lundi 28 novembre 2011

Maximes pour Temps de Crise

Un homme est riche de tout ce dont il peut se passer. H-D. Thoreau
A l'heure où la faillite de l'économie comme système de survie frappe de dérision tant d'efforts investis dans la rage de gagner plus, d'être le meilleur, de posséder davantage, peut-être un revirement d'attitude est-il prévisible, peut-être l'opiniâtreté mise à se délabrer dans le travail va-t-elle redécouvrir la création des êtres, des choses, de l'environnement comme plaisir d'exister ? Raoul Vaneigem
Nous sommes enfermés dans une cage de fer : encouragés à dépenser de l'argent que nous n'avons pas, pour acheter des choses dont nous n'avons pas besoin, pour créer des impressions qui ne dureront pas, sur des gens qui ne nous importent pas. On a construit le consommateur pour que le système survive, c'est ce qui est pervers. Tim Jackson
C'est par la sobriété que nous pouvons couper les vivres à ceux qui profitent de nos excès. Pierre Rabhi
Vivre plus simplement pour que d'autres puissent simplement vivre. Gandhi
Mon optimisme est basé sur la certitude que cette civilisation va s’effondrer. Mon pessimisme sur tout ce qu’elle fait pour nous entraîner dans sa chute. Jean-François Brient
Le siècle est fou. Fou de lâchetés, de démissions, de mensonges, d’impostures et de laideur, et ce qu’on appelle "crise de civilisation" n’est en vérité que le refus apeuré de toute hauteur. Jean Cau
L'humanité est devenue assez étrangère à elle-même pour réussir à vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de premier ordre. Walter Benjamin
Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas les faire, mais parce que nous n’osons pas les faire qu’elles sont difficiles. Sénèque
Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. Hölderlin
Le probable est la désintégration, l'improbable mais possible est la métamorphose. Edgar Morin
Les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naître. Proverbe turc
Là ou se trouve une volonté, il existe un chemin. Winston Churchill
Le monde déteste le changement, c'est pourtant la seule chose qui lui a permis de progresser. Charles F. Kettering
Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise. Jean Monnet
Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge. Winston Churchill
Vous ne changerez jamais les choses en vous battant contre la réalité existante. Pour changer quelque chose, construisez un nouveau modèle qui rend l’ancien obsolète. Buckminster Fuller
Nous ne résoudrons pas les problèmes avec le mode de pensée qui les ont engendrés. Einstein
Que fait-on quand on un problème est insoluble ? On change de problème. Jean Monnet
Vous ne pouvez empêcher les oiseaux de chagrin de survoler votre tête, mais vous pouvez les empêcher de faire des nids dans vos cheveux. Proverbe chinois
Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. Proverbe Indien
Dans un monde qui se détruit, la création est la seule façon de ne pas se détruire avec lui. Seule la puissance imaginative, privilégiée par un absolu parti pris de la vie, réussira à proscrire à jamais le parti de la mort, dont l'arrogance fascine les résignés. Raoul Vaneigem
Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit une opportunité dans chaque difficulté. Winston Churchill
Ce qui ne tue pas rend plus fort. Nietzsche
Vint un temps où le risque de rester à l'étroit dans un bourgeon était plus douloureux que le risque d’éclore. Anaïs Nin
Les épines que j’ai recueillies viennent de l’arbre que j’ai planté. Lord Byron
La difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d'échapper aux idées anciennes. John Maynard Keynes
J'ai échoué encore et encore et encore... et c'est pour çà que j'ai réussi. Michael Jordan
Qui veut faire quelque chose trouve un moyen ; qui ne veut rien faire trouve une excuse. Proverbe arabe
Chaque période de trouble dans l'histoire ouvre une brèche d'espoir ; et la seule chose certaine et immuable est que rien n'est certain ni immuable. John Fitzgerald Kennedy
La seule chose promise d’avance à l’échec, c’est celle que l’on ne tente pas. Paul-Emile Victor

mardi 22 novembre 2011

La Création est l'essence de l'Intégration

Aquarelle de A. Gourhant


Nous sommes plus liés à l'invisible qu'à ce que nous voyons. Novalis
Dans nos deux précédents billets nous présentions le site Psychothérapie intégrative Alain Gourhant propose les réflexions de divers auteurs et les siennes propres sur l’esprit intégratif et ses applications dans le domaine de la création et de la thérapie.
Dans ce billet, nous présentons la dimension artistique d’Alain Gourhant telle qu’elle s’exprime notamment dans son autre site intitulé Images et paroles. Dans cet espace dédié à sa création, il prend plaisir à intégrer poésie, photographie, aquarelle, philosophie et spiritualité pour nous faire voyager à la découverte de nous-même à travers ce reflet qu’est la beauté du monde.
Images et Paroles
Les pionniers d’une « culture intégrale » ont souvent un point commun : ils associent rigueur intellectuelle et sensibilité inspirée, deux dimensions qui peuvent apparaître contradictoires mais qui sont en fait complémentaires quand elles participent d’une même intelligence intuitive.
Pour Alain Gourhant, la création apparaît comme une manifestation essentielle de l’esprit intégratif : « Deux éléments ou parties habituellement séparés, se rapprochent, se mêlent, rentrent en fusion pour créer une nouvelle réalité qui transcende et inclut les éléments précédents. En ce sens toute intégration réussie est une création, cela dans n'importe quel domaine : la science, l'art, mais aussi bien sûr la psychothérapie intégrative. L'essence de l'intégration, c'est la création.»
C’est ainsi qu’à travers une synthèse créatrice, le mouvement évolutif de la vie/esprit fait émerger de nouvelles formes d’organisation toujours plus complexes et intégrés. L’émotion esthétique est un moyen de participer, de l’intérieur, à ce mouvement créateur de la vie/esprit. L’art est donc le terrain privilégié où l’esprit intégratif prend la forme de l’inspiration créatrice.
Un trajet créatif
Cette inspiration conduit souvent Alain Gourhant dans des lieux sacrés où émotions esthétiques et spirituelles sont autant d’occasions pour s’éveiller, à travers une expérience intime et intense, à la beauté du monde et à son mystère.
Alain cherche à traduire ces expériences à travers aquarelles, photos et poèmes dans un trajet créatif sémé d'expositions et de recueils poétiques à découvrir ici. "La poésie, selon lui, c'est le langage originel, proche du silence, avant la prolifération bruyante et chaotique des mots de la pensée. La poésie est plus proche de la musique ou de la danse que de la pensée et son bruitage de prose."
En cela, l'art poétique d'Alain Gourhant est très proche de celui de ces "poètes sourciers" évoqués par Michel Camus dans son Paradigme de la Transpoésie. Prenant sa source dans un état de conscience supérieur, l'inspiration poétique permet de se libérer des limitations du mental pour participer à l'élan de l'esprit intégratif qui nous anime et nous guide.
Alain Gourhant décrit ainsi cet art poétique : "Nous avons besoin d'une poésie qui nous lave, qui nous nettoie des errances du mental perdu dans son labyrinthe de mots et de pensées stériles et confusantes, nous avons besoin d'une Poésie spirituelle, simple et évidente aux mots sertis de lumière et de silence, une poésie issue directement de l'autre monde, de l'Ailleurs, une poésie pleine du Vide qui sous-tend toute création authentique, une poésie où il y aurait beaucoup de silence, beaucoup de page blanche et des mots rares comme des éclats de cristal reflétant la lumière. »
Cet art poétique s’exprime dans cette « Poésie du désastre et de la guérison » à lire ici où un cri et un chant se marient dans le souffle inspiré d’un monde à naître.

