mardi 12 mai 2020

Autodestruction ou Développement Intégral


Que les choses continuent comme avant, voilà la catastrophe. Walter Benjamin


Dans notre avant-dernier billet, daté du 7 Avril et intitulé L'économie ou la Vie, nous faisions le constat suivant : la pandémie actuelle rend visible cette alternative entre la vie et l’économie qui a nourri les réflexions d’une lignée de penseurs radicaux depuis plus de deux siècles et plus particulièrement depuis ces dernière décennies où le capitalisme, devenu hégémonique, a développé tout son potentiel destructeur des milieux naturels et humains. Comme le dit l’auteur du Monologue du Virus : « L’économie est le ravage. C’était une thèse avant le mois dernier. C’est maintenant un fait. » 

A cet état de fait, les individus les plus créatifs réagissent par un coup d’état d’esprit qui s’exprime à travers un mot d’ordre : sortir de l’économie. Cette insurrection des consciences vise à inventer des formes de relations sociales qui ne soient pas médiatisées par les catégories du capitalisme : la valeur, la marchandise, l’argent, le travail. Dans la perspective intégrale qui est la nôtre, cette sortie de l’économie passe par un saut évolutif vers un nouveau stade du développement humain qui implique une transformation systémique de la conscience, de la culture et de la société. 

La sortie de l'économie ne pourra donc s'effectuer sans une évolution de la conscience à laquelle nous nous intéresserons dans ce billet à partir d'un texte de Gary Zemp, membre de "Politique Intégrale", un parti politique suisse et novateur déjà évoqué à plusieurs reprises dans ce blog. A l’alternative entre la vie et l’économie sur le plan social correspond une autre alternative sur le plan de la conscience et de la subjectivité, évoquée en ces termes dans cet article écrit en Juin 2019 et intitulé Auto-destruction ou développement intégral

« L’humanité se trouve devant un choix existentiel : ou elle persiste sur la voie de l’autodestruction tracée par le modernisme capitaliste ou elle se décide pour la voie intégrale, créative et constructive, une voie de développement personnel et social de la conscience. » Avant de proposer ce texte nous partagerons quelques analyses sur la crise sanitaire actuelle, symptomatique du processus d'autodestruction évoqué par l'auteur, et nous ferons une rapide présentation du "Parti Intégral" dont il est membre.

Un signe des temps


On oublie bien trop souvent que l'information, dans son sens étymologique (in-formare), consiste à donner forme à des données en les reliant entre elles afin de produire un sens qui soit intelligible. C'est cela l'intelligence (inter-legere) : lier ensemble des données qui semblent, en apparence, séparées et parfois même contradictoires. Rendre un évènement intelligible c'est donc l'intégrer dans une compréhension globale où réside son sens véritable. C'est ainsi qu'aujourd'hui, faire preuve d'intelligence c'est s'arracher à la fascination hypnotique et à la panique émotionnelle suscitées par la pandémie pour considérer celle-ci comme un signe des temps. 

Dans cette perspective, la crise sanitaire que nous traversons apparaît comme l'expression d'un déséquilibre global qui mène de manière inexorable notre civilisation malade sur la voie d'un effondrement évoquée par la collapsologie. Dans un article intitulé La peste et la colère, Charle Reeve écrit à propos de la pandémie: " Il serait probablement juste de dire que nous vivons une première secousse qui annonce d'autres à venir dans un processus d'effondrement général d'une société organisée à but de profit destructeur."

Délire d'un prophète de malheur ou intuition partagée ? Selon une récente étude de  l'institut Jean Jaurès sur la sensibilité des différents pays à l'effondrement, parue le 10 février dernier, 65% des français sont d'accord avec l'assertion selon laquelle "la civilisation telle que nous la connaissons actuellement va s'effondrer dans les années à venir" (La France, patrie de la collapsologie).

