jeudi 28 avril 2016

Où disperserons-nous les cendres du Vieux Monde ?


Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n'est pas en nous, mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit... Aimé Césaire 


Aux petits rentiers de l’agonie. Aux fonctionnaires du désastre. Aux gestionnaires du renoncement. Aux professeurs de désolation. Aux experts qui, à force de savoir tout sur rien, ne connaissent absolument rien du Tout. Aux technocrates qui prennent leur impuissance pour de la mesure et leur conformisme pour de la lucidité. Aux religieux qui veulent faire de la transcendance une marque déposée dont ils revendiquent l’exclusivité. Aux politiciens dont la vision dépasse rarement la perspective de leur prochaine élection. 

Aux réducteurs de têtes - nombreux dans la tribu des Psyvaros - qui enferment l’infini de l’esprit dans les limites abstraites de l’individu. Aux démagogues qui surfent sur la haine, le doigt pointé vers des bouc-émissaires soumis à la vindicte populaire. Aux conspirationnistes qui, inspirés par la connerie ambiante, imaginent des solutions simplistes et délirantes à des problèmes complexes nécessitant un saut créatif et conceptuel. Aux arriérés qui pensent aujourd’hui comme hier en qualifiant d’avant-garde ceux qui vivent au rythme créateur de l’évolution.


Aux sodomiseurs de dyptères qui qualifient d’illuminés les visionnaires et de visionnaires les désespérés. Aux cyniques qui, identifiés à leur égo, traitent de mégalos tous ceux qui cherchent à le transcender. Aux esthètes de nœud qui prennent la poésie pour une activité littéraire alors qu’elle est un état lyrique qui nous plonge au cœur de l’unité irréductible entre l’homme et le monde. Aux écrivains qui, avec vanité, traitent leurs lecteurs comme des clients et non comme des poètes. Aux cérébranleurs qui castrent l’imagination créatrice en réduisant un univers complexe et mystérieux à des idées claires et distinctes.

Aux normalisateurs qui réduisent la conscience à un mécanisme cérébral et la psyché à une mécanique dont les rouages chimiques peuvent être réparés à coup de molécules. Aux scientistes, prêtres de l’insignifiance, qui inventent un monde à leur mesure en réduisant le Réel multidimensionnel aux formes apparentes de la réalité. Aux familialistes qui ne reconnaissent comme seul miroir narcissique que la toute-puissance de leur progéniture 


A ceux qui, parmi les journalistes, nous font prendre pour de l’information la mise en scène du conformisme et de la résignation. Aux milices de la pensée payées pour que leurs maîtres ne soient pas dérangés par des opinions déviantes c’est-à-dire novatrices. A l’oligarchie des nains qui spéculent sur la misère humaine pour chercher à remplir indéfiniment leur vacuité infinie. Aux poubellicitaires, ces mages noires qui colonisent l’imaginaire en faisant d’un produit le support d’un affect et d’un affect le support d’une aliénation 

A ceux qui, parmi les enseignants, vampirisent la présence d'esprit en destituant la souveraineté de l’intuition créatrice au profit d’un formalisme abstrait qui se retourne contre la vie pour former des absents à eux-même et au monde. Aux apparatchiks de la culture qui attendent d'une avant-garde auto-proclamée qu’elle défèque sur scène, sur un tableau ou dans un livre pour aller nettoyer ses crottes avec autant de respect que de volupté 


Aux prédateurs qui, par leur inconscience quotidienne, détruisent leur milieu naturel et les espèces qui y vivent en violant les valeurs sacrées de la sensibilité et de la vie. Aux matérialistes qui, en se constituant prisonniers des apparences, se privent d'une cohérence enracinée dans la profondeur d'une transcendance. A tous ces paumés qui, ayant oubliés d’où ils viennent, ne savent plus où ils vont. 

Aux pseudo-révolutionnaires qui se font les alliés objectifs de la domination en utilisant le logiciel économique des dominants plutôt que d’actualiser le logiciel éthique de la convivialité. Aux déconomistes qui réduisent à un pouvoir d’achat la puissance créatrice de l'humanité. Aux marchands de bonheur qui profitent de la détresse humaine pour vendre l’illumination par mensualité. 


A ceux qui savent. 
A ceux qui croient savoir. 
A ceux qui croient que le savoir les protège d’eux-mêmes comme une armure. 

A tous ceux-là et aux autres, 
il faut faire entendre l’écho assourdissant d’une voix 
qui se propage comme un incendie 
annonçant l’insurrection des consciences. 

Avec le Verbe pour seule arme, 
une armée d’enfants prophètes se lève de la nuit 
où les Techniciens du Sommeil l’avait endormie… 

 ( Extrait de Une armée de prophètes in Le Journal Intégral - 22/09/13)

3 commentaires:

  1. Beau plaidoyer pour une insurrection qui devient de plus en plus urgente !

    J'aime bien la toute première citation ! ;-)

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  2. Non pas un désir violent d'un ego révolté contre les égoïsmes mais encore victime de son propre égocentrisme. Toute rêverie d'une perfection mentale clairement brisée. Toute solution de pensée clairement ouverte au réenchantement de l'intuition qui recrée. Seul le vent puissant calme et paisible venu du tréfonds des cœurs allumeraient des âmes comme des millions de lumignons dans la nuit... Ce besoin d'être pouvant se reconnaître et s'entendre de l'un à l'autre comme un courant où l'un de l'harmonie grandit au faire et à mesure que le multiple se différencie...

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