lundi 3 mai 2010

Ecologie et Société (5) Grandeur et décadence de la Modernité



Ce billet s’inscrit dans la continuité des quatre précédents qui appartiennent à une série intitulée Ecologie et Société (1) dont il constitue la suite. Dans cette série de textes, nous chercherons à mettre à jour les fondements de la culture de domination qui est à l’origine de la dévastation du monde et à rendre compte de la mutation des mentalités qui, en réaction à cette dévastation, inventent les formes culturelles novatrices qui seront celles de notre futur.

Les militants existentiels sont des créateurs de culture qui inscrivent le mouvement social dans le dynamique d’une transformation culturelle modifiant notre vision du monde en nous libérant de l’emprise d’une culture de domination. Cette dynamique s’exprime à travers l’émergence de nouvelles formes culturelles véhiculées par des avant-gardes composées de « marginaux centraux » qui modifient peu à peu le regard que nous portons sur nous-mêmes et sur le monde.

Comprendre la dynamique de cette évolution spirituelle, interpréter son sens c'est-à-dire à la fois sa signification et sa direction, c’est faire la généalogie culturelle de ces courants novateurs qui, au cours des deux siècles précédents, ont annoncé la profonde mutation des valeurs que nous sommes en train de vivre.


Grandeur de la modernité

Siècle des Lumières, le dix huitième siècle vit la manifestation d’un courant de pensée moderne fondée sur les valeurs de l’individu contre l’absolutisme, du progrès contre la tradition et de la raison contre le dogmatisme religieux. Les prémisses de la modernité datent de la Renaissance et son développement de la Réforme. Ce qui fonde la puissance émancipatrice de la modernité c'est, à travers l'abstraction rationnelle, la possibilité de sortir de l'identification fusionnelle au groupe d'appartenance et à sa vision du monde pour prendre en compte la valeur universelle de l'individu, et ce, quelle que soit sa classe ou sa race, son sexe ou ses croyances. C'est pourquoi la modernité a interdit l'esclavage, promu le droit des femmes, des travailleurs et des minorités, instauré la démocratie et le pluralisme, crée des contre-pouvoirs, institué des mécanismes de redistribution et de solidarité, valorisé l'intérêt général et le bien commun.
Cette évolution fondamentale de la culture et de la civilisation correspond au niveau individuel à un stade qualifié de post-conventionnel par un théoricien du développement moral comme Kohlberg. L'individu s'émancipe des conventions sociales pour développer sa propre réflexion et son jugement à partir de règles qui sont devenus endogènes. Ce stade culturel de la modernité correspond à l'universalitation de la conscience qui n'est plus centrée sur le groupe d'appartenance mais sur le monde et l'espèce humaine en entier. A cette évolution morale correspond une évolution cognitive. L'accès à une pensée capable à la fois d'abstraction intellectuelle et d'intuition globale.

Durant le siècle des Lumières, la dimension abstraite de la rationalité était équilibrée par une intuition concrète qui s’exprimait à travers une pensée organique, à la fois analogique et symbolique. Par exemple, il n'était pas rare pour le même individu d'être à la fois astrologue et astronome. Chacune de ses disciplines participait d'une épistémologie à la fois différente et complémentaire, l'une étant liée à une approche pré-moderne fondées sur l'intuition analogique et l'autre à une science expérimentale fondée sur la méthode analytique. On sait bien que Newton, inventeur de la gravitation universelle étudiait aussi l’alchimie.

On peut faire remarquer, au passage, que de nos jours un certain nombre de scientifiques sont aussi passionnés par les connaissances traditionnelles. Luc Bigé, par exemple, docteur en biochimie, est aussi président de l’Université du Symbole et auteur d’ouvrages fort intéressants comme L’Homme réunifié où il compare ses deux modes de connaissances que sont la science expérimentale et la pensée analogique, liés chacun à un fonctionnement des deux hémisphères cérébraux.
Dans un billet du blog où il partage ses réflexions épistémologiques, il écrit ceci : « Le langage physico-mathématique décrit les lois qui président à la formation des corps physiques, le langage astro-logique rend compte des processus signifiants qui animent ces formes... Si l’astrologie n’est pas une science elle n’en est pas moins un outil de connaissance... A ce jour le seul élément qui me permette une telle affirmation est le fait de m’être penché sans a priori sur le système astrologique. Je sais aussi que d’autres chercheurs, scientifiques ou non, l’on fait avec la même curiosité impartiale, mais la pression de la pensée dominante est tellement prégnante que beaucoup préfèrent continuer à travailler dans la solitude. »


Décadence de la modernité
Dans l’esprit des Lumières, la raison devait être une faculté de jugement et la science un instrument de connaissance au service du progrès moral de l’homme et de sa libération des servitudes matérielles. Mais, en perdant le sens des solidarités organiques, sous l’emprise de l’avidité individuelle, les élites bourgeoises se laissèrent envoûter par le pouvoir instrumental de la technique en confondant peu à peu la connaissance scientifique et ses applications technologiques comme elle confondit ces applications avec les profits qu’elles pouvaient générer. Au lieu de les libérer, le monde de la technique, son réductionnisme et son utilitarisme de plus en plus envahissants, ont peu à peu asservi la pensée et la créativité humaine.
Pour une part, le dix-neuvième siècle transforma peu à peu l'héritage libéral des Lumières en domination instrumentale. Pondérée auparavant par la sensibilité holiste de la tradition, la rationalité des Lumières se mua en idéologie rationaliste. Comme les institutions religieuses ont instrumentalisé la spiritualité et le message évangélique à des fins dogmatiques, cléricales et temporelles, le rationalisme instrumentalisa l’Esprit des Lumières, son humanisme émancipateur et sa rationalité, à des fins techniques et marchandes.

L’usage d’une raison éclairée par une intuition holiste se transforma alors en une idéologie sectaire fondée sur l’imperium épistémologique de la distinction et de l’abstraction à l’origine d’une culture de domination. Héritages de la tradition, l'intuition holiste comme la pensée organique - analogico-symbolique - à travers laquelle elle s'exprimait, furent peu à peu diabolisés sous la forme stigmatisante de "l'irrationnel". Le rationalisme est un sectarisme excluant toute diversité cognitive, notamment les expressions du génie comme de l'instinct humain qui traduisent une aspiration à la transcendance spirituelle et à la solidarité homéotélique entre l’homme et la communauté du vivant.


Une pensée déshumanisante
A la fin du dix-neuvième siècle, ce sectarisme prend la forme hideuse du positivisme et du scientisme qui vont inspirer les systèmes totalitaires du vingtième siècle, à tonalité biologique ou social. Conséquence ultime de cette pensée déshumanisante : l’homme réduit à un numéro tatoué sur la peau en guise d’identité. Plusieurs auteurs ont pensé la Shoah comme le paradigme effrayant d'une déshumanisation fondée sur la perte du lien sensible entre l’homme et son prochain devenu étranger, l’étranger devenu bouc-émissaire et le milieu naturel réduit à l’état de ressource économique à exploiter.
La prétention au savoir absolu est au coeur du totalitarisme. Selon Michel Maffesoli : "Le totalitarisme en question peut-être celui du rationalisme dogmatique, ou du scientisme sans horizon, il peut être aussi celui du républicanisme obtus. Ce peut être le totalitarisme dur des camps de concentration, ou celui, plus doux, de nos démocraties occidentales. Il n'y a entre eux aucune différence de nature. Seulement de degrés." Le nouveau dogme n’est plus religieux mais scientiste, à la fois utilitariste et réductionniste. Ses clercs transposent à l’être humain les méthodes abstraites et les outils conceptuels mis en place pour maîtriser et mesurer les phénomènes matériels.
Rien d’étonnant à ce que cette idéologie totalitaire finisse un jour par traiter l’être humain selon la même impavidité instrumentale avec laquelle elle traite les phénomènes matériels. A ce dogme scientiste correspond bien sûr des stratégies inquisitoriales qui ont pour but de diaboliser tous les modes de pensée et de perception qui ne cadrent pas avec l'idéologie dominante. Une de ces stratégies consiste à décrédibiliser celui qui ne pense pas comme les autres en le faisant passer pour marginal, charlatan ou fantaisiste dans le meilleur des cas, fou ou criminel dans le pire.