Les "élites" - c'est ainsi que se nomment eux-mêmes les dominants - se gaussent d'un tel "catastrophisme", l'imputant au pessimisme traditionnel des français et à leur passions tristes, sans se rendre compte que la conscience collective perçoit de manière intuitive la fin d'un monde dont ces mêmes "élites" sont les garants. La crise sanitaire actuelle vient confirmer de manière dramatique cette intuition partagée. Publié le 6 Mai dans Le Monde et intitulée "Non à un retour à la normale", une tribune initiée par Aurélien Barrau et Juliette Binoche, signée par nombre d'artistes, de savants et d'intellectuels se fait l'écho de cette prise de conscience collective :

« La pandémie de Covid-19 est une tragédie. Cette crise, pourtant, a la vertu de nous inviter à faire face aux questions essentielles. Le bilan est simple : les "ajustements" ne suffisent plus, le problème est systémique. La catastrophe écologique en cours relève d'une "méta-crise" : l'extinction massive de la vie sur Terre ne fait plus aucun doute et tous les indicateurs annoncent une menace existentielle directe. A la différence d'une pandémie, aussi grave soit-elle, il s'agit d'un effondrement global dont les conséquences seront sans commune mesure. Nous appelons donc solennellement les dirigeants et les citoyens à s'extraire de la logique intenable qui prévaut encore, pour travailler enfin à une refonte des objectifs, des valeurs et des économies... La transformation radicale qui s'impose - à tous les niveaux - exige audace et courage. Elle n'aura pas lieu sans un engagement massif et déterminé. A quand les actes ? C'est une question de survie, autant que de dignité et de cohérence."

Dans un récent article, le philosophe italien Giogio Agamben décrit précisément le processus de destruction, au cœur du techno-capitalisme, qui est à l'origine de cet effondrement : " Selon le grand scientifique hollandais Ludwig Bolk, l'espèce humaine est caractérisée par une inhibition progressive des processus naturels d'adaptation au milieu, qui viennent à être remplacés par une croissance hypertrophiée des dispositifs technologiques pour adapter le milieu à l'humain. Quand ce processus dépasse une certaine limite, il atteint le point où il devient contre-productif et se transforme en destruction de l'espèce." (Nouvelles réflexions)

Économie et Egomanie

Une des origines de ce processus de destruction et d'auto-destruction serait l’égomanie selon Gary Zemp. Cette forme de manie délirante s'empare de l'égo quand celui-ci cherche à s'affirmer et à se pérenniser à travers une volonté de domination sur son milieu d'évolution, humain et naturel. Cette volonté de domination est progressivement instrumentalisée par une toute puissance infantile qui libère des pulsions archaïques d’emprise et de prédation. Qu’il soit humain ou naturel, l’autre est ainsi réduit à un moyen destiné à satisfaire ces fantasmes infantiles d'omnipotence et d'omniscience qui trouvent leurs traductions contemporaines dans le techno-capitalisme.

Cette tendance pathologique de l’égo est à la fois cause et effet d'une vision du monde propre à la modernité : l'économie. (P.S : L'économie est ce pseudonyme que se donne le capitalisme quand il cherche à passer inaperçu, en voyageant incognito, pour euphémiser sa violence fondamentale). Fondée sur la maximisation des intérêts égoïstes, l'économie, loin d'être un phénomène transhistorique, est une construction idéologique liée à l'époque moderne débutant vers la Renaissance et fondée sur la trinité : raison, individu, progrès. Ou pour le dire synthétiquement, tel Michel Maffesoli définissant la modernité comme " émergence d'un individualisme épistémologique et ce grâce à un rationalisme généralisé au profit d'un progressisme salvateur".

Comme expression de l'individualisme méthodologique, l'économie est une vision du monde corrélée au contexte historique et socio-culturel de la modernité. Car comme le dit le célèbre anthropologue Marshall Salins : " Dans les sociétés traditionnelles, structuralement, l'économie n'existe pas". Ce qui existe dans ces sociétés pré-modernes, c'est une activité productive totalement intégrée aux codes sociaux, culturels et symboliques qui régissent l'organisation de la vie collective.