Poésie du désastre et de la guérison. Alain Gourhant
La poésie est un langage suffisamment fort et libre
pour trouver une place originale de témoin de cette fin d’un monde,
de même qu’elle a été pendant longtemps le langage privilégié
de l’origine d’un monde,
ainsi qu’en témoignent les superbes poèmes des Vedas, des Upanishads,
du Mahabharata et de la Bhagava Gita, de la Genèse de l’Ancien Testament,
de l’épopée de Gilgamesh, du Popol- Vuh des mayas,
du Tao tö King de Lao Tseu et des soutras du Bouddha, etc.

Mais pour cela, la poésie doit rompre avec son côté charmant et sentimental,
qui berce les vieilles dames dans les salons huppés,
elle doit rompre avec l’égocentrisme des âmes seules et désespérées
entonnant les vieilles litanies rimbaldiennes,
elle doit rompre avec les mondes imaginaires et irréels,
quand le surréalisme pouvait encore se payer ce luxe.

Forte de ces ruptures, la poésie se doit d’être le témoin
sans concession et sans fioritures,
de ce désastre s’avançant inexorablement,
pour tout détruire d’un vieux monde trop humain
qui s’embourbe lamentablement.

En cela ses seuls modèles – si modèle il y a – sont rares ;
nous pensons aux cris hallucinés et prémonitoires d’un Antonin Artaud
à la fin de sa vie,
ou « Les poèmes de la bombe atomique » du japonais Tôge Sankichi :
« pas d’autre bruit que la présence d’une chaleur à fissurer le moindre tesson de tuile,
rien d’autre ne se mouvant qu’une fumée qui monte en se dilatant
dans le ciel d’août éblouissant ;
il ne reste qu’un vide propre à brûler jusqu’au revers du cerveau
et à tout faire disparaître…
»

Mais le rôle de la poésie n’est pas que d’être le témoin d’un désastre,
la poésie peut être aussi une force de proposition
et de préparation du prochain monde,
selon la loi éternelle et universelle de « Mort et Renaissance ».

La poésie a toute la force et la liberté d’inspiration
pour participer aux grandes lignes de cette mutation nécessaire
de l’être et de la conscience,
que les esprits les plus audacieux, les plus profonds, préparent secrètement,
au plus haut des montagnes, à la manière d’un Zarathoustra,
ou au coeur des grandes villes, dans d’étroites chambres de bonne,
à la manière d’un Maldoror,
dans l’invisibilité des minorités agissantes,
s’apprêtant à traverser spirituellement les bouleversements à venir.

La poésie se doit d’être une force propositionnelle,
afin de préparer la croissance spirituelle nécessaire,
en réponse à la décroissance matérielle encore plus nécessaire.

La poésie doit chanter avec justesse cette simplicité retrouvée
cette joie d’être,
cette plénitude du moment présent,
en ouverture transcendante,
en amour inconditionnel pour toutes les formes de la vie,
en conscience globale du cosmos,
en communion intime avec les forces régénérantes de la nature,
en altruisme et solidarité avec tous les exclus,
en verticalité avec les transparences du ciel,
en accueil de la diversité et des différences,
en méditation silencieuse sur le Vide essentiel,
en célébration silencieuse de la création.

Car il faudra bien un jour s’incarner autrement
et prendre les rênes de manière éclairée de cette terre chérie,
couverte des cicatrices d’une folie ancienne ;
il faudra bien un jour rêver d’une espèce délicate, sensible, amoureuse,
pleine de sagesse et de tendresse,
- en un mot poétique -
capable de guider le vaisseau terre
loin de cette violence robotique
qui nous étrangle
et nous menace.

mardi 15 novembre 2011

Psychothérapie intégrative (2)


Photo A. Gourhant

Ce n'est pas un signe de bonne santé d'être bien adapté à une société profondément malade. Krishnamurti
Dans le billet précédent, nous présentions le site Psychothérapie intégrative d’Alain Gourhant dédié à l’esprit intégratif et à ses diverses applications à la création et à la thérapie. Dans celui-ci, nous présenterons certains éléments du contexte culturel et épistémologique permettant une nouvelle approche de la psyché qui se traduit notamment par l’émergence de la psychothérapie intégrative.

La psyché comme objet

Le paradigme abstrait de la modernité a inspiré une approche objective et spécialisée qui applique au champ psychique une épistémologie et une méthodologie utilisées pour la connaissance des phénomènes physiques. C’est ainsi que la modernité a voulu faire de la psychologie une science en réduisant la psyché à un objet d’observation et les phénomènes psychiques à leurs expressions comportementales. Comme si pour comprendre l’amour, on se contentait de répertorier et de classer les positions de l’accouplement !...

Dans Science and Human Behaviour, B.F. Skinner, un des papes du comportementalisme, écrivait ceci : « Puisque l’on affirme que les évènements mentaux ou psychiques ne se prêtent pas aux mesures de la physique, nous avons une raison de plus pour les rejeter ». C’est ainsi qu’«intelligence » et « idées » lui apparaissaient comme des mots vides « inventés dans le seul but de fournir des informations fausses » !...

Autrement dit, la conception moderne de la psyché est littéralement obscène : focalisée sur ce qui est observable et donc mesurable, elle nie l’essentiel qui ne peut l’être. En voulant faire de la psyché un objet, on fait l’impasse sur ce qui constitue l’essence même du sujet : une faculté créatrice participant intimement à la dynamique évolutive qui est au cœur de la vie.

Le réductionnisme abstrait tend à dénier cette dimension qualitative et dynamique que les traditions, les mythes et la littérature exprimaient à travers la figure centrale de la métamorphose. Qu’est ce donc que la métamorphose si ce n’est ce courant intégratif de la psyché qui trans-forme l’individu à travers une série de stades évolutifs de plus en plus complexes et intégrés comme la chenille se transforme en papillon et l’enfant en adulte à travers divers stades : fusionnel, égocentrique, ethnocentrique et universaliste « mondocentré ».

Une vision caricaturale de la psyché


Alors que le rôle de l’intellect est de distinguer et de séparer, la psyché est un agent de liaison entre l’être humain et les divers milieux où il évolue. Au cœur de cette dimension relationnelle propre à la psyché : son caractère dynamique et associatif, adaptatif et évolutif. Vouloir appréhender la dynamique relationnelle propre à la psyché à travers une approche abstraite et une logique de spécialisation, c’est vouloir vider l’eau d’une baignoire avec une fourchette.

Parce qu’il s’avérait incapable de connaître toute la profondeur, la dynamique et la complexité de la psyché, l’ancien paradigme en imposait une vision à la fois réductrice et caricaturale, castrée de son enracinement archaïque et ancestral, de son implication collective, à la fois sociale et culturelle, comme de sa connexion intuitive aux états supérieurs de conscience.