« Les Lumières sont totalitaires »

Cette réflexion sur l’instrumentalisation des Lumières est au cœur de la réflexion de Theodor Adorno, ce penseur allemand qui avec Marx Horkheimer publia en 1947, au sortir de la guerre, Dialectique de la raison. Cet ouvrage est fondateur d’une Théorie critique qui fit la renommée de ce que l’on a appelé l’Ecole de Francfort dont fit partie, entre autres, Herbert Marcuse, penseur d’un freudo-marxisme très en vogue durant la révolte étudiante de 68.

La réflexion d’Adorno partait de la question suivant : comment la barbarie a-t-elle pu surgir dans une civilisation édifiée sur le principe d'une raison toute puissante ? Sa réponse : « Les Lumières sont totalitaires » dans la mesure où la raison, devenue purement instrumentale, en perdant sa dimension de jugement critique, constitue la matrice d’une culture de domination.

Dans le commentaire de Wikipédia sur La Dialectique de la Raison, le cheminement de la pensée d’Adorno est exprimé en ces termes : « Les Lumières sont totalitaires dans leur volonté de supprimer toute trace mythique en vue d'un système duquel tout peut être déduit. La vérité de ce processus est la domination. Le résultat est que les hommes paient leur pouvoir en devenant de plus étrangers à ce sur quoi ils l'exercent (la nature dans l'homme et hors de l'homme). Dans le monde rationalisé, la mythologie n'a pas disparu, mais elle envahit au contraire le domaine du profane. Les Lumières ont abouti à une forme de régression, dans laquelle l'homme est transformé en chose (phénomène de réification). Dans sa crainte du mythe, l'Aufklärung (les Lumières en allemand) a condamné l'art et la pensée et a érigé les marchandises en fétiches. »

On retrouve un point vue semblable dans le livre de Régis Debray, Aveuglantes Lumières. Dans une critique de l’ouvrage paru dans Le Monde, Marc Fumaroli écrit que ce que l’auteur reproche aux Lumières du dix-huitième siècle « c'est l'hypocrisie de leur éthique de l'homme universel et abstrait, génératrice par contrecoup d'individus d'autant plus fanatiques, meurtriers et crédules pour rien qu'ils ont été atrophiés de leur appétit naturel de symboles, de leur soif de sacré, de leur besoin de croire, toutes vocations impures et imparfaites, mais vives et élémentaires, pour le pire mais aussi pour le meilleur, à la vie en commun ».


La Raison Sensible

La pensée d’Adorno reste cependant une critique abstraite de l’abstraction. Elle est incapable de proposer un changement de paradigme susceptible de sortir des ornières d'une culture de domination phagocytée par la rationalité instrumentale. Il faudra notamment passer par la médiation de cultures traditionnelles ou orientales pour retrouver le sens d'une épistémologie relationnelle à l'écoute du pouvoir d'implication au coeur de la subjectivité. Le changement de paradigme n’est pas un retour à la tradition holiste mais intégration de cette tradition et de la modernité au sein d’une épistémologie intégrale fondée sur une diversité cognitive. Il ne s’agit pas de nier l’efficacité technique de la rationalité instrumentale mais de refuser son hégémonie fondée sur le déni de la subjectivité.

C’est pourquoi le nouveau paradigme doit prendre en compte à la fois le pouvoir d’implication qualitative, celui de la subjectivité vivante et concrète, et le pouvoir d’explication quantitative, celui de la rationalité abstraite et utilitaire. Il s’agit de pondérer et d’équilibrer la rationalité instrumentale par une sensibilité holiste pour aboutir à ce que Michel Maffesoli nomme la raison sensible, Edgar Morin à la raison ouverte et Bertolt Brecht la Grande Méthode qui serait selon Régis Debray : « Un grand rationalisme qui accueillerait en son sein sans se gendarmer, l’irrationnel et le déraisonnable. »

On pourrait dire de l’histoire des avant-gardes culturelles au dix-neuf et vingtième siècle qu’elle l'est l'expression multiforme d'un courant de contestation, de relativisation et d'intégration. Contestation de l’utilitarisme technocratique, quête d’une épistémologie relationnelle fondé sur l’intuition holiste et création d’un nouveau modèle intégratif.


Les « Marginaux Centraux »

La contestation de l’utilitarisme technocratique est aussi vieille que le constat des ravages écologiques, culturels et spirituels de la modernité quant elle n’est plus adossée à une vision du monde fondée sur des valeurs éthiques et spirituelles. Dès le dix-neuvième siècle, les avant-gardes ont contesté l’abstraction des Lumières vidée peu à peu de leur contenu humaniste pour devenir le paravent d’une culture de domination. Parmi ces avant-gardes, on peut citer, entre autres, le romantisme allemand, les socialistes utopiques et les penseurs libertaires, le relativisme d’un Schopenhauer ou d’un Nietzsche et de leurs épigones freudiens, le transcendantalisme américain d’Emerson et de Thoreau, la pensée marxiste de l'aliénation et du fétichisme de la marchandise.

Cette entreprise de décolonisation culturelle a continué durant la moitié du vingtième siècle à travers divers mouvements intellectuels et artistiques qui ont contesté le processus de déshumanisation d’un monde soumis au diktat de la pensée instrumentale. Parmi ces mouvements on trouve le dadaïsme, le surréalisme, la phénoménologie, les penseurs évolutionnistes tel Bergson, Teilhard de Chardin Sir Aurobindo, le christianisme prophétique d'un Péguy ou d'un Bernanos, les non-conformistes des années trente.

Rappelons nous cette phrase d'André Breton dans L’amour Fou : " Le fait de voir la nécessité naturelle s'opposer à la nécessité humaine ou logique, de cesser de tendre éperdument à leur conciliation, de nier en amour la persistance du coup de foudre et dans la vie la continuité parfaite de l'impossible et du possible témoigne de la perte de ce que je tiens pour le seul état de grâce."

Une histoire culturelle des deux derniers siècles permettrait de dégager, derrière la diversité des créations et des inspirations, une même dynamique spirituelle fondée à la fois sur le refus d’une culture de domination, la réhabilitation des ressources intuitives de la subjectivité et la quête d’un nouveau modèle qui intègre la sensibilité relationnelle et l’abstraction rationnelle. Ces multiples sources, plus ou moins souterraines, ont été à l’origine du profond courant de contestation culturelle et de protestation sociale qui est apparu dans les années soixante, notamment à travers les mouvements de l’écologie et de la contre-culture.
(A suivre...)

samedi 1 mai 2010

Ecologie et Société (4) L'évolution culturelle



Ce billet s’inscrit dans la continuité des trois précédents qui appartiennent à une série intitulée Ecologie et Société (1) dont il constitue la suite. Dans cette série de textes, nous chercherons à mettre à jour les fondements de la culture de domination qui est à l’origine de la dévastation du monde et à rendre compte de la mutation des mentalités qui, en réaction à cette dévastation, inventent les formes culturelles novatrices qui seront celles de notre futur.
Pour les militants du mouvement social, l’heure n’est donc plus aux stratégies de translation sociale et horizontale fondées sur un discours alternatif de contestation et de protestation. Il s’agit dorénavant d’inscrire le mouvement social dans une stratégie de transformation culturelle et verticale fondée sur la création d’un modèle proprement intégratif.

Le mouvement social et ses militants dépassent alors les limites et les impasses de leur position contestataire pour devenir créateurs de culture. Une question se pose si l’on cherche à faire évoluer la culture : cette évolution obéit-elle au hasard ou à des lois comme celles qui peuvent exister dans le domaine de l’évolution biologique, et si la réponse à cette dernière question est affirmative, quelles sont donc ces lois ?