En se délivrant de la tutelle des dieux et du sacré qu'ils incarnaient, la modernité érige une nouvelle forme de divinité à travers l'individu qui peut ainsi laisser libre cours à son égomanie. Inspirée par celle-ci, l'économie étend à la vie sociale l'empire abstrait de la séparation avec pour conséquence une compétition généralisées, une marchandisation fondée sur cet équivalent général qu'est l'argent et l'enrôlement de tous dans l'armée du Travail, devenu valeur cardinale de la réalisation individuelle. Formée par l'Individu, l'Argent et le Travail, la trinité capitaliste tend à éradiquer les valeurs humanistes et le sens du commun en provoquant la destruction inéluctable des milieux naturels et sociaux. L'égomanie comme mode de subjectivation et l'économie comme organisation sociale sont ainsi liés de manière organique et systémique. 

Ce rapport entre économie et égomanie est au cœur des deux billets intitulés Une régression anthropologique que nous avons consacré au livre d’Anselm Jappe : La société autophage. Capitalisme, démesure et auto-destruction. Dans cet ouvrage fondamental, l’auteur analyse le paradigme "fétichiste-narcissique" fondé sur la relation organique qui se noue entre fétichisme de la marchandise et subjectivité narcissique.

Cette relation ainsi décrite par Romaric Godin : « L’indifférence et la cruauté du capitalisme, obsédé par la valeur quantitative plutôt que par le monde réel, se retrouvent en miroir dans l’indifférence et la cruauté du narcissique pour autrui. In fine, l’individu, soumis à cette pulsion de mort du capitalisme, finit par entrer dans un processus de ressentiment et d’autodestruction »

Fétichisme de la marchandise et narcissisme apparaissent dès lors comme les deux faces - l'une extérieure (l'économie) et l'autre intérieure (l'égomanie) - d'une même valeur marchande qualifiée par Marx de "sujet automate". L’hégémonie de ce "sujet automate", qui régit toute la société, fait entrer l'humanité dans cette nouvelle ère géologique que d'aucuns ont nommé le Capitalocène. Marquée notamment par  une destruction des écosystèmes naturels et des cultures humaines, l'entrée dans cette nouvelle ère est à l'origine d'une crise de civilisation qui ressemble beaucoup à ce que Satprem nomme une crise évolutive.

Une conversion intérieure

Garants et gardiens du système techno-capitaliste, les "élites" auto-proclamées feront tout ce qui en leur pouvoir - médiatique, politique, financier, policier, juridique - pour continuer à imposer leur récit dominant du "business as usual" malgré un processus d'effondrement qui s'avère de plus en plus visible. Car il s'agit pour elles de maintenir le plus longtemps possible la survie d'un monde agonisant afin de protéger les institutions et le chaos qui assurent leur domination. Et parce que cette survie est impossible à long terme, elles feront tout pour conduire l'ensemble de la société dans leur démarche suicidaire !...

Mais la fin d'un monde n'est pas la fin du monde. Le seul moyen d'éviter cette spirale infernale, c'est de participer, d'une manière active et inspirée, à un spirale évolutionnaire qui pourrait mener à un nouveau stade du développement humain. L'identité substantielle entre économie et égomanie étant établie, "sortir de l’économie" c'est donc  dépasser le stade infantile de l’égomanie en opérant une forme de conversion intérieure qui permet de passer selon Gary Zemp de l’homme formaté par la modernité capitaliste à ce qu'il nomme l’homme intégral.

Nous évoquions dans notre dernier billet cet Art de la Conversion qui, en nous libérant de l’identification maniaque de la conscience à un égo prédateur, permet un retour aux sources vivifiantes de l"esprit et à des formes de communautés fondées sur une intelligence collective. Cette conversion est fondamentale car il ne peut y avoir de transformation sociale sans un saut évolutif au-delà de cette conscience de séparation qu'est l'égo.

Politique Intégrale


Réuni par un intérêt commun pour une vision intégrale, un groupe des citoyens suisses a créé en novembre 2007 une association intitulée "Politique Intégrale". Ces fondateurs avaient conscience que la politique actuelle, s’appuyant uniquement sur les dimensions matérielles et intellectuelles, ne pouvait plus répondre aux besoins de nos contemporains. En 2011, cette association s’est transformée en un parti politique qui propose un programme et des candidats à diverses élections.