On a ainsi formaté un individu abstrait et déraciné - sans tradition, sans appartenance et sans transcendance - correspondant aux normes fonctionnelles de la pensée technocratique. Tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette vision réductrice de la psyché sont considérés comme de doux dingues ou de dangereux hérétiques qui remettent en question « l’esprit scientifique » au cœur de la pensée dominante.

Un processus de normalisation

Cette approche réductionniste a inspiré nombre de thérapies, toutes plus ou moins décalquées d’un modèle médical profondément mécaniste. Comme le firent les prêtres avant eux, les « psy » ont souvent exercé un rôle de normalisation qui consiste à adapter à une société malade des sujets qui souffrent d’être trop vivants pour une culture mortifère déniant leur créativité singulière.

Tout processus de normalisation est un dispositif de conditionnement à travers lequel l’individu intériorise les comportements, les ressentis et les références correspondant aux valeurs et aux normes dominantes, souvent au détriment de ce qui est le plus vivant en lui : son originalité et son imaginaire personnels ainsi que ses intuitions et son inspiration créatrice.

Or, comme le dit Krishnamurti : « Ce n'est pas un signe de bonne santé d'être bien adapté à une société profondément malade. ». Ce que l’on pourrait traduire de la manière suivante : plutôt que de vouloir adapter l’individu à une société et à une culture en crise, c’est un signe de bonne santé que de participer à la création de nouvelles formes culturelles et sociales inspirées par la dynamique de l’évolution. L’émergence d’un paradigme correspondant au nouveau stade évolutif apparaît dès lors comme un signe de régénération.

Le mouvement créateur de la vie

Alors que les institutions et les mentalités inspirées par l’ancien paradigme sont en train de s’écrouler sous le poids d’une crise systémique, le paradigme émergeant s’annonce comme un profond mouvement de régénération vitale et créatrice. Selon Alain Gourhant : « La psychothérapie intégrative appartient au mouvement de la vie qui aime se déployer en une créativité absolue et insolente...
Les quatre cent techniques de psychothérapies différentes, annoncées par les médias, font partie de ce mouvement de créativité ininterrompue, de cette psychothérapie intégrative qui combine à l'infini les différentes techniques provenant des courants les plus importants de la psychothérapie
. »
Il est bien entendu qu’un tel mouvement de régénération se heurte toujours à la résistance des préjugés dominants qui mène des combats d’arrière garde pour garder les avantages liés à leurs positions dogmatiques. Mais qu’importe !... Le mouvement créateur de la vie est plus fort qui invente toujours des formes nouvelles adaptées à la dynamique de son évolution alors que les anciennes formes se désintègrent progressivement parce qu’ayant fait leur temps, elles ne sont plus du tout adaptées à celui qui vient.

Ceux qui participent à cette dynamique évolutive trouveront dans le site d’Alain Gourhant de nombreuses réflexions sur cette nouvelle approche de la psyché qui inspire la psychothérapie intégrative. Ils pourront notamment se référer au cours qu’il donne sur la psychothérapie intégrative pour le Diplôme Universitaire de la faculté de médecine et de pharmacie de Dijon consacré aux troubles neuro-fonctionnels et à la médecine intégrative. Pour le journal Santé Intégrative, Alain Gouhrant a aussi écrit de nombreux articles, entretiens et critiques de livres concernant à la fois la psychothérapie intégrative et la médecine intégrative.

jeudi 10 novembre 2011

Psychothérapie Intégrative (1)

Photo A.Gourhant

La psychothérapie guérit le mental, la voie spirituelle guérit du mental. Jacques Vigne

Alain Gourhant est le créateur du site Psychothérapie intégrative et l’animateur du blog associé - le Blog intégratif - où l’on peut respirer le nouvel air du temps en se sensibilisant aux diverses facettes de l'esprit intégratif. On y trouvera les réflexions de nombreux auteurs ayant écrit sur l’esprit intégratif mais aussi sur la psychothérapie intégrative dont Alain Gourhant est un praticien ainsi que sur la création comme processus d’intégration. 

Une même « longueur d’onde »

Avouons-le : on se sent parfois bien seul sur les sentiers escarpés conduisant à la perspective intégrale, celle du prochain stade évolutif. Cette solitude propre aux pionniers - dans tous les domaines - explique le plaisir éprouvé en rencontrant d’autres voyageurs sur cette ligne de crête. Pas besoin de parler beaucoup pour s’apercevoir qu’une même « longueur d’onde » nous réunit. Une complicité secrète lie ceux qu’un souffle commun anime. Chacun donne à ce souffle une forme correspondant à son trajet personnel et cette diversité d’approches enrichit les autres chercheurs, nourrissant ainsi l’intelligence collective.

C’est cette complicité que l’on peut ressentir avec un certain nombre de pionniers qui osent développer une perspective intégrale dans le contexte d’une culture hexagonale fondée sur une tradition abstraite et analytique. Ces pionniers doivent donc acculturer la vision intégrale – dynamique, systémique et globale – à une mentalité – formelle, spécialisée et analytique – qui a du mal à en percevoir et l’existence et le sens et l’intérêt.

Parmi ces pionniers, nous venons d’évoquer ici récemment le trajet de Jacques Ferber, animateur du site Développement Intégral, à la fois universitaire à la démarche rigoureuse et visionnaire à la démarche intuitive. Alain Gourhant est un autre de ces pionniers qui allie, lui aussi, une sensibilité inspirée et une pensée exigeante, nourrie de nombreuses références, afin d’appréhender et de transmettre la voie d’un esprit intégratif, indispensable à notre époque.

Au terme intégral qui évoque pour lui un système clos sur lui-même, statique et achevé, Alain Gouhrant préfère le terme intégratif qui fait référence à un processus dynamique, irréductible à toute enfermement conceptuel. Cette réticence à utiliser le terme intégral se comprend dans la mesure où l’« illusion cartographique » dont nous parlions ici s’alimente de la confusion souvent entretenue entre la carte (représentation abstraite) et le territoire (expérience vécue).

Le nouvel air du temps

Psychothérapie intégrative
, le site d’Alain Gourhant, est une référence pour tous ceux qui ont envie de développer leurs connaissances et leurs recherches sur la « culture intégrale » en train d’émerger. Il ressemble à une caverne aux trésors qu’il faut explorer avec patience, minutie et curiosité pour en découvrir toutes les richesses.
On y trouve effectivement une mine de réflexions et de citations de nombreux auteurs du passé et du présent, tant sur l’esprit intégratif que sur ses applications dans le domaine de la création ou dans celui, thérapeutique, de la psychothérapie (intégrative) et de la médecine (intégrative). Dans le Blog intégratif, associé au site, Alain Gourhant chemine, au gré des évènements, de ses découvertes et de ses rencontres, sur la voie de cet esprit intégratif.

Durant la première partie de sa vie, après une maîtrise de philosophie, Alain Ghourant a vécu diverses expériences professionnelles dont celles d’enseignant, de consultant en communication et de chef de projet muséologique. Parallèlement, il fait beaucoup de voyages, surtout en Inde, pratique le yoga jusqu'au niveau de l'enseignement et entreprend un long travail analytique d’une dizaine d’années. C’est à la suite de ces expériences qu’il s’engage dans son projet de psychothérapie intégrative en continuant à suivre des formations concernant les dimensions du corps, de la psyché et de l’esprit.