Qu’est-ce que l’évolution culturelle ?
Les tenants du relativisme culturel pensent que les diverses cultures ne sont rien d’autres que des constructions sociales ponctuelles et hasardeuses adaptées à la situation particulière des diverses communautés. Pour les matérialistes, la culture est une superstructure qui évolue en référence à l’infrastructure économique et à ses rapports de productions.

A partir des recherches en sciences humaines – notamment en psychologie, en sociologie ou en anthropologie – les penseurs du développement humain estiment au contraire que la culture, comme la conscience individuelle, évolue à travers des stades spécifiques et selon un ordre hiérarchique qui et celui d’une complexité et d’une intégration croissantes. A l’émergence d’une vision du monde plus évoluée sur l’échelle de l’évolution culturelle correspond un modèle dont l'organisation plus complexe et intégrée s’exprime à travers des perspectives épistémologiques, anthropologiques et sociales novatrices. On se rend compte ainsi que les stades du développement individuel récapitulent ceux de l’évolution culturelle de l’espèce humaine au cours du temps.

En 1953, Jean Gebser publia The Ever-Present Origin où il proposait la classification suivante des différents stades de l'évolution culturelle : archaïque-instinctif, magique-égocentrique, mythique-traditionnel, mental-rationnel, intégral. Les penseurs de la théorie intégrale, dont Ken Wilber, ont repris cette classification en distinguant deux niveaux dans le stade évolutif que Gebser qualifie d'intégral : le stade pluraliste-post-moderne et le stade intégral proprement dit. Notre but n’est pas de décrire ici avec précision ces divers stades évolutifs avec les visions du monde qu'ils véhiculent. Nous le ferons ailleurs avec la profondeur et la complexité que mérite un tel sujet.

Documentation
En attendant, ceux qui sont intéressés par ce thème passionnant de l'évolution culturelle pourront se référer à l’ouvrage de F. et P. Chabreuil La Spirale Dynamique qui rend compte du modèle crée par Carl Graves définissant les principaux stades de l'évolution culturelle. Ils peuvent aussi se rendre sur le site des Chabreuil, Spirale dynamique, qui contient des informations précieuses avec un blog et des articles originaux consacré à ce domaine. On trouve ici sur ce site une présentation très simple des différents stades évolutifs de la Spirale dynamique appelés Mèmes.
Il faut aussi lire à ce sujet l’ouvrage de V. Guérin et J.Ferber : Le monde change... et nous ? Clés et enjeux du dévellopement relationnel auquel nous avons consacré une série de billets qui commence ici. A partir des travaux de Wilber et de Graves, les auteurs proposent une articulation très intéressante entre développement personnel et évolution culturelle. On peut se référer au site de Jacques Ferber Développement Intégral qui permet de s'initier aux arcanes de la culture intégrale et auquel nous avons consacré trois billets dont un est dédié à une introduction illustrée de la Dynamique Spirale. Ceux qui s'intéressent au thème de l'évolution culturelle peuvent aussi lire le cours que Jacques Ferber a consacré la Mémétique.
Sur le site l'assocation Etincelle animée par Véronique Guérin on trouvera de nombreux articles sur le thème de l'évolution individuelle et collective ainsi qu"un diaporama intitulé Accompagner l'évolution par la Spirale Dynamique et l'approche intégrale.
Le magazine Eveil et Evolution a consacré au modèle de Clare Graves un numéro spécial intitulé La spirale de l'évolution. Dans la médiathèque d'Eveil et Evolution on trouvera aussi sur le thème de l'évolution culturelle un dialogue passionnant entre Ken Wilber et Andrew Cohen intitulé Les interdynamiques entre la conscience et la culture.
Enfin dans son ouvrage La révolution de la pensée intégrale, Patrick Drouot consacre deux chapitres à la Dynamique Spirale résumés ici dans un article que nous avons proposé à nos lecteurs.


La dynamique de l’évolution culturelle

L’évolution culturelle s’effectue selon un processus temporel qui est celui d’une lente maturation. Quand un stade évolutif commence à être dépassé, de nombreuses crises se manifestent comme autant d'expressions d'une impuissance à penser un monde en transformation à partir d'un modèle dont l'inadaptation tient à l'inertie. Comme autant de symptômes d'une dégénérescence, ces crises sont contemporaines de l'émergence d'un nouveau courant qui remet en question les limites et l’hégémonie de l’ancien modèle devenu inadapté. Ce courant émergent propose une vision du monde novatrice qui intègre les anciennes références dans un nouveau référentiel à la fois plus complexe et plus universel.

Dans un premier temps, le courant novateur est véhiculé par l’intuition et l’initiative de pionniers qui ouvrent les pistes empruntées et explorées ensuite par des minorités créatrices. Celles-ci vont se heurter aux institutions en place selon un dramaturgie en trois étapes définies par le fameux adage de Schopenhauer : «Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence.» Par l’effet d’une contamination mimétique - le fameux « esprit du temps », le nouveau paradigme apparaît effectivement comme une évidence à partir de laquelle vont s’organiser les normes culturelles et les formes sociales.

Observateur inspiré des mutations sociales et culturelles, le sociologue Michel Maffesoli explique ainsi la dynamique de l’évolution culturelle : « Quand on regarde, sur la longue durée, les histoires humaines, quand on observe la lente contamination des idées, l’on se rend, aisément, compte que ce sont les outsiders qui, toujours, sur la longue durée, triomphent. Ils sont ainsi que l’indique Parsons, des « marginaux centraux ». Pour reprendre une formule, que j’ai souvent répétée, « l’anomique d’aujourd’hui est le canonique de demain ».
Et il suffit de se référer à la figure du poète maudit du dix-neuvième siècle, à celle de ces penseurs isolés (Freud, Marx, Nietzsche), ou encore à ces musiciens, peintres, et autres artistes non conventionnels pour mesurer la pertinence du propos. Ils furent d’abord ignorés, puis décriés et enfin plagiés. Il serait aisé d’appliquer un tel schéma de nos jours. Et voir comment la production intellectuelle ou artistique proposée par quelques-uns des « marginaux centraux » est reprise, en catimini, par les notaires du savoir et du pouvoir. (La République des bons sentiments)


Les voies de la métamorphose
Théoricien de la pensée complexe, Edgar Morin a puisé nombre de ces intuitions lors de ces voyages en Californie dans les années soixante alors que se formalisaient de nouveaux modèles intellectuels au carrefour de la cybernétique, de la pensée systémique et de la contre-culture. Il décrit l’évolution culturelle en ces termes : « Tout commence, toujours, par une innovation, un nouveau message déviant, marginal, modeste, souvent invisible aux contemporains. Ainsi ont commencé les grandes religions : bouddhisme, christianisme, islam. Le capitalisme se développa en parasite des sociétés féodales pour finalement prendre son essor et, avec l'aide des royautés, les désintégrer. La science moderne s'est formée à partir de quelques esprits déviants dispersés, Galilée, Bacon, Descartes, puis créa ses réseaux et ses associations, s'introduisit dans les universités au XIXe siècle, puis au XXe siècle dans les économies et les Etats pour devenir l'un des quatre puissants moteurs du vaisseau spatial Terre. Le socialisme est né dans quelques esprits autodidactes et marginalisés au XIXe siècle pour devenir une formidable force historique au XXe. Aujourd'hui, tout est à repenser. Tout est à recommencer.
Tout en fait a recommencé, mais sans qu'on le sache. Nous en sommes au stade de commencements, modestes, invisibles, marginaux, dispersés. Car il existe déjà, sur tous les continents, un bouillonnement créatif, une multitude d'initiatives locales, dans le sens de la régénération économique, ou sociale, ou politique, ou cognitive, ou éducationnelle, ou éthique, ou de la réforme de vie... Ce sont ces voies multiples qui pourront, en se développant conjointement, se conjuguer pour former la voie nouvelle, laquelle nous mènerait vers l'encore invisible et inconcevable métamorphose. Pour élaborer les voies qui se rejoindront dans la Voie, il nous faut nous dégager d'alternatives bornées, auxquelles nous contraint le mode de connaissance et de pensée hégémoniques. » (Eloge de la Métamorphose. Le Monde)

Sous quelle forme la dynamique de l’évolution culturelle se manifeste t’elle à notre époque et quelle voie dessine t’elle pour se libérer de l’emprise d’une pensée hégémonique ? Pour le comprendre, il faut donc faire une rapide généalogie de ces « marginaux centraux » qui à travers leurs intuitions créatrices et leur critique de la culture de domination ont participé à cette évolution culturelle qui, selon la belle expression de Maffesoli, transforme l'anomique en canonique.
(A suivre...)

mercredi 28 avril 2010

Ecologie et Société (3) Translation et Transformation



Ce billet s'inscrit dans la continuité des deux précédents (1) et (2) qui appartiennent à une série intitulée Ecologie et Société dont il constitue la suite. Dans cette série de textes, nous chercherons à mettre à jour les fondements de la culture de domination qui est à l’origine de la dévastation du monde et à rendre compte de la mutation des mentalités qui, en réaction à cette dévastation, inventent les formes culturelles novatrices qui seront celles de notre futur.