La vision de "Politique Intégrale" est inspirée par la théorie du poète et philosophe allemand Jean Gebser selon laquelle la conscience humaine a traversé différentes étapes au cours de son évolution, chacune constituée d’une "structure" différente. C’est ainsi que Gebser a proposé une cartographie des divers stades évolutifs de la conscience - à la fois individuelle et collective - de la structure "archaïque" à la structure "intégrale" en passant par les structures "magique" "mythique" et "mentale". 

Ces structures ne s’annulent pas lorsque l’on passe de l’une à l’autre dans la mesure où celles qui préexistent sont intégrées au nouveau stade de développement. Le philosophe américain Ken Wilber a repris les travaux de Gebser en popularisant cette cartographie des stades de développement qui permet d'interpréter en partie la crise systémique que nous vivons comme une crise évolutive fondée sur le passage du stade mental au stade intégral. (Une politique intégrale pour un temps nouveau). 

"Politique intégrale" procède d’une démarche originale qui vise un renouvellement fondamental de la culture et de la société sur la base d'un nouvel état de conscience. Selon cette approche novatrice, à contre-courant du matérialisme et de l'économicisme dominant, ce renouvellement peut s’effectuer à travers l’émergence d’une nouvelle forme de conscience qui agit de l’intérieur vers l’extérieur.  Inspirés par cette conscience émergente, un nombre de personnes de plus en plus important va imaginer et construire les structures extérieures - celles des institutions socio-politiques et des infrastructures technologiques -  qui lui correspondent. L'émergence de ces nouvelles structures favorisa, à son tour, la transformation des consciences. (Politique Intégrale)

"Politique Intégrale" repose sur une vision de l'homme qui considère comme complémentaires les dimensions physiques, émotionnelles, rationnelles et intuitives-spirituelles. Ces quatre domaines correspondent à des besoins spécifiques que l'être humain doit satisfaire pour vivre en sérénité. L'approche intégrale revalorise les besoins émotionnels et spirituels, mais ne néglige nullement les besoins matériels et intellectuels. Elle tend à relativiser l'attachement aux besoins matériels en les remettant simplement à leur juste place. Nous avons consacré trois billets à évoquer l'émergence de cette nouvelle culture politique.

Post-Capitalisme 

Du confinement aux utopies concrètes.
Il existe des différences notables entre les analyses politiques développées par Le Journal Intégral  et celles véhiculées par "Politique Intégrale" . "Politique Intégrale s'engage en faveur d'une économie au service de la vie où la créativité, la liberté et la coopération garantissent la justice sociale et le respect des équilibres écologiques".

Là où "Politique Intégrale" vise  à cette évolution positive du modèle économique, le Journal Intégral prône une "sortie de l'économie" comme modèle social hégémonique et destructeur. Ses analyses sont inspirées par une critique sociale radicale qui déconstruit rigoureusement les grandes catégories du capitalisme pour permettre l’émergence de nouvelles formes socio-politiques correspondant au développement de la conscience et de la culture. 

Cependant, par-delà ces différences, dues notamment à celles des cultures françaises (catholique) et suisses (protestante), Le Journal Intégral et "Politique Intégrale" sont des vaisseaux qui naviguent sur les mêmes eaux en mettant à jour une évidence fondamentale trop souvent ignorée par la philosophie politique moderne : on ne peut changer les structures sociales sans prendre en compte une évolution conjointe de la conscience et de la culture.  

Dans une perspective intégrale, conscience (subjectivité), culture (intersubjectivité) et société (objectivité des structures socio-politiques sous-tendues par des infrastructures technologiques et productives) sont des éléments complémentaires d’un même système dynamique en évolution. Se focaliser sur les transformations sociales sans prendre en compte l’évolution des subjectivités individuelles et des intersubjectivités culturelles est une faute qui, outre le fait qu’elle est à l’origine des totalitarismes du XXème siècle, conduit à de profondes désillusions.