La pratique d’Alain Gourhant est inspirée par cet important courant – encore largement ignoré en France – qu’est le psychothérapie intégrative où l'être humain est considéré, non pas d’un point de vue réductionniste et spécialisé mais dans sa globalité et à travers toutes ses dimensions : corporelle, émotionnelle, mentale, sociale, énergétique, spirituelle. Ce courant fait aussi référence aux grilles d'évolution des niveaux de conscience de Ken Wilber et Don Beck dont nous avons souvent parlé ici.

Unifier ce qui était séparé

La psychothérapie intégrative apparaît comme un domaine d'application privilégié de cet esprit intégratif qu’Alain Gourhant évoque en ces termes : « « En cherchant à unifier ce qui était autrefois séparé, l’esprit intégratif est une évolution de la conscience humaine, un déploiement, une ouverture créatrice... »

Global et dynamique, l’esprit intégratif considère la psyché comme un élément d’une totalité humaine et celle-ci comme partie intégrante d’un Kosmos pluridimensionnel en évolution. Au cœur du paradigme intégratif, le processus de développement à travers lequel la subjectivité intègre progressivement les éléments du milieu – social, culturel et naturel – où elle évolue en actualisant ainsi sa puissance créatrice.

L’être humain est un être de relation et la psyché est au cœur de ces relations. Le développement psychique naît d’un accroissement de la complexité de ses relations et de l’élaboration de cette complexité dans des niveaux qualitatifs liés à des stades évolutifs de plus en plus intégrés.

Une pensée du juste milieu

Le paradigme intégratif inspire une pensée du juste milieu : celle d’une intelligence sensible qui participe de manière intime à son milieu d’évolution. Il s’agit de donc dépasser l’approche abstraite de la rationalité en l’associant à une approche relationnelle, intuitive et concrète qui permet de participer, de l’intérieur, au mouvement évolutif de la psyché.

Ce nouveau paradigme fait apparaître la souffrance psychique comme un problème lié à la régulation de la dynamique évolutive. Dans notre processus de développement, il se peut que des parties de nous-mêmes soient restées bloquées à un stade antérieur, nous tirant en arrière et nous empêchant de ce fait d’avancer.
Le travail psychothérapeutique permet d’intégrer ces dimensions de nous-mêmes en allant les chercher là où elles se sont engagées dans une impasse développementale. Cette stratégie consiste donc à « reculer pour mieux sauter ».

Mais une des grandes spécificités des psychothérapies intégratives est de reconfigurer les parties de ce grand puzzle que nous sommes dans une totalité en évolution. C’est pourquoi elles peuvent travailler à la fois sur le corps, les émotions, la créativité et l’esprit. Il s’agit de mobiliser en nous la force - à la fois vitale, affective, créatrice et spirituelle – qui est au cœur de la dynamique évolutive. D’où la nécessité pour les praticiens d’entrer en résonance avec cette force intérieure pour la mobiliser, au-delà des constructions théoriques et formelles liées à telle ou telle école. Cette approche globale demande une pratique diversifiée qui utilise un éventail de techniques adaptées au problème rencontré par le client.

Un esprit d’ouverture et de créativité

Alain Gourhant décrit ainsi sa pratique : « La psychothérapie intégrative s'appuie sur une vision de l'être humain, globale, holistique et multidimensionnelle. Elle tente de structurer et de rendre cohérent l'utilisation des différentes techniques selon cette vision...

Dans sa pratique, la psychothérapie intégrative met en place des stratégies thérapeutiques empruntées aux différents courants et techniques de la psychothérapie ainsi que des pratiques liées au courant du développement personnel et du transpersonnel. Ces stratégies sont personnalisées et adaptées à chacun. Les effets de ces techniques utilisées conjointement sont démultipliés, ce qui place la psychothérapie intégrative parmi les thérapies brèves...

Pourquoi pratiquer la psychothérapie intégrative ? Pour ne pas s'ennuyer et par esprit d'ouverture et de créativité. Comme cela doit être difficile et monotone de pratiquer toujours la même technique, un peu comme un peintre qui n'utiliserait définitivement qu'une seule couleur - même si le monochrome peut donner parfois de bons résultats.

Quant à la spécialisation sur une seule technique, c'est l'ennui programmé, puisqu'elle est à côté de la vie qui est par essence multiforme, multidimensionnelle, multifacettes, paradoxale et contradictoire. La spécialisation à outrance, reflet d'un scientisme séparateur, a fait son temps. Son confort sent la mort.
»

Le moteur de l’esprit intégratif, c’est la conscience dans son mouvement d’expansion, dans son désir de grimper toujours plus haut sur l’échelle de l’évolution, dans son élan d’auto-transcendance vers l’Un. Le résultat de l’esprit intégratif, quand l’intégration s’est bien passée, c’est le sentiment d’être réconcilié enfin avec sa vraie nature, c'est-à-dire réconcilié avec le Tout qui aime s’exprimer sous d’infinies facettes... ( A suivre...)

vendredi 4 novembre 2011

La Poésie de l'Avenir sera Métaphysique ou ne sera pas

Le poème est un mystère dont le lecteur doit chercher la clef. Mallarmé
Dans le texte précédent intitulé Paradigme de la Transpoésie, Michel Camus développait un art poétique visionnaire qui participe d’une Transdisciplinarité définie comme « ouverture de toutes les disciplines à ce qui les traverse et les dépasse ».

Il poursuit cette démarche exigeante dans une conférence intitulée La poétique du silence en amont du signe visible et du sens invisible, prononcée le 24 mai 1997 au Centre Culturel Roumain de Paris lors du Colloque international annuel dédié à Lucian Blaga (1895/1961), philosophe, théologien et poète roumain.

Au formalisme qui règne en maître dans les lettres françaises, Michel Camus oppose la tradition d’une poésie initiatique - celle des origines - fondée sur une expérience métaphysique qui dépasse les perceptions et les états de conscience ordinaires. L’expérience spirituelle du poète sourcier est à l’origine d’une intuition créatrice qui génère l'union symbolique entre le sens et le signe qui l'exprime.

Une connaissance initiatique

Face au formalisme moderne dont il décrit les impasses, Michel Camus en appelle donc à un retour aux sources sacrées de la poésie comme mode de connaissance « initiatique » fondée sur l’intuition visionnaire. A travers celle-ci se révèle la relation organique et cosmique entre le sujet et le monde objectif dans lequel il se pro-jette pour évoluer.

Qualifiée de transpoétique, "la voie du poète sourcier orientée vers l'unité de la connaissance" participe d’une profonde régénération culturelle propre à la démarche transdisciplinaire dont Michel Camus fût un des principaux artisans. Démarche qui le conduit à déclarer, contre le matérialisme ambiant : « la poésie de l’avenir sera métaphysique ou ne sera pas ».

Affirmation à laquelle nous ne pouvons que souscrire tant il nous apparaît que l’intuition créatrice qui s’exprime à travers la poésie est au cœur d’une vision intégrale qui perçoit les formes – culturelles, comportementales, sociales, organisationnelles – comme autant de manifestations transitoires de la dynamique évolutive qui est au coeur de la vie/esprit.