L’échec du mouvement social

Militant des premières heures d’une écologie au parfum libertaire, Alain Claude Galtié s’interroge sur les causes pour lesquelles, de l’effervescence de la contre-culture dans les années soixante jusqu’à au mouvement social des années quatre vingt dix, la contestation du système capitaliste n’a débouché sur aucune alternative réelle.

« Nous avons fait le constat de l'échec des différentes composantes du mouvement social des années 60/70 et de l'apathie de la société (sauf en novembre et décembre 1995 en France, mais cela n'a pas duré). Les responsables sont reconnaissables; c'est en particulier le brouillage culturel impérialiste qui mine maintes volontés individuelles et le mouvement social. Entre ce qui fonde la motivation de tout soulèvement contre l'ordre inique : le sens de "la communauté des intérêts sociaux" (Rudolf Rocker) et les projets, les formes mêmes que croit "se donner" le mouvement, s'intercale ledit brouillage qui susurre que l'instinct et le bon sens génèrent des chimères ». (La confusion culturelle ou l’ennemi intérieur).

Ce brouillage culturel « impérialiste » dont parle Galtié est celui d’une culture de domination qui formate aussi bien la pensée que les comportements et dont nous avons esquissé l’analyse dans les billets précédents. Or, bien souvent, les militants écologistes, ceux des mouvances alternatives ou altermondialistes, ainsi qui les animateurs du mouvement social sont les otages de ce modèle culturel qu’ils ont intériorisé de manière inconsciente.

Ils n’ont pas compris que le capitalisme est un système de valeurs et de représentations – un véritable modèle culturel – tout autant qu’un mode de production, d’organisation politique ou économique. Et il ne sert à rien de combattre les formes économiques du capitalisme sans transformer le modèle culturel qui le sous-tend et lui donne du sens.

Dans son Éthique de l’existence post-capitaliste, Christian Arnsperger analyse avec brio non seulement ce qu’est la culture capitaliste mais les fondements existentiels qui la détermine. Il y démontre les limites d’un militantisme de contestation qui ne remet pas en cause ce modèle culturel et ses fondements existentiels. En développant une perspective intégrale, les militants contestataires se transforment en militants existentiels pour lesquels la transformation sociale passe aussi par l’évolution personnelle.


Limites de la contestation

Hélas, la plupart du temps, les militants du mouvement social sont d’autant plus fascinés par les formes objectives et extérieures de l’organisation économique et sociale qu’elle peuvent être réduites à des données mesurables et à des évaluations quantifiables. Cette fascination fétichiste pour les processus abstraits d’objectivation est l’expression même d’une pensée instrumentale qui fonde la culture capitaliste.
Un fétichisme qui est le symptôme d’une pathologie réductionniste née d’une instrumentalisation de la pensée au détriment d’une participation joyeuse et conviviale de la subjectivité aux divers milieux naturels et sociaux, culturels et spirituels, dans lesquels elle évolue en développant son processus d'individuation.

Comment pourraient-ils se désintoxiquer de l'imaginaire dominant, ceux qui sont incapables de déconstruire les soubassements tant idéologiques qu’épistémologiques d’une culture impérialiste qui les aliène ? Ils vivent sous l’emprise d’un logiciel réductionniste qu’ils ont intériorisé et qui constitue justement le système d'exploitation du programme qu’ils contestent. Complices, collaborateurs et promoteurs de leur aliénation, ces militants ne peuvent qu’imiter de manière caricaturale les stratégies du système dont ils cherchent à s’émanciper.

Leur posture de contestation ne fait que renforcer le système qu’ils cherchent à combattre. Etymologiquement, contestation provient de contestari qui signifie mettre en présence les témoins de deux parties. En contestant, le minoritaire affirme sa dimension de dominé et se positionne ainsi dans une relation instaurée et maîtrisée par le dominant dont il utilise les codes et les références, l’imaginaire et la vision du monde.

Contester est encore le meilleur moyen d’être récupéré par le système dominant qui, pour perdurer, se nourrit de cette énergie contestatrice qu’il a fait naître. Plus les contestataires cherchent à desserrer les liens qui les enchaînent et plus ils les renforcent. Pour comprendre ce paradoxe auquel se heurte le mouvement social depuis des années, il faut aller faire un tour du côté de la théorie intégrale.


Translation et transformation

Dans son analyse de l’évolution humaine, Ken Wilber distingue deux types de dynamique : les translations horizontales et les transformations verticales. Les translations horizontales sont des changements opérant dans un niveau évolutif donné alors que les transformations verticales génèrent un changement qualitatif avec l’accès à un stade plus évolué c'est-à-dire plus complexe et intégré.

Dans la translation horizontale, le champ de référence reste fondamentalement identique. La translation est un processus de reconfiguration qui permet d’adapter un niveau d’organisation - celui d’un stade évolutif particulier - aux changements du contexte global dont il fait partie. Dans la transformation verticale, par contre, le champ de référence se métamorphose et évolue vers un niveau supérieur d’organisation.

La transformation est un processus d’auto-émergence bien connu des penseurs systémiques. Cette auto-émergence est cause et effet d'une nouvelle dynamique intégrative qui s’exprime à travers une nouvelle forme d'organisation : une véritable métamorphose. Cette transformation verticale correspond à une nécessité évolutive illustrée par la citation d’Einstein : «Aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l'a engendré ». Phrase à laquelle répond en écho celle de Bernard Werber : « Pour comprendre un système, il faut... s'en extraire ».


Stratégies alternatives et intégratives

Ce qui est vrai de l’individu l’est aussi du mouvement social qui peut donc suivre deux types de stratégies. Les stratégies de translation horizontale, contestataires et alternatives. Les stratégies de transformation verticale, créatrices et intégratives.

Cette distinction est essentielle pour éviter ce phénomène de confusion culturelle à travers lequel la contestation devient l'agent même de la domination. Elle nous permet de comprendre pourquoi, en se situant dans un rapport de contestation, les stratégies alternatives obéissent finalement à la logique de l’adversaire. Stratégies alternatives qui permettent au système dominant de s’adapter au mouvement du monde en récupérant et en intégrant les énergies créatrices et la dynamique vitale de la contestation.

A partir de cette vision intégrale, la contestation apparaît comme la plus fidèle alliée d’un système qu’elle va régénérer. Une étude historique montrerait aisément comment le système capitaliste a utilisé tous les mouvements contestataires en les récupérant pour perdurer sans toucher au coeur de son programme de domination.

Si le mouvement social veut être efficace, il se doit d’être radical et pour être radical il doit dépasser les stratégies alternatives et contestataires qui ont montré leurs limites - celles de la translation sociale - pour envisager une transformation verticale, celle de la création culturelle. Radicalité et verticalité vont de pair : plus les racines sont profondes et plus un arbre s’élève en hauteur.