Toute critique radicale qui ne serait pas en même temps intégrale tend à reconduire les apories d’une pensée progressiste fondée sur une anthropologie réductionniste. En s'affirmant à raison contre l'hégémonie religieuse, ce progressisme s'est peu à peu enfermé dans une approche matérialiste qui tend à nier toute spiritualité en réduisant l’être humain à son rôle social et en déniant ses aspirations au développement supérieur de la conscience qui s'exprime à travers l'expérience vécue du sacré et de transcendance. C'est ainsi que ce progressisme affirme le primat des infrastructures économiques sur les superstructures culturelles et spirituelles alors même qu'à une époque historique donnée toutes ces entités sont complémentaires comme autant d'expressions d'un même système global en évolution.

Cette approche matérialiste se révèle impuissante à imaginer ce qui fut au  cœur des plus grandes civilisations : un développement de la conscience au-delà de l'identification à l'égo. Un tel déni fait obstacle à l’émergence d’un nouveau stade du développement humain et à la création de formes sociales libérées de l'égomanie/économie. Cercle ô combien vicieux de ce progressisme - aussi daté que désenchanté - qui ne cesse de se plaindre des effets dont il chérit aveuglément les causes (Vers une Synthèse Évolutionnaire).

Une spirale évolutive

Modèle de la Spirale Dynamique
Comme l'écrit le sociologue Michel Mafessoli : " La flèche du temps progressiste, vecteur de la société parfaite à venir, apparaît de plus en plus désuète. C'est, pour le dire en termes imagés, la spirale qui lui succède. Ce que des esprits éclairés ont appelé la philosophie progressive. Progressivité valorisant un présent fondé sur le passé et garant du futur."

L'approche intégrale, notamment avec le modèle de la Spirale Dynamique, participe de cette pensée progressive. Dans la perspective de cette spirale évolutionnaire, l'individu devient le vecteur créatif d'une dynamique évolutive qui est la manifestation temporelle et immanente d'une transcendance spirituelle (De l'égo au Moi Unique). C'est pourquoi, loin de se  contenter d'une évasion nirvanique dans les essences célestes, une "spiritualité évolutionnaire" implique l'engagement de l'individu dans une démarche de développement intégral qui concerne à la fois la conscience, la culture et la société.

Nous conseillons donc à ceux qui sont intéressés par cette spiritualité évolutionnaire d’aller sur le site de Politique Intégrale où sont disponibles un certain nombre de textes théoriques et d’informations sur les pratiques et les stratégies de ce réseau suisse, pionnier dans l’élaboration d'une nouvelle culture politique adaptée aux défis de l'effondrement en cours. Par ailleurs, dans la rubrique Ressources à la fin de ce billet, un certain nombre de liens font référence aux réflexions de divers auteurs sur ce que pourrait être une politique intégrale.

Parmi ces réflexions, nous vous proposons donc ci-dessous la traduction française de deux textes complémentaires de Gary Zemp : "Du compromis à l'accomplissement" et "Autodestruction ou développement intégral". Nous avons conscience que la traduction française, parfois littérale, de ces textes allemands, peut être à l’origine de formulations quelque peu hermétiques pour ceux qui ne possèdent pas les références adéquates. Raison de plus pour être à l’écoute de sa propre intuition afin de dépasser ces difficultés en entrant en résonance avec l’esprit du texte.

Du compromis à l’accomplissement – Les tâches de la politique intégrale. 
Gary Zemp 

Dans son livre "Bewusstheit" (Conscience), Jürg Theiler guide ses lecteurs vers la prise de conscience intuitive que l’humain ne peut vivre le sens de sa vie que s’il confie la direction de tous les processus vitaux, la direction de l’intellect, de tout le système d’information psychique que nous sommes, à notre âme. Il nomme l’âme aussi l’intelligence empathique. Elle équivaut au quatrième niveau de vie que Politique Intégrale appelle le niveau intuitif-spirituel dans ses Fondements de politique intégrale.

Ce niveau travaille en réception, c’est-à-dire en mode d’accueil. Pour reconnaître ses désirs et fonctions, nous devons nous tourner vers l’intérieur et nous abandonner à lui. Il travaille en douceur et modestement, nous touche et nous rend conscients. Il est au service de la vie. 