Michel Camus. La poétique du silence en amont du signe visible et du sens invisible
... La modernité a réussi à imposer le dogme que le signe précède le sens comme l'existence, pour Jean-Paul Sartre, précède l'essence. Pour prendre un exemple banal : Le feu rouge de signalisation apparaît à l'organe des sens qui en transmet l'information à l'intelligence symbolique, laquelle lui donne sens et signification d'interdiction. C'est une vérité d'expérience naturelle. Après la dernière guerre 40-45, ce fut le credo et ça reste aujourd'hui le credo du peintre Georges Mathieu : le signe génère le sens.

Les courants formalistes de la poésie française, les lettristes, les post-mallarméens, les tenants de l'écriture blanche ont oeuvré à partir du même critère. On déconstruit la langue, on décharne la prose jusqu'à la réduire au squelette de Dionysos, on la désintègre afin d'anéantir la rationalité du signifié dont elle est porteuse pour en arriver à évoquer un insensé poétique généré par le jeu aléatoire des signifiants.

Ce processus alogique n'en obéit pas moins à la logique du tiers exclu, une logique prisonnière d'un seul niveau de Réalité. Cela aboutit parfois, dans le meilleur des cas, à ce que Roger Caillois appelait "le sacré de dissolution" par opposition au "sacré de cohésion" qui fut celui de la poésie initiatique des origines dans les grandes traditions orientales.

Chez René Daumal ou chez Edmond Jabès, chez des poètes-philosophes comme Maurice Blanchot, Georges Bataille ou Roger Munier, c'est le sens qui génère le signe. Ils sont habités par une connaissance silencieuse en amont des mots. Il n'y a pas de haute poésie là où le silence transcendantal n'est pas la source à la fois du sens et du signe qui le véhicule. Ce n'est pas une vérité d'expérience naturelle, c'est une vérité d'expérience transcendantale que d'autres appellent mystique sans connotation religieuse spécifique.

Ces poètes-là ne perdent pas leur temps, ni n'éprouvent le besoin, de s'en prendre à la rationalité de la langue ou de détruire le sens commun des mots de la tribu. Ils sont passés à un autre niveau. À leurs yeux, il est des degrés supérieurs de rationalité, ouverte et non fermée, lesquels degrés correspondent à des niveaux de perception silencieuse, d'intuition ou d'intensité, qui échappent à tout enfermement verbal ou même mental. C'est ce qui fit dire à Georges Bataille : "Je ne puis regarder comme libre un être n'ayant pas le désir de trancher en lui les liens du langage", autrement dit d'échapper à la prison de la langue et aux murs opaques des signes.

Edmond Jabès parlait plus volontiers des vocables poétiques que des mots, car le "vocable" évoquait pour lui la voix c'est-à-dire l'intimité vivante du son porteur de sens. Quand nous lisons de Hawad, le poète berbère : « c'est du sperme du silence que sont nées les montagnes » ; ou de Roberto Juarroz : « il y a une porte ouverte et pourtant il faut la forcer [...] Maintenant il faut sortir, mais y a-t-il un dehors ? » ; ou d'Adonis : « J'ai mes secrets pour vivre sous les cils d'un dieu qui ne meurt jamais » ; ou de Lucian Blaga : « Le ciel a ouvert un oeil dans la terre », les mots en tant que signes nous importent peu , c'est le sens virtuel que nous percevons immédiatement. Un sens virtuel chargé de non-dit et de silence. Un sens potentiel ouvert à plusieurs niveaux de connaissance, d'inconnaissance aussi, ou de lumineuse ignorance.

Le sentiment poétique tel qu'il est silencieusement vécu en amont des mots génère sa propre poétique du sens incarnée dans la poétique des signes. "Le monde sensible, selon Lucian Blaga, est un complexe de signes pour dire la réalité mystérieuse". On peut le dire autrement en disant ceci: dans l'univers que nous percevons, tout est signe de l'Imperceptible qui, comme l'Absence, est l'oeil fermé de la Présence. Ce qui nous est donné de l'autre côté des signes passe par la fissure ouverte au fond de soi — par la béance du fini qui s'ouvre sur l'infini. Autrement dit, comme l'écrit Horia Badescu, par "le chemin vers les profondeurs de l'Être".

Il y a une poésie noire ou blanche des signes selon qu'ils endorment ou qu'ils éveillent. Les signes initiatiques sont ceux qui nous éveillent à l'Énigme absolue ou à la Présence abyssale du Sans-Nom ou du Sans-Signe. Nous vivons aujourd'hui au milieu d'une surabondance de signes et d'images au degré zéro du sens, voire au degré négatif et involutif du sens.

Dans la société du spectacle qui est la nôtre (je fais bien entendu allusion à Guy Debord), la représentation a remplacé l'action. Dans cette société soumise au règne de la quantité, les signes les plus triviaux se répandent partout comme les métastases d'un cancer généralisé. « Le dernier refuge des insensés : proclamer que le problème du sens n'a aucun sens, écrit Basarab Nicolescu dans ses Théorèmes poétiques. Quant au non-sens, ajoute-t-il, il fait la joie de ceux qui n'ont rien à dire. »

Le poète Bernard Noêl appelle sensure (qu'il écrit avec un "s" au lieu d'un "c") la privation de sens qui, dit-il, est "l'arme absolue de la démocratie : elle permet de tromper la conscience et de vider les têtes sans troubler la passivité des victimes." Il évoque la langue de bois qui pèche par manque de justesse et qui "prive le sens de son sens". Il suffit d'ouvrir les yeux pour voir que l'anti-poésie fait partout oeuvre mortifère.

« Quand une société se corrompt, disait Octavio Paz, la première chose qui se corrompt c'est le langage ». Désintégrer le langage, comme le font certains poètes dits d'avant-garde, est une entreprise suicidaire égocentrique qui reste prisonnière de l'espace clos où se confine leur descente dans leurs propres enfers.

Il s'agit au contraire, comme le préconisait Roberto Juarroz, de nettoyer le langage, de nettoyer notre mental et notre mode de vie pour rompre avec le langage stéréotypé, naïf ou conventionnel. Borges voyait dans ce langage balisé et banalisé une sorte de poésie fossile. Mais c'est surtout le sens qu'il faut défossiliser pour donner aux signes un sens nouveau ou, comme le dit si bien Lucian Blaga, une "lumière nouvelle sur un vieux chemin", un sens lumineux chargé de l'intensité de ses propres silences, un sens secret: « le secret, disait Antonin Artaud, est qu'il n'y a de secret que d'être justement cela qu'on n'est pas, et ce n'est pas un secret mais une âme. »

Car le silence poétique est un haut degré de silence; c'est lui qui nous délivre des opacités des signes et des pesanteurs de la langue. Ce n'est pas un silence vide, c'est un silence excessivement plein et même débordant de sens silencieux, un silence transcendantal auquel faisait allusion Maître Eckhart quand il évoquait l'essence d'une « troisième parole qui n'est ni dite ni pensée -qui n'est jamais exprimée », un silence lié au sens de l'écoute : celle de l'inaudible ou de l'inouï murmure de la source, un silence qui est au fond le tiers secrètement inclus dans le noeud dialogique du signe et du sens, ou du corps et de l'âme.