Il est donc nécessaire de quitter les routes balisées de la contestation, celles de la translation sociale, pour cheminer sur les sentiers - étroits, dangereux et minoritaires – de la création culturelle, ceux de la transformation existentielle.
(A suivre...)

dimanche 25 avril 2010

Ecologie et Société (2) L'homéotélie sociale



Ce billet s’inscrit dans la continuité du précédent où nous faisions référence à un texte d’Alain Galtié intitulé La confusion culturelle ou l’ennemi intérieur dans lequel il décrit l’écologie comme une culture du Vivant fondée sur la sensibilité homéotélique entre la partie et le tout. Le lien homéotélique qui unit l’être humain à son milieu biotique est celui -là même qui l’unit à la collectivité à laquelle il participe.

En déconstruisant les pièges et les illusions du réductionnisme dominant, l’individu retrouve cet instinct vital qui le lie intimement à la communauté du vivant, à la fois naturelle et humaine. En tissant ensemble intérêt individuel et collectif, cette sensibilité homéotélique est à l’origine de l’élan libertaire et convivial qui anime tout mouvement social

Une authentique pensée écologique ne peut donc faire l’impasse du politique. Les solidarités sociales sont l'expression d'une solidarité naturelle qui fonde la communauté biotique. En retrouvant le sens de cette solidarité naturelle, l’individu homéotélique tend à agir, de manière spontanée et organique, dans le sens du bien commun. Tel est le cas des peuples vernaculaires dont la culture traditionnelle était imprégnée d’une connaissance immémoriale : celle de l’économie du vivant.


Une écologie libertaire

Le processus d’une individuation authentique passe donc par la reconnaissance et le développement de ce lien homéotélique. Plus on prend conscience de ce lien, plus on l’incarne à travers ses pensées, ses émotions et ses comportements et plus s'exprime l’essence créatrice d’une individualité singulière profondément intégrée à la communauté du Vivant. Cette conception de l’individuation par participation et intégration du milieu conduit à une définition de « l’égoïsme » fort différente de celles des penseurs libéraux
Ceux-ci estimaient en effet que l’individu était principalement déterminé par son égoïsme et que celui-ci était réductible à la somme des pulsions prédatrices générées par son instinct de conservation. Le comportement de cet individu libéral est donc fondé sur la gestion rationnelle de ses intérêts égoïstes. Telle est la fiction néo-libérale : la gestion rationnelle des pulsions prédatrices qui fondent l'intérêt égoïste.

Dans le cadre d’une écologie qui s’inscrit dans la tradition libertaire, Galtié a une toute autre définition de l’égoïsme : « Ce que me souffle mon égoïsme est la quintessence de l'expérience de l'évolution depuis les premiers frémissements de la vie (et, peut-être, même avant) et c'est un message très différent de celui de sa caricature : "l'égoïsme" version judéo-chrétienne et néo-darwiniste, puisqu'il est tissé par la connaissance ineffable de l'homéotélie. »
Révolution copernicienne due à un changement de perspective : l’égoïsme en tant que produit immémorial de l’évolution devient le moteur d’une politique émancipatrice. Si la pensée libertaire a fait de l'individualité un principe fondateur c'est que cette dernière est animée par un instinct vital - archaïque et homéotélique - qui la lie organiquement à la communauté du vivant.


Epistémologie rationnelle et relationnelle
La reconnexion avec cet instinct pousse l'individu à vouloir se libérer des contraintes du pouvoir technocratique – qu’il soit politique, administratif ou économique – pour envisager des sociétés à la fois autonomes et organiques, fondées sur la coopération en leur sein et la fédération entre elles. Les contraintes de la biopolitique, telle que Foucault l'a conceptualisé, avaient pour rôle de contrôler et de contenir un vitalité instinctive susceptible de subvertir la domination abstraite des institutions modernes et ce, d'une manière d’autant plus violente que cette vitalité est réprimée. La pulsion libertaire n'est rien d'autre que la réappropriation par l’individu d'une vitalité instinctive au service de la communauté du Vivant.
C'est en ce sens qu'une culture écologiste et libertaire s'oppose à une idéologie technocratique et capitaliste selon laquelle l'individu est réduit à ses comportements, ses comportements au calcul rationnel de ses intérêts et ses intérêts à la somme de ses pulsions prédatrices. A travers l'écologie et le capitalisme, deux visions de l'individu et deux types d'épistémologie se confrontent : d'un côté, une vision organique et sensible qui fonde une épistémologie relationnelle et de l'autre, une vision mécaniste et réductionniste qui fonde une épistémologie rationnelle.
L'écologie est une culture instinctive, celle d'une vie fondée sur la relation, l'association et la participation. Le capitalisme une culture distinctive, celle d'un utilitarisme fondé sur la domination, l'abstraction et l'instrumentalisation. La mission que se donne la pensée intégrale est la création d'une épistémologie "intégrationnelle" qui dépasse ses deux formes, l'une traditionnelle et l'autre moderne, en les intégrant dans une niveau supérieur de complexité.
D'où la nécessité d'un travail de réflexion qui permet de bien différencier ces deux modalités épistémologiques avant de les intégrer dans une modalité plus complexe et plus complète. On voit bien là que la politique est toujours sous-tendue par une épistémologie. Faire l'économie de cette réflexion épistémologique c'est à coup sûr reproduire les stratégies de domination à travers des discours d'émancipation.

Les militants existentiels

La reconnexion homéotélique de l’individu à la communauté du Vivant nécessite un travail de libération personnelle vis-à-vis de l’emprise technocratique. Ce thème est très précisément illustré par le film de James Cameron : Avatar. Dans deux de nos prédénts billets sur la diversité cognitive intitulé Le Chaman et le savant (1) et (2), nous avions tenté de montrer à quel point ce film illustrait à travers sa dramaturgie cette tension entre l’intuition vitale, qui est celle de la sensibilité homéotélique, et la rationalité instrumentale qui est celle de l’emprise technocratique. Docteur en sociologie et militant anti-capitaliste, Phillipe Corcuff a écrit un article intitulé « Avatar » contre Cohn-Bendit : l'écologie doit être anticapitaliste que l’on peut lire sur le site Rue 89.

Il y dit ceci : « Cameron met en quelque sorte en images et en son une forme extrême de la contradiction capital/nature. La trame narrative de la science-fiction, reconfigurée avec de nouveaux effets spéciaux numériques, projetée en 3D, donne une vérité éthique et politique proprement cinématographique à une composition fictionnelle... L'anticapitalisme d'« Avatar » est indissociablement collectif et individuel. Se désintoxiquer de l'imaginaire capitaliste passe aussi par une transformation de soi. Jake Sully, ancien marine immobilisé dans un fauteuil roulant devenant « pilote » mental d'un avatar (corps hybride d'ADN humain et de Na'vi), va connaître une véritable conversion : d'infiltré chez les Na'vi à protecteur de leur mode de vie, de soldat impérialiste à eco-warrior. Sully a quelque parenté avec la figure des « militants existentiels » anticapitalistes, caractérisée « par un travail spirituel et politique de chacun de nous sur lui-même, soutenu par des communautés de vie », promue récemment par le philosophe de l'économie Christian Arnsperger dans son stimulant ouvrage « Ethique de l'existence post-capitaliste » (éd. du Cerf, 2009). »

Cette nécessité d’allier travail sur soi et action politique est un des nombreux points de convergence entre l’écologie libertaire défendue par Galtié sur son site Ecologie Planétaire, la vision d’une Politique intégrale développée par nos amis suisses ou celle d’une société post-capitaliste telle que l’envisage Christian Arnsperger, notamment sur son site Transitions. Fondée sur la corrélation entre évolution personnelle et transformation sociale, une nouvelle forme de réflexion politique se fait jour en définissant un nouveau régime, intégral, de la citoyenneté.