Les trois autres niveaux, que nous avons en commun avec les mammifères, fonctionnent tout-à-fait autrement. Ceux-là aussi sont des systèmes d’intelligence et de besoins. Ainsi, l’intelligence physique, nommée "instinct", impose si nécessaire ses désirs avec une violence brute, pour assouvir par exemple des besoins de survie. L’"intelligence affective" n’hésite pas à assouvir ses désirs émotionnels et sociaux par la ruse et la contrainte, avec la tromperie et la duperie, avec le mensonge et la trahison. L’"intelligence rationnelle" se met volontiers au service de l’intelligence instinctive et/ou affective et aide ainsi à la réalisation de leurs désirs avec ses propriétés de manipulation, fragmentation, contrôle et d’accroissement de l’efficacité. Elle accorde son aide avec une indifférence totale. 

Ces trois systèmes d’intelligence poursuivent leurs désirs activement. Ils veulent s’imposer, ils veulent gagner, ils veulent posséder. Ils veulent consommer, avoir du succès et être admirés. Ils peuvent relier leurs aptitudes entre eux. Mais ils peuvent aussi se concurrencer. Laissés à eux-mêmes, ils sont destructeurs. Si nous, humains, confions la direction de notre vie à ces systèmes de besoins avides et insatiables, nous nous détruisons nous-mêmes.

Nous ne pouvons atteindre le but de notre vie, le sens de notre vie – vivre en bonne santé, intégraux et accomplis, que si nous reconnaissons de manière sûre et sans aucun doute notre âme, notre "intelligence empathique", l’"intelligence du cœur" intuitive, par une écoute dirigée vers l’intérieur et en mettant quotidiennement à sa disposition toutes nos ressources lui permettant d’assumer la direction de notre esprit, c’est-à-dire tout le système spirituel que nous sommes, avec sa modestie, son humilité, son art de servir exclusivement la vie. 

Seule l’âme, grâce à ses désirs doux, patients, véritables, créatifs, est à même de transformer les besoins destructifs du niveau de vie "animal" en besoins constructifs. Ce qui vaut pour des personnes individuelles est aussi valable pour notre société. Elle est caractérisée par le surnombre de groupes humains n’ayant pas encore reconnu leur âme et avec cela leur psyché. Ils vivent les besoins de leurs niveaux affectifs et instinctifs avec une grande indifférence, ce qui mène immanquablement vers la destruction. 

Jean Gebser
Quel pourrait être, en partant de ce point de vue, le but d’un petit groupe d’humains, qui s’est rassemblé sous l’appellation "Politique Intégrale" ? Sa première et la plus noble des tâches, incontestée, est celle d’apporter la plus grande contribution possible pour que nous trouvions, comme toujours plus de personnes, notre individualité, c’est-à-dire notre indivision, entièreté, intégralité, pour que toujours plus de personnes reconnaissent que l’humain est un esprit, un système spirituel qui se manifeste dans un corps et non pas un corps qui accumule des biens matériels avec des désirs instinctifs et émotionnels, équipé d’une compréhension indifférente, calculatrice. La conscience de notre intégralité nous rend, en tant qu’êtres vivants, humains, capables d’accomplir notre vie. 

Comment pourrait alors se formuler notre deuxième mission, que nous pourrions remplir en tant que collectivité, association, petite communauté face à la grande société humaine dans les communes, cantons, sur le plan national, oui, même face à la société globale ? 

Jürg Theiler nous en donne à nouveau la réponse dans son œuvre inimitable “Bewusstheit” (Conscience) : faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour « diminuer la violence et la contrainte, l’ignorance et la dépendance, le pouvoir et la prétention, la tromperie et la déception, le mensonge et l’escroquerie, la manipulation et le contrôle et pour instaurer l’amour, la beauté, la vérité, la bonté, la douceur, la tendresse, la modestie, la patience, le dévouement, la conscience, la santé et l’accomplissement.» Cela signifie, en d’autres termes, rien d’autre que servir la société en tant qu’âme, dans l’amour et la sincérité, en assumant la souffrance de l’humanité. 

Je sais qu’il s’agit d’une grande exigence. Cependant je suis au clair avec moi-même, que nous n’avons pas d’autre choix. L’intégralité ne permet pas de compromis. Ou bien nous faisons confiance à notre âme et servons la société en tant qu’âme avec P.I, ou bien nous contribuons à notre destruction et à la destruction de la société. Le temps des compromis est terminé. Accomplissement ou bien destruction. C’est cela, le choix. 