Nietzsche dans une lettre à Overbeck lui écrit : « Je ne suis ni esprit ni corps, mais une troisième chose ». Cette "troisième chose" est à rapprocher de ce que Roberto Juarroz appelait "un monde nouveau, le troisième", infiniment ouvert et qui appartient à un autre niveau de réalité que celui de la réalité sensible. Ce n'est pas affaire de croyance, mais d'expérience intérieure, d'expérience poétique, d'expérience effectivement éprouvée.

En ce qui touche à la poésie vivante, seul importe la Quête du sens du sens, autrement dit : - et l'orientation - et l'évolution du sens vers le centre énigmatique ou la source transcendantale du "Qui?" et du "Quoi?". « Mais qui a bu à la source de vie ? » s'était écrié Antonin Artaud. « À la vie je ne dois aucune pensée, écrivit Lucian Blaga, mais je lui dois ma vie entière. » Ce n'est pas une pensée fermée sur elle-même, ce n'est même pas une pensée, c'est une vision dont le sens globalement ouvert ne dépend pas du sens des mots, mais du secret de leur complexité et de leur saut quantique à un autre niveau de réalité.

Parmi les voies de recherche qui convergent, chacune par sa propre voie de passage, vers l'inaccessible source de vie, on pourrait appeler transpoétique la voie du poète sourcier orientée vers l'unité de la connaissance. Cette recherche fut celle de Lucian Blaga. Visée qui traverse et dépasse la poétique du signe ou la poésie incarnée dans la langue.

Dans cette optique, on pourrait dire que l'éclair de l'illumination abolit les limites du signe et du sens tout en exaltant le sentiment de l'infini. Blaga écrit dans un poème: « Élève-toi à l'infini sans dévoiler jamais ce que tes yeux ont deviné ». Ce que les yeux de Lucian Blaga ont deviné échappe bien entendu à tout langage. Et c'est bien là le paradoxe de la poésie : évoquer par le langage ce qui, par essence, échappe au langage. Et c'est par là que la poésie nous fait signe qu'elle est autre chose que des signes, autre chose que des signifiants, autre chose que des signifiés.

« L'illusion la plus tenace : le sens attribué aux mots », dit encore Basarab Nicolescu qui ajoute cet axiome essentiel : « L'interaction entre les mots est au-delà des mots ». Par son travail sur les signes, par les interactions des signes entre eux, l'intention de la poétique du sens est d'évoquer le sentiment de l'indicible et, par impossible, le sentiment de la transcendance immanente. Interactions qui font sens à travers, à côté et au-delà des signes.

Ceux qui poétisent encore sur le visible ou sur le paraître ont perdu le chemin qui va du visible vers l'invisible et du paraître vers l'être. Gaston Bachelard voyait dans la poésie une "métaphysique instantanée" ainsi qu'un temps immobilisé dans l'espace poétique de l'instant vertical qu'il appelle aussi androgyne.

Une "métaphysique sensuelle" (pour reprendre l'expression d'Olivier Apert la semaine dernière à une table ronde consacrée à Salah Stétié à la Sorbonne) n'a rien à voir avec la métaphysique scolastique ou seulement conceptuelle. René Daumal a vécu la poésie comme une métaphysique expérimentale, comme "un langage silencieux dont toute poésie, disait-il, est une traduction". Antonin Artaud, lui aussi, a vécu la poésie comme une métaphysique en activité, "une identité métaphysique du concret et de l'abstrait", "une métamorphose des conditions intérieures de l'âme".

Jean Wahl abondait dans le même sens en écrivant : « Nous ne savons pas ce qu'est la métaphysique ni ce qu'est la poésie, mais le fond de la poésie sera toujours métaphysique, et il est fort possible que le fond de la métaphysique soit également toujours poésie".

Il y a une dizaine d'années, à la fin d'une intervention au Centre littéraire de l'Abbaye de Royaumont lors d'une réunion de soixante-dix poètes de langue française,j'avais conclu mon exposé en disant ceci : « La poésie de l'avenir sera métaphysique ou ne sera pas ». Cette déclaration jeta un froid et fut suivie d'un silence ambigu, voire réprobateur. Seul Pierre Oster me glissa à l'oreille quelques mots de complicité. On peut dire que, sauf exceptions, les poètes français n'ont pas la fibre métaphysique. À défaut d'être inspirés, beaucoup d'entre eux "font des livres comme on fait des souliers" (l'expression est du marquis de Sade).

La poésie pour la poésie, ou l'art pour l'art, ne mène nulle part. La poésie française contemporaine tend rarement vers l'unité de la connaissance ou ce "Sens universel infini" auquel Friedrich Schlegel faisait allusion en évoquant le rapport de l'homme à l'infini.

Beaucoup de poètes sont aussi séparés d'eux-mêmes, séparés des autres et séparés du monde, que les mots qu'ils ont tendance à séparer les uns des autres, faute de pouvoir les unifier dans le même sens orienté vers l'intérieur infini du "centre" au sens mythique du mot. Aussi ne peuvent-ils voir dans l'art poétique la virtualité d'un langage transdisciplinaire, le moyen d'une recherche d'auto-connaissance, la voie d'un yoga de la conscience ou, comme chez Djalâl-od-Dîn Rûmî —cher au coeur de notre ami Salah Stétié, une Queste de l'Absolu.

C'est donc, à mon sens, la poétique du silence qui génère la recherche de la poétique du signe chargé de sens. Recherche dont les mots-clefs sont la justesse et, en poésie pure, la miraculeuse harmonie entre la musique et le sens. Si, dans un poème, par nécessité d'évoquer le paradoxe d'un processus intérieur, j'écris ceci, en un vers de quinze pieds : « Le feu pouvant désormais s'unir à la mer sans mourir », c'est dans le souci d'aboutir à une musique de la langue dans laquelle le chant des mots tend à abolir leurs limites tout en les ouvrant au sens alchimique qui les traverse et les dépasse.

La poésie célèbre les noces des contraires pour accéder au pressentiment de leur source énigmatique.
Il y a art poétique lorsque la poétique du sens coïncide avec la poétique du signe, lorsque la clarté coïncide avec l'obscurité, et la connaissance avec l'inconnaissance, dans le but ultime d'évoquer cette "troisième chose" qui n'est l'une ni l'autre, mais en amont, entre, à travers et au-delà de celle-ci et de celle-là, la secrète présence d'un indicible tiers inclus.

Si j'en juge par le peu que je connais de son oeuvre, il y a chez Lucian Blaga une tendance qui rejoint le principe de l'art d'Elias Canetti : « Retrouver plus que ce qui s'est perdu ! ». Blaga est à la fois poète, philosophe, métaphysicien, bref un chercheur d'esprit transdisciplinaire. Chez lui, la clarté est aussi énigmatique et aussi poétique que l'obscurité. Ce qui lui fait écrire ce vers paradoxal : « Avec ma clarté moi je fais croître l'inconnaissable ». On voit bien que la poétique du signe et la poétique du sens sont générées en lui par la poétique du silence.

Ainsi, dans son poème Autoportrait, le signe (avec un "s") devient-il un cygne (avec un "c") et ce, pour en arriver à se dire muet comme un cygne. Ce qui lui tient lieu de parole, c'est la "neige des créatures". Son âme est une question silencieuse. Et l'orientation de sa Queste vers la Source absolue est évoquée en quatre vers transparents :

Il cherche l'eau où l'arc-en-ciel
étanche sa soif,
la source qui désaltère
sa beauté et son néant.