Le citoyen intégral
Le citoyen intégral n'est pas réductible à un individu abstrait et rationnel qui cherche à gérer de manière instrumentale et comptable une société réduite au rapport mécanique de domination/soumission entre individus ou classes sociales soumis à la seule loi de leurs intérêts particuliers.
C'est un être vivant, sensible et intelligent qui participe solidairement, subjectivement, et symboliquement à la société politique. Une participation vitale, mentale et comportementale qui le connecte, via le lien homéotélique, à ces divers niveaux d'intégration que sont les communautés locales, nationales et internationales.
Le citoyen intégral a conscience de la profonde corrélation qui existe entre la sphère de sa vie personnelle et celle de la vie publique : son évolution intérieure est la condition nécessaire à la créativité de la société dont il est membre. Le citoyen intégral est un militant existentiel : sa créativité personnelle implique des médiations culturelles et des dynamiques intersubjectives qui vont s'exprimer à travers la forme novatrice d'une organisation sociale leur correspondant.
(A suivre...)

mardi 20 avril 2010

Ecologie et Société (1) Le lien homéotélique



La vision intégrale est une pensée de la totalité qui cherche à s’affranchir de la démarche réductionniste et analytique au cœur du paradigme scientifique depuis quatre siècles. Pour se faire, elle se nourrit, entre autre, de l’observation de la dynamique associative qui préside à l’organisation de la nature et de l’univers. Ceci explique pourquoi certains concepts inspirés par l’organisation du vivant – holon, holisme, holarchie – ont été utilisés dans la théorie intégrale pour décrire l’évolution de la conscience, de la culture et de la société.

Selon Eugene Odum, auteur de Fundamentals of Ecology (1953), premier véritable traité d'écologie selon l’encyclopédie Universalis : « l’ écologie n'est plus une subdivision de la biologie, mais une discipline autonome qui s'occupe de l'intégration des organismes, de l'environnement physique et des hommes*». A la vue de cette dimension profondément holiste et intégrative de l’écologie, rien d’étonnant à ce qu’il y ait de nombreuses convergences et passerelles entre les pensées écologistes et intégrales.

Crée dans le contexte d’une réflexion écologique, un concept comme celui d’homotélie s’avère fort utile dans le cadre d’une sociologie intégrale. Militant et penseur de l’écologie, Alain Claude Gaillé, dans un article intitulé La confusion culturelle ou l’ennemi intérieur met en avant l’importance du lien homéotélique entre la partie et le tout, situé au cœur du vivant. L’homéotélie est un néologisme crée par le théoricien de l’écologie Teddy Goldsmith à partir des mots grecques homoios, le même, et telos, le but, la finalité. Ce mot exprime le lien de coopération entre la partie et la totalité à laquelle elle participe.


Le lien homéotélique

Pour les diverses parties d’un ensemble, le lien homéotélique a pour fonction de maintenir la stabilité et l'intégrité du tout, en sorte qu'elles-mêmes puissent subsister. Selon le grand naturaliste que fût Carl von Linné (1707-1778) : « Les êtres vivants sont si intimement liés, si enchaînés les uns aux autres, qu'ils visent tous le même but auquel nombre de buts intermédiaires se subordonnent*». Les parties apparaissent dès lors comme des moyens au service d’une fin qui est celle de la stabilité et de l’évolution de l’ensemble auquel elles participent. Ce qui fait dire au botaniste, général et philosophe Jan Smuts (1870-1950), un des pionniers du holisme : « On ne peut qu'être frappé par la façon dont les cellules d'un organisme non seulement coopèrent, mais coopèrent dans un but précis : le développement et l'entretien de l'organisme qu'elles constituent.* »

La partie agit donc dans le sens du maintien de l’ensemble à laquelle elle appartient, ensemble qui, de manière rétroactive, permet la cohésion, l’interaction et l’intégration des diverses parties. Ceci explique pourquoi le biologiste autrichien Emil Ungerer a nommé «considération du tout*» l'intentionnalité chez les systèmes vivants. Le rôle central qui est celui du lien homéotélique dans l’organisation de la nature faisait dire à Ludwig von Bertalanffy, fondateur de la théorie générale des systèmes : « L'immense majorité des processus vivants vise à la conservation du tout. Si ce n'était le cas, aucun organisme ne pourrait exister. C'est pourquoi l'on doit investiguer le rôle des processus dans la vie de l'organisme.* » (*Ces citations sont extraites de l’article de Teddy Goldsmith : « Qu’est-ce que l’écologie ?)

Au vu de tout ceci, il apparaît évident que ce concept d’homéotélie peut s’avérer fort utile à la compréhension des sociétés humaines dans la mesure où le lien social lui-même est fortement homéotélique : l'intérêt de l'individu est indissociable de l'intérêt général du groupe ou de la société auquel il appartient. Profondément holiste, les sociétés traditionnelles étaient fondées sur le respect et la valorisation du lien homéotélique entre l’individu et sa communauté.


Du milieu à l'environnement

Sur son site Ecologie planétaire, comme dans ses articles parus dans la presse alternative, Alain Claude Gaillé défend la vision d’une écologie libertaire fondée, entre autres, sur la pensée globale, l’économie du vivant, le fédéralisme, l’autogestion, l’autonomie et le partage des communaux. Pour enrayer la destruction sociale et écologique, et commencer la reconstruction, il propose la restauration de la démocratie et une récupération conviviale de la maîtrise du bien commun.

Mais cette restauration démocratique comme cette récupération conviviale ont pour condition première une indispensable évolution culturelle fondée sur la réévaluation d’une vision holiste et la reconnaissance du lien homéotélique entre l’homme et son milieu. Seule un telle vision globale permet de s’émanciper d’un paradigme technocratique - réductionniste et instrumental – fondé sur le déni du lien sensible entre l’individu, sa communauté d’appartenance et son environnement naturel. L’individu abstrait qui est celui de l’hypermodernité transforme son milieu biotique en « environnement » utilitaire qu'il instrumentalise pour satisfaire ses fantasmes infantiles de toute puissance et une addiction consommatoire qui cherche à compenser son vide intérieur.

Cette transformation du milieu en environnement exprime la coupure du lien homéotélique entre l’homme et son milieu : refoulée, devenue étrangère, la nature qui nous constitue est devenue un environnement dont les ressources sont à exploiter pour en jouir de manière égoïste. L'emprise technocratique sur les consciences est à l'origine d'une profonde aliénation qui rend l'homme d'autant plus étranger à lui-même qu'il devient étranger aux divers milieux à travers lesquels il évolue et se constitue.

Une culture de domination
L'utilitarisme technocratique et la segmentation analytique qu'il opère ne nous permettent pas de percevoir, de nourrir et d’intégrer ce lien de coopération et d’interdépendance qui nous fait participer de manière intuitive et sensible aux diverses milieux - naturel, culturel ou social - dans lesquels nous évoluons. Une segmentation à l’origine d’une culture de domination qui justifie l’exploitation de l’homme par l’homme et de la nature par tous les humains.

Parce qu’il entraîne la perte d’une vision globale permettant d’interpréter son expérience en lui donnant un sens, le réductionnisme crée une profonde frustration et un mal être qui ne peuvent être neutralisés qu’à travers une stratégie disciplinaire de domination des corps et des esprits dont Michel Foucault s’est fait l’historien inspiré. La posture abstraite de la technocratie est celle d’une domination cognitive du sujet sur un milieu biotique réduit à un environnement mécanique.

Cette stratégie abstraite de domination va peu à peu envahir toutes les sphères de la vie et se transformer en domination sociale, culturelle, politique, économique : celle d’une élite bourgeoise qui instrumentalise le savoir scientifique afin d’imposer son pouvoir idéologique en détruisant les références holistes traditionnelles. Ce qui fait dire à Michel Maffesoli : "Le savoir et le pouvoir intimement liés. Voilà ce que l'on peut appeler la relation incestueuse caractéristique de la technocratie moderne." Comme la foi a été longtemps instrumentalisée par l'institution catholique, la science n'est désormais plus qu'un prétexte, le paravent d'une technocratie qui l'instrumentalise pour imposer un modèle dominateur, devenu dès lors dominant, au service de ses intérêts idéologiques et financiers.