L’humanité a le choix : Autodestruction ou développement intégral. 
Gary Zemp 

L’humanité, tout au moins la sphère culturelle occidentale, se trouve devant un choix existentiel : ou elle persiste sur la voie de l’autodestruction tracée par le modernisme capitaliste ou elle se décide pour la voie intégrale, créative et constructive, une voie de développement personnel et social de la conscience. 


L’image de l’individu vue par le modernisme capitaliste 

Dans l’image de l’individu telle que le voit le modernisme capitaliste, l’être humain cherche son accomplissement dans le fait de posséder et de s’enrichir au travers de biens matériels, notamment de l’argent, et d’un amoncellement de puissance et de reconnaissance égocentrique. En tant que corps intelligent et rempli d’esprit mais éphémère, il aspire à des expériences spirituelles comme preuves de son immortalité. Les religions abrahamiques font subodorer à l’Homme l‘existence d’une âme immortelle. 

Pour la réalisation de ses désirs et besoins, il dispose des trois intelligences fondamentales : la première étant l’instinct, responsable de la survie physique sûre ; la seconde l’intelligence affective et émotionnelle, dont les impulsions veillent à un comportement social promouvant l’individu ; la troisième étant l’intelligence de la raison, dont le potentiel de logique, d’évaluation et de jugement est à disposition également des deux premières intelligences de base. 

La prestation probablement la plus créative de la raison est l’invention d’un centre opérationnel spirituel, d’un « moi » se considérant comme le centre vital et prenant le plus grand soin de lui-même. C’est précisément dans cet égocentrisme que sied le noyau de l’autodestruction incurable, vers lequel l’humanité avance avec discernement, ouverture et lucidité. 

Dans le monde politique, cette égomanie s’exprime dans toute l’Europe à l’instar de l’augmentation du populisme nationaliste, variante moderne de la culture tribale supposée depuis longtemps dépassée. Il y a 75 ans, la première telle expérience vécue par les nationaux-socialistes allemands s’est muée en un désastre auparavant inimaginable avec des millions de morts. 

L’orientation sur soi inévitable sur le chemin du modernisme capitaliste peut être relativisée par le choix d’une piste de développement intégrale et menée sur une voie constructive. 

L’image de l’Homme intégral 

L’image de l’Homme intégral part du fait que l’Homme est l’esprit ou la conscience dans son être. Son physique et son psychisme sont des manifestations de cet esprit, qui vivent des expériences humaines, évoluent et grandissent, deviennent plus conscients. L’être humain a un corps. Il n’est pas son corps. Il a un instinct. Il n’est pas son instinct. Il a des sentiments. Il n’est pas ses sentiments. Il a des pensées. Il n’est pas ses pensées. 

Sens et plénitude de la vie se situent dans la progression de la conscience et dans la reconnaissance grandissante du contexte global, de l’essence, de l’esprit unique non-dualiste, sans début ni fin. Cette unicité a moult noms. Dans notre culture, nous parlons de Dieu. Le Christ l’appelait Père : « Mon père et moi ne formons qu’un. » 

De la vie moderne à la vie intégrale 

Cette conception de l’Homme est manifestement un renversement de l’image de l’Homme du modernisme capitaliste, ayant pour conséquence des changements profonds dans la vie d‘un Homme moderne muant en un Homme intégral. Pour vivre ce retournement, diverses méthodes ont été développées au cours des trois derniers millénaires. Mais ce n’est pas le sujet en l’occurrence. 

L’une des possibilités est la prise de conscience, la reconnaissance et l’activation de la quatrième intelligence – l’intelligence souvent spirituelle et intuitive, appelée également intelligence empathique par la psychologie herméneutique. La littérature spirituelle emploie les termes de vigilance, conscience-miroir ou conscience-témoin étant donné que cette intelligence perçoit et atteste tout ce qui apparaît comme étant objectif et non-évalué. 