Le silence d'un tel poème parle de lui-même et se passe de commentaires.


Le texte de la conférence est lisible ici (p.75) dans une série de textes consacrés à Lucian Blaga.

Ici le site officiel de Michel Camus.

samedi 29 octobre 2011

Paradigme de la Transpoésie



Si tu veux percevoir l’invisible, observe le visible. Le Talmud
Le billet consacré à la Charte de la Transdisciplinarité rencontre un profond écho auprès des lecteurs du Journal Intégral. Nous y faisions référence à la révolution épistémologique en train de se dérouler silencieusement, sous nos yeux, sans que nos contemporains s’en rendent vraiment compte.
Cette révolution épistémologique s’exprime à travers l’émergence simultanée de nombreuses recherches qui, toutes, relèvent d’une même intention profonde : participer à la dynamique évolutive et créatrice qui se manifeste à travers une nouvelle forme de connaissance fondée sur l’intégration entre raison distinctive et intuition sensible.
A partir d'une approche transdisciplinaire, cet esprit intégratif reconfigure l'inspiration poétique pour faire advenir ce que Michel Camus nomme le Paradigme de la Transpoésie.

De la Transdisciplinarité à la Transpoésie

« Ouverture de toutes les disciplines à ce qui les traverse et les dépasse », la Transdisciplinarité est un de ces trajets créateurs qui participent de ce nouveau stade de l’esprit humain évoqué aussi bien par les poètes du Grand Jeu que par un savant comme Albert Einstein.

Poète, essayiste, éditeur, producteur à France culture, Michel Camus (1929-2003) était un éminent penseur de la Transdisciplinarité. Cet homme de lettre était aussi, et surtout, un homme de l’être faisant partie « des chercheurs de vérité aux yeux de qui la poésie initiatique orientée vers la connaissance unitive tend à relier l'essence de l'homme à l'essence de l'univers ».

En retrouvant ses origines initiatiques, la poésie apparaît essentiellement comme une forme singulière de gnose qui révèle le lien secret et analogique unissant l’homme et le monde. La singularité de cette connaissance unitive est à l'origine de ce que Michel Camus nomme la Transpoésie : « on pourrait appeler transpoétique la voie transfiguratrice du poète sourcier orientée vers l'autoconnaissance et l'unité de la connaissance. Visée qui traverse et dépasse la poésie. »
Dans le texte ci-dessous intitulé Paradigme de la Transpoésie, Michel Camus développe sa vision transculturelle de la poésie : « Le paradigme de la poésie transculturelle, c'est avant tout la nécessité de l'éveil de l'homme à ce qui le fonde, à ce qui le traverse et à ce qui le dépasse...
Etre transculturel, c'est, pour l'essentiel, ne pas se laisser aliéner par des formes et des croyances, par des systèmes de pensée et des enseignements formels
. » La vision intégrale participe de cette approche transculturelle dans la mesure où elle perçoit les divers systèmes culturels comme autant d'expressions formelles d'une même dynamique évolutive.

Michel Camus. Paradigme de la Transpoésie
Nous ne savons pas ce qu'est la poésie. Les concepts univoques que l'on appelait naguère "le monde", "la réalité", "la nature", "la culture", "la poésie" sont devenus naïvement réducteurs dès lors que les chercheurs ont pris conscience de la pluralité des mondes et des cultures, de la complexité croissante des niveaux de réalité et des niveaux de perception échappant à la logique aristotélicienne et à la dialectique binaire.

Ainsi existe-t-il une infinité de niveaux de vérité et de complexité de la poésie, une verticalité des niveaux de perception de la poésie, une pluralité de directions de recherche, une multiplicité de formes d'art poétique.

Quantité de courants de la poésie contemporaine sont étrangers à la haute poésie initiatique qui fut celle des origines en Orient. Evidence que les adeptes du Grand Jeu avaient clairement perçue en découvrant les versets du Rig Véda. René Daumal et ses amis avaient ouvert une voie poétique, mystique et gnosique, à travers les cultures contradictoires de l'Orient et de l'Occident, comme à travers les sciences tournées exclusivement vers le pôle du Sujet et les sciences tournées exclusivement vers le pôle de l'Objet.

Il y a encore en France comme ailleurs des poètes ouverts à la dimension invisible du "sacré de cohésion" pour le distinguer, comme le fit Roger Caillois, du "sacré de dissolution". Il y a des poètes transreligieux habités par un sentiment de l'Absolu : le poète arabe Adonis par exemple. Des poètes mystiques athées comme Bernard Noël. Des poètes de l'énigme à différents degrés d'intensité dans le régime du feu. Des chercheurs de vérité aux yeux de qui la poésie initiatique orientée vers la connaissance unitive tend à relier l'essence de l'homme à l'essence de l'univers.

Poésie sorcière et sourcière. Poésie éveilleuse. Seul le poète éveillé sait que les vivants sont de même essence que les morts. Mais la poésie la plus éveilleuse aujourd'hui n'est vivante que dans les catacombes d'une époque en proie à la désintégration de toutes les valeurs, la dégénérescence de toutes les religions, l'effondrement des derniers mythes comme le marxisme et l'eschatologie utopique de la science.
Dans un monde ayant perdu tout point de repère, il y a encore ici et là des hérétiques porteurs du feu sacré, des alchimistes du silence et des voyants. Les médias ont peur du silence. Insensibles à la haute poésie, les hommes qui vivent à la surface de la vie sont incapables de pressentir le secret du silence vivant caché dans tout silence de mort.

Nord, Sud, Est, Ouest font partie de la même Rose des Vents et sont générés par le même centre énigmatique. Toute vraie recherche poétique, quelle que soit sa langue ou la nature de sa culture, est orientée vers le centre et tente de s'en approcher au sens où le poète Antonin Artaud s'était écrié : « Mais qui a bu à la source de vie ? »

Parmi les voies de recherche qui convergent, chacune par sa propre voie de passage, vers l'inaccessible source de vie, on pourrait appeler transpoétique la voie transfiguratrice du poète sourcier orientée vers l'autoconnaissance et l'unité de la connaissance. Visée qui traverse et dépasse la poésie.

Habité par le sentiment de l'Absolu, le poète sourcier est aujourd'hui citoyen du monde. Il est transnational au sens où il se sent relativement relié à plusieurs niveaux de réalité à la fois, mais absolument relié à ce qui les traverse et les dépasse. C'est dire qu'il se sent citoyen du cosmos, puis citoyen de la Terre (le "village-planète" de Jacques Delors), puis Européen, puis Français, puis Corse par exemple.

L'essentiel est de n'absolutiser aucun niveau de réalité. Hélas, l'homme a fâcheusement tendance, disait en substance Kierkegaard, à relativiser l'Absolu tout en absolutisant le relatif.
Il s'agit, au contraire, de perdre nos identifications absolutistes pour accéder à ce que René Berger appelle une trans-identité : concept infiniment ouvert analogue à celui de l'identité infinie de toute conscience éveillée à sa transcendance intérieure et à la transcendance de l'univers, donc à une double transcendance à percevoir unitivement. On peut donc être à la fois national par appartenance à une culture territoriale et transnational par esprit transculturel.
Etre transculturel, c'est, pour l'essentiel, ne pas se laisser aliéner par des formes et des croyances, par des systèmes de pensée et des enseignements formels. C'est s'ouvrir à la transcendance du sens du sens en amont du langage, ouverture que le chaman mexicain Don Juan Matus appelle la "connaissance silencieuse" inséparable de notre lumineuse ignorance.