Formatage réductionniste
Ce que Foucault nomme le biopouvoir est un pouvoir qui s'exerce sur la vie à travers le contrôle des corps, des esprits et du lien social. L'influence de ce biopouvoir s'exerce notamment à travers les représentations culturelles et les comportements qui valorisent le modèle utilitariste de la technocratie tout en diabolisant toutes les approches subjectives - sensibles et holistes - susceptibles de le remettre en question. L'idéologie républicaine, son universalisme abstrait et son rationalisme scientiste ont été, en France, des éléments-clés de ce formatage réductionniste qui dénie les formes de la vie concrète et sensible : le qualitatif, l'esthétique, l'éthique, l'imaginaire, le ludique, le holisme, la spiritualité.
On connaît le fameux aphorisme de Charles Péguy : " Kant a les mains pures, mais il n'a pas de mains". L'idéalisme abstrait qui définit les Lumières et qui inspire le républicanisme construit un individu abstrait et idéal, création hors sol, sans appartenance sociale, sans filiation culturelle, sans affect et sans milieu naturel.
Dans La République des bons sentiments, Michel Maffesoli, penseur de la post-modernité, convoque Claude Levy-Strauss, penseur des cultures archaïques et auteur de La pensée sauvage pour témoigner de la brutalité du mécanisme d'abstraction : "Levi-Strauss n’hésite pas à soupçonner la Révolution Française d’être à l’origine des « catastrophes » qui se sont abattues sur l’Occident. Et ce parce qu’elle a détruit les libertés réelles au nom d’abstraction nuageuses*. Une telle remarque, provocante mais roborative, a le mérite de rendre attentive aux conséquences sur le long terme du mécanisme d’abstraction (intellectuel, technocratique, politique) qui ne s’embarrasse pas d’une réalité faite de la lente sédimentation des us, coutumes, manières d’être et autres formes de culture humaine. C’est bien contre l’abstraction et son idéalisme brutal et désincarné que l’on doit promouvoir l’antique sagesse du discernement. Celle qui, avec humilité, sait reconnaître le vaste mouvement vital, et en apprécier l’insondable fécondité. (*De près et de loin, éd. Odile Jacob, 1988, p.165, et Le regard éloigné, Plon, 1983, p.380.)"
Au fur et à mesure que sont brisés les liens sociaux, culturels et naturels, hérités d’une tradition holiste, l'individu désaffilié et désaffecté de la modernité est devenu un atome social noyé dans ce que David Riesman a nommé La foule solitaire. Un atome social livré pieds et poings liés à la propagande marchande et au mode de vie à la fois déshumanisé et addictif dont elle est le vecteur. La culture de domination a donc atteint son but : réduire la complexité humaine - évoluant au sein d'une diversité de contextes naturels, sociaux et culturels - à un individualisme atomisé et reconfiguré selon les normes marchandes de la consommation et les normes techniques de la production. Main dans la main, le régime de la Marchandise et celui de la Technique règnent sans partage sur cet individu néo-libéral dont le but est de travailler plus pour produire plus pour gagner plus pour consommer plus !...


Une culture du Vivant
Après d'autres écologistes, Galtié qualifie d'impérialiste cette culture de domination en la définissant à travers les traits suivants : anthropocentrisme, matérialisme, mécanisme, individualisme et néo-darwinisme négateur de toutes les formes de la coopération. Résultat de cette culture impérialiste : un néo-libéralisme qui fait de l'égoïsme, de l'individualisme et des intérêts personnels les références absolues en déniant le lien homéotélique qui fonde le bien commun.
La culture écologiste offre des outils pour s'émanciper de l'emprise du modèle dominant et de l'aliénation dont il est porteur : le collectif y apparaît comme une dimension vitale qui ne peut être réduite à la somme des individualités. La compréhension du lien homéotélique permet d'interpréter le lien social dans toute sa profondeur bio-logique et d'inscrire la défense du bien commun dans une culture du Vivant qui nous libère d'un individualisme mortifère.
Fondée sur une vision holiste ainsi que sur la réévaluation du potentiel cognitif et spirituel de la subjectivité, cette culture du Vivant est animée par le lien vibrant et interactif entre l'homme et son milieu naturel, social et culturel. Culture intégrale à l'origine de modèles novateurs et véhicule d'une diversité cognitive prenant en compte la complémentarité de toutes les facultés humaines et de toutes les épistémologies - rationnelles et relationnelles - qui en découlent, sans aucune exclusive.
(A suivre...)

mardi 13 avril 2010

Citations Inspirées



Une citation inspirée est un cristal de vérité qui révèle et résume en quelques mots une intuition fondamentale inscrite au plus profond de nous.
Ces phrases clés ouvrent les portes de l’essentiel en nous faisant entrevoir les lois et les principes qui régissent la vie, l’homme et l’esprit. Par-delà leurs auteurs, les cultures et les époques, ces citations se répondent les unes, les autres, comme autant de notes accordées harmoniquement à une sagesse immémoriale, inhérente à l’humanité.

Au fil du temps, j’ai noté quelques une de ces citations auxquelles je reviens parfois comme à une source vive. J’ai retrouvé avec bonheur et étonnement nombre de ces citations sur le site Graines de changement. Comme quoi ceux ont soif s’abreuvent aux mêmes sources.
Ces citations inspirées sont effectivement des graines de changement : en focalisant notre esprit sur l’essentiel, elles peuvent nourrir une réflexion qui inspire nos actes et anime nos engagements.



Il n'est rien au monde d'aussi puissant qu'une idée dont l'heure est venue. Victor Hugo

Etre spirituel, c'est être inspiré... J.Y Leloup

J’appelle modernes ceux qui croient qu’en comprenant un moteur, ils sauront où va la voiture. Tariq Demens

La plus grande faiblesse de la pensée contemporaine me paraît résider dans la surestimation extravagante du connu par rapport à ce qui reste à connaître. André Breton

Aller toujours plus avant dans l'élargissement de soi-même aux dimensions de l'infini. Raphaëlle Rérolle

L'idéal est pour nous ce qu'est l'étoile pour le marin. Il ne peut être atteint mais il demeure un guide. Albert Schweitzer

Dans la vie, il y a deux catégories d’individus : ceux qui regardent le monde tel qu’il est et se demandent pourquoi. Ceux qui imaginent le monde tel qu'il devrait être et qui se disent : pourquoi pas ? Georges-Bernard Shaw
Les portes s'ouvrent de l'intérieur, il faut s'effacer pour passer. Louis Pauwels
La sagesse est l'état dans lequel l'homme est à la fois essentiellement homme et au-dessus de l'homme, comme si l'essence de l'homme consistait à être au-dessus de lui-même. Pierre Hadot

Si on nettoyait les portes de la perception, l’Homme verrait les choses telles qu’elle sont : infinies. William Blake

Tous les problèmes que peut connaître un homme sont en rapport avec la conception qu'il a de Dieu. Si votre Dieu est grand, vos problèmes sont plus petits. Si votre Dieu est plus petit, ce sont vos problèmes qui sont grands. Tradition Juive.