L’Homme a conscience des impulsions qui en résultent pour le physique et le psychisme et pour la communauté humaine uniquement lorsqu’il se rapproche de cette intelligence spirituelle en posture ouverte et suppliante. Celle-ci travaille donc de manière réceptive, sur stimuli orientés sur la réception. En d’autres termes, elle se fait prier. (Cette caractéristique est mise à profit par Politique Intégrale lors de la fixation de positions politiques intégrales avec la méthode dite d’intégralisation. Les visions politiques ou les images intégrales du futur sont demandées par l’intelligence spirituelle.) Ken Wilber recommande « de reposer dans le témoignage ». (Le Témoin par Ken Wilber)

Cette conscience du témoignage est esprit et donc jamais objet. Elle ne peut pas être vue. Elle est toujours sujet. Elle est ce qui voit, entend, ressent, perçoit, par exemple ce qui est en train de lire ces lignes. Elle est ce qu’est substantiellement l’Homme. Elle a accès à l’inconscient et au subconscient. Ses impulsions sont toujours constructives et créatives, utiles et vraies. Elle est la source d’empathie et d‘amour. (L'exercice du Témoin)

Le passage de l’Homme moderne à l’Homme intégral est réussi lorsque l’appréhension des intelligences est reportée consciemment sur cette intelligence spirituelle. En d’autres termes, lorsque les événements de la vie sont considérés de manière objective et attestés avec vigilance et que les impulsions constructives qui y sont inhérentes sont prises en considération lors de l’aménagement de la vie. 

L’intellect évaluateur, orienté vers le « moi », jugeant sans limites reprend ses fonctions seulement après la perception objective des événements par l’intelligence spirituelle et intuitive. L’Homme intégral considère alors le petit "moi" comme objet et relativise son importance sans discuter sa fonction en tant que centre opérationnel. L’Homme intégral organise ainsi sa vie de façon moins égocentrique et plus empathique. Politiquement parlant, une société intégrale se développera dans laquelle les semblables agiront attentivement par solidarité, utilité et reconnaissance. 

Ressources 

Du compromis à l’accomplissement. Les tâches de la politique intégrale. Gary Zemp. Politique Intégrale. 5/12/18. Ce texte n’apparaît plus sur les archives du site Politique Intégrale.


Politique Intégrale  Le site officiel du parti suisse

Pour les anglophones : An integral réponse to Covid 19  Brad Reynolds. Integral World

Livres




Voir les textes sélectionnés dans les libellés : Société post-capitaliste - Critique de la valeur - Théorie intégrale - Synthèse évolutionnaire

2 commentaires:

  1. Nous sommes si proche et si loin en même temps... difficile de savoir où nous en sommes collectivement, mais c'est toujours vivifiant de rencontrer des échos ici et là, que ce soit dans le réel ou sur les réseaux... voici un poème écrit ces derniers jours bien en phase avec l'inévitable miracle de l'évolution... :)

    Eclosion

    Vient le temps de l’éclosion,
    L’explosion est en cours.
    Nous avons perdu le fil,
    Coupé court à l’inéluctable.
    Seul un miracle inévitable
    Nous sauvera de l’extinction.
    Nucléaire et pesticides
    Dansent dans la ronde des poisons.
    Héritage de notre raison
    Prétentieuse et malade.
    Vous, les arrogants de la Terre,
    Avez-vous crée l’Univers ?
    Avez-vous tutoyé l’éternel ?
    Il n’est pas de sagesse sans humilité,
    L’Univers se joue de nos vanités.
    Par nos plus profondes volontés d’unir
    Nous stimulons parfois la division.
    A peine parvenons-nous à divertir
    La haine de sa sombre progression.
    Haine de soi et de l’autre,
    Symptômes de déraison.
    Faire le pas de l’éveil,
    Evoluer en conscience,
    Maintenant,
    Tout part de l’Odyssée biologique,
    De la sagesse symbiotique.
    Le Souffle nous précède,
    Longue lignée de nos ancêtres,
    Le Souffle nous emporte
    Au-delà de l’éphémère.
    Nous existons par essence
    A l’extension des Univers.

    ML (2020)

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  2. Salut Marko. Merci pour cette belle résonance poétique.

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