation sociale sont les deux faces d’une même pièce qu’ils doivent interpréter en se connectant à l’Esprit du temps.

Le juste milieu

Au cœur de l’évolution spirituelle comme de la transformation sociale, réside cet état de conscience inspiré qu’est l’état lyrique. L’état lyrique permet à la sensibilité de participer intuitivement à la dynamique créatrice de la vie. Ce droit d’auteur impose à ceux qui le perçoivent un devoir de résister au désordre ambiant en créant les formes novatrices qui expriment cette dynamique. Pour perdurer, toute nouvelle organisation sociale doit se fonder sur un changement de perception.

« Indignation-Initiation » tel est le mot d’ordre des enfants du futur qui rassemble tous ceux qui se ressemblent parce qu’ils ressentent en eux le même élan irrépressible inspiré par l’Esprit du temps. Attirée par cet élan comme la limaille l’est par l’aimant, la conscience inspirée transfigure le cynisme de l’ère économique en un lyrisme qui réenchante chaque geste, chaque souffle et chaque jour en l’intégrant à la grande chaînes des êtres, des formes et des instants qui unit le ciel à la terre et l’éternité au présent.

Les enfants du futur aux yeux de silence et d’intensité ne sont ni de droite, ni de gauche, ni du centre, mais du juste milieu. Leur sensibilité participe à ce milieu multidimensionnel – à la fois social, naturel et spirituel – dans lequel ils évoluent et dont ils sont partie prenante et apprenante. Ils ne cherchent pas à faire carrière mais à cheminer sur la voie initiatique de l’individuation qui est celle d’une intégration synthétique des éléments de ce milieu.

En actualisant leur puissance créatrice, ce processus d’individuation leur permet de se développer à travers des stades d’évolution successifs qui sont ceux d’une synthèse, d’une complexité et d’une intégration croissantes. L’initiation est intégration de l’altérité dans un processus évolutif et créateur.

Les Irréductibles

Les enfants du futur aux yeux de rêve et de révolte sont, avant tout, des irréductibles. Ils refusent l’empire et l’emprise d’une raison instrumentale qui, au prétexte de dominer la nature, en est venue à dominer l’humanité. L’homme total est ainsi réduit à une simple fonction économique qui le dissout dans ce que Marx nomme « les eaux glacées du calcul égoïste ».

Irréductibles, les enfants du futur sont les apostats de cette religion économique qui célèbre ses rituels archaïques en transformant en mental prédateur le flux créateur de la conscience. Cette religion profanatrice a remplacé l’être par l’avoir et l’avoir par une avidité qui exprime un profond vide intérieur. Ce vide existentiel nourrit les mirages de l’accumulation capitaliste, de la compulsion consumériste et la prédation productiviste.

La folle avidité de nos contemporains ne fait qu’exprimer une angoisse existentielle et une peur de la mort qui transforment la possession en obsession. Pour les enfants du Futur, la mort est métamorphose qui participe au cycle évolutif de la manifestation. Un retour aux sources irradiantes du mystère. La fin d’un phénomène qui se résorbe dans le noumène dont il procède comme le fleuve se jette dans l’océan et comme la fleur se projette dans son parfum.

L’ère éthonomique

Les enfants du futur aux yeux d'été et d’étoiles combattent les hiérarchies de domination pour affirmer une hiérarchie de développement et d’élévation à travers des stades successifs de complexité et d’intégration. Dans cette holarchie, ils reconnaissent un ordre multidimensionnel en évolution auquel chaque partie est connectée organiquement par une intuition sensible.

A la fin de l’ère économique correspond l’avènement de l’ère "éthonomique" où les valeurs éthiques de la convivialité sont la cause et la conséquence d’une dynamique collective fondée sur l’échange et la réciprocité, le partage et le don, la collaboration et la relation. La véritable abondance est un sentiment qui naît de la juste adéquation entre l’homme et son milieu. Une adéquation qui se manifeste sur le plan social par la triple obligation de donner, recevoir et rendre qui fut au cœur des sociétés traditionnelles.

Développer ce sentiment d’abondance nécessite de se libérer des fantasmes infantiles de l’ego qui exprime sa toute puissance à travers une culture de domination abstraite. En nous rendant tous ego, notre civilisation s’est prise au je. Elle doit aujourd’hui s’en dépendre et le dépasser pour donner toute sa place à l’autre qui le fonde. Si, selon Rimbaud : "Je est un autre", cet autre est un nous.

Le temps est venu de retrouver notre sixième sens : celui - fraternel - de la solidarité. Parce que nul n'est une île, toute conscience est collective. L'individualisme abstrait de la modernité doit se muer en une individuation concrète et sensible qui fonde la cosmodernité.
Nous - l’esprit en grec - est source d’une intersubjectivité permettant à chacun de participer au Grand Jeu de l’Esprit qui se manifeste à travers le Kosmos en évolution.

Une intelligence connective

Fils d’une intelligence connective, les enfants du Futur sont à la fois singuliers et pluriels. Ils sont capables de recueillir et d’accueillir une multiplicité de sensations, de perceptions et de conceptions pour en faire un bouquet d’inspirations qui nourrit leur âme et développe leur connexion intérieure. Leur singularité créatrice naît de l’intégration de cette infinie diversité.

Chacun d’entre eux est le fil singulier d’un réseau interdimensionnel tissé par une conscience collective dont ils sont les interprètes actifs et créatifs. Leur éthique est une connéthique : pas une morale abstraite mais un sentiment intense de participer à un ensemble vivant, vibrant et évolutif.

Adossés à une verticalité essentielle, les enfants du futur n’identifient pas la fin aux moyens, la durée au temps, l’autorité à l’institution, ni l’évolution de l’être humain au progrès de la technique. Le projet créateur de l’intention n’est pas, selon eux, réductible au monde objectif de l’attention : il en est la source et l’amont.

La science du futur

Inspirés par un nouveau paradigme, les enfants du futur inventent des logiques et de langage novateurs. Leur intelligence intuitive intègre sensibilité concrète et raison abstraite. La science de demain, initiée par les pionniers d’aujourd’hui, intégrera explicitement la conscience humaine dans sa démarche et ressemblera aussi peu à la science d’aujourd’hui que la physique moderne ressemble à celle du dix-huitième siècle.

La science du futur ne se limite pas à des données quantifiables et mesurables. Elle enrichit l’attitude empirique, fondée sur l’observation des phénomènes, et l’attitude analytique, basée sur la compréhension des lois, par une connaissance intuitive, celle des principes qui régissent le monde des lois et des faits. Sensation, raison et intuition sont les trois yeux d’une connaissance intégrale. À la démarche rationnelle de la science actuelle, ils ajoutent une intuition opérationnelle qui fut au cœur des connaissances traditionnelles.

Les enfants du futur sont les pionniers d’une cosmodernité qui redonne à l’intuition créatrice la place souveraine usurpée par la raison instrumentale pour maintenir son emprise sur les consciences désenchantées. Il ne s’agit plus de se perdre dans une science sans conscience mais de retrouver, dans une conscience inspirée, cette gnose immémoriale qui révèle les corrélations secrètes entre l’esprit, l’énergie et la forme. Les attitudes scientifiques et spirituelles peuvent se réconcilier dans cette pensée intégrale qui emprunte à l’une la précision et la rigueur du savant et à l’autre l’intériorité et la connaissance de l’initié.

(A suivre...)

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