Dans l'ordre des choses matérielles, seul le fantastique a des chances d'être vrai. Teilhard de Chardin

L'amour est visionnaire, c'est à dire qu'il voit dans l'être aimé, la divinité qui l'habite. Christiane Singer

Il se pourrait que les seules limites à l’esprit humain soient celles auxquelles nous croyons. Willis Harman

S'il existe un péché contre la vie, il ne consiste pas tant à désespérer de la vie qu'à en espérer une autre et de fuir l'implacable grandeur de celle-ci. Albert Camus

Le but de la vie est de vivre, et vivre signifie être conscient, joyeusement, jusqu’à l’ébriété - sereinement, divinement conscient. Henri Miller

La vie est authentique lorsqu’elle change. Léon Tolstoï

Il n’y a de science que de ce qui a été. Aristote

L’imagination est plus importante que le savoir. A. Einstein

Imaginer, c'est hausser le réel d'un ton. Gaston Bachelard

Tout homme prend les limites de son champ de vision pour les limites du monde. Arthur Schopenhauer
Aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l'a engendré. Albert Einstein
Pour comprendre un système, il faut... s'en extraire. Bernard Werber
J’ai trouvé en Chine moins des solutions à nos problèmes que la dissolution de nos questions. François Jullien
Vous devez être le changement que vous désirez voir dans le monde. Gandhi

La solution du problème que tu vois réside dans une manière de vivre qui fasse disparaître le problème. Wittgenstein
La difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles mais d'échapper aux idées anciennes. John Maynard Keynes

Nombreux sont ceux qui sont persuadés de penser alors qu'ils se contentent de réaménager leurs préjugés. William James

C’est ce que nous pensons déjà connaître qui nous empêche souvent d’apprendre. Claude Bernard

Les hommes gagnent des diplômes et perdent leur instinct. Francis Picabia

L’école devrait toujours avoir pour but de donner à ses élèves une personnalité harmonieuse et non de les former en spécialistes. A. Einstein

Il n'y a pas de bon vent pour celui que ne sait où il veut aller. Proverbe oriental

mercredi 7 avril 2010

Les Concepts de la Théorie Intégrale



La théorie intégrale, telle que Ken Wilber l’a progressivement définie à travers ses œuvres, propose une vision du monde fondée sur l’intégration des disciplines et des divers aspects de l’être humain plutôt que sur la fragmentation analytique des données qui caractérise le paradigme mécaniste de la modernité. Dans un avant propos au volume sept de ses œuvres complètes, Wilber définit son intention de la manière suivante :

« L’intention réelle de mes écrits n’est pas de dire : voici la façon dont vous devez penser. La véritable intention est la suivante : voici quelques une des facettes de cet extraordinaire Kosmos : avez-vous pensé à les inclure dans votre propre conception du monde ? Mon travail est une tentative pour créer dans le Kosmos un espace capable d’accueillir toutes les dimensions, niveaux, domaines, vagues, modes, individus, cultures, etc... ad infinitum. J’ai une règle majeure : tout le monde a raison. Plus particulièrement, tout le monde, et moi également, détient une part importante de la vérité, et toutes ces parts de vérités se doivent d’être honorées, chéries et comprises dans un embrassement plus courtois, plus ample et plus compassionnel....
Mes idées critiques n’ont jamais attaqué la croyance centrale d’aucune discipline, mais seulement la revendication que telle ou telle discipline avait de détenir la vérité unique, et sur ce terrain j’ai souvent été très dur. Chaque approche, je le crois sincèrement, est vraie pour l’essentielle mais partielle, vraie mais partielle, vraie mais partielle, vraie mais partielle... Et sur ma tombe, j’espère de tout cœur qu’un jour quelqu’un écrira : ce qu’il a dit était vrai mais partiel
».

Dans sa préface du livre de Ken Visser – qui vient de paraître en Français sous le titre de Ken Wilber : la pensée comme passion – Wilber définit ce qu’il entend par le mot intégral :

« Le mot intégral, signifie complet, inclusif, non marginalisant, englobant. Les approches intégrales dans bien des domaines ont exactement cette signification : elles incluent autant de perspectives, de styles, de méthodologies possibles à l’intérieur d’une vue cohérente du sujet. Dans un certain sens une approche intégrale est une approche « méta-paradigmatique », ou une façon de rassembler un certain nombre de paradigmes différents dans un réseau de perspectives reliées les unes aux autres et s’enrichissant mutuellement.
Dans les études sur la conscience, par exemple, il y a au moins douze écoles différentes, mais une approche intégrale insiste sur le fait que chacune des douze détient une vérité importante même si elle est partielle, vérité qui a besoin d’être prise en compte dans n’importe quelle approche complète digne de ce nom. Cela est aussi vrai pour les nombreuses écoles de psychologie, de sociologie, de philosophie, d’anthropologie et de spiritualité : elles possèdent toutes une pièce importante du puzzle intégral, et chacune d’elles a besoin d’être reconnue et incluse dans une approche plus complète et intégrale
».

Ken Wilber a donc développé la théorie intégrale comme une boîte à outils conceptuels permettant de préciser son intuition. Pour ceux qui cherchent à mieux comprendre ces notions afin de développer leur propre intuition, Franck Visser, le fondateur du site Integral World a proposé une présentation synthétique des principaux concepts de la théorie intégrale.

Traduite en Français par Eric de Rochefort, cette présentation est disponible sur la section française du site Integral World. Elle donne au lecteur francophone qui désire s'initier aux arcanes de la théorie intégrale des éléments d'informations qui pourront éclairer sa recherche et l'initier aux concepts aussi bien qu'à certains éléments de langage utilisés dans le cadre de la théorie intégrale et dans ce blog qui y fait souvent référence.
Nous proposons ci-dessous la page où sont définis ces principaux concepts, chacune de ces définitions établissant un lien hypertexte avec la page du site Integral World où elle est développée.


Les Concepts Centraux de la Théorie Intégrale


Les Vingt Principes

Dans Sex, Ecology, Spirituality Wilber décrits les "Vingt Principes" de philosophie holonique qui sont communs aux systèmes en évolution ou en croissance où que nous les trouvions.

L’erreur Pré-Trans

La contribution théorique la plus importante de Wilber à la compréhension de la nature du développement spirituel a été appelée "l'erreur pré trans". Nous tendons à mélanger les états prépersonnel et transpersonnel parce que tous deux sont non-personnels.

Les Cinq Phases

Wilber a divisé son propre développement intellectuel en cinq phases, appelées simplement Wilber-1, Wilber-2, Wilber-3, Wilber-4 et plus récemment Wilber-5. La plupart des critiques répondent au travail effectué dans les phases précoces et n'ont pas une compréhension à jour de l'œuvre de Wilber.

Les Quatre Quadrants

Une compréhension intégrale de la conscience humaine devrait au moins inclure les dimensions extérieures et intérieures, aussi bien dans leurs manifestations individuelles que collectives. Ce modèle à Quatre Quadrants constitue le principe directeur du travail le plus récent de Wilber.

Philosophie intégrale

Plus que toute autre école de pensée, la philosophie intégrale combine le meilleur du prémodernisme, du modernisme et du postmodernisme, tout en évitant ses formes extrêmes d'expression.

Les Dix Niveaux

Le modèle des stades évolutifs proposé par Wilber se compose de quatre stades prépersonnels, trois stades personnels et trois stades transpersonnels, – en tout, un modèle de développement humain en neuf étapes. Chacun de ces stades peut être corrélé avec des formes spécifiques de pathologies et de thérapies.

Politique Intégrale

Au cours de ces dernières années, Wilber a étendu son approche intégrale au champ de la politique. Sa vision est celle d'une spiritualité libérale, un humanisme mystique, qui s'étend à gauche, à droite et "vers le haut" – les étapes du développement humain négligées par les deux parties.

Involution et évolution

La vision de Wilber est évolutionniste du début jusqu'à la fin. Il voit le développement non seulement dans la nature, mais aussi dans la culture et la spiritualité. Cependant, l'évolution est sous-tendue par un processus mystérieux d'involution.

Trois types de science

Wilber a réécrit la philosophie de la science de façon non seulement à ancrer les sciences naturelles et sociales, mais aussi à dégager de l'espace pour un troisième type de "science", la méditation ou recherche intérieure, qui suit les mêmes étapes formelles que les deux autres types de science types de science.

Holons

Un concept central de la philosophie de Wilber est le concept du holon, qu'il a emprunté à Arthur Koestler. L'idée est de que tout holon est non seulement un tout, mais fait aussi partie d'un tout plus grand.

Kosmos

La perception du cosmos selon Wilber est très différente de celle de physique, qui tient la matière pour la seule "vraie" réalité. Pour faire de la place à d'autres dimensions d'existence, Wilber a emprunté le terme pythagoricien de "Kosmos".

Postmodernité

La modernité croit naïvement au progrès, la postmodernité a nié toutes conceptions de stades évolutifs comme étant ethnocentriques. La postmodernité constructive - ou intégralisme constructif - s'efforce de trouver le modèle caché derrière toutes les cultures et les visions du monde.