Le poète sourcier tend à réconcilier les soeurs ennemies de la poésie et de la philosophie. La vision transculturelle de la poésie est forcément transreligieuse; elle est planétaire avant d'être européenne, française ou autre; elle fleurit au centre de la Rose des Vents; elle est ouverte à toutes les différences.

Notre identité occidentale est illusoire dans la mesure où elle n'intègre pas l'Autre -l'orientale- que nous sommes de toute éternité. Dans cette optique, Rûmi est notre maître à vivre au même titre que Maître Eckhart.

Notre compréhension de toute culture différente de la nôtre ne peut résulter que de notre propre compréhension ouverte à l'identité des contraires. Nous, Occidentaux, sommes par essence les alter ego des Orientaux. Nous faisons partie comme eux du même Nous transcendantal pour faire référence à la vision, chez Edmund Husserl, de l'intersubjectivité absolue des êtres et des choses régissant l'essence de la vie.

Un des axiomes du poète sourcier, c'est le principe absolu de la relativité de toute réalité et de tout langage. Il sait que tout est métaphore. Il sait que le paradoxe du langage poétique est de faire allusion à ce qui échappe au langage. On oublie souvent que le langage est une grande muraille de Chine. Le poète sourcier la traverse en s'ouvrant au silence vivant. C'est par là que le poète échappe à la prison de la langue. "Il n'y a pas de poésie sans silence", disait Roberto Juarroz.

Cette présence infiniment proche infiniment lointaine du silence vivant, on peut l'appeler indifféremment présence du sacré ou conscience de la transcendance immanente au sens où la transcendance est immanente à la conscience elle-même. C'est de l'ordre du secret que la poésie initiatique tente, par impossible, de faire partager. C'est un secret pour ainsi dire transpoétique, car il traverse la parole et le silence, car il est en amont de la parole et du silence.

C'est le tiers secrètement inclus dans l'opposition binaire de la parole et du silence. Ce tiers inclus, aucun poète n'a jamais dit et ne dira jamais ce que c'est. Maître Eckhart y fait allusion en évoquant l'essence d'une "troisième parole" qui n'est ni dite ni pensée et qui n'est jamais exprimée.

Le silence poétique peut accéder, dans son vécu, à un haut degré lumineux de silence. Seul ce silence-là peut nous délivrer des opacités et des pesanteurs du langage. Ce n'est pas un silence vide, c'est un silence plein et même débordant de sens silencieux. Peu importe le nom servant à désigner l'abîme ou le trou caché dans la langue, autrement dit le non-référent qui échappe à tout langage.

Le poète sourcier utilise librement les mots comme des flèches tirées vers l'Imprononçable, vers la Source inaccessible mais inépuisable. En tant qu'homme des limites, il ne peut que l'approcher sans jamais l'atteindre. Dire "la Source" est encore une métaphore; celle de l'énigme du "Qui?" et de l'énigme du "Quoi?" qui sont une seule et même énigme. Le poète est libre d'y faire allusion en évoquant le Sans-Nom, le Sans-Forme ou le Sans-Fond. C'est paradoxalement le Sans-Fond qui fonde l'unité de la connaissance poétique.

Nous vivons dans un monde où la technoscience génère une technoculture qui n'a plus rien à voir avec l'agriculture de l'âme. Aux pouvoirs exorbitants de cette mondialisation sauvage, quels contre-pouvoirs les poètes sourciers peuvent-ils opposer ? De résistance à l'enténèbrement médiatique. D'autotransformation vers l'autoconnaissance. Notre vision du monde ne peut changer que si nous changeons de l'intérieur, que si nos états de conscience évoluent, selon le mot de Goethe, vers plus de lumière, Mehr Licht !

Dans le combat titanesque où s'opposent la lumière et les ténèbres, chacun, selon sa nature, est serviteur soit de la néguentropie soit de l'entropie, ou bien de l'évolution de la conscience ou bien de son involution. Chacun est l'instrument conscient ou inconscient de puissances qui dépassent son entendement. Les poètes sourciers savent de quel côté ils combattent.

Le paradigme de la poésie transculturelle, c'est avant tout la nécessité de l'éveil de l'homme à ce qui le fonde, à ce qui le traverse et à ce qui le dépasse.

Le Manifeste de la Transdisciplinarité de Basarab Nicolescu, physicien quantique mais auteur d'un millier de Théorèmes poétiques, ouvre des voies de rencontre entre les poètes et les scientifiques, entre les chercheurs en sciences humaines et les chercheurs en sciences exactes. C'est un tournant radicalement nouveau. C'est le germe d'une nouvelle alliance des chercheurs et des créateurs de toutes disciplines contre les prédateurs au pouvoir.

Un nombre grandissant d'astrophysiciens et de physiciens quantiques se révèlent être des poètes métaphysiciens. L'alliance des chercheurs de vérité, les uns interrogeant le pôle du Sujet et les autres le pôle de l'Objet, et leurs interactions transdisciplinaires peuvent constituer un infracassable noyau de lumière contre l'enténèbrement programmé des prédateurs.

Le destin de l'humanité n'est pas joué d'avance, il se crée à tout instant. Lancé sur le vaisseau-terre dans une fabuleuse aventure cosmique, le phénomène humain possède aussi au coeur de lui-même l'inépuisable potentialité de s'éveiller à la transcendance lumineuse de sa propre source intérieure. C'est la vocation des poètes sourciers d'y faire allusion en créant de nouveaux points de repère et de nouveaux signes d'orientation sur le chemin sans chemin de l'infini intérieur.

Texte publié dans Transversales Science/Culture n°44, mars-avril 1997. On peut le lire ici dans le N°12 de Rencontres Transdisciplinaires, le bulletin interactif du Ciret, le Centre international de Recherches et Etudes Transdisciplinaires.

Ici
le site officiel dédié à Michel Camus.

mardi 25 octobre 2011

René Char. Une Poétique Intégrale (3)

Commune présence

Tu es pressé d'écrire,
Comme si tu étais en retard sur la vie.
S'il en est ainsi fais cortège à tes sources.
Hâte-toi.
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance.
Effectivement tu es en retard sur la vie,
La vie inexprimable,
La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t'unir,
Celle qui t'est refusée chaque jour par les êtres et par les choses,
Dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
Au bout de combats sans merci.
Hors d'elle, tout n'est qu'agonie soumise, fin grossière.
Si tu rencontres la mort durant ton labeur,
Reçois-là comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride,
En t'inclinant.
Si tu veux rire,
Offre ta soumission,
Jamais tes armes.
Tu as été créé pour des moments peu communs.
Modifie-toi, disparais sans regret
Au gré de la rigueur suave.
Quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
Sans interruption,
Sans égarement.

Essaime la poussière
Nul ne décèlera votre union.

(Le Marteau sans maître)

René Char. Une poétique intégrale (1) (